Lettre du 3 août 1936

3 août 1936,

My love,

Je suis dans le train et tu me manques. Ce sentiment était déjà présent en moi lorsque je t'ai quitté ce matin. Nous étions derrière le poulailler, tu tordais nerveusement ta casquette en essayant de ne pas me regarder. Je sais que tu détestes les adieux, leurs larmes et le goût amer qu'ils laissent dans la bouche. Alors je ne t'ai pas montré ma peine, je t'ai embrassé doucement avant de te dire au revoir, comme je te disais au revoir lorsque nous nous quittions pour une journée.

Tu étais si beau dans le brouillard du petit matin que j'ai failli rire. Ta beauté rustre, le soleil derrière la brume et ce sac sur mon épaule...On aurait presque dit une de ces scènes de romans que tu détestes tant sous prétexte que ce sont des niaiseries romantiques pour fille.

Le train file à travers la campagne qui ressemble comme une jumelle à celle que j'ai laissée ce matin. A croire que le monde n'a qu'un seul paysage. Mais je sais que Londres sera bientôt là avec sa foule bruyante et le fracas des automobiles.

Je vois ton visage dégouté comme si tu étais assis en face de moi, sur cette banquette de velours rouge. La ville est ton enfer personnel, ça aussi je le sais. Pour toi c'est la saleté, le boucan, un lieu pressé où on ne prend jamais le temps de rien. A toi il te faut du ciel bleu comme une orange, des pâturages verdoyants et des petits villages nichés dans des collines comme autant d'œuf dans un nid douillet.

Là je te vois, les sourcils froncés en train de relire ma phrase en essayant de te rappeler le nom du poète ayant pondu une telle idiotie. Mais revenons à la ville.

Pour moi elle est la culture, les rencontres, les cafés-librairies, les musées, les amours cachés. Une vie haletante faites de découvertes et inattendue. Une vie où tout, et bien plus encore, peut arriver. Il paraît même que certaines personnes en ville vivent un amour comme le notre au grand jour, faisant, d'un baiser public, un pied de nez aux convenances et à la société.

Tu lèves les yeux au ciel maintenant, je te le dis, c'est comme si tu étais juste à côté de moi, et je peux presque t'entendre marmonner une phrase ressemblant à : « tu sais la ville ce n'est pas un roman et encore heureux parce qu'être fait de papier dans un pays où il flotte les trois quarts du temps ça doit être vraiment chiant ! ». Et tu aurais ri.

Je ne comprends pas pourquoi tu te complais dans le rôle du fermier balourd et bête alors que tu peux être fin et intelligent. Enfin si, je connais la réponse : c'est ce qu'on attend de toi. Des muscles pour soulever des ballots de paille, un cerveau juste assez développé pour savoir traire une vache et une vie comme celle de papa. C'est aussi ce qu'on attendait de moi et pourtant regarde, je ne suis pas en train de tirer du lait à une génisse mais de t'écrire dans un train en partance pour la capitale.

L'heure du repas est arrivée. Je vais sortir de ma musette mon sandwich fait avec du pain pétri par ma mère et du jambon provenant d'un porc élevé par mon père. Je vais écailler les œufs venant de ta ferme et je terminerai mon déjeuner par des cerises qui étaient encore sur l'arbre ce matin.

Ça me fait bizarre de songer que, une fois tous ces produits mangé et digéré, il ne me restera plus rien de concret du village. Mes vêtements sont faits avec du tissu venant d'ailleurs, mes chaussures avec du cuir de vache n'ayant jamais brouté dans nos pâtures. Mais les tomates, les groseilles, les navets et les pommes de terre que j'ai emportés avec moi ont poussé dans la terre de ma ferme, cette même terre sur laquelle j'ai joué aux billes étant enfants. Le pâté, le lard et la terrine viennent de la chair des bêtes qui m'ont regardé passer lorsque j'aillais à l'école. Manger tous cela c'est comme couper le cordon ombilical.

Maintenant tu ris franchement. Pour toi un légume c'est un légume et un morceau de viande c'est un morceau de viande. Pas la peine de chercher plus loin. Ce serait comme chercher une signification aux mouvements des nuages. Si je t'avais tenu ce genre de discourt ce matin avant de partir tu m'aurais planté un baiser rapide sur les lèvres en me disant doucement :

« Tu réfléchis trop Sean, à chercher des complications partout tu vas finir par devenir fous.

Et je t'aurais répondu avec un demi-sourire :

«Et toi en continuant d'appeler un chat un chat tu vas finir par devenir aussi obtus qu'une équerre. »

Et je t'aurais embrassé longuement, enfin, pas trop, car tu m'aurais vite repoussé, de peur que quelqu'un nous voit.

Je vais aller me dégourdir un peu les jambes et observer un peu les gens. C'est fascinant la diversité d'humain qu'on peut trouver dans un simple wagon. Par exemple, à ma droite, un homme d'une trentaine d'année, vu le panier repas qu'il dévore il a sûrement rendu visite à sa vieille mère. Un peu plus loin, un couple enlacé. L'homme porte une alliance, la femme non. Sûrement un riche bourgeois et sa maîtresse en week-end à la campagne. Elle le regarde comme s'il était le centre du monde, lui comme si elle était un ravissant petit bibelot. Il y a aussi cette mère de famille et ses quatre enfants. Elle a l'air douce mais vu comment les petits lui obéissent et se tiennent calme elle doit bien cacher son jeu. J'ai l'impression qu'il y a plus de sorte de personne dans ce petit espace que dans tous notre village ou tous les gens semblent sortit du même moules.

Les hommes vont à l'école puis aideront leur père à la ferme. Les filles vont à l'école, apprennent le métier d'épouse et de mère. Les vieux conseillent les jeunes qui les écoutent religieusement... Et quiconque essaye de sortir de ce petit manège bien rodé est très mal vu. On chuchote à son passage, on colporte des ragots, on le met à l'écart comme s'il avait la peste, le choléra ou une autre de ces charmantes maladies. Cela ne m'a jamais dérangé d'être la brebis galeuse du troupeau mais ce n'était pas ton cas, tu avais peur que les agneaux se transforment en loup s'ils apprenaient la Vérité.

Je te laisse, je t'écrirai une autre lettre quand je serai à Londres puis une autre après mon installation définitive à Paris, à la fin du mois normalement.

Tendrement et avec tout mon amour.

Sean O.

Cette première lettre est très courte est sert en quelque sorte de prologue.

La prochaine ne sera pas tellement plus longue et tournera autour de la nouvelle vie de Sean à Paris.

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