Lettre du 3 mars 1937

3 mars 1937.

My love,

D'habitude il s'écoule des semaines entre le moment où je timbre une lettre et celui où je prends la plume pour t'écrire de nouveau. Mais aujourd'hui il ne s'est même pas écoulé une semaine, je ne suis même pas certain que tu aies reçu ma précédente missive. Si c'est le cas, ta réponse ne m'est pas encore parvenue.

D'ordinaire, si je laisse ce temps entre chacun de mes écrits, c'est pour ne pas t'écrire seulement une ligne ou deux mais une belle lettre, remplie de nouvelles et de sentiments.

Je ne sais pas quoi te dire. Alors pourquoi t'écrire ? Si tu étais en face de moi, tu me dirais que c'est idiot de gâcher du papier et de l'encre et lèverais certainement les yeux au ciel. J'ai des choses à te dire. Énormément, même. J'ai plus d'idées à coucher sur cette maudite feuille qu'il ne tombe de gouttes de pluie durant une averse. Et c'est bien là tout le problème, je ne sais pas par où commencer, ni comment expliquer la situation.

Je suis perdu. Tu dois bien le voir, non ? Je tourne autour du sujet comme un chien cherchant le meilleur endroit pour faire ses besoins. J'écris pour ne rien dire et c'est un miracle que j'arrive à construire une phrase dans un anglais correct. Je suis si fébrile que mes mains en tremblent et si pour l'instant je n'ai fait aucune tâche, crois-moi que ça arrivera avant la fin de cette lettre.

Mais je cherche encore un moyen de ne pas en parler. Si tu me voyais. Je regarde tout autour de moi, cherchant une échappatoire. Pourtant, rien ne me force à écrire, mais j'en ai besoin. Et pourtant rien ne vient.

Je ne vois pas par quel côté attaquer le gâteau. Enfin si, j'ai une bonne idée de part où attaquer. Il faudrait que je te parle de ça mais si je le faisais, sûr que tu jetterais cette lettre dans le feu avant même de lire la suite. J'aimerais te faire promettre de ne rien faire de tel mais à quoi cela servirait-il ? Tu n'es pas en face de moi !

Dieu, qu'est-ce que j'aimerais que tu le sois. Comme ça je pourrais te forcer à m'écouter, te retenir par le bras pour que tu me laisses une chance de t'expliquer. Mais c'est une lettre. Un vulgaire morceau de papier. Et tu es loin. Si loin que même si j'étirais mon bras comme un caramel ramolli par le soleil je ne parviendrais pas à te toucher. Et même si tu étais plus près, on ne peut pas faire cela.

C'est impossible.

Je divague.

Encore.

Louis est dans mon lit.

Ce n'est pas tout à fait ce que je voulais dire. Enfin si. Mais pas de cette manière. Rassure-toi, il est habillé. Enfin non. Mais moi je le suis, promis. Et je crois que je m'enfonce un peu plus à chaque mot.

Je crois que je devrais déchirer cette lettre. Ça serait la chose la plus sensée à faire. Mais je n'ai plus de papier, c'était ma dernière feuille. Et je veux t'en parler. Il le faut, sinon je vais mourir d'incompréhension. Quoi que tu ne m'aideras pas vraiment à comprendre, ce n'est pas vraiment comme si nous avions une conversation téléphonique.

As-tu déjà déchiré la lettre ?

Je te promets que ce n'est pas nécessaire.

Peut-être aimerais-tu que je commence par le début ? A moins que tu ne veuilles juste donner Louis à manger aux cochons... Ils sont toujours aussi voraces ?

Donc. Il est dans mon lit, nu et malade. Sa respiration siffle tellement que j'ai l'impression d'avoir un train dans ma chambre. Mais ce n'est pas cela qui est important. Enfin peut-être que pour toi si, mais pour moi non. Oh et puis laisse-moi écrire !

Ce matin, je suis allé au travail et Louis était là dans un état bien pire que celui que je t'ai décrit dans ma précédente lettre. Il tenait à peine debout et tremblait autant qu'un poisson agonisant hors de l'eau. Et puis il s'est évanoui.

Lorsqu'il s'est réveillé, je me suis proposé pour le ramener chez lui mais il a protesté, il ne voulait pas, il se débattait... Enfin il essayait de se débattre et de protester car il n'en avait pas vraiment la force.

Je crois qu'il n'a nulle part où aller. A moins qu'il ne soit juste pas le bienvenu chez lui. Peut-être est-il exploité par des personnes immondes qui font de lui une pauvre petite Cosette ? Si tu ne comprends pas, prends le livre à la couverture rouge dans la bibliothèque de ma chambre, le cinquième en partant de la droite et lis-le.

