1. Classico (2/3)
Le serveur augmenta le volume de l'écran alors que l'on voyait plusieurs plans d'ensemble sur une arène de sable, jonchée d'énormes pierres noires, autour de laquelle de hauts gradins laissaient apercevoir des formes humaines et des drapeaux. Deux immenses hommes couverts d'armures de platinum-iridium couvertes d'éraflures et de bosses étaient en train de se livrer un combat à main nues, usant de leurs énormes poings gantés d'acier pour essayer de briser leur adversaire. C'était les images de la finale de l'année dernière.
Je ne l'avais pas suivie en entier, mais j'avais dû apprendre par cœur les mouvements de celui qui portait l'armure rouge, parce que son concepteur s'était fait la malle quelques mois après l'Affrontement pour essayer d'aller vendre sa technologie à des planètes rebelles. Il avait fallu l'intercepter autour de la ceinture d'astéroïdes de Zoltar, l'extirper de sa carapace et lui faire cracher des aveux. On pouvait dire en quelque sorte qu'on lui avait fait bouffer de la démocratie de l'Union des Planètes Libres, l'UPL, à grand coups de clef à molette.
« ... Et pour cette cent soixante douzième édition de l'Affrontement Interuniversitaire des Sciences et Technologies, nous avons l'immense honneur de vous présenter les sponsors qui ont rendu cet évènement possible ! »
Des logos colorés se mirent à défiler à l'écran, alors que des hommes et des femmes en costard apparaissaient tout autour. Je n'avais jamais aimé le sport interuniversitaire. Voir des gamins boutonneux faire joujou sur des corps humain ne m'enchantait pas particulièrement, alors les imaginer totalement débridés avec le soutien de grandes entreprises qui voulaient développer des armes et écraser la concurrence me donnait carrément la nausée. Oui, les robots et les « modifiés » me donnaient la gerbe.
Le principe des Affrontements était simple. Chaque université était affiliée à une ou plusieurs entreprises spécialisées en modification génétique, en implants, en exosquelettes, etc. Comme les entreprises n'avaient pas le droit « officiellement » de subventionner des guerres en zones de conflit pour tester leur armement, on avait inventé ce concept d'Affrontement Interuniversitaire, dans lequel on faisait combattre des prisonniers ou d'ex-soldats réinitialisés, et plus rarement des volontaires, pour permettre à cette bande de cols blancs, couplée à la meute d'intellos boutonneux des départements Recherche et Développement, de tester leurs nouvelles armes de pointe.
Un nouveau moyen « plus humain » pour éviter les guerres civiles et le lobbying militaire ? Ou un grand coup de pub des industries de l'armement ? Pas besoin d'être une lumière pour comprendre qu'avec tout le système de médiatisation et de paris autour de l'évènement, il y avait bien plus d'argent à se faire dans un combat entre étudiants que dans une guerre civile.
Au départ, l'Affrontement avait été ouvert à toutes formes de technologies de combat, que ce soit les modifications génétiques ou les armes à feu, et il avait fallu que les universités se trouvent plusieurs sponsors à la fois, pour armer correctement leurs combattants. Combien de matchs d'anthologie avaient eu lieu entre un type bourré de stéroïdes et un robot de deux mètres de haut qui lui avait arraché la tête d'un simple revers de la main ?
Aujourd'hui, il n'y avait plus que la recherche en cybernétique organique qui valait le coup d'être sponsorisé dans les Affrontements. Plus personne ne pariait sur les autres sciences. On ne voyait que des robots et des types en armures blindées de plusieurs mètres de haut.
Selon la planète dont on était originaire, on soutenait plutôt telle ou telle université, et si on était un peu plus connaisseur, on apprenait à connaître les différences de conceptions entre les quelques grosses entreprises qui se battaient chaque année pour la victoire.
— Vous avez vu Tyronian Industries la semaine dernière ? Il paraît qu'un commanditaire de bras-bionique a eu un accident avec leur dernier modèle de sulfateuse, les bookmakers disent qu'ils ne passeront pas l'étape de la Fosse, siffla un type à ma gauche, les yeux rivés sur l'écran.
— Les bookmakers disent tout ce qu'ils peuvent pour faire monter les cotes, lui répondit un vieillard à la barbe grise derrière. Les Tyronian Industries sont avec l'université de Samarqand 3, donc même si Tyronian leur proposaient des boîtes de thon pour armer leurs cyborgs, ils pourraient en faire des canons anti-aériens !
Je hochais la tête en caressant la moustache de mon bouc. Je savais qu'O'Connor misait un quart de sa paye sur Samarqand 3, et il avait toujours eu de quoi payer ses munitions comme ça. Et pour moi, une université qui ramenait des caisses de cellules à plasma dans le vaisseau... ça méritait de passer la Fosse.
— Ca y est, ça commence ! Ils sortent les dix premiers concurrents ! cria quelqu'un alors que les hommes s'étaient mis à taper sur les tables pour acclamer leurs champions.
Je me renfrognais en étudiant O'Connor à côté de moi. Derrière son calme apparent de bonimenteur professionnel, je sentais qu'il trépignait d'impatience. Il adorait ces combats à la con, tant mieux pour lui. Moi, ils me rappelaient trop de missions-suicides à l'époque où les Etats des Stations Indépendantes payaient des mercenaires pour faire la loi dans leurs colonies de cyborgs.
Ça faisait longtemps que je faisais équipe avec l'Helvetarien et Banmian, mais aucun d'eux n'avait vu ce que j'avais vu, et ils ne connaissaient rien des huit-clos étouffants avec la jungle et la Mort que j'avais joué les premières années de ma vie.
