11. Seuls à seuls.







SUNOO.


— « Appelle-moi au moins. Je m'inquiète. »

Le poids de la culpabilité alourdit mon cœur. Je tape rapidement un message que je lui envoie.

Jake

Tout va bien.

Je range le téléphone, regardant l'enseigne lumineuse du bar à striptease. Il y a du monde ce soir, comme tous les autres. J'hésite à entrer. Le videur n'a pas l'air commode mais il me connait. Le soucis c'est que je ne veux pas croiser le patron des lieux. Je ne l'aime pas.

— Hé Arai, plus vite que ça ! Il y a des clients qui t'attendent là !

Je plonge mes mains dans mon perfecto.

— Oui boss ! Répond une voix féminine.

C'est tout ce que j'entends avant de tourner le dos au bar. J'avance sur le trottoir animée. J'aperçois les bâtiments lumineux à travers les flaques d'eau. Il a plu aujourd'hui. Je commence à en avoir assez de ce froid rigoureux.

Tout comme je commence à en avoir assez de toi.

Je peux l'entendre couiner tout au fond de moi.

Elle n'a pas cessé de rendre mes nuits chaotiques. J'ai préféré faire profil bas quelques jours, de peur que quelqu'un découvre ce qui n'allait pas. Dès demain tout sera fini.

Alors si seulement tu pouvais me laisser tranquille.

Depuis que j'ai croisé Lee Heeseung, j'ai l'impression d'avoir perdu le contrôle. Et c'est si frustrant. J'avais ma routine avant qu'il ne vienne tout chambouler. Je n'ai besoin de personne pour survivre. Tu entends ça ? Mes pas se stoppent tandis que je suis assaillis de ses protestations.

Je ramène mes cheveux en arrière en espérant qu'elle se taise, lorsque des frissons viennent chatouiller ma nuque. Immobile, je jette un coup d'œil discret dans mon dos, détectant des silhouettes suspectes. Encore eux. Il ne manquait plus leur présence. En temps normal, je me serais agacé avant de leur échapper en toute discrétion.

Malheureusement pour eux, je suis dans un état tout sauf normal.

Je plonge mes mains dans mes poches, faisant mine de n'avoir rien remarqué et reprend ma tranquille marche. J'inspire profondément et filtre les bruits qui m'entourent en me concentrant. Il y a plusieurs pas qui résonnent dans ma tête. Les leurs sont les plus secrets. Ils se fondent avec facilité dans la foule. Le truc de bien en tant qu'hybride c'est d'avoir les sens sur développés selon l'animal.

Leur odeur diffère du reste.

Je me glisse à mon tour entre les passants en changeant mon rythme de façon brusque, accélérant ma marche. Ma disparition soudaine a du l'affoler. C'est le but voulu. Sans qu'un homme ne s'en rende compte, je lui pique son chapeau. Je retire mon perfecto en chemin et dérobe une veste en vente à un mannequin en silicone devant une boutique.

Un sourire en coin se dessine sur mes lèvres. Ils veulent capturer un renard. Je frétille un peu d'amusement. Je ne sais pas comment ils se sont débrouillés mais je suis toujours visible sur leur radar. Il y a un passage étroit repéré à quelque mètres dans lequel je me glisse.

À partir de là, je n'ai que quelques secondes. Mes griffes s'allongent d'elles même. Je fais plier mes jambes pour prendre mon appuie et saute. J'atterris au dessus d'une caisse abandonnée tout en m'accrochant à un tuyau. C'est suffisant pour me hisser sur le toit.

Je sens la fourrure de ma queue se glisser dans mon dos, ondulant à travers le vent jusqu'à mon visage. J'expire au même moment où ils pénètrent l'étroite ruelle. J'ai une meilleure vision sur mes stalkers. Ils portent des tenues sobres et des masques au visage.

— Où est-ce qu'il est passé ?!

— C'est toi qui l'a perdu de vue ! T'étais censé garder un œil sur lui.

— Ferme-la un peu ! Je suis sûr de l'avoir vu entrer par là.

Je renifle l'air et cligne des yeux, un peu surpris. Des caméléons ? Ces sortes de lézards extraterrestres ? Je n'ai aucune idée de qui ils sont, ni de ce qu'ils me veulent, mais je me demande quel goût a un caméléon cramé. C'est pour savoir ok !

