Lettre du 9 octobre 1937


9 octobre 1937,

Clayton,

Je n'enverrai pas cette lettre.

Tu as, de toi-même, décidé de rompre les liens nous unissant en ne répondant pas à ma dernière missive alors j'essaye de considérer maintenant notre histoire comme un souvenir.

Et j'y arrive.

Lorsque je suis à l'université ou au travail, mes pensées ne volettent plus vers toi à la moindre occasion et souvent il s'écoule de longues heures sans que ton visage ou ton corps ne s'imposent à ma mémoire.

Et je n'y arrive pas.

Lorsque je suis chez moi ou que je marche sans but dans les rues de Paris, mes pensées se ruent vers toi dès que je ne me concentre plus sur autre chose et, souvent, il ne s'écoule pas une seconde sans que ton rire ou ta voix ne résonnent dans mes oreilles.

Ne plus t'écrire n'est pas aussi aisé que je l'avais imaginé.

Parfois il m'arrive de me dire qu'il faudra que je pense à aborder te sujet ou à souligner telle chose car cela te fera sourire et puis je me souviens. Ce n'est plus à moi que revient le rôle de redresser les coins de ta bouche et pourtant le ciel sait que j'étais doué pour cela. Tu me trouvais drôle, souvent même alors que je ne disais rien de particulièrement hilarant. Tu me disais souvent que c'était mon ton, ma posture et mes mimiques qui provoquaient ces éclats chez toi.

Mais qu'importe.

Je ne t'écris pas pour ressasser notre amour, en vérité je ne t'écris même pas réellement, je mets juste mes idées à plat. Et je fais toujours mieux cela lorsque je m'adresse à quelqu'un. J'aurais très bien pu marquer le nom d'une de mes sœurs en haut de cette feuille, ou bien celui de mon père, mais non, c'est le tien que j'ai choisi.

Par habitude.

Et aussi par congruence avec le sujet que j'ai besoin de coucher sur le papier.

En lisant les journaux je me demande souvent, moins maintenant, je fais des progrès, quelles sont les informations présentes dans ceux que tu lis. Il y a sans doute des choses que j'apprends que tu ignores et inversement. Alors peut être ne sais-tu rien de ce que je vais te dire ou alors t'es-tu peut-être déjà indigné contre cela.

J'aimerais que tu puisses me répondre. Ou que nous puissions simplement parler. C'est le genre de nouvelle dont je ne peux parler qu'avec toi. Enfin. En étant franc, bien évidemment.

En Tchécoslovaquie, douze hommes ont été arrêtés pour homosexualité.

Mais, tu sais, cela ne m'a pas étonné plus que cela, après tout c'est ce que prévoit la loi pour les personnes comme nous. J'ai juste senti une curieuse boule se former au creux de mon ventre, pas de quoi t'écrire une lettre, et j'étais déjà prêt à oublier ces sinistres lignes lorsque Madeleine a lu l'article par-dessus mon épaule.

Son visage eut alors l'air si triste que mon cœur bondit dans ma poitrine en songeant que, peut-être, elle aussi ne voyait pas ce que ce genre d'amour avait de scandaleux. Louise, elle, a bien accepté notre — défunte — relation, alors pourquoi pas elle ?

Si j'avais voulu envoyer cette lettre j'aurais sans doute digressé sur celle que j'ai reçu d'elle il y a quelques jours, sur les nouvelles qu'elle m'y donnait et sur beaucoup d'autres choses mais cette lettre n'est pas pour toi, tu ne la tiendras jamais entre tes mains alors passons... Même si je me rends compte maintenant que j'ai réussi à digresser en expliquant que je ne le ferai pas. Comme quoi on retombe vite dans ses anciens travers.

Madeleine.

Sa bouche semblait sur le point de laisser échapper des sanglots et ses yeux étaient presque embués de larmes à tel point que son fiancé lui demanda ce qui la tourmentait à ce point. Es-tu aussi prévenant avec ta propre femme ? Qu'importe, de toute manière tu ne risques pas de me répondre. Elle lui a lu le fait divers avant de bafouiller qu'elle trouvait cela profondément injuste que l'on condamne ainsi à mort des personnes simplement malades.

