25. Les marques.
HEESEUNG.
Une lourdeur inconnue fait peser mon cœur plus que nécessaire. La déchirure s'étend en moi à chaque fois qu'un cri me parvient aux oreilles. L'irrépressible sentiment de le rejoindre et de l'apaiser m'empêche de garder la tête froide.
Sunghoon et Jay me bloquent le passage, prêt à me mobiliser au moindre mouvement suspect. Mon regard se noircit, bouillonne à l'intérieur. Le pourpre s'étale et me barre la vue. Une vision floue qui m'enlève toute capacité de réflexion correcte.
En ce moment, ils constituent un danger potentiel que je n'aurais aucune pitié à neutraliser s'il le faut. En retour, je suis une bombe à retardement pour eux, qu'ils tentent de maintenir à toux prix. L'unique raison pour laquelle je ne défonce pas encore cette porte réside en le contrôle dont je fais preuve.
Je ne pensais pas être capable de me contenir.
Car je perçois mon alpha ancré dans ma chair. Sa présence surgit hors des profondeurs et se fond sous ma peau. Je ne l'ai jamais senti aussi vivant, commander mon rythme cardiaque et prendre possession de mon corps, le tout alors que je suis lucide.
Mes oreilles captivent le moindre bruit, le plus petit mouvement effectué, les fluctuations de température, les subtils courants d'air.
Je manifeste sans perdre l'ascendant sur mon alpha. Sans savoir combien de temps je tiendrai. Parce que les plaintes de Sunoo me sont insupportables. Tout me hurle de le rejoindre, ma nature m'y pousse. Ne pas obéir serait aller à l'encontre de ses lois.
Or le risque que tout dérape au contact de ma peau contre la sienne est trop important. Son odeur sature l'atmosphère, je ne sens que lui à chaque inspiration. L'humidité de la rosé matinale pénètre par les pores de ma peau et moi, je m'en imprègne.
Ses phéromones me rendent fou.
Ils n'étaient pas aussi intenses plus tôt. J'ai cru à tord pouvoir le gérer, lorsqu'il a fallut l'emmener à mon appartement — avec Jake comme il l'a réclamé —. La douleur s'est accentuée au fil des secondes au point de le clouer sur un lit.
Et tout ce que je ressens, c'est le besoin de l'apaiser.
Je suis confiné dans mon bureau, à défaut de ne pas pouvoir me faire sortir. Je suis bien trop près de Sunoo. Ils en sont conscients, moi le premier. C'est une folie que nous soyons dans la même maison. Même dans deux pièces différentes, j'ai du mal à me contenir.
Un autre de ses gémissements douloureux traverse les murs. Et je me demande avec haine, ce que cette foutue médecin fiche depuis une quinzaine de minutes, pour que mon renard continue à souffrir.
Qu'est-ce que ça fait, honnêtement, si je monte et dégage tout le monde ? Je me stoppe à cette idée.
Sunghoon est proche de l'entrée, les bras pliés contre son torse, le faciès fermé, ne laissant place à aucune compassion. Il n'hésitera pas à m'arrêter de n'importe quelle manière si je devenais violent.
C'est le plus calme, une respiration régulière malgré la chaleur écrasante que mon alpha provoque. Ses yeux sont braqués sur moi et m'analysent depuis le début, aux aguets du plus discret des mouvements suspects.
Jay est à mi-chemin, une posture hésitante, ses yeux à lui remplis de compassion. Son inquiétude est apparente. Ses gestes sont nerveux, répétitifs, sa respiration trouble.
Il a tenté de me parler. J'ai grondé en retour malgré moi, lui faisant comprendre mon indisposition à toute discussion.
Ils osent retenir leur alpha.
Ils sont à l'image de leurs personnalités. Leur volonté à me garder enfermé ici est aussi louable qu'agaçant. Je les ai choisi naturellement, avec des attentes élevées.
Quitte à ne pas pouvoir rejoindre sunoo, je tourne en rond comme un loup en cage, la frustration ruisselant dans mes veines.
— Ne fais rien de dangereux Heeseung. Je serais obligé de t'administrer un calmant.