Je pose mes fesses par terre en me faisant la réflexion que cette situation est quand même loin d'être surprenant. Avant, lorsque je trainais dans des histoires louches, j'avais pour habitude de me faire pister. C'est courant de se faire coincer dans une embuscade et se faire tabasser pour faire passer un message etc.

Il fallait donc surveiller ses arrières tout le temps. C'est peut-être la raison pour laquelle ils me suivent.

— Faites gaffes. Il faut juste le retrouver et garder un œil sur lui.

Ils sont trois, un peu plus de mon âge d'après mon odorat. Je crois. J'en suis pas sûr. Mais, je pense pouvoir m'en charger. Je fais craquer mon cou et descends sans faire de bruits. Je n'ai rien à envier aux chats. De dos au dernier des trois, je lui assène un coup à la nuque, assez violent pour l'envoyer dans un sommeil bien profond.

Malheureusement, ce geste signale ma présence.

— Bonsoir, dis-je amicalement.

L'un d'entre eux en réponse sort un taser en prenant peur. Hé mais c'est injuste, ils sont armés et pas moi. Je vois, on ne va pas discuter comme des personnes civilisées. Ce truc fait super mal non ? Dans les films, ça fait toujours mal.

— Seconde question du jour ! Ça a quel goût, un caméléon électrifié ?

— Hein... j'entends le second, armé, s'exclamer.

Merde, je me suis exprimé à voix haute. Mais peut-être qu'il me répondra. Il tend son jouet pour me faire peur. Ok il ne va pas me répondre. Tandis qu'il s'élance vers moi, je l'esquive de justesse. Qu'est-ce que j'ai fais pour mériter ça ? Je me baisse, me penche sur le côté et déglutit à chaque fois que j'échappe de justesse à son taser.

— Ce n'est comme ça qu'on traite des gens qu'on vient à peine de rencontrer ! Je m'exclame.

Il me répond en m'attaquant avec plus de brutalité.

— Dans un combat inéquitable en plus ! Je me plains.

Ce type demeure silencieux mais bientôt, ses gestes deviennent de plus en plus brouillons. Si avant, j'arrivais à prédire ses coups, ces derniers sont encore bien plus visibles à présent.

On aura beau prendre n'importe quel cours de défense, il n'y a rien de plus adapté que le combat de rue à mon avis. La règle est qu'il n'y a pas de règle. Tous les coups sont permis, même les poignards dans le dos.

— Arrête de t'agiter dans tous les sens !

Je cligne des yeux. Il est con ? Je suis censé rester immobile pendant qu'il m'attaque ? Mais l'entendre subitement parler me signale sa perte de patience. La frustration brouille son esprit, il sera plus enclin à commettre des erreurs.

— Trop lent.

Je souris en me retrouvant à quelques centimètres, dos au mur.

Avant qu'il ne pense à respirer, ma main s'abat contre sa gorge. J'espère qu'il sent une vive brûlure et sa respiration se couper momentanément. Il recule, mais avant, j'ai le temps de lui piquer son taser. La satisfaction m'envahit en le voyant s'écrouler au sol. Bien, c'est déjà deux de moins.

Le troisième.

Je sens un bras tendu par derrière dans le but de me saisir par la gorge mais je l'arrête en le saisissant au passage. De ma main droite, j'utilise le taser au niveau de sa côte, qui le fait gémir de douleur. Au même moment, le troisième redevient visible. Ses yeux s'écarquillent de surprise.

— Que— comment tu as—

— Deviné que tu t'étais rendu invisible tout en attendant sagement contre ce mur, le temps que je me débarrasse de ton acolyte pour m'attaquer ?

Je me penche vers son visage, mon sourire s'accentuant, pendant qu'il semble confus.

— Je t'ai vu.

Je n'ai pas eu à le sentir. Visiblement, en se fondant dans le décor, il peut aussi cacher son odeur et sa trace. J'ai eu de la chance de l'avoir aperçu plus tôt !

— Et si on discutait maintenant ?

Je laisse tomber toute plaisanterie en le tenant par la gorge, le plaquant au mur. Je raffermie ma prise de telle sorte que mes griffes s'enfoncent dans sa peau. Ses plaintes de douleurs me parviennent. Je les ignore.

— Qui t'envoie ?

Il ne répond pas, tente de me faire lâcher prise. Alors je lui arrache son masque. Il étouffe un hoquet de surprise. Je m'attarde sur un visage en sueur. Il m'a l'air plus âgé que moi, brun, cheveux cours. Avec une petite cicatrice sous l'œil gauche.