Ils pouvaient bien rire et parier sur ces types vendus à des entreprises comme des objets, se marrer quand ils se faisaient sulfater leurs derniers organes devant le public, mais moi tout cette mascarade de transhumanisme progressiste me donnait vraiment la gerbe. Ca me donnait envie d'un combat au couteau, de coups de poings dans la chair et de dents cassées. Bordel, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour-
— Oh, Jilon Metal Company est déjà hors-jeu ! Je le savais ! Rhoo, j'imagine pas les abrutis qui ont parié sur eux ! s'écria soudainement le type à ma gauche.
Parfois, il fallait croire que le destin savait être généreux. Cette fois-ci, je lui assénais directement un coup de poing dans les côtes pour le faire taire.
C'était un soldat en permission, à sa coupe de cheveux semblable à la mienne, mais il devait être deux fois moins large d'épaules que moi, avec un corps de chat maigre, et il avait toujours cette aptitude juvénile à ouvrir la bouche pour ne rien dire qu'on les nouvelles recrues avant de faire leurs premiers mois de combat au front.
— Ta gueule p'tit con !
Mon poing s'enfonça profondément dans ses côtes et je compris qu'il n'allait pas pouvoir suivre le match. J'avais mal estimé son âge. C'était vraiment un morveux, d'à peine dix-huit ans. La moitié de mon âge. J'aurais pu ouvrir le poing et saisir n'importe quel organe sous la côte que je venais de briser pour lui arracher, mais je me contentais de le faire tomber de sa chaise d'un mouvement bref.
Il s'écroula par terre en gémissant et je lançais un regard noir aux types autour de lui qui me fixaient, ahuris.
Je me retournais vers l'écran et O'Connor, qui n'avait même pas remarqué que je venais de virer le type à côté de moi. Il était toujours concentré sur les premiers combattants, une bande d'amateurs qui allaient finir en hachis au troisième coup de cloche, lorsque les grosses industries allaient entrer dans l'arène.
— Tu vois des choses intéressantes ?
— Jilon avait de bonnes pneumatiques, dommage qu'ils n'aient pas investi dans le champ de force défensif, me répondit l'artificier en désignant le halo bleu qui entourait certains combattants. Là tu vois le type en armure verte ? C'est Malden de Logar, une vieille connaissance de batailles Helvetariennes. Il a plongé pour soixante ans de prison il y a quelques années. Il ne valait pas grand-chose en tant que mercenaire, et aujourd'hui il est a été placé dans le groupe de la première vingtaine... Il va finir aussi misérablement qu'il a commencé.
Je regardais le type en vert qui essayait de glisser au sol derrière un rocher pour esquiver une pluie de balles traçantes. Trop lent, trop mou. L'armure était censée rendre ses mouvements plus efficaces, plus fonctionnels, plus rapides, mais c'était son esprit qui était trop lent pour suivre la bataille. Et pourtant, il n'était en lice qu'avec une trentaine d'autres combattants pour l'instant.
— Pour quoi il a plongé ?
— Meurtre. Jugé pour meurtre dans une guerre civile, tu imagines ? Et tu connais pas la meilleure... C'est l'Union des Planètes Libres qui l'a jugé...
— Ceux qui ont commandé les attaques et qui ont payé les mercenaires...
— Y a qu'une chose à y comprendre, déclara O'Connor d'un ton songeur. Soit t'as une tête de coupable, soit t'as une tête d'innocent.
— Et toi t'as une sacrée gueule d'enfoiré de saint ! ricanais-je en me rinçant la gorge avec ma bière.
— Bénie soit la Sainte Grenade !
Mon sourire s'étiola soudainement. Je n'avais plus envie de continuer sur cette blague. Je venais de voir une femme en armure de combat se faire arracher un bras. Un vrai bras, de chair et de sang. Le truc en face d'elle était à 90% fait de métal. Il fallait que je me calme, que je réfrène l'envie de plus en plus pressante d'écarter ses plaques d'acier pour lui décrocher la colonne vertébrale et plonger mon poing dans son cerveau.
Je me concentrais sur le nouveau groupe qui venait d'entrer.
— Bon, et eux, là ?
C'était le groupe de la cinquantaine. A leur tête, deux hommes aux armures pneumatiques venaient de balayer la moitié des combattants de simples coups de canons magnétiques. Les corps... avaient été immédiatement désintégrés, à l'intérieur de leurs plaques d'acier.
— Les deux champions de l'Université de Babel-2. Ça c'est de la technologie de chez Martel&Fils, j'ai lu un papier dessus, on a déjà fait une mission de livraison pour eux. C'est du micro-magnétisme, de la friction d'hydrogène.
— Tout ce qui est rempli d'eau explose ?
— En gros c'est ça.
Il fallait remercier l'Affrontement Interuniversitaire pour ça. C'était une mine d'informations militaires à la disposition de tous. Et une source de crainte pour le commun des mortels. Qui avait envie de remettre en question l'autorité d'un Etat ou d'une planète capable de développer ce genre d'armes ?
Bien sûr, il faudrait des années avant qu'une technologie aussi expérimentale que celle de Martel&Fils puisse être mise à disposition d'une armée, et d'ici quelques mois, une autre entreprise aura inventé une armure qui bloque ces ondes pour rendre cette invention obsolète au prochain Affrontement.
C'était sans fin. Comme cette étape de la Fosse. 100 participants, pour finir avec seulement 20 finalistes, bien trop souvent les derniers à être entrés dans l'arène.
La voix des commentateurs qui renchérissaient sur les annonces du présentateur officiel en donnant des informations personnelles sur chaque combattant commençait à marteler mon crâne de plus en plus fort, et une folle envie de quitter le bar pour retrouver l'air recyclé de la station me prit soudainement.
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