Le ton calme et sans perturbation de Sunghoon s'adresse à moi. Il met à ma vue une seringue qu'il a déjà utilisé. L'aconit fragilise le côté loup, permettant ainsi de maîtriser un alpha déchaîné.
Mes lèvres se déforment en échappant à ma volonté, laissent apparaître un sourire moqueur.
— Tu es sacrément effronté petit loup.
Ma voix... elle n'est pas la même.
La sienne se superpose à la mienne. Je considère le fait que Sunghoon ne baisse pas les yeux comme un affront. Ma réplique n'est que pure provocation. Il sait que malgré son poison, je garde l'ascendant sur la situation.
Une petite erreur... et tout s'écroule.
— Heeseung, je sais que tu es inquiet mais une crise de colère n'aidera personne. Il vaut mieux qu'on attende ce que le médecin aura à dire.
— Ça ne sert à rien Jay, le prévient l'étudiant en droit. Son oméga souffre et ça rend fou. C'est impossible de le raisonner.
Mon sourcil se tend, sa remarque est réelle. C'est pour cela qu'il n'aura aucune hésitation lorsqu'il faudra me stopper.
Néanmoins, si je ne tente rien c'est parce que je le veux. Je prends mon mal en patience, ne me sentant pas submergé au point de sombrer dans l'inconscient, laissant place à l'entité que j'abrite.
Ce phénomène tout à fait normal, que tous les hybrides expérimentent depuis leur naissance, m'est inconnu. Je n'ai jamais été en cohésion avec l'alpha. C'était soit lui, soit moi. Jamais nous deux à la fois. Et ce dérèglement a eut ses conséquences.
C'est Sunoo qui provoque tout ça. Le réveil de mon alpha, son intérêt pour mon petit renard qui le tire de sa nonchalance maladive. Ma forme animale est paresseuse, sauf quand elle se trouve une obsession.
Depuis cette soirée où j'ai senti son odeur, je ne m'en suis plus jamais détaché. Je n'aurais pas pu. C'était lui, et personne d'autres. Il faut que je le rejoigne. Je n'arrive pas à rester indifférent à ses hurlements et ses phéromones de détresse.
Soudain, quelques coups nous tirent de nos états transi.
Nous nous figeons, un calme de mort s'abattant sur la pièce. Sunghoon est le premier à réagir, ayant reconnu l'odeur du médecin. Elle est faible mais facilement détectable. Dès qu'il ouvre la porte, la silhouette féminine se dévoile.
Elle porte des vêtements lambdas, ses cheveux bruns attachés en un chignon à la va-vite, ses yeux en amande cachés derrière des lunettes de vue rondes. Malgré sa petite taille, elle ne montre aucune signe de peur en notre présente.
Pourtant, sa nature ne dégage que douceur.
— J'aimerais m'entretenir avec son alpha. C'est important.
Sunghoon est inquiet à l'idée de me laisser sortir. Il est quand même obligé de se plier aux demandes du médecin, puisque cette dernière s'adresse à nous d'un air grave et solennel en me fixant directement.
— D'accord.
***
Mon attention s'est automatiquement porté sur les escaliers.
Sunoo est là haut. Je n'entends plus rien provenant de l'étage. Son odeur s'est aussi estompé avec le temps. Je me retiens de grimper les marches pour le rejoindre. Avant ça, je suis curieux vis-à-vis de ce qu'elle compte dire.
Sunghoon se positionne près de la rampe métallique. Jay est bien moins soucieux du fait que je pourrais leur échapper. Sa curiosité suit la mienne et se porte sur le médecin, non sans ses quelques oeillades inquiets qu'il pense discrets.
— Tout d'abord, je tenais à vous rassurer sur le fait qu'il s'agisse d'une fausse alerte. Le patient n'est pas dans ses périodes de chaleurs à proprement dit.
Mon attention se focalise sur elle. Pourtant, l'odeur de Sunoo a changé. Personne n'a pu se tromper ici.
— Je veux dire par là qu'il se trouve dans une pré-periode, d'où les douleurs déjà présentes.
Elle replace ses lunettes en poursuivant son monologue dans le silence de mort.