— Réponds.

Je n'ai pas l'impression qu'il veuille lâcher le morceau. Qui sont-ils ? Des membres d'un groupe ennemi qui m'aurait dans le viseur ? Il ne m'en donne pas vraiment l'air. Je ne sais pas, il a une tête différente de celles que je croise d'habitude.

De plus, j'ai compris une chose.

— Tu ne sais vraiment pas te battre ou tu fais semblant ?

Ils n'avaient pas l'air de vouloir réellement chercher la confrontation mais de me calmer, le temps de fuir. Je desserre un peu ma prise pour qu'il puisse parler.

— J...je... ne te dirais rien.

— Tu n'as pas peur de souffrir ?

Un bref éclair de peur traverse ses prunelles.

— Tu... t'oserai pas.

Pardon ?

Tout se refroidie, un silence glaçant s'installe, nous sommes devenu imperméable au bruit extérieur. Il n'y a que sa respiration saccadée et la mienne, contrôlée, qu'on entends.

Sans l'ombre d'une hésitation, j'utilise de nouveau le taser. Son cri s'élève.

— Putain... ! T'es malade. Arrête, stop !

— Tu es prêt à parler ?

— On te veut aucun mal bordel !

— J'y crois moyen.

Aucun de ses cris ne me touche lorsque je me sers du taser.

— Qui t'en-voie ? J'articule mieux.

Nos regards ne se lâchent pas. Il a l'air sur le point de perdre connaissance. Je veux un nom, qui me poursuit. Mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, la sirène de police se rapproche dangereusement de cet endroit.

— Fais chier.

Je lâche le taser ainsi que son cou et prend mon élan, sautant de nouveau sur le toit. De là haut, la voiture de police est visible. Peut-être qu'ils remarqueront les types qui— ils ont disparus !

Ébahi, je décide de m'éloigner de cet endroit, mettant le plus de distance possible entre eux et moi.

Je n'ai aucune idée de la direction que j'ai emprunté. Je sais juste que j'ai fini par m'arrêter au dessus d'une boutique. Il y a un espace entre cette dernière et un immeuble à côté. Je me réceptionne sur la benne à ordure avant de toucher la terre ferme.

Mais à peine ais-je le temps d'avancer qu'une vive douleur apparaît au fond de ma poitrine, me ralentissant. Je me retiens contre le mur, main plaquée contre mon torse.

— Pas maintenant... !

Mais mes jambes m'abandonnent. Quand elle veut me faire chier, elle y arrive très bien. Je me rend bien vite compte que je commence à suer. Ce n'est pas normal. D'habitude, les effets ne durent pas autant. Je n'ai jamais eu autant mal dans les os bordel, je veux casser un truc.

Va falloir que je parle à Kai.

Je la sens remonter lentement et m'endormir. Je lutte pour ne pas fermer les yeux mais je suis fragilisé par ce que je me suis injecté, ce qui coule encore dans mes veines. J'aurais dû déjà éliminer cette substance !

Qu'est-ce que ce salaud de Kai m'a vendu ?

Je m'écroule au sol en la suppliant de ne pas remonter. Mais peu à peu, elle gagne du terrain en m'endors pour de bon. J'ai peur. Je suis inconscient dans un coin paumé et c'est ma part animale qui est aux commandes.

J'ai peur de ce sur quoi je vais tomber quand je me réveillerai.

***

— Non papa, pas les crêpes fluorescents !

Je me réveille en sursaut avec le cœur qui tremble dans ma poitrine. Je le jure je viens de faire un rêve, c'était horrible. Je me suis rendu dans la salle à manger mais rien n'avait de sens. Toute ma famille avait des têtes de renards. On se dira, normal, ce sont des renards. Mais la forme était étrange.

Ils étaient tranquillement en train de déjeuner. Yeonjun avait un tutu et faisait de la danse classique. Il avait une couronne et il s'est mit à chantonner : par le pouvoir des princesses.

Giselle était devenue une hippie qui fumait les pissenlits du jardin — je ne savais même pas qu'on avait des pissenlits — et maman ne lui disait rien. Elle portait un sac poubelle en mode écolo, les plantes sont nos amis. D'ailleurs, Maman était déguisé en Mickael Jackson !

Et le pire, le pire c'est que je trouvais ça normal. Jeongin chevauchait un cochon et tout allait bien. Puis maman a demandé à mon père d'envoyer les crêpes. Elles luisaient comme si elles étaient radioactifs. Il a faillit faire tomber l'assiette alors nous avons tous crié : “ pas les crêpes. ”

Mais je tire toute mon imagination d'où moi ?