Je viens de me rendre compte que ma fébrilité a presque disparu, j'aurais peut-être dû commencer par le début plus tôt au lieu de me perdre dans des digressions absurdes.
Je l'ai donc traîné chez moi, le portant à moitié. A peine avais-je passé la Seine qu'il s'est évanoui de nouveau et j'ai dû le porter jusqu'à chez moi où je l'ai mis au lit.

Après cela, j'ai couru jusqu'à chez ma logeuse qui m'a remis une bonne douzaine de remèdes de grand-mère en attendant que Josef rentre.

Il l'a d'ailleurs ausculté tout à l'heure et selon lui Louis ne risque pas de mourir. Il avait l'air un peu soucieux mais m'a assuré qu'il ne s'agissait que d'une mauvaise grippe. Du repos, des repas bien chauds et quelques remèdes de sorcière devraient suffire à le remettre sur pied.
Mais revenons où nous en étions.

C'est au moment d'appliquer une pommade sur le torse de Louis, pour soulager sa toux, qu'est survenue la raison pour laquelle je t'ai écrit cette lettre.

J'ai dû lui enlever sa chemise. Et cela ne m'a pas du tout gêné, tu vois, de déboutonner ces boutons car je savais qu'en-dessous je trouverai un torse semblable au mien, quoique certainement un peu plus maigre et avec des côtes un peu saillantes. Pour être franc, j'avais l'impression de déshabiller une poupée, comme lorsque je jouais avec mes petites sœurs.

Je m'apprêtais à enduire sa peau de crème lorsque je me suis rendu compte que ce n'était pas de l'épiderme que j'avais sous les yeux, ni même des poils ou des cicatrices quelconques mais des bandes de coton blanches, serrées au maximum. C'était peut-être aussi à cause de ça qu'il avait du mal à respirer.

Je suis naïf. Je l'ai toujours été. Enfant, lorsque mes camarades de classe me racontaient une histoire, je ne tombais pas dans le piège, non, je sautais dedans avec enthousiasme et à la fin je ne comprenais même pas ce qui m'était arrivé.

Il faut croire que je suis toujours cet enfant car je n'ai pas pensé une seconde que je pourrais me retrouver face à ce a quoi je me suis retrouvé. Deux seins bombant une maigre poitrine.

Au début j'ai pensé qu'il était peut-être comme ces personnes dont les journaux avaient parlé il y a déjà quelques temps, des femmes qui, à un moment avait commencé à voir leur corps se transformer en celui d'un homme et qui avaient fini par se faire opérer. J'ai même songé que Louis était peut-être le contraire, un homme dont le physique glissait doucement vers celui d'une femme. Et puis je me suis également souvenu de ce cours de biologie auquel j'avais assisté par curiosité et parlant de ces bébés qui, à la naissance, montraient des caractéristiques mâle et femelle.

Tout cela se mélangeait dans ma tête. Louis était-il une fille devenant un garçon ? Un garçon devenant une fille ? Ou bien un être hermaphrodite ? Pour moi, ce que j'avais eu sous les yeux durant un instant, deux minuscules excroissance n'ayant même pas la taille de deux abricots, ne voulait en aucun cas dire que Louis était une fille simplement travestie en homme.

Mais Josef, à qui j'ai bien dû en parler, en bon médecin professionnel a procédé à une vérification plus approfondie, raison pour laquelle il est nu d'ailleurs, et m'a confirmé que mon Louis est en fait une Louise. Le regard qu'il m'a jeté lorsque je lui ai expliqué la situation, c'était très... gênant. Mais il m'a assuré qu'il ne dirait rien, que les médecins emportent les secrets de leurs patients dans leur tombe.

Pour en revenir à la pommade, car c'est bien cette fichue pommade qui a tout déclenché, j'ai bien dû l'appliquer. Oh, bien sûr, j'ai envisagé de ne pas le faire mais il, enfin elle, toussait tellement que j'y ai été obligé.

Pour le coup je me suis senti vraiment gêné. Tu te souviens des cours de catéchisme lorsque nous étions enfants ? Moi oui. Le père n'arrêtait pas de nous répéter qu'il ne fallait pas céder au péché de la chair. Que toucher une femme avant le mariage faisait pleurer les anges et y penser brisait le cœur de Dieu. Je n'ai jamais vraiment eu de soucis avec cette interdiction mais là elle m'est revenue en tête.

Bien sûr je ne voulais pas la toucher de cette manière, je voulais juste la soigner, mais il n'empêche que cela demandait de poser ma main à un endroit interdit. En m'imaginant médecin j'ai finalement réussi mais je crois que c'est surtout le fait de n'avoir aucune attirance pour elle, tout au plus de la curiosité un peu malsaine d'avoir sous les yeux le corps d'une espèce inconnue, qui fit que j'arrivai à finir mes soins.

