Lettre du 7 octobre 1936
7 octobre 1936
My love,
Je suis désolé de ne pas avoir répondu plus tôt à ta lettre qui est pourtant arrivée voilà plus d'une semaine, mais j'attendais le début des cours pour avoir autre chose à t'écrire que les banalités de la vie de tous les jours.
J'ai été heureux d'apprendre que mon absence de cet été ne s'est pas fait ressentir plus que cela à la ferme grâce au garçon que mon père avait engagé. Avoir été remplacé aussi vite devrait me rendre triste mais cela m'est en fait égal car je sais depuis longtemps que ma place n'est pas dans les champs mais sur les bancs d'un amphithéâtre assombri par de lourds rideaux noirs cachant les fenêtres.
Tu aurais dû voir ça ! Cet endroit, grand comme deux salles de classe et bondé de monde. Des hommes de mon âge frétillant d'impatience de prendre en note les paroles du professeur mais également des plus vieux, certains ayant même l'âge d'être mon grand-père mais notant avec autant d'application que les plus jeunes, et, chose étonnante, impensable dans nos campagnes, des femmes ! Pas beaucoup, à peine quatre ou cinq, mais elles étaient là, certaines en robe, d'autres en pantalon d'homme, mais toutes avec cet air déterminé sur le visage et ce regard défiant quiconque de remettre en question leur présence ici.
Pour le moment je m'assois au troisième rang, sur la rangée de gauche ; je suis trop timide pour oser m'aventurer déjà dans la rangée du milieu, beaucoup plus peuplée et exposée. Sur le côté je suis bien, à l'abri des regards mais suffisamment proche du professeur et des illustrations projetées sur un grand écran blanc. Car oui ! Ils ont le matériel pour cela ! Bien sûr, ce ne sont que quelques images des auteurs et des couvertures de leurs ouvrages, voire parfois des morceaux de textes, mais pour moi c'est déjà presque magique.
Tant de petites choses, qui doivent paraître bien dérisoires aux habitants de Paris et des grandes villes en général, sont pour moi une constante source d'émerveillement. Les cinémas projetant plusieurs films tous les soirs, si bien que si l'on rate une séance on peut tout de même y aller le lendemain, les opéras et les théâtres jouant des grands titres, les librairies et les bibliothèques regorgeant d'ouvrages de toute sorte mais aussi les magasins. Au village, il était courant qu'un produit beaucoup demandé ne soit plus disponible, il fallait alors s'en passer ou bien aller frapper chez un voisin. Ici, il ne manque jamais de rien et si c'est le cas, qu'importe ! Il y a d'autres boutiques !
Mais je te parlais de mes cours. Ils sont passionnants et, malgré un français que j'écris encore de manière assez incertaine, je ne perds pas un seul mot que prononce le professeur, si bien qu'au bout de trois jours à peine j'ai le poignet douloureux et l'encrier presque vide.
En revanche, et à ma plus grande frustration, je n'ai pas encore trouvé le courage d'adresser la parole à mes camarades. Si j'avais été toi, j'aurais déjà réussi, je me serais avancé vers mon voisin à la fin d'un cours et, avec un sourire naturel, j'aurais engagé une conversation qui se serait même peut être poursuivie dans un café. Tu es comme ça, toi, même lorsqu'il y a un groupe d'une dizaine d'inconnus en face de toi, tu ne recules pas, tu avances et tu engages la conversation.
Te souviens-tu de notre excursion à Londres lorsque nous avions douze ans ? Ton père, qui devait voir un vieil ami datant de l'armée, nous avait emmenés et, alors que lui discutait dans un café, il nous avait permis d'aller voir un film dans un cinéma juste en face, certainement plus pour avoir la paix que pour nous faire plaisir, mais qu'importe. Dans la queue, il y avait cette femme, une jeune maman avec un bébé braillard n'ayant pas l'air de vouloir s'arrêter. Tout le monde détournait le regard et, la pauvre, elle avait l'air bien gêné. Mais toi tu t'es approché et tu t'es mis à parler de ma sœur qui n'était alors qu'un bébé. Du fait qu'elle aussi pleurait tout le temps, que c'était à cause de la colique selon le médecin et que l'on ne pouvait pas faire grand-chose. Cette femme, tu ne la connaissais en rien et pourtant tu as parlé avec elle comme si tu la voyais tous les jours au village.
Ce jour-là, tu m'avais impressionné et tu étais devenu un peu comme ces hommes aux pouvoirs extraordinaires peuplant ces histoires illustrées américaines que mes cousins lisaient en douce le soir. D'ailleurs, même aujourd'hui alors que je suis adulte, cela m'impressionne toujours autant.
Je ne vais pas m'étendre plus sur le sujet car je sais que dans ta prochaine lettre tu m'abreuveras de conseils et d'encouragements, alors je te le promets en avance : je vais faire de mon mieux pour côtoyer d'autres êtres humains et, par pitié, ne te fais pas de mauvais sang, même seul je suis parfaitement heureux. D'ailleurs, je ne le suis pas vraiment, puisque, même avec une mer nous séparant, tu es toujours dans un coin de mon esprit, de mon cœur.
Comme hier soir où tu n'as pas quitté une seule seconde mon esprit. En effet, je me suis rendu au lancement d'une célèbre course cycliste qui passionne le public parisien. Ma logeuse ne fait presque plus qu'un avec sa radio tant elle tient à suivre le moindre progrès des coureurs. Elle m'en avait tant et tant parlé que j'ai décidé d'aller voir le départ qui se faisait au Vel d'Hiv. Cela ne m'a pas réellement plu, trop de monde et de bruit, surtout que je n'apprécie pas vraiment le sport, mais toi tu aurais certainement aimé. Elle durera six jours au total, je n'ose pas imaginer l'état des mollets, et du derrière, des pauvres hommes ayant passé autant de temps sur une selle en cuir.
En tout cas cet événement monopolise la première page des quotidiens en ce moment, presque autant que l'attaque de Madrid qui se poursuit inlassablement mais sans réel changement. Désormais je ne lis plus qu'en travers les articles qui lui sont consacrés car je sais d'avance ce que je vais y lire : les uns disent avancer tandis que le camp adversaire maintient qu'ils ont repoussé les offensives. La seule nouvelle réellement neuve est la nomination de ce général, Franco, à la tête de l'Espagne mais aucun moyen de savoir si l'on s'en réjouit ou non.
Je voulais également te parler de cette aviatrice, partie de Londres pour rallier la Nouvelle-Zélande mais mon enthousiasme est un peu retombé alors je vais me contenter de te dire que ça, ça me fait beaucoup plus frétiller d'impatience que la course de vélos. J'espère qu'elle y arrivera.
Alors voilà, je n'ai plus rien à t'écrire et pourtant je suis certain que, dès que l'enveloppe sera fermée, je trouverai mille et une choses que j'ai oublié de coucher sur le papier et que je ne penserai certainement pas à mettre dans mes prochaines lettres.
Je t'embrasse et ça, tu peux être sûr que je penserai toujours à l'écrire, je t'aime.
Sean O.
Hello hello!
Dans la première version de ce roman j'avais fait une belle boulette en situant la rentrée début septembre...alors qu'à cette époque l'école reprenait bien plus tard!
Ah sinon une de mes lectrices m'a fait remarquer que l'amant de Sean, qu'on va appeler heu disons X, lui semblait un peu froid et distant...ressentez-vous la même chose? Parce que si oui il faudra absolument que je trouve un moyen pour que ça ne soit plus le cas...
Voilà voilà, à la semaine prochaine!! :)
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