0.1

Lorsque j'entrouvre les paupières, une aveuglante lumière blanche m'éblouit les yeux, me faisant les refermer aussitôt. Lâchant un petit grognement de douleur, je sens mes muscles endoloris se réveiller et tente de me tourner avec douceur mais fais sans le vouloir un léger mouvement brusque. Poussant un petit cri de souffrance, je serre les dents en sentant les larmes me monter aux yeux, déglutissant en essayant d'ignorer la douleur qui s'est allumée dans mon dos. Bon ok Baekhyun, je me souffle mentalement, tout en douceur, encore une fois.

Lentement, sans desserrer les dents ni ouvrir les yeux, je me redresse de mon lit pour m'y asseoir, regrettant la chaleur de la couette que je dois malheureusement quitter. Une fois debout, j'inspire longuement en ignorant mon dos en feu et fais quelques pas maladroits avant de retrouver mon équilibre pleinement et de me diriger lentement vers la porte. Sortant de ma chambre, ma main vient se frotter à mon œil droit tandis que je pousse la porte de la salle de bain, prenant sur moi à chaque fois que la douleur de mon dos se fait ressentir. Machinalement, je me dirige jusqu'au placard à pharmacie, ouvrant les tiroirs pour sortir le nécessaire qui m'est maintenant une habitude. Tubes de pommades, pansements, antiseptique cutané, compresses stériles, tampons compressifs, tube homéopathique d'arnica montana 9CH, paracétamol et j'en passe. Tout pour mon bien et pour soulager ma douleur.

Sans tarder, je m'active entre les tubes, pots et ciseaux, pansant mes blessures plus ou moins profondes selon les endroits. J'ai toujours eu beaucoup de chance. Malgré que je sois violenté fréquemment, je m'en suis toujours sorti sans réelles graves blessures. J'ai juste eu le poignet cassé une fois, mais c'était dû au fait que j'étais tombé de tout mon poids dessus après avoir heurté le mur. Sinon, malgré la violence des coups que je reçois, je n'ai toujours eu que des marques qui s'estompent rapidement ou des plaies qui se referment sans prendre des mois. Mais à force, je me doute que plus je recevrais de coups aussi brutaux, plus mon corps ne supportera pas et n'effacera pas ces marquages. Et lorsque ce jour arrivera, je ne pourrai plus rien cacher.

À cette pensée, un frisson m'envahit, me faisant grimacer après que mon dos se soit raidit. Non pas que j'ai peur de Baekbom en lui-même mais j'ai surtout peur de la réaction qu'il pourrait avoir s'il s'aperçoit que rien n'est plus dissimulable aux yeux du monde. Habituellement, il fait toujours en sorte de ne pas me frapper au visage pour que personne ne remarque rien, mais hier soir était l'exception qui devait arriver. Résultat, à la vue que j'ai de mon reflet face au miroir, j'ai la lèvre inférieure fendue en deux et donc boursouflée, les yeux pochés de fatigue et les joues encore rouges et légèrement gonflées. J'ai de la chance, j'ai échappé de peu au coquard apparemment...

Soupirant longuement, je range les soins dans leur placard avant de sortir de la salle de bain, descendant les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée. Et à en voir son état, Baekbom est encore parti au travail sans prendre la peine de ranger. Autrement dit, à moi le sale boulot.

Vie de merde, je soupire en commençant à ramasser les débris.

Morceaux de verre, de bois, de plastique, tout y passe et atterrit dans la poubelle. Vient le tour des meubles que je dois remettre sur pieds, du mobilier qui doit rejoindre sa place et de toutes les petites babioles encore intactes qui se retrouvent dessus. Reste le plus pénible ensuite, balayer le sol. Et frotter toutes les tâches de sang et d'alcools qui marquent le carrelage. Au moins Baekbom a fait ça propre, il n'a pas salit le parquet ni la moquette, toutes les tâches se trouvent sur le carrelage comme si c'était fait exprès. Soupirant encore une fois, je m'active donc à récurer le sol, grimaçant tout de même à la douleur encore brûlante de mon dos.

Ce n'est que deux heures plus tard que tout le rez-de-chaussée est propre comme un sous neuf, m'étant appliqué à nettoyer toutes les pièces de fond en comble – même celles préservées du laisser-aller de mon frère, ce dernier n'aura rien à redire en voyant cet état de propreté. C'est bien la seule chose dont il ne se plaint pas encore pour l'instant, le ménage. Et la cuisine aussi, vu que je m'applique à cuisiner de mieux en mieux pour ne recevoir aucun mauvais retour de sa part, je m'améliore constamment et il semble apprécier.

