Chapitre 16 : Le vol
Voler ? Je ne l'ai jamais fait, si l'on exclut mes quelques secondes de lévitation durant la cérémonie... Je suis à la fois excitée et apeurée par cette perspective. Mais la prestation de Kira fait pencher la balance d'un côté et j'acquiesce avec un grand sourire. Je m'expose donc totalement, pour ma plus grande satisfaction. Le frottement des plumes crée un léger son, associé à de malheureux souvenirs, ce qui ternit un peu ma bonne humeur, mais sans plus. J'étends mes ailes sur le côté, gagnant ainsi un bon mètre d'envergure. Je n'avais jamais vraiment prêté attention à ces deux membres mobiles qui, jusque-là, ne faisaient que m'encombrer quand je marchais et j'éprouve une certaine satisfaction en les observant de plus près. Kira me détaille de la tête aux pieds avant de me dire :
- Est-ce que tu sais comment faire ou tu veux que je t'explique ?
- Une explication ne serait pas de trop, je n'ai jamais quitté le sol...
- Jamais ?!
- Non...
- Il y a des choses à faire alors ! C'est comme faire du vélo, il vaut mieux commencer jeune, ça ne s'oublie pas, mais ce n'est pas grave !
- ...
- Méo... tu vois ce que c'est qu'un vélo, pas vrai ?
- Oui, oui !
- Pour de vrai ?
- Je viens de te dire que- Non.
Saleté de manie de mentir. Fréquenter des humains et des démons a vraiment un côté néfaste sur mon esprit. Je viens de tilter qu'elle m'a attribué un diminutif. Méo... C'est vrai que trois syllabes c'est quand même long. J'aime bien.
- Bon, on verra ça un autre jour. En attendant, j'ai eu l'occasion de voir que tu avais naturellement les bases pour voler, raconte-t-elle en faisant référence à l'évènement datant de trois mois maintenant. Est-ce que tu peux essayer de léviter ?
- Comment ?
- Bats des ailes pour quitter le sol, mais sans pour autant te déplacer.
D'accord, ça ne doit pas être si compliqué après tout. J'essaie de coordonner les membres sortant de mon dos pour qu'ils bougent en même temps. D'abord lentement puis de plus en plus rapidement, je bats des ailes, me sentant de plus en plus légère. Je sens mes talons se décoller et, fière de ma victoire, j'en oublie de bouger mes ailes et retombe lourdement sur les fesses. Kira vient m'aider à me relever.
- Ҫa va ? me demande la princesse en cachant le rire qui la prend. C'est un peu dur au début, mais tu verras qu'au fur et à mesure tu n'auras même plus besoin de penser à battre des ailes. Tu réessaies ?
Les minutes qui suivent, je m'entraine à léviter. Une fois que je peux le faire en me concentrant sur le mouvement de mes membres mobiles, Kira me demande de lui parler en même temps. C'est compliqué de faire ces deux choses ensembles. Finalement, au bout de presque une heure, je parviens à léviter tout en ayant une discussion animée sur le vélo avec la jeune fille. Il faut que j'apprenne à en faire, ça a l'air vraiment bien et puis il paraît que presque tous les humains savent en faire.
- Bien ! Maintenant que tu sais faire ça, on va ajouter le déplacement latéral, m'explique-t-elle. Tu as fait le plus dur, et pour avancer, il suffit de prendre de la vitesse, ça te poussera à te positionner à peu près horizontalement. Pour changer de direction, il suffit de t'incliner du côté où tu souhaites aller, plus ou moins légèrement en fonction de ton virage.
J'acquiesce lentement en inscrivant ses paroles dans ma mémoire. J'ai fait le plus dur, ça m'aide de savoir ça. Je me mets en lévitation. Comme je n'ai plus besoin de me concentrer sur mes battements d'ailes et que je ne parle plus à Kira, une sensation de légèreté et de liberté s'empare de moi. La seule chose que j'ai à faire, c'est m'incliner vers l'avant, comme si je voulais nager. On nous a tout de même appris ça au centre, histoire qu'un proprio ne perde pas son bien parce qu'il a coulé dans une mare... Bref. Je modélise ma pensée en action et mon corps se déplace lentement vers l'avant. Je...J'y arrive ! Afin d'éviter de tomber, je ne me déconcentre pas et prends un peu plus de vitesse. Je m'élève de plus en plus haut et mon corps prend naturellement cette position horizontale que m'a décrite Kira. Cette dernière me rejoint dans un claquement d'ailes, quelques secondes plus tard, et se poste non loin de moi. Je tente une légère courbe que je réussis à merveille. Un sourire fleurit sur mon visage et j'en tente une autre plus serrée que je réussis également avec un peu plus de difficulté. Je jette un regard à la princesse qui me sourit en retour tout en suivant mes mouvements.
Après un temps, elle me passe devant et gagne en vitesse. J'essaie de la suivre tant bien que mal, accélérant à mon tour. Nous faisons essentiellement des tours de clairière, mais c'est déjà incroyable pour moi. La jeune fille s'éloigne un peu de moi et enchaîne quelques figures aériennes magnifiques. La dernière la fait tourner sur elle-même avant que, soudainement, elle ne tombe. Je pousse un cri d'effroi et perds de l'altitude pour la rattraper. Néanmoins, à une dizaine de mètres du sol, elle déploie ses ailes et stoppe sa chute avant de remonter. Je suis soulagée, mais me rend vite compte que je n'ai pas cette capacité là et que dans mon cas, le sol se rapproche extrêmement vite sans que je ne puisse rien y faire. Sans idée précise, je me débats dans l'air pour retrouver une position stable mais rien n'y fait. Je commence à paniquer, ne sachant que faire dans cette situation. Je vais m'écraser.
Ma tête n'est plus qu'à quelques mètres de l'herbe quand, soudain, je sens des bras réussir à s'enrouler autour de ma taille malgré mes ailes qui y font obstacle. Kira essaye de freiner notre chute en déployant les siennes mais leur charge est désormais plus lourde ce qui l'en empêche. Je sens ses efforts à travers la pression exercée contre mon ventre pour me serrer contre elle et regagner une masse concentrée au même endroit pour faciliter l'opération. Je sens l'herbe frôler mes joues quand elle réussit toutefois à nous rediriger. Je respire de nouveau de soulagement, lorsque je me rends compte que nous fonçons maintenant en direction d'un arbre qui est bien trop proche pour bifurquer.
- RÉTRACTE ! me hurle Kira en faisant disparaître ses ailes et resserrant sa prise autour de moi.
J'obéis et sers forts mes paupières avant que nous ne nous écrasions violement contre l'écorce d'un énorme chêne.
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