— C'est inhabituel et cela provient de la consommation du venum.
Encore ce nom. Mes poings se resserrent, ma mâchoire se crispe. Mon cœur effectue un bond plus violent que les précédents et les suivants.
— Étant donné qu'il a bloqué ses chaleurs depuis son adolescence, ces derniers sont, et seront particulièrement violentes à l'avenir.
Mes épaules se tendent. Les nombreux rapports de Sunghoon contiennent les effets secondaires de ce produit, recueillis au fil du temps lors d'enquêtes confidentielles de la meute. Toucher sa forme profonde avec des produits chimiques n'est jamais sans séquelles.
L'addiction qu'on développe sur un long terme, l'empoisonnement progressif de notre part animale, la disparition de cette dernière. La perdre, c'est comme ne plus avoir d'identité.
Je me doutais bien qu'un truc pareil arriverait. Et si la vie de Sunoo était en danger ? Ses chaleurs seront-ils toujours comme ça ?
— Vous dites qu'il souffrira toute sa vie ?!
Ma question est sèche, teintée d'amertume. Elle ne se laisse pas déstabiliser pour autant, stoïque et professionnelle.
— Non. Au fil du temps, son corps apprendra à se réhabituer. Mais étant donné qu'il a bouleversé le fonctionnement de son corps, la nature le lui fait payer.
Elle souffle à la fin de sa phrase. Il n'y a aucune compassion apparente dans sa voix. Il n'y a pas non plus de mépris. Je ne sais pas si je devrais appeler ça un désintérêt. J'ai la sensation qu'elle n'est pas totalement insensible à la situation cependant.
À côté, Jay relâche un soupir qui me rappelle sa présence.
— Je lui ais administrer un calmant destiné à ceux qui souffrent de chaleurs violentes. C'est une substance que nous utilisons en dernier recours. Même si ça reste légal, ce n'est jamais sans risque.
J'allais protester. Il semblerait qu'elle ait anticipé ma question, vu qu'elle enchaîne à la seconde.
— Ne vous en faites pas. En prendre une fois n'a aucun effet néfaste sur le corps. C'était nécessaire pour qu'il ne succombe pas aux crampes.
Je ne suis pas totalement satisfait. Mais en même temps, savoir qu'un remède apaise actuellement sa souffrance me suffit pour tempérer mon inquiétude. Je ne serais pleinement rassuré que lorsque je l'aurai vu et tenu contre moi.
Chasser les autres pour m'enfermer seul avec lui. Je ne supporte pas qu'ils soient là, grouillent autour. Je ne veux pas qu'ils le regardent, l'approchent de trop, ni le touchent. Ça me rend malade.
Je souffle en croisant les pupilles sombre de Sunghoon, me rendant compte que je fixe encore le escaliers, que mon corps se tend, que je me suis tourné, prêt à atteindre l'étage.
— Je n'ai pas finis monsieur Lee.
Puisque ses informations sont non négligeables, je ne peux pas m'en aller.
— Continuez.
Je reprend ma position initiale. Mon alpha est toujours là, manifeste aux regards de tous.
— Pour les chaleurs à venir, il faudra que vous soyez à ses côtés.
La surprise ne manque pas de redessiner les traits de mon visage. La confusion s'empare de nous.
— Excusez-moi mais vous êtes consciente que le laisser seul avec Sunoo pourrait déclencher ses ruts... ? Lâche Jay, suivit d'un rire nerveux.
C'est évident et je ne pense pas que le médecin ne le sache pas.
— Alors essayez de vous abstenir si cela arrive. Vous pouvez vous contrôler, n'est-ce pas ?
Un grondement explose à la surface, se décollant de ma langue.
— Vos phéromones peuvent le détendre, mieux que n'importe quel médicament, reprends-t-elle en voulant se montrer moins stricte.
— Cela reste dangereux.
C'est au tour de Sunghoon d'intervenir. Il n'a pas tord. Le plus important est d'éviter toute souffrance à Sunoo.
— Il faudra juste que Monsieur Lee soit à proximité du patient. Le tenir éloigné de lui ne leur fera que du mal.