Elle s'est ensuite lancée dans une description larmoyante d'un garçon de son quartier qui avait été atteint du même trouble et qui avait fini, acculé par les moqueries et les maltraitances incessantes, par tenter de se suicider en se pendant au lustre de sa chambre. Heureusement son père l'avait trouvé et l'avait détaché même s'il avait raconté avoir hésité à le laisser là durant un instant. Le pauvre garçon avait ensuite été hospitalisé et, sur conseil des médecins, avait suivi un traitement très efficace. Quelques mois plus tard il se mariait avec une femme, quelque peu réticente mais déjà vieille fille et n'ayant hélas pas d'autre choix. Depuis ils forment un couple heureux et ont même eu deux merveilleux enfants, une fille et un garçon en pleine santé.
Madeleine termina son discours en expliquant que c'était bien là la preuve que cela pouvait se guérir et que se conduire de manière aussi barbare envers des malades était vraiment indigne de l'Homme. Après tout, ferait-on pareil pour un pauvre estropié ? Ou encore pour un malheureux tuberculeux ?

Elle tapota ses yeux humides avec un mouchoir et Paul l'étreignit en s'excusant de sa sensibilité avant de l'embrasser doucement en lui murmurant qu'elle était la femme la plus extraordinaire de tout Paris et même de la France si ce n'était du monde dans son ensemble.

Es-tu guéri toi aussi ?

Cela m'importe peu.

Je m'inquiète juste pour moi et pour ma personne seulement.

Je ne suis pas malade.

Je ne me sens pas malade.

Mais n'est-ce pas ce qu'un malade dirait ?

Eh bien, peut-être que je le suis alors, mais je ne veux en aucun cas guérir.

Mais j'ai peur que quelque chose me pousse un jour vers cette impasse. Le mariage est une obligation, une étape que tout le monde franchit. Et un jour on me regardera étrangement car je n'aurais pas encore pris de femme. Et si, ce jour-là, je décidais de céder ? D'accepter de prendre une épouse et, comble de l'horreur, si je me mettais à apprécier cette épouse ? A l'apprécier jusqu'à faire avec elle des choses que je ne souhaite accomplir qu'avec des hommes ?

Tu ne peux pas me répondre mais je te le demande quand même : est-ce que tu l'apprécies de cette façon ? Est-ce que cela a changé depuis le mariage ? Peut-être, sans doute, est-ce quelque chose de vicieux qui s'installe petit à petit sans que l'on s'en rende compte.

Peut-être cela serait-il plus simple.

De guérir.

D'accepter de changer. Voire de forcer un peu les choses. De faire semblant.

C'est hors de question.

Toi tu as pris un chemin simple, dallé de pierres, sans embûches et rempli d'indications, mais ça ne sera pas le mien. Jamais. Moi je choisis celui sombre, secret, surplombé d'épais feuillages me forçant à me voûter pour avancer.

Douze hommes ont été condamnés à mort en Tchécoslovaquie et ils peuvent être fiers. Ils vont mourir mais au moins auront-ils la fierté de ne pas avoir gâché leur vie avec des faux semblants. Sans doute ont-ils des remords, peut-être même haïssent-ils leur chair d'avoir cette faiblesse pour les hommes, mais moi je le dis, ils devraient plutôt en être fiers.

Cela fait du bien.

De voir toutes mes pensées sur ce papier et de ne plus les entendre tourbillonner sous mon crâne.

Merci. Tu n'as pas fait grand-chose mais merci quand même de m'avoir au moins prêté ton prénom pour que je l'inscrive en haut de ma lettre.

Sean O.


Hello!

J'aime bien cela, lorsqu'un point de l'actualité coïncide avec l'histoire, ça me permet d'aborder certains sujets plus facilement. 

Bref, pas de nouvelles de Clayton. Simple facétie de la poste? Ou alors volonté de sa part de rompre les ponts avec Sean?

Ah, une petite chose, Grand-Grimoire a fait une fiche d'Hymne à nos masques dans son recueil de roman historique. Donc voilà, si vous avez le temps d'aller mettre un petit avis dans les commentaires de cette partie ça me ferait très plaisir  *^-^*

Sinon, un très joyeux anniversaire à Aampersand! Bon, je sais, cette lettre n'est pas trop joyeuse mais t'avais qu'à naître un jour de lettre enjouée hein. 

La suite le 23 juin!

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