O'Connor poussa un cri de coyote en partant en arrière sur son siège avant de taper sur le comptoir.

— Vous avez vu ce cul, Capitaine ? Bordel, on dirait pas Mai Valis, la star de porno cyborg ?

Il se mit à rire et sortit un cure-dent de sa poche de veste pour se mettre à le mâchouiller frénétiquement. Il était bien le seul à se réjouir. Les autres spectateurs partageaient le même engouement refréné que moi. C'était trop beau pour être vrai. Ça ressemblait à une mauvaise blague, et tout le monde attendait la chute. On attendait de voir le sang humain couler sous la machinerie infernale des titans d'acier.

— Elle ne va pas tenir cinq minutes, ils vont la repérer aux détecteurs de chaleur, soufflais-je sceptiquement.

Alors que je parlais, l'image à l'écran était en train de se brouiller. L'un des combattants dans l'arène venait de mettre un genou à terre, alors que les plaques d'acier sur son dos venaient d'être totalement tordues et que des câbles de fibres nerveuses étaient arrachés par une forme invisible sur lui. Elle, ça ne pouvait être qu'elle. Elle était en train de déconnecter sa colonne vertébrale. Manuellement, putain.

Et évidemment, tous les autres combattants étaient en train de se lier contre l'outsider. Etrangement, ils étaient tous plus lents, plus gauches, et leurs armures avaient perdu en motricité. L'arène semblait être devenue le théâtre d'un orage électromagnétique.

Pour la première fois depuis le début de l'Affrontement, je prêtais attention aux annonces du présentateur et aux commentaires retransmis.

« ... veuillez nous excuser pour le désagrément, il semblerait que l'arène soit en plein surcharge magnétique depuis l'arrivée de la combattante de Samsara Lab. Mais c'est le moment parfait pour vous présenter le travail de l'Université de Mandalay, qui a choisi de privilégier le département de recherche génétique et biologique pour cette édition de l'Affrontement.

« Pas de colosse aux mains d'acier, pas de cyborg, mais une ex-agent des Forces Spéciales StarControl, envoyée en réinitialisation chimique pour « violence et insubordination », autant vous dire que le matériau choisi par Samsara est explosif ! Eh oui, le joli minois que vous avez pu voir quelques secondes était celui d'une véritable machine de guerre rachetée à l'Union des Planètes Libres !

Un frisson parcouru ma colonne vertébrale et O'Connor poussa un sifflement impressionné. Les Forces Spéciales de StarControl étaient le cauchemar de tous les mercenaires de la galaxie. A chaque fois qu'on prenait un contrat pour un ennemi de l'Union, on était susceptible de se retrouver face à ces enfoirés de chiens de guerre dressés au combat. Dans ces cas-là, à moins d'avoir une arme atomique, il valait mieux abandonner le contrat, lâcher la prime, et laisser son employeur se débrouiller avec le rouleau-compresseur de StarControl.

« Ce que les laboratoires Samsara proposent cette année renoue avec la tradition oubliée de l'affrontement entre technologies furtives de biosciences et artillerie lourde de cybernétique ! Ecoutons Sir John Dee, le concepteur en chef du « projet Deera ».

Un homme en blouse de laboratoire apparut en hologramme par-dessus les images de plus en plus inconsistantes de l'arène.

— Nous sommes fiers de présenter pour la première fois notre nouvelle arme organique. En prenant les fonctions vitales d'une femme non-modifiée et en parfaite santé, nous avons réussi à produire une arme furtive d'Intelligence, adaptée au combat ouvert comme à l'infiltration.

— Sir Dee, que signifie ce retour des biosciences dans l'arène ? Ou plutôt, pourquoi après plus d'un siècle d'absence ?

— La part de financement attribuée à notre département de recherche a toujours été minime, expliqua l'hologramme d'une voix atone, mais le travail sur la modification biologique a toujours été pratiqué sur Terre-1, où le pourcentage d'individus non-modifiés a toujours été supérieur à la moyenne des autres planètes. Il nous a fallu des années pour dépasser les limites de corps basés sur le carbone, en passant par de nombreux essais.

— Comment en êtes-vous arrivés au projet Deera ?

— Nous sommes parvenus à produire une synthèse biochimique entre carbone, silicium et germanium, mais le processus de transformation du corps demandait un état physique absolument irréprochable avec une condition physique à toute épreuve, c'est pourquoi nous nous sommes tournés vers des enveloppes réinitialisés d'anciens soldats. Nous avons trouvé cet individu chez StarControl, et je dois avouer que c'était vraiment un coup de chance. Trouver des organes de cette qualité, aussi jeunes et en si bon état est très difficile dans les corps d'armée où la plupart des agents ne passent pas la trentaine sans avoir dû subir une étape de chirurgie cybernétique. C'était vraiment inespéré.

— Votre combattante était donc la perle rare ?

— C'est exact. De plus, son état psychologique instable a pu être totalement calmé grâce aux nombreux produits qui lui ont été administrés pour préparer les opérations. La modification biochimique a été longue, mais le résultat a dépassé toutes nos espérances. Le produit final est totalement viable sur champ de bataille, il pourrait être remis en service pour StarControl tel quel, et c'est d'ailleurs notre intention.

— Et vous n'avez pas peur d'abimer votre produit en le présentant à l'Affrontement Interuniversitaire ? Ce n'est pas comme un robot ou un cyborg qu'on peut démonter, là... demanda le présentateur.

L'homme holographié eut un sourire moqueur et laissa la question planer quelques instants avant de répondre.

— Non, je n'ai aucune crainte.

A cet instant, les images de l'arène réapparurent à l'écran, montrant un champ de sable et de pierres désolé, où ne s'affrontaient plus qu'une dizaine de gigantesques armures. Ils tiraient dans tous les sens comme s'ils étaient attaqués par un essaim d'abeilles invisibles, cherchant un ennemi qui était en train de les désactiver les uns après les autres.

Un robot envoya soudainement une charge électromagnétique devant lui et la femme en combinaison réapparut, projetée en arrière par la vague magnétique. Elle tomba lourdement dans le sable, au pied d'une pierre. Un cyborg sur sa trajectoire fut immédiatement désintégré dans une explosion d'hydrogène.