J'ai des suées froides. Plus jamais. Maintenant que j'y pense, papa était en caleçon jaune imprimé canard.

Qu'est-ce que...

Une porte claque. J'arrête de penser au rêve (cauchemar). Déjà, je suis où ? Mon regard circule sur la pièce qui m'est étrangère. Je suis sur un sofa moelleux, couvert par un plaid qui me tient au chaud. L'agencement des meubles renvoie un côté luxuriant et minimaliste. La baie vitrée donne une vue d'ensemble sur la ville.

Je suis kidnappé par des gens fortunés c'est ça ?

C'est, affolé, que je tourne la tête.

Il y a deux yeux gris qui me fixent.

L'odeur boisée résineuse me frappe en plein fouet. Je me demande comment j'ai fais pour ne pas le remarquer plus tôt. Peut-être trop occupé par le traumatise causé par mon rêve. Je frissonne malgré moi. Parce qu'il me fixe avec une expression indéchiffrable au faciès.

Je ne me rappelle pas vraiment un moment où je l'ai vu aussi...

— Je suis où ?

...intimidant.

Il ne parle pas, ne bouge pas. On dirait une statue. Je crois que je préférais largement quand il était chiant à mourir. Il y a une ambiance que je ne peux pas expliquer. Je veux dire, je suis détendu par les effluves rassurantes et la chaleur que conserve cet appartement.

Mais en même temps, qu'il ne dise rien m'inquiète.

Son silence est bien plus dur à supporter d'un coup. J'ai l'impression d'être un gosse qui s'apprête à se faire disputer après une bêtise. Et je déteste ça. Ce n'est pas mon père. Il n'est personne pour moi. Et au final, que ma forme profonde l'ait accepté ne veut pas dire que je lui fais entièrement confiance.

Je suis toujours celui qui décide.

Après ces longues minutes à demeurer dans son mutisme, il finit par avancer. À chacun de ses pas je me ratatine sur place. Mes mains se resserrent sur le plaid comme pour m'en servir de protection. Reste où tu es. N'approche pas.

Trop tard.

Le sofa a une forme en L. J'étais allongé sur la longueur. Il s'assoit à côté en silence. Durant ce moment, je me fais la réflexion qu'il a quand même bon goût en matière d'habillement. Je dois avoir que son tyle me plaît. Il est toujours apprêté avec ses vestes et il porte toujours une montre, et des bagues parfois.

J'aime aussi son odeu—

Je stoppe mes pensées, surpris par ces dernières. Depuis quand je... oh non. Reprends toi Sunoo ! J'inspire profondément. Mauvaise idée. Son odeur boisée m'enivre instantanément et me retourne le cerveau.

Je suis mal. Très mal. On se fixe. À la distance à laquelle il se tient, il touche facilement ma joue lorsqu'il tend le bras.

— Comment te sens-tu ?

Je fond à l'intérieur. Une vague de chaleur m'envahit et elle fait tellement de bien que je me sens ramollir sur place. J'ai l'impression que le froid s'éparpille peu à peu. Je veux juste qu'il reste comme ça pendant un moment.

Voilà comment je me sens : bien.

Il arque le sourcil, me signalant en silence qu'il attend une réponse. Ou qu'il l'exige. Je ne sais pas.

— Euh, Hm, bien.

Je détourne le regard pour qu'il lâche ma joue. Ce qu'il fait. Je masse ma nuque en me demandant d'où proviennent ces frissons et comment les stopper.

— Du coup, on est où ? Je marmonne.

— Nous sommes chez moi.

De nouvelles questions se débloquent. Qu'est-ce que je fais chez lui ? Comment ça je suis chez lui ? Je fais travailler mes neurones pour penser au comment j'ai atterri là. Aussitôt, je suis traversé par une vague d'images. Des types m'ont attaqué au bout d'une rue. Puis, la police s'approchait.

J'ai du fuir. Et après ça, je me suis écroulé. C'est tout.

— Comment... ?

Je me suis vivement retourné pour confronter son regard. Ce fut une grave erreur. Je déglutis sans pouvoir terminer ma phrase. Les paupières à moitié closes, il satisfait ma curiosité.

— Je t'ai retrouvé inconscient, derrière une boutique, dit-il de façon laconique.