Avant que Jay ou Sunghoon n'essaient de répliquer, je leur coupe la parole, tranchant sur un ton sans appel.
— Autre chose ? Demandé-je.
Elle me scrute quelques secondes, un peu perplexe, avant de me répondre.
— Eh bien, non. Il n'y a plus rien à faire, à part attendre que ses—
Je monte sans attendre la fin de sa phrase. Personne ne m'arrête. Je ne tiens pas compte de ce qu'ils se disent. J'atteins ma chambre, tout est si calme. Un petit couinement me parvient aux oreilles. Dans la pénombre, deux oreilles se dressent.
Je jette un coup d'œil à la forme humaine qui sent la peur. Je reconnais cette odeur. De la cannelle brûlée, crachant un gaz toxique. Je l'effraie. Je devrais m'en foutre. Après tout, lui et moi ne sommes pas proches.
Et pourtant, je relâche des phéromones lui signalant qu'il n'y a aucun danger. C'est mon alpha qu'il craint. Lui qui est si imperturbable et maître de lui, paraît si petit, ne reflétant que l'ombre de sa personnalité studieuse et fière.
Je l'entends émettre un faible soupir, puis se calmer un peu. Je ne tarde pas, n'émet aucun mot. C'est assez gênant pour nous deux. Je dépasse Jake et pénètre ma chambre.
Et enfin, je respire de nouveau, la satisfaction emplissant mes poumons. Tout s'efface, il n'y a que mon renard qui existe. Le seul dont je suis amoureux.
Sunoo est endormi, emmitouflé dans une couverture épaisse. Je le rejoins, me glissant près de lui. Quelques perles de sueurs parsèment son front. Comme il a du se battre pour résister à ses crampes. Mon courageux trésor. J'embrasse son front.
Il dort paisiblement. Je retire les cheveux qui retombent sur ses paupières. J'entoure ses épaules de mes bras et me rapproche de lui, le gardant contre moi. Je hume son odeur comme une essence essentielle à ma survie. C'est un peu le cas.
Je perçois son petit cœur battre sereinement. Sa légère respiration expulse en continue un souffle chaud étouffé par le haut de mon corps. C'est un pur bonheur de le tenir dans mes bras. Il est frêle comparé à moi, mais tellement fort.
Bientôt, il commence à émerger du sommeil.
Il frotte doucement son visage contre mon épaule. Il marmonne un son duveteux qui me rend faible. Mon petit renard est réveillé. Cependant, il ne cherche pas à fuir mon étreinte. Ça me plaît secrètement. Je sens quand même qu'il ne va pas bien.
— T'es là... souffle-t-il d'une voix fatiguée.
Mes doigts remontent contre sa nuque, effectuent des cercles imaginaires. Son corps est détendu mais surtout, vidée de toute énergie.
— Tu es toujours là...
Sa voix rauque résonne tout bas. Elle est neutre, m'empêchant de savoir à quoi il pense réellement. J'ai beau renifler ses humeurs, il est compliqué de pénétrer dans sa tête. Ses pensées les plus secrètes sont profondément enfouis.
— Huh... soupire-t-il.
Je suis toujours là c'est vrai. Où est-ce que je pourrais être si ce n'est pas à ses côtés ? Au moment où il a le plus mal. Personne ne m'éloignera de lui. Que ce soit cette nuit ou les jours à venir, les mois et les années. Mon souhait est que nous restons indéfiniment comme ça, lovés l'un contre l'autre.
Mes phéromones s'entremêlent aux siens, ne formant bientôt qu'une seule et même essence. Le bois de cèdre trempé par la rosée. Les fines gouttelettes qui s'infiltrent dans les branches jusqu'aux racines. Les feuilles d'automne qui s'imprègnent de l'ambre.
Le sent-il ? Ce parfum nouveau dont je ne veux plus jamais me séparer.
— Il paraît que deux personnes sur quatres finissent abusés à cause de leurs chaleurs.