Depuis ce moment elle dort et je ne l'ai plus approchée. Sauf pour lui donner à manger un bol de bouillon apporté par Claus mais mitonné par ma logeuse, qui ne peut toujours pas bouger. J'aimerais qu'elle se réveille et surtout qu'elle soit lucide. Je veux des explications mais pour le moment elle ne semble ne pouvoir que dormir ou délirer.

Je suis seul avec mes questions.

Pourquoi une femme feindrait-elle de ne pas en être une ? Certainement pour se protéger car je suppose que l'on agresserait moins facilement un membre de mon sexe que du sien. Mais pourquoi vouloir se protéger ? N'a-t-elle pas une famille ? Un père et une mère ? Des grands-parents ? Une tante et un oncle ? A moins qu'ils ne l'aient mise dehors pour une raison ou une autre.

Ou peut-être que Louise est une de ces écrivaines se faisant passer pour un homme pour mieux vendre ? Ou peut-être bien une scientifique ? Mais cela ne tient pas. Je suis sûr qu'elle n'a nulle part où aller, raison pour laquelle elle a fini dans mon lit, alors cela invalide ces deux hypothèses.

J'ai fouillé son sac, espérant y trouver des papiers, des lettres de sa famille, n'importe quoi pour comprendre mais cette besace en cuir fut pire qu'un roman écrit dans une langue étrangère. Elle ne m'apporta que des questions.

J'y ai trouvé quelques vêtements, tous d'homme, ainsi que quelques romans, les même qu'il, non, qu'elle lisait le matin avant le travail, de quoi dessiner, quelques coupures de journaux, la plus part parlant d'aviateurs et un peu de nourriture. Pas de quoi se poser des questions, me diras-tu. Mais c'est sans compter le bocal rempli d'argent, certainement celui qu'elle gagne en travaillant, enfin j'espère, qui m'apprit au moins pourquoi le sac était aussi lourd.

Elle a dû économiser longtemps car il y avait là un joli petit trésor, de quoi payer mon appartement pendant plusieurs mois, alors pourquoi vit-elle dans la rue ? Tu me diras que rien ne prouve qu'elle y vive mais je suis persuadé que si. Qui emporterait au travail des vêtements de rechange pour plusieurs jours et toutes ses économies à part quelqu'un n'ayant nulle part où aller ? Et qui refuserait qu'on l'emmène chez lui alors qu'il est gravement malade ? Encore une fois, une personne qui n'a pas de chez-lui !

Mais ce n'est pas tout, en plus de ça j'ai trouvé, soigneusement protégé par une chemise, un carnet épais comme un livre de Balzac et regorgeant de feuilles volantes. Je l'ai un peu feuilleté et c'est une sorte de carnet de voyage commençant en 1905. Il retrace visiblement un périple à travers diverses régions d'Asie mineure et centrale grâce à des textes écrits d'une écriture presque illisible et de dessins vraiment très réalistes. Le voyage s'arrêta dix ans plus tard, un an après le début de la grande guerre.

Ça ne peut pas être celui de Louise, je crois te l'avoir déjà dit mais elle ne doit pas avoir plus de quinze ans, par contre il pourrait avoir appartenu à son père, ça expliquerait pourquoi elle l'a enveloppé avec autant de précaution. Par contre cela ne me dit toujours pas pourquoi - je crois que je vais en devenir fou - elle se fait passer pour un homme. Ni son refus à m'indiquer son domicile, si tenté qu'elle en ait un.

Je suis fatigué. J'aimerais fermer les yeux, me réveiller demain matin et trouver Louise guérie et prête à répondre à mes innombrables questions. Sauf que je ne peux pas dormir car une malade a pris place dans mon lit et qu'elle ne sera pas guérie avant au moins une longue semaine.

Je ne sais plus quoi penser et je ne peux même plus t'écrire. J'ai trouvé quelques feuilles égarées pour poursuivre cette lettre mais désormais c'est la fin et il fait nuit donc nulle part où me ravitailler. Je vais donc poser cette plume et continuer à me torturer seul.

J'espère que tu auras lu cette lettre en entier et que tu es maintenant convaincu qu'il ne s'est rien passé entre elle et moi et qu'il ne se passera jamais rien.

Je t'aime.

Sean O.

Hey!

J'aime beaucoup cette lettre parce qu'elle vous apporte une réponse...Et une liste de question aussi longue que les champs Élysées!

Donc Louis est une jeune fille qui se fait passer pour un homme...quelqu'un a t-il une idée du pourquoi?

Sinon j'espère que vous avez aimé les hésitations de Sean ainsi que son côté complètement paumé! D'ailleurs, combien d'entre vous ont crû qu'il avait trompé son amant avec Louise?

Je voulais aussi vous remercier car Hymne à nos masques a passé le cap des milles vues et que l'on n'est pas loin des deux cent votes!! C'est juste...waouh! Alors voilà: merci à tous ceux qui lisent, votent et postent des commentaires!

Je vous donne rendez-vous le seize pour lire la prochaine lettre!!

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