Une minute, c'est mon truc ça. Ce petit côté blasé et tout. Qu'est-ce qui se passe ? Je me mord l'intérieur de la joue. En attendant, je suppose qu'il aura des questions à me poser. Il faut que je les esquive avec soin.

— Où est mon téléphone ?

Je commence à fouiller la poche de pantalon en espérant qu'il ne l'ait pas fait avant. Qu'est-ce qui a pu bien se passer entre le moment où j'ai perdu connaissance et quand je suis arrivé ? Je retrouve ce dernier en souriant et l'allume.

La date que j'y trouve me choque. Mes sourcils se plient. Ce n'est pas possible.

— On est le combien aujourd'hui ?

C'est au tour de Heeseung de froncer les sourcils. Sans se faire désirer, il me réponds.

— Le dix-neuf octobre. Pourquoi ?

Je fais de mon mieux pour cacher ma surprise. La nuit où je me suis fais attaqué, c'était le dix huit. Ça veut dire que j'ai passé une journée là bas ?! Heureusement que c'est ma forme animale qui a prit le dessus. J'ai du tenir grâce à ses réserves. Mais je ne vais pas tarder à ressentir la faim.

— Pour rien... dis-je en soupirant.

Puis, d'un coup, je le fixe. Heeseung est sans réaction. Il garde le même visage que tout à l'heure. D'habitude, il est plus expressif que ça. Et puis, là, il s'exprime posément, sans se presser.

Pire encore, il ne fait aucun commentaire.

— Qu'est-ce que t'as ?

Ce n'est qu'avec ma question que j'aperçois la surprise, quand bien même subtile, dans ses yeux. Aucune autre réaction à part ça. C'est flippant. Je suis gêné par son silence. S'il a des questions, qu'il les pose. Bien sûr, je ne compte pas lui répondre.

Mais pourquoi il n'essaie même pas ? Si c'est une technique de torture, elle marche à fond.

— Rien.

Je plisse des yeux.

— Rien ? Il y a quelque chose qui cloche !

— Je suis comme d'habitude.

Un rire sans joie m'échappe.

— D'habitude tu m'ennuie comme jamais. Tu débites des bêtises. D'habitude, tu te serais empressé de me noyer de questions. Tu ne veux rien savoir ? Vraiment rien ?

— Tu me le dirais ?

— Non, dis-je dans l'évidence, avant qu'il ne me coupe la parole.

— Voilà, enchaîne Heeseung.

Et puis quoi ? Je cligne des yeux.

— Donc tu abandonnes comme ça ?

Il ne se bat même pas ? Où est passé le loup collant qui ne me laissait pas respirer ? Il pourrait presque me manquer. Ça devrait être une bonne chose qu'il ne s'intéresse plus à moi n'est-ce pas ? Qu'il ne me cours plus après et ne veuille plus se mêler de ma vie privée.

Bon sang, pourquoi je ne suis toujours pas satisfait ? Qu'est-ce que je veux à la fin ? Qu'il m'embête ?

— Tu veux prendre une douche ou directement t'en aller ?

Je suis refroidie.

Est-ce à tout hasard... il me met à la porte ?

Je le jure que la vitesse à laquelle mon humeur s'effondre est hallucinant. C'est comme si on venait de m'annoncer la nouvelle qui renversait mon monde de la plus brutale des façons. Je déteste ça, son indifférence.

Pourquoi est-ce qu'il s'adresse à moi comme si nous n'étions que des inconnus ? La mine boudeuse, je refuse que les choses se passent de cette façon.

— Je vais prendre une douche.

Puis j'essaie de sentir mes vêtements. Oh par les sept enfers.

Je pue.

— Ouais... Je... je vais prendre une douche, je répète en me raclant la gorge, gêné.

Est-ce que c'est parce que je pue qu'il m'a proposé une douche ? Où est mon cercueil ? Qu'on m'enterre. Ce niveau de honte me dépasse. Quand je me lève, Heeseung m'indique la douche.

Puis, me laisse seul, me vexant un peu plus.

***

La buée rend la vitre plus opaque.

L'eau chaude me fait du bien. Elle est réconfortante et m'aide à supporter le froid vénale. J'ai toujours préféré l'été de toute façon. Je m'amuse à dessiner des formes contre la vitre après avoir soufflé dessus. J'ai du prendre une demi heure pour retirer toute la crasse sur mon corps.

