Chapitre 1 : Ventes et achats

Bip. Bip. Bip. « Les hybrides des cellules 3A et 3B ont pour ordre de se rendre dans la salle 27 pour l'assignation potentielle de propriétaires. Exécution. »


L'homme parlant dans le haut-parleur répète ses mots. Sa voix est aussi dure et froide que le carrelage sale de la cellule 3B sur lequel sont allongés une bonne vingtaine « d'hybrides », dont moi, comme nous sommes appelés. La pièce nauséabonde dans laquelle nous nous trouvons doit faire la taille de 15 d'entre nous grand maximum. La cellule ne possède aucune fenêtre ou ouverture sur l'extérieur nous coupant de toute lumière naturelle et de la notion du temps. Le plafond est bas et les murs sont couverts de moisissures à cause de l'humidité qui s'infiltre sous les murs.


Nos corps serrés les uns contre les autres se lèvent machinalement à la suite de l'ordre donné. Nous nous plaçons face à la porte, les unes derrière les autres, une tâche compliquée à cause de la petitesse de la pièce. Nous sommes rangées dans l'ordre de notre matricule, que nous connaissons par cœur. Nous sommes toutes vêtues de la même façon : un sous-vêtement blanc et une tunique large, blanche aussi. Autour de notre cou se trouve un collier en métal comportant notre matricule ainsi qu'une puce GPS. Cet accoutrement ne peut nous être retiré seulement par notre (futur) propriétaire à l'aide d'une clé unique. Cette action ne peut être exécutée que dans des situations extrêmes. La plupart du temps, les propriétaires se débarrassent de la clé après l'acquisition d'un hybride, pour éviter une responsabilité inutile selon eux.


Aucune hybride ne parle en attendant l'arrivée de l'officier. Personne ne parle jamais en attendant l'arrivée de l'officier. Même si nous en avions l'autorisation, pourquoi le ferions-nous ? Qu'y aurait-il à raconter ? Après ce qui semble être quelques minutes, le bruit caractéristique des bottes claquant de manière rythmique se fait entendre et deux hommes arrivent. L'un se poste devant la cellule 3A où les hybrides mâles se tiennent, eux aussi, en rang. L'autre se poste devant la cellule 3B, occupée par nous, les hybrides femelles. Ces deux pièces sont occupées par les hybrides dont l'âge est compris entre 14 et 25 ans.


Les officiers tournent chacun une clé dans la serrure de la cellule dont ils ont la charge. Ils sont habillés de blouses blanches et ont une grosse arme accrochée à leur ceinture. Ils font sortir les hybrides un par un et une par une après nous avoir fait avaler ce qu'ils appellent « pilules nutritives » avec un verre d'eau. Cette chose ridiculement petite est censée nous donner les nutriments suffisant pour tenir la journée avant d'en recevoir une autre le soir en revenant dans notre cellule. D'habitude, une fois sortis, nous devons nettoyer le centre d'éducation ou bien on nous fait travailler notre comportement de diverses manières, que ce soit en nous donnant des ordres auxquels nous devons obéir ou en nous préparant à l'assignation d'un propriétaire qui se fait une fois tous les sept réveils, durant des jours comme aujourd'hui. Une fois que nous sommes tous sortis, les rangs se reforment et, escortés par les officiers, nous nous dirigeons vers la salle 27. C'est une grande pièce blanche et propre, comme les vingt-six précédentes et les trois suivantes, où se trouve une sorte de sol surélevé en bois où nous devons monter. La plupart ne sont pas utilisées, mais il ne faut pas que le travail manque pour nous autres créatures. La différence entre ces salles spacieuses et nos cellules sales ne dérange personne. On nous attache ensuite une chaîne au cou (une autre fonctionnalité de ce merveilleux collier).


Et puis, une fois que les petits traits sont alignés sur le rond qui fait « tic-tac » sur le mur au fond, les portes sont ouvertes et des humains entrent pour nous voir. Souvent, ils donnent des petits papiers verts aux officiers et repartent avec l'un d'entre nous. Les hommes en uniformes leur donnent une clé de désactivation pour le collier, en cas d'urgence. Nous ne sommes qu'une cinquantaine en ce moment alors je suppose qu'ils viennent avant qu'il ne reste personne. Il n'y a pas très longtemps que je suis dans la cellule 3B alors je ne suis montée sur le sol qui craque qu'une fois avant aujourd'hui. Je dois donc avoir 14 ans...


Les autres hybrides présents et moi ressemblons pour l'instant aux officiers et aux autres humains qui viennent nous emmener. Mais pour la suite des ventes, nous changeons en un instant. Nos yeux changent, nos oreilles prennent une autre forme et une queue et des ailes nous poussent. Être hybride signifie « avoir des caractéristiques animales et la capacité de voler » a dit un officier une fois. Ces changements provoquent des picotements au niveau des zones concernées, mais on s'habitue. À un stade de notre croissance qui s'appelle la « pureté » ou la « puberté », je ne sais plus, on nous fait aller à une pièce où nous devons retirer nos vêtements et nous transformer pour pouvoir noter toutes les informations utiles aux acheteurs, je crois. Les hybrides qui peuvent partir avec les gens qui ont du papier vert doivent obligatoirement avoir fait ça. Un officier a dit qu'il faut être « apte à la reproduction pour être vendu ». Ça se produit aux alentours de 14 ans d'où le nom de la cellule, mais il y a dans l'effet des êtres bien plus jeunes que moi qui sont déjà passés par là. Les officiers fabriquent une image de nous avec une petite boîte qui fait « clic » mais ils ne nous la montrent pas. Aucun de nous ne sait à quoi il ressemble et nous n'avons pas l'autorisation de parler pour nous demander une description de notre corps.