Mon souffle se coupe. Il parle avec froideur, ses mots sont épineux. Et surtout, ils sont vrais. Paupières à moitié closes, mon regard se perd dans le vide, accroché à un point invisible. Mes pensées le rejoignent, à la recherche de ce qui s'est réellement passé ce soir d'halloween.
Je ne sais pas si le fait qu'il ne souvienne de pas grand chose est une bonne nouvelle.
— J'ai flippé en l'apprenant.
Une horrible force oppresse mon torse. Un désagréable sentiment s'empare de moi. Je serai complètement fou si quelqu'un le touchait. L'imaginer est suffisant pour sentir la colère sulfureuse remonter.
— J'peux rien contre...
La société est inégalitaire. Encore plus à l'époque. Et même au sein des meutes, le passé est peu glorieux. Il fut un temps où les omégas n'avaient aucune valeur pour certains loups. Dans notre famille, ils sont sacrés, puisqu'ils portent la vie.
Nous sommes peut-être tous des loups mais chaque branche se développe avec des règles distinctes, bon nombres pouvant être à l'opposé de celles des autres. C'est la raison principale pour laquelle je méprise la meute de Lester.
Je ne peux pas imaginer comment Sunoo a du paniquer. Je suis là maintenant, prêt à me servir de barrage face aux autres.
— J'voulais t'éviter à tout prix...
Il me donne l'impression d'effectuer des efforts de monstre pour pouvoir construire chaque phrase.
— Pour pas que t-tu...
Sa voix craque. Je n'ose pas le regarder. Lui non plus ne le fait pas. Peut-être qu'ainsi, sans établir de lien visuel, il s'exprime plus facilement. Je comprends. Je ne suis pas le plus doué en terme de relations sociales. J'en fais trop, ou alors je ne fais rien.
— J'ai plus de raison de me méfier de toi.
Une source chaleureuse fleurit quelque part, dans mon cœur. Est-ce que ça veut dire qu'il me fait confiance ? On s'est rapproché ces derniers jours. Or, il est dur de croire que ce soit si aisé de faire partie du monde de Sunoo.
J'ai suivis les conseils de Sunghoon pour qu'il arrête d'avoir peur de moi.
— Je sais pas quoi faire après...
Sa confusion est son émotion la plus concrète que je décèle au final. Il est enseveli sous ses doutes. Ce qu'il devra faire après... cette phrase reste en suspend dans mon esprit. La respiration de Sunoo devient plus régulière, et plus légère. Tout son corps s'affaisse dans mes bras.
Le silence dure, m'annonce qu'il sombre de nouveau au royaume des songes. Ce qu'il devra faire après. Je l'aime. Mes plans s'arrêtent là. Je n'ai pas pensé à la suite. Juste au fait qu'il soit à moi, et à personne d'autres.
***
Lorsque j'ouvre les yeux, le lit est vide.
Je me redresse brusquement, le cœur battant et sillonne ma chambre. Je ne sens plus son odeur. Alerté, je descends en vitesse les marches, reniflant l'air à la recherche de ses phéromones.
Je m'arrête sur la petite porte qui mène sur la terrasse. D'un coup, mon inquiétude retombe. Je suis rassuré. J'aperçois Sunoo à travers la baie vitrée. Noyé dans un pull noir qui lui appartient, accoudé au garde-corps aux barreaux en fet.
Je pousse la vitre coulissante pour le rejoindre. Une faible exclamation surprise m'échappe lorsque quelque chose de froid se pose sur le haut de mon nez.
— Oh...
Un flocon microscopique me nargue. Je regarde mes pieds, ne rate pas la fine couche blanchâtre qui recouvre l'entièreté du sol. Devant moi, la neige s'éparpille grâce au vent qui le balaye aux quatre coins du Connecticut.
Il fait particulièrement froid ce soir, et même moi je le sens passer. Quelques flocons recouvrent les épaules et les cheveux de Sunoo. Sa queue se balance dans les airs, esquivant ces derniers comme s'il s'agissait d'un jeu. Ses oreilles animales s'agitent et vibrent, ayant sentis ma présence.
— Tu vas prendre froid, l'avertissé-je.
Sunoo se retourne vivement.
— T'as vu ? Il neige !