C'est ça de passer une journée près des poubelles. Je trouve ça bizarre que personne ne m'ait remarqué durant la journée. On a du me prendre pour un fou. J'ai bien fait de vider le shampooing de Heeseung. C'était dans un excès de colère. Puis j'ai fini par trouver ça débile.

C'est du niveau maternel.

N'empêche que ça sentait bon. S'il me demande, je n'aurais qu'à lui répondre que j'ai fais des bulles avec. Un petit sourire malicieux se glisse sur mes lèvres. Mais ce dernier finit par s'évaporer. Rien n'arrive à me satisfaire, je suis toujours contrarié.

Je ne pensais pas que devenir insignifiant à ses yeux me troublerait autant. Ma forme profonde remue à l'intérieur. Je ne sais pas comment la représenter. C'est comme un esprit qui prend la forme d'un animal. Ou un animal qui prend la forme d'un esprit. En fait, c'est juste notre âme. Elle est le reflet le plus véridique de qui nous sommes.

La mienne adore jouer. Et je sais qu'elle est très méfiante. Alors si aujourd'hui elle en vient à chercher l'attention de quelqu'un pour la première fois, c'est juste exceptionnel.

— Tu veux vraiment que je lui fasse confiance hm ?

Je soupire. Elle m'en demande trop.

— Tu sais ce que les prédateurs font.

Est-ce que je peux vraiment avoir confiance en Heeseung ? Je sens deux larmes rouler, ce qui me surprends. Ces larmes ne viennent pas de moi mais d'elle. Je sens sa peine au plus profond de moi. Je me mords la lèvre de culpabilité.

Les seuls fois où je pleure c'est quand je dois couper des oignons pour la soupe de ma grand-mère. J'essuie mon visage et trouve mon geste stupide la seconde d'après, lorsque l'eau du pommeau d'eau vient balayer les larmes sur son passage.

— C'est d'accord... finis-je par céder. Mais on fera à ma manière.

Il n'y aura plus de discussions, j'ai pris ma décision. Ce que je m'apprête à faire est risqué et j'ai peur. La peur m'a toujours permis de survivre. Mais cette fois-ci, c'est différent. Je secoue la tête et me donne de petites tapes sur mes joues pour me reprendre.

J'ouvre ensuite la douche et enroule la serviette autour de ma taille. En me retournant, je suis surpris de croiser Heeseung qui vient d'ouvrir la porte de la salle de bain et qui entre en silence avec des vêtements propres en main.

On se fixe comme deux extraterrestres. Un courant d'air me fait frissonner et m'indique que je ne porte rien en dessous de cette serviette. Je regarde ses joues prendre des couleurs au fur et à mesure qu'il comprends la situation dans laquelle nous nous trouvons.

— Je croyais que, tu, dans la douche...

Il dépose d'un coup les vêtements de façon robotique...

— Mes excuses.

...et se contente de sortir en silence.

Il me faut de longues minutes avant de réagir. Je veux dire, il vient vraiment de— il était vraiment là ? J'expire d'un coup, bruyamment, une main contre ma poitrine. Mon cœur se met à battre, furieux, comme si on lui avait un truc.

Ce n'était pas passé loin. Je m'approche des vêtements. Ce sont les siens. J'enfile le jogging un peu trop grand pour moi. Mais c'est parfait. J'ai l'habitude des tenues larges.

Je glisse aisément dans sa chemise et réfléchis tout en mettant les boutons. J'examine le rendu de la tenue à travers le miroir. Et une fois satisfait, je peux enfin le rejoindre. Parce que je sais qu'il m'attend. Lorsque je pousse la porte, il se tient droit, pas trop loin, le regard un peu fuyant.

C'est moi qui le gêne ?

On reste quelques minutes dans un silence qui paraît nous convenir. Pendant ce temps, j'observe son salon. La décoration est à son image. Quelqu'un qui s'habille avec autant de soin ne peut qu'avoir un intérieur aussi bien rangé. C'est bien loin de l'humain désordonné que je suis.

Les seuls moments où je fréquente des lieux aussi luxueux sont lorsque je suis avec mon oncle.

— Est-ce que tu veux que je t'appelle un taxi ? Finit par trancher le loup.

Il veut vraiment me mettre à la porte ?

Hors de question que les choses se passent comme ça. Je fais mine de me sentir faible et me touche le front en grimaçant. Jouer à la petite chose fragile n'a rien de compliqué pour moi. J'adopte sciemment une respiration laborieuse et vacille sur le côté.