Jetant un œil à l'horloge murale, je m'aperçois que si je veux filer et m'échapper de cette prison qu'est ma maison, je ne dois pas traîner. Même si Baekbom rentre souvent tard le soir, j'ai sûrement encore beaucoup de choses à faire et la cuisine ne se prépare pas en dix minutes malheureusement. Montant jusqu'à ma chambre, je me déshabille des vêtements sales de la veille pour enfiler des propres, la douche sera pour plus tard comme mon état de propreté est encore raisonnable malgré les coups de la veille et mon ménage précédent.

C'est donc avec un pull blanc à col roulé et une veste en jeans par-dessus que je redescends, le regard rivé sur mes chaussettes grises. Ouvrant la porte d'entrée, j'attrape mes clefs pour les insérer dans la serrure et refermer derrière moi avant de verrouiller. Puis, réajustant mon col de veste, j'inspire un grand coup un bol d'air frais avant de m'élancer à l'extérieur, glissant une de mes mains dans la poche de mon pantalon jeans.

*

On dit souvent qu'un regard peut tout changer dans votre vie. Qu'on peut ressentir une attirance, une alchimie, rien qu'en croisant la prunelle de quelqu'un d'autre. Qu'on peut être transporté dans un autre monde, qu'on peut voir des étincelles et voyager rien que par un regard. Et jusqu'à aujourd'hui, je n'y croyais pas.

C'est arrivé lorsque je franchissais la place, le monde présent grouillant tout autour de moi comme à chaque fois. On se serait cru dans une fourmilière, et moi qui était habituellement ochlophobe, me sentais pour une fois rassuré. J'avais cette impression sur l'instant présent que la foule me protégeait du monde, qu'elle m'éloignait de mon frère et qu'elle semblait identique à une carapace solide et tenace. Pourtant, elle ne suffit pas pour me protéger de l'impact qui allait suivre, moi qui pensait qu'une rencontre aussi « choc » se faisait en bousculant quelqu'un, je m'étais trompé.

C'est tout simplement en relevant les yeux que je l'ai vu, près de la fontaine. Grand, très grand, des cheveux bruns ébouriffés qui étaient soigneusement en bataille, de longues et fines jambes ainsi qu'un corps large, fin et svelte. De grands yeux sombres et pétillants, de larges épaules et de longs bras musclés. Un air doux et rieur sur le visage, un regard espiègle et malicieux, un sourire éclatant et rayonnant orné de belles dents blanches. Une aura chaleureuse et rassurante, donnant de loin un sentiment de protection et de sécurité dans une étreinte contre sa personne.

Ce fut la bouche grande ouverte et les yeux révulsés que je restais ébahi à le regarder. Ce fut comme un choc, un voyage à travers un monde inconnu d'où j'atterris seulement en me faisant bousculer par un passant. Agacé, je levais le poing vers lui en prenant un air menaçant mais l'inconnu était déjà parti, continuant sa route sans un regard pour moi. Énervé, je me retournais vers le précédent personnage de mes rêves, laissant un large sourire se dessiner timidement sur mes lèvres. Ce fut avec lenteur que je m'approchais de lui, dissimulé par la masse humaine et me glissant avec aisance entre les gens. Le cœur battant, une douce chaleur remontant de mes entrailles, je me cachais derrière la foule qui entourait l'objet de mon attention qui souriait en chantant.

Cela me frappa directement ; sa voix. Grave, douce, profonde et puissante. Magnifique et me faisant trembler entièrement. Le son des cordes qu'il grattait de la guitare qu'il portait sur lui était belle mélodie pour accompagner l'enchantement que ses cordes vocales produisaient. Ce musicien débordant de joie fut comme une étoile en plein ciel pour moi, et il me perdit autant qu'il me sauva sur l'instant présent. Attiré, je restais à le fixer avec admiration, allant limite jusqu'à de l'adoration. Les pièces tintaient dans sa casquette à ses pieds et les applaudissements battants en rythme avec ses accords emportaient les gens dans une joie de recevoir cette voluptueuse musique.

Ce jeune homme incarnait tout ce que je recherchais : la liberté. Beau, jeune, talentueux et plein de vie, il respirait l'indépendance et le libre-arbitre. Il était la jeunesse et la joie de vivre à lui-même, son sourire enchantait chaque regard, sa voix émerveillait chaque oreille, son physique attirait chaque passant et son talent ravissait chaque personne présente. Et surtout, il avait l'air libre, sans entraves, sans chaînes le retenant attaché, sans rien pour l'empêcher de fuir à travers le monde. Et je ne remarquais même pas à quel point j'étais aveugle. Aveugle face à lui, aveugle face à ce qu'il était vraiment et non ce que je m'imaginais en le voyant, aveugle face à moi, aveugle face à ce que je vivais et endurais. Il fut la première prise de conscience que j'eus, bien qu'encore indirecte et ne me sautant pas aux yeux. Mais il fut l'élément déclencheur qui bouleversa ma vie, et ça, je le sus rien qu'avec un regard. Pourtant j'étais loin de me douter de ce qui allait s'ensuivre à l'avenir...