Un éclat nouveau luit dans ses pupilles. La surprise me fige sur place. Je ne m'attendais pas à une telle réaction à son réveil. Surtout qu'il semblait affecté plus tôt, un air de déprime dans cette façon qu'il avait d'enchaîner les mots.
Comme quoi, il n'est pas aussi prévisible que je le pensais. Parfois, il se montre surprenant, et aléatoire. À croire que peu importe à quel point on le connait, il conserve une partie mystérieuse de lui, intacte.
— Je n'ai pas pu m'empêcher de rester regarder, me fait-il savoir avec plus de douceur.
Il a l'air plus en forme. Il renvoie une mine qui s'est suffisamment reposé. Aucune trace de cernes, une certaine énergie jaillit de ses iris. Ça me démange d'applatir ses joues pleines. Je secoue la tête.
— Je vois, soufflé-je.
Pour autant, avec la chute de température, je préfère qu'il rentre.
— Ne tarde pas.
Soudain, Sunoo plisse des yeux. Une vague de frissons me traverse. Ce n'est pas de la peur. Je ne suis juste pas indifférent quand son regard se métamorphose. Toute la douceur s'est envolé, laissant place à cette expression qui m'a fait tomber amoureux.
Son air hautain reprends l'ascendant. Je ne peux pas affirmer de s'il est énervé ou ennuyé.
— Je ne suis pas un enfant. Ce n'est pas parce qu'on est plus proche qu'avant que tu me donnes des ordres. J'espère que les choses sont plus claires comme ça.
Il dit cela en me lorgnant. Là tout de suite, il me fait juste penser à sa renarde et ses airs majestueux. Sa tentative de paraître ferme me fait plus rire qu'autre chose. C'est son impertinence qui me rend dingue. Et puis, je pense qu'il est trop tard pour fixer des limites.
J'avance d'un pas tout en le fixant. Ses yeux sont attirés par mon mouvement. Il revient à moi avant de me lancer un regard téméraire, soutenant le mien avec un courage que je salut.
Malicieusement, mes lèvres s'étirent sur le côté. Ma jambe gauche suit à son tour. Toujours rien. Sunoo tient bon, sa bouille renfrognée que je n'arrive pas à prendre au sérieux. Jamais. Dans le froid, sa peau rougit. La mienne aussi j'imagine.
Ça le rend tellement mignon. Il aurait pu totalement l'être s'il ne zieutait pas chaque personne, objet, comme s'il était au dessus du monde. Ou alors dégoûté du monde. Je sais que mon renard vaux des milliards, bien plus encore, inestimable comparé aux astres accrochés au ciel.
Bien sûr qu'on ne peut pas respirer le même air que lui. On se retrouve piégé par son charme ensorcelant. Et le fait est que jamais je ne veut être défait de son sort. S'il faut que je sois fan de lui à vie, quoi de mieux comme mode de vie.
Au fur et à mesure que je réduis l'espace entre nous, le regard en béton de mon renard s'effrite et se fragilise. Il paraît de moins en moins sûr de lui. À quelques centimètres de lui, il jette des oeillades en cherchant des angles morts, avant de commencer à reculer.
Belle erreur. Sa peur me nourrit. Nous avons beau être humains, nous sommes aussi hybrides. La part animale nous influence, c'est indéniable.
Et il n'y a rien de plus excitant pour un prédateur que de voir sa proie trembler d'effroie. Plus il me fuira, plus l'envie de le capturer sera plus grande.
Le sait-il au moins ? Il cherche à se défiler mais j'accélère la cadence brusquement, ne lui laissant pas le temps de réfléchir. Il hoquette, surpris, et heurte le mur en brique. J'en profite pour l'atteindre.
Sunoo tressaille. Il se retrouve pris au piège, mais refuse de perdre à notre petit jeu. Et on me demandera pourquoi je l'aime ? Une flamme dévastatrice s'empare de moi, elle affole mes émotions qui deviennent incontrôlables, tout comme mes phéromones.
— Alors comme ça... nous sommes plus proches ?
Ses sourcils se plient. Je sais qu'il regrette actuellement ses mots. Il tente de s'exprimer, puis se ravise sans lâcher un seul mot. Inspirant lentement, il reprends.