À deux doigts de m'étaler au sol, je sens ses bras me retenir de justesse.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Je... Je ne me sens p-pas très bien.

J'aurais dû être comédien. Parce que je peux sentir son inquiétude, une note relevée qui diffère de son odeur habituellement tendre. Ses bras s'enroulent autour de ma taille. Je me retiens contre son torse et lui lance un regard larmoyant.

— Je ne sais pas si je pourrais rentrer... je me sens... tellement faible...

Heeseung se fait avoir les yeux fermés. Il couvre mon front en y posant sa paume.

— Tu es pâle et un peu fiévreux.

Après m'avoir examiné, sa réponse me paraît sans appel, à mon plus grand bonheur. 

— Tu devrais rester ici pour la nuit. Je m'occupe du dîner.

Mes pupilles pétillent de reconnaissance. De façon timide, je hoche la tête. Je ne devrais pas en faire trop au risque de me faire démasquer. Mes mains remontent jusqu'à ses épaules auxquelles je m'accroche.

— Je...je ne sens plus mes jambes.

À peine ma phrase se termine qu'il me soulève. Un léger hoquet de surprise m'échappe. Il passe un bras sous mes jambes et l'autre dans mon dos, me transportant. Ma prise se raffermie alors autour de sa nuque.

Mon héros...

J'enfouis mon visage contre son torse pour cacher mon sourire.

Non seulement je reste mais en plus il me porte ? J'ai toujours su qu'un jour mes talents d'acteur me serviraient. Je pourrais presque m'endormir comme ça. Il me dépose sur une chaise contre l'îlot central.

— Je reviens, me glisse-t-il chaleureusement à l'oreille.

Je combat mes rougeurs. Par contre, il faudrait que je me calme. Il ne manquerait plus que je tombe dans mon propre jeu. Reprends toi Kim Sunoo, tu es le roi de la séduction. Personne ne peut tromper un renard. C'est ma spécialité.

Après m'être encouragé, je hoche la tête en feignant de nouveau cet air timide. Je m'appuie ensuite contre l'îlot en le regardant s'éloigner. Il retire sa veste, ne restant que dans un t-shirt sans manche.

Je déglutis en voyant ses biceps et manque de tousser. Je touche mon torse comme pour apaiser mon cœur. Respire. Et puis, autant se rincer l'œil. N'empêche qu'il est séduisant. À présent que je le regarde de plus près, je trouve qu'il dégage quelque chose.

Heeseung retire sa montre et ses bagues. Puis, il se lave les mains avec soin. Je lui découvre un côté un peu maniaque. Il met le tablier et commence à faire des va-et-vient entre le frigo et le four. Ma tête posée dans le creux de mes bras repliés, je l'observe sortir toutes sortes de couteaux.

Est-ce qu'il en faut vraiment autant juste pour couper des trucs ? Personnellement, je n'en utilise qu'un pour deux activités précises.

Pour tartiner mon pain. Et essayer de tuer Yeonjun avec.

Après, je ne sais pas cuisiner. Lui, a plutôt l'air de maîtriser cet art. À noter que dans ma famille, la cuisine est tout un art. Je n'ai pas reçu le don qui fait qu'on y excelle. Au contraire, une fois j'ai faillit brûler la cuisine et tout l'immeuble avec. Depuis, quand j'annonce que je ferai le dîner du soir, toute ma famille disparaît de l'appartement.

Le truc c'est qu'au dernier repas, j'ai faillit les empoisonner en confondant le sel avec du bicarbonate. Je me retiens de rire en y pensant pour mieux me concentrer sur Heeseung. Il sollicite ses muscles pour trancher ses légumes. Je ne savais pas que le voir cuisiner serait aussi satisfaisant pour les yeux.

Il est habile, ça le rend sexy.

Je sens ma forme animale s'agiter tout au fond.

Ça te plaît n'est-ce pas ?

Je roule des yeux, un peu ennuyé. Parce que je ne peux pas m'empêcher de trouver ce qui se déroule sous mes yeux divertissant. Heeseung fait sauter les légumes et bientôt, une douce odeur se répand dans la cuisine, accentuant ma faim. Je risque de mourir dans les minutes qui suivent.

Je le jure que je ne dramatise pas.

Je cligne des yeux quand d'un coup, il soulève le couvercle d'une marmite pour goûter ce qui me semble être du bouillon. Depuis quand il a eut le temps de faire tout ça ? Mes yeux luisent d'admiration. C'est mieux que food wars.