Le temps passe. Six de mes semblables ont déjà été échangés contre ces petits papiers verts qui doivent servir de monnaie. Après ce que je présume être quelques heures, un homme entre dans la salle, mais ne semble pas être un humain ordinaire, aux vues des officiers qui ouvrent de grands yeux.

- V-Votre Majesté, c'est un honneur pour nous de vous voir ici. En quoi pouvons-nous vous aider ?


Je gratte les bandes se trouvant autour de mes poignets. « Majesté » ? Le roi ? Nous autres, hybrides, n'avons pas reçu une éducation humaine, ou une éducation tout court, mais on nous a tout de même appris qui étaient nos maîtres. Notre monde est divisé en plusieurs royaumes, chacun gouverné par un roi et une reine qui sont des démons. Tout démon a du sang royal dans les veines. Ils dirigent le monde peuplé d'humains qui pour la grande majorité ont une vie tranquille et heureuse. Et puis il y a les nous, les hybrides. Nous sommes vendus comme esclaves, aux humains comme aux démons. Pourquoi ? Personne ne s'est jamais posé la question. Ça a toujours été comme ça. Nous sommes bien moins nombreux que les humains alors nous sommes plutôt convoités.


Je peux en effet reconnaître le roi alors que je ne l'ai jamais vu. Il porte la couronne (je crois que ça s'appelle comme ça), et il vient lui aussi de se transformer. Des cornes noires sont apparues sur sa tête et une queue se terminant en pointe traine maintenant jusqu'à ses chevilles. Pour finir, une paire d'immenses ailes crochues gris foncé ornent maintenant son dos. En l'observant, il n'a pas l'air bien différent des mâles portant un collier, cet objet étant la principale différence. Il a une courte barbe et des cheveux bruns, des yeux bleus avec des pupilles noires qui ont changées lors de sa transformation et que maintenant je ne saurais décrire de là ou je suis et il porte une paire de lunettes rectangulaires. C'est la première fois que je vois un démon sous sa forme originale et je dois dire qu'il a une aura assez pesante. L'un des officiers demande au roi :

- Pouvons-nous vous demander ce que vous cherchez votre Majesté ?

- Je cherche un hybride qui puisse satisfaire les besoins de ma fille, la distraire, faire le ménage, enfin vous comprenez.

- Tout de suite votre Majesté. Y a-t-il l'une de nos marchandises qui vous intéresse ? demande l'officier tandis que son collègue nous ordonne de nous transformer, ce que nous faisons.


Le roi observe chacun de nous en s'attardant sur le groupe de femelles pendant quelques secondes, puis se tourne vers les hommes en blouse.

- La petite dernière là-bas, elle m'a l'air adaptée, dit-il en me désignant.


Un des officiers hoche la tête en tournant précipitamment les pages d'un dossier épais. Il s'arrête finalement et appelle mon matricule.

- C-09-K !


L'homme qui a les mains libres monte sur le bois et détache ma chaîne du sol avant de la tirer violemment si bien que je suis obligée de me rattraper au sol avec mes mains. Il me fait descendre lentement de la marche de bois et me dirige vers l'homme qui m'a appelé.

- Tourne-toi vers le roi, aboie-t-il.

Je m'exécute et patiente.

- Incline toi, pauvre idiote ! me crie-t-il en me donnant une claque sur la tête.

- Alors, reprend l'officier, C-09-K, 14 ans, 1m63, 42kg, hybride loup. C'est la plus récemment disponible du lot que nous avons à vous présenter aujourd'hui et accessoirement la plus docile.


« Docile ». Je me dois de rester immobile, mais une envie irrésistible de gratter mes bandes me prend à ce mot. Le roi me fixe un instant avant de se tourner vers l'humain qui vient de refermer le dossier.

- Je la prends. Combien vaut-elle ?

- Nous vous l'offrons votre Majesté, c'est un cadeau.

- Je vous remercie pour cette délicate attention.


« Offrons » ? Ça veut dire que le roi ne doit pas donner de papiers verts. J'entends d'habitude les officiers dire « 50 euros » ou des choses comme ça. Je n'ai pas le temps de me poser plus de question car un de mes anciens détenteurs m'ordonne de reprendre forme humaine et un autre homme que je n'avais pas vu jusqu'à présent m'attrape durement par le bras avant de me trainer jusqu'à une sorte de grosse boîte qui roule à l'extérieur. Je vois du coin de l'œil les officiers donner la petite clé au roi avant de s'entretenir avec le démon en me pointant du doigt. Sûrement à propos des « traitements ».

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