— Tes yeux sont rouges... Essaie-t-il de me prévenir d'une voix mal assurée.
Il se veut calme et paisible. Sauf que mes oreilles ne ratent aucun détail, même le plus minime. J'ai conscience de la couleur de mes yeux qui ne m'ont pas quitté depuis. L'alpha est présent, cousue sous ma peau.
C'est son odeur qui me maintient sous cette forme. Sa présence, lorsque ses lèvres bougent et qu'il parle.
Ma queue apparaît, s'étend et s'enroule autour de son bassin. À part un faible sursaut, Sunoo ne réagit pas plus que ça. Rien à voir avec les autres fois où pris de panique, il cherchait à tout prix à se défaire.
Je me demande si c'est parce qu'il s'est résolu à l'idée de ne pas être de taille contre ma force qui le laisse aussi calme ; ou juste parce qu'il n'a plus peur. En jugeant son regard, j'opte pour la seconde option.
Je jette un furtif coup d'œil à ses mains. Elles sont intactes, aucune apparition de griffes. Je nous colle, son nez frôlant le mien. La chair de poule chatouille mon échine. D'une lenteur exécrable, ma main se pose contre sa nuque.
La seconde effleure sa mâchoire, retrace les lignes de mes doigts, puis se saisit de son menton. Mon pouce appuie sur sa lèvre inférieure. L'assurance de Sunoo s'envole. Sa fébrilité qu'il n'arrive plus à cacher éveille de sombres désirs en moi.
Nos nez se frôlent de nouveau. Comme si je lui confessais un secret, je murmure sur le bout des lèvres.
— Explique-moi... à quel point sommes-nous proches...
— Haha, hahaha, j'ai dis ça moi.
Son rire nerveux est à ça de me faire pouffer de rire. Je me retiens. Mes traits empreints d'une fausse incompréhension, j'incline la tête sur le côté.
— Bien, conclus-je.
Je le vois, perdu à son tour, se demandant la signification de ma réponse. Je l'abandonne à son tumulte intérieur et m'élance vers l'avant, lui donnant l'impression d'être sur le point de l'embrasser.
Il s'affole aussitôt, ses yeux s'écarquillant.
— Te—, t'as du mal entendre ! S'exclame-t-il d'un coup. Et puis, il fait froid. Tu voulais pas qu'on rentre ?
À quelques centimètres de ses lèvres, je dévie vers son oreille. Soufflant dessus, je contient le désir qui me hante, qui me presse et m'obsède. De la même façon que mes canines m'ont démangé, jusqu'à ce que je le morde.
Il exhale avec difficulté et n'arrive pas à cacher ses subtils tremblements.
— Pas sans savoir... lui dis-je.
J'ignore le froid, comptant sur la fourrure de ma queue pour le tenir au chaud. La chair de poule s'étale sur sa peau dès que je lui réponds. Ses réactions sont amusantes et si mignonnes. Il n'aurait qu'à faire un geste pour me repousser.
Et pourtant, Sunoo ne s'est pas servit de ses mains une seule fois.
À croire que ses membres sont en désaccord avec ses dires. Cette remarque accentue mon sourire. Mes lèvres effleurent le lobe de son oreille. Son corps s'échauffe contre le mien. Le pouce de ma main précédemment plaqué contre sa nuque, remonte sous son lobe.
Il frémit aussitôt. Un retour si rapide à mes caresses risque de causer ma perte. Mes lèvres descendent le long de sa mâchoire. Mes paupières tombent un moment. Je m'arrête, le souffle court, dans un éclair de lucidité.
Je pense au fait qu'on commet peut-être une bêtise. Une pré-periode n'est pas plus différent de ses chaleurs au final quand on voit l'effet qu'il me fait rien qu'en ce moment. Je devrais peut-être m'éloigner.
Mais Sunoo halète, ses doigts s'accrochent à mes vêtements.
Alors je cède, mon alpha interprétant son geste comme un appel à rester. Mon visage s'enfouis dans son cou, respirant avidement son odeur. Je m'en imprègne avec hargne, le sentant trembler sous mes doigts.