On dirait Soma mais en beaucoup, beaucoup, beaucoup plus agréable à regarder.

Heeseung sort des cuisses de poulet qu'il plonge dans l'huile qui crépite. Il met un plat au four. Il prend un moment et sort un linge pour nettoyer la sueur du front. Je reste bouche bée comme une groupie devant la façon dont il réarrange ses mèches cuivre.

On m'a déjà perdu. Les choses se passent si vite. J'ai l'impression d'être dans une fiction. Je ne sais pas si j'ai perdu la notion du temps à force de le contempler. Parce qu'en moins de temps qu'il ne faut, il dispose les plats sous mon nez. On dirait qu'il a fait ça toute sa vie. Il part ensuite nettoyer le plan de travail qui étincelle.

Ce type est vraiment humain ?

— Mange avant que ça ne refroidisse, me recommande-t-il.

Je sens mes rougeurs s'étaler un peu partout sur mon visage mais qu'est-ce que j'en ai rien à foutre. Les yeux vitreux, je hoche la tête comme un petit chiot dressé, salivant d'avance devant tous ces plats qui m'ont l'air savoureux.

Je commence à dévorer le bol de riz, les ramens. Le poulet craque sous la dent grâce à la chapelure, l'intérieur est juteux et fondant. Je vide le bol de soupe. Tout ce qui passe sous mes baguettes finit dans mon estomac. Je mange rarement asiatique mais pour le coup, ce sont les meilleurs plats que je goûte !

Je fini tout en une traite en soufflant d'aise.

— C'était délicieux... dis-je en soupirant d'aise.

C'est ça le paradis ? Je ferme les yeux pour apprécier ce moment particulier. Je prend mon temps, afin de profiter de chaque minute. Mes muscles se détendent, je pourrais m'endormir ainsi. J'entends le claquement des assiettes sans réagir, me disant qu'il doit sans doute faire la vaisselle.

Je ne me sens absolument pas coupable de le laisser se débrouiller seul. Je me laisse aller contre le dosseret de la chaise en soupirant toutes les deux secondes.

Puis, à un moment donné, je n'entends plus rien. Intrigué, j'ouvre un œil, puis le second. On dirait qu'il n'est pas là. Je jette un regard circulaire dans la cuisine sans trouver de loup. C'est bizarre. Où peut-il être ? Fronçant les sourcils, mes oreilles animales — de sortie sans que je ne les aperçoivent — se mettent à vibrer.

J'allais bouger mais sans crier gare, Heeseung me saisit par les épaules, me gardant dans cette position. C'est-à-dire adossé, la tête renversée en arrière. Son visage est à l'envers selon ma perception. Mais je peux aisément repérer ce sourire en coin un peu inquiétant.

— Euh, tu—

— Le repas était délicieux, j'espère.

C'est moi ou ses pupilles luisent de façon lubrique ? C'est moi ou je suis aveuglé Est-ce qu'on ressent tous l'étrangeté de la situation ? Je hoche vivement la tête, de peur de déclencher quelque chose que je ne pourrais pas contrôler, en me demandant ce qui se trame.

— C'est parfait...

Je n'aime pas la façon dont il a prononcé son parfait. Encore moins lorsqu'il commence à rapprocher son visage. Le mien prend feu. Mes battements cardiaques s'intensifient. Mes poumons paraissent se rétrécir, je manque d'air. Il n'exerce aucune force sur mes épaules et pourtant, j'ai l'impression qu'il pourrait me briser en un geste.

Il se rapproche assez pour que je sente son souffle sur mes lèvres, me murmurant d'une voix rauque à m'en faire frissonner.

— ... et si on passait à la suite ?

Il est trop tard pour fuir ?
















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Sunoo, mon fils, on ne renard plus ? 😭

👄 Qu'est-ce que Heeseung nous prépare encore ?

J'espère que ce chapitre vous a plu ! Mon fils renard est bien badass, fuckin hot (surtout quand il se bat jsbdbs)

Mais, comment s'en sortira-t-il face à Lee Heeseung ? 😌 Nous le saurons dans le prochain chapitre. 

J'espère que les évènements du début ont nourrit vos théories. 👀 Qui peuvent bien être les types qui le suivaient ? Le rôle de Kai ? C'est quoi cette étrange substance ?

Quel est le mystère caché de la culotte imprimé canard de Monsieur Kim— euh nan wrong question !!

Bref, À DIMANCHE ! (oui c'était une update surprise).

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