Lorsque la chanson se termina, je n'avais pas prévu non plus que le grand homme devant moi d'où je zieutais discrètement par-dessus son épaule, se déplace pour se baisser jusqu'à la casquette du jeune musicien avant de tourner les talons et de partir. Me laissant là, immobile, figé, les yeux écarquillés à fixer le jeune homme à la guitare. Les gens se pressèrent aussitôt pour donner une pièce ou non, certains sortant un billet et d'autres échangeant un mot avec le personnage de mes rêves. Ce dernier restait là, dos à la fontaine et le sourire accroché aux lèvres, tenant le manche de sa guitare d'une main et l'autre posée sur sa jugulaire qu'il frottait vigoureusement. Ce détail me choqua, la taille de sa main sur sa peau basanée. Contrairement aux miennes, les siennes étaient grandes et larges, me donnant le sentiment de douces caresses digne d'un ours en peluche sur mon épiderme. J'en frémissais en imaginant ses grandes mains dans mon dos, remonter doucement jusqu'à plonger délicatement dans mes cheveux pour me rassurer comme on le ferait à un enfant. Lui, chantant une douce mélodie telle une berceuse pour que je m'endorme, me rassurant chaleureusement tel un grand frère en me promettant sécurité et attention.

Soudain, le bel inconnu se tourna vers sa droite en éclatant de rire, me faisant face bien que quelques mètres nous séparait, son doux regard se posant sur moi. J'en reçu une puissante décharge électrique, me figeant sur place tandis que mon cœur cessait de battre et qu'une douce chaleur m'enveloppait. Un sourire s'étira sur son beau visage à mon attention avant qu'il ne détourne le regard pour saluer une femme qui venait à lui. Trop choqué par ce qu'il venait de se passer et bien trop bouleversé par les émotions, j'en restais figé là, n'arrivant plus à faire un geste. Mon cerveau s'était déconnecté et ma bouche grande ouverte, mes yeux s'étant écarquillés tandis que tous mes sens étaient en alerte. J'étais déstabilisé, décontenancé, perturbé, bref j'avais tout simplement cessé de vivre. Rien que par un regard...

C'est les enfants qui couraient sur la place et qui passèrent devant moi qui me ramenèrent à la réalité. Ils me sortirent de ma profonde transe, criant sous mes yeux que je papillonne un court instant en reprenant mes esprits. Perdu, je secoue de la tête en me ressaisissant, faisant un pas bancal puis un autre avant de me diriger lentement loin de là. Je fuis, maladroitement mais je fuis en me servant des enfants qui courent comme échappatoire. Je suis tellement perturbé que je ne jette pas même un œil au modèle de mes rêves qui a pourtant retenu toute mon attention. Trop timide après avoir échangé un bref regard qui doit être insignifiant parmi tant d'autres pour lui... Trop faible pour affronter la seule personne qui vient de perturber ma vie. Alors reprenant peu à peu cette illusion d'assurance que j'affiche continuellement, je marche d'un pas rapide loin de lui, tournant le dos à la seule étincelle d'espoir qui vient de raviver ma flamme de vie. Ignorant le nouveau rêve qui grandit en moi à la rencontre indirecte d'une seule personne. Et méconnaissant sans même le savoir, le regard sombre et pourtant pétillant de cet inconnu posé sur mon dos jusqu'à ce que je disparaisse à l'angle d'une rue.

*

Ce soir n'est pas ma soirée. Baekbom est rentré encore ivre du travail me présumant qu'il est passé au bar avant avec ses collègues, et attisant sa colère lorsqu'il est arrivé avec presque deux heures de retard et que le repas était donc froid. Sa main a violemment giflé ma joue, sa voix sèche claquant le silence pour m'ordonner de lui réchauffer son plat. Ne voulant pas l'énerver plus encore, je me suis exécuté. Pourtant, bien qu'il fut satisfait lorsque je lui ai servis son plat, le dessert a réduit mes efforts à néant. Malencontreusement, j'ai fais l'erreur de lui servir le même dessert que la veille au soir, recevant un violent coup de pied qui m'a envoyé valser au sol. Sans un mot, je me suis relevé en gardant le regard baissé sur mes pieds, attendant les réprimandes qui pleuvèrent sur ma personne avant que les coups ne rejoignent les insultes. Pourtant, ce soir quelque chose changea. Peut-être l'idée d'un regard doux et chaleureux, rieur et protecteur, d'une étreinte rassurante et sécurisante, d'un sourire éclatant et rayonnant, d'un visage beau et éblouissant, d'une personne attirante et libre.





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