Chaque bouffée de sa fragrance me fait passer pour un addict qui goûte à l'extase. Mes lèvres se collent à sa peau. Je recule doucement et replonge dans son cou, le sentant comme si ma vie en dépendait.
Je réitère mon geste à chaque fois, allant et venant, passant contre sa jugulaire tout en ayant comme symphonie dans les oreilles, son cœur qui palpite, son sang aspiré et expulsé par son petit cœur qui bat plus fort.
À cause de moi.
Il ronronne de bien-être. Ses doigts se resserre sur mon vêtement qu'il tient. Comme une ancre, je suis rattaché à lui. Ma respiration est plus lente, plus bruyante. Petit à petit, une senteur fruité se mêle à celle, habituelle, qu'il porte.
Orange. C'est de l'orange.
Sunoo se cambre, son cou vers l'avant, comme s'il attendait quelque chose. Mes lèvres entrouvertes, ma langue ressort, lape sa peau, lui arrachant un soupir. Il sursaute, je caresse sa nuque et raffermie ma prise à cet endroit pour l'empêcher de bouger.
J'ouvre lentement mes yeux après avoir reniflé quelque chose. Reculant, je perçois non pas une, mais des marques un peu partout.
Je m'arrête. Ce n'est pas...
Je repense à la fois où j'avais aperçu une marques pareille, mon œuvre. Il y en avait d'autres. Non pas une, mais deux, trois, beaucoup plus, un peu trop pour que je les ignore.
Mon souffle se coupe un moment. Les yeux exorbitants, je tire sur la fermeture de son pull en un clin d'œil. Le geste brutal réveille Sunoo de sa transe. Surpris d'avoir son torse nu exposé sous mes yeux, il me lance un regard outré.
Il tente de se couvrir mais je l'en empêche. J'ignore sa plainte lorsque je tombe sur le carnage au niveau de son ventre.
— Qu'est-ce-que...
Un silence encore plus glacial que la neige nous prend d'assaut. Je n'ai pas fait ça. Si je pensais que les morsures à son cou étaient de trop, celles-ci sont d'un nombre conséquent. Et elles paraissent plus fraîches.
— Tu les cachais bien... jusque là.
Sans doute car elles ont dû être conservées dans la chaleur, sous les tonnes de vêtements que Sunoo enfile. Elles partent donc plus difficilement.
Je l'ai marqué, réalisé-je.
— Ça compte pas, me contredit Sunoo.
Le pire, je n'ai pas lésiné sur la quantité. Il avait ces morsures depuis tout ce temps. Je suis partagé entre l'envie de rire de ma propre connerie, et dévorer ses lèvres.
Depuis tout ce temps, il m'appartenait. Je l'ai revendiqué sans épargner une seule parcelle de peau. J'ai sous-estimé la possessivité d'un alpha. Ma possessivité.
— Tu connais sa signification.
Il déglutit.
— Non.
Quel menteur. Jusqu'à quand pensait-il pourvoir les dissimuler ? Je les aurais découvert tôt ou tard.
Curieux, j'approche mes doigts de ces marques, les touchant de façon fluette. La réaction de Sunoo est immédiate et me provoque dès lors une sensation inconfortable sous mon bas.
Il gémit, surpris. Un son plus aiguë que sa voix normale. Un son qui me signale qu'on joue à un jeu dangereux, qu'il ne vaudrait mieux pas que je répète mon geste, au risque de déclencher quelque chose qu'on ne saura pas contrôler.
Je savais que j'aurais dû m'arrêter plus tôt, être raisonnable.
À la place, mes lèvres s'étirent dangereusement, un éclat malicieux au fond de mes pupilles.
— Ne fait p—
J'appuie à nouveau sur les traces, plus franchement cette fois-ci.
____________________
Bon...bah on est pas ensemble Sunoo 😬 force !
Pronostics sur la suite ?
Votre avis sur l'évolution de leur relation ?
L'auteure va-t-elle encore vous feinter ? Ou ça va faire des trucs olé olé sur une terrasse en plein air ?
À bientôt !
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