Thirteen

Son nom était Thirteen. Enfin, peut-être.

C'était le nom que sa génitrice lui avait donné, comme pour signifier que sa naissance fût le plus grand malheur de la vie de la femme.

Elle aimait bien la superstition, elle ne se souvenait pas de pourquoi.

Elle connaissait trois faits :

1) Sa responsable ne l'aimait pas
2) Elle devait devenir plus forte
3) Elle avait trop de connaissances pour son âge.

Le fait que sa mère lui ait arraché les yeux pour lui apprendre à ne pas pleurer lui faisait penser le premier fait. Elle ne saurait expliquer mais elle savait qu'un parent aimant ne devrait se conduire de la sorte.

Les bruits qu'elle entendait régulièrement par la fenêtre qui menait en dehors de là où elle était enfermée lui prouvait le second fait. Si elle ne trouvait pas rapidement un moyen de devenir plus forte, elle sentait que les habitants les plus désespérés de la ville faisaient en sorte qu'elle ne fasse plus rien.

Le troisième fait était directement relié aux deux autres : elle savait lire et compter dans au moins cinq langues que sa mère n'avait jamais employées autour d'elle. Elle connaissait le comportement habituel d'un enfant de son âge malgré n'en avoir jamais rencontré et elle savait en quoi elle différait.
Cette différence renforçait la haine de sa mère et ses connaissances risquaient de la mettre en danger un de ces jours.

Thirteen eut cette dernière réalisation le jour de ses neufs ans, du moins elle pensait car c'était à cette date-là sans faute que sa génitrice la torturait chaque année. Jusqu'à ses...cinq ans (?), la pratique n'était pas tant douloureuse qu'inconvéniente. La douleur empirait graduellement : elle endura la fessée sans trop de soucis à cinq ans, fut fouettée à six, électrocutée à sept.

Cette année-là, sa mère lui fit remarquer que ses geintes incessantes lui grattait aux oreilles et qu'elle y mettrait fin cette année. Si cette année ne fonctionnait pas, ils réessaieraient l'année suivante.
Elle promis cependant que si après cette journée elle cessait de se plaindre si bruyamment, les années suivantes se feraient de façon moins douloureuse.

Elle lui arracha les yeux.

La prochaine offense, rappela-t-elle pendant que Thirteen s'étouffait sur ses sanglots, ce serait ta boîte vocale. La prochaine...On verra, je suppose.

Les deux femmes, car Thirteen ne fut plus considérée une enfant dès le jour où du sang coula entre ses jambes quelques mois avant ses neufs ans, tinrent leur part du marché.

Thirteen appris à taire sa douleur et en échange, sa génitrice se contenta de simples poisons.

C'est là que vint la réalisation que sa gardienne ne l'aimait pas. Pourtant, elle ne s'était toujours pas débarrassée d'elle.

Elle apprit à cuisiner, à nettoyer derrière elle et à se repérer sans se reposer sur sa vue (dont elle était à présent déprivée). Elle apprit à différencier les herbes par l'odeur, à puiser et filtrer l'eau du puit du jardin. Elle avait gagné accès au jardin dès lors qu'elle prouva sa capacité à se repérer seule et à éviter les plantes venimeuses.

Sa génitrice commença alors à rester hors de leur maison pour des durées de plus en plus longues, si bien qu'il ne fut pas étrange pour elle que la femme ne revint pas pendant un mois.
Ce n'est que lorsque trois mois furent passés qu'elle commença à douter. À cinq mois, elle se permit pour la première fois de sa vie (de cette vie ??) de relaxer.

L'année de ses onze (?) ans — elle n'avait plus tellement de repère maintenant que sa mère n'était plus là pour "célébrer"—, elle remonta un garçon du fond de son puit.

***

Il s'appelait Uvogine.

Un grand garçon, plus jeune qu'il n'en a l'air, chose qui lui a bien servi pour survivre.

Il la complimenta sur sa force dès qu'il repris connaissance — elle en était très fière, merci de remarquer — puis s'inquiéta immédiatement du bandeau sur ses yeux.

Malgré l'attachement immédiat qu'elle ressenti, Thirteen ne se sentit pas assez en confiance pour lui révéler son passé. Il comprit, bien sûr, puisqu'il était dans la même situation.

Il resta une semaine, le temps de se remettre de ses blessures, puis lui promis de protéger ce petit jardin de paix qu'elle entretenait.

Il fut le premier mais pas le dernier.

***

Elle était penchée au dessus du puit, tirant sur les rouages pour accéder à son eau lorsqu'un sentiment de déjà-vu s'empara d'elle.

Thirteen s'immobilisa sur le champ. Juste à temps, apparemment puisqu'un fil (de couture ?) se retrouva collé contre sa gorge l'instant d'après.

Elle leva les bras, abandonnant son eau dans le puit pour signaler son impuissance.

Un bruit sourd retentit, comme le son d'un sac à patates tombant au sol.

Elle s'appelait Machi.

Elle lui décrivit son entourage : les couleurs, les impressions, l'impacte de ce que l'on voit sur ce que l'on pense.

Elle lui raconta avoir entendu parler de sa maison par Uvogine, qu'elle référa en tant que Uvo.

Elle lui parla de leur bande d'amis, de leurs connaissances diverses qui leur avaient permis de survivre.

Elle décrit chaque personnalité, elle peint aux yeux de Thirteen la première image d'une famille.

Elle adora les deux semaines qu'elle passa aux cotés de Machi.
Leur lien ne s'était pas formé par obligation d'un quelconque cohabitation comme avec Uvogine mais simplement par une curiosité mutuelle.

C'est pourquoi elle s'inquiéta de ne pas trouver Machi à son réveil après deux semaines.

Elle était partie sans un mot.

***

Q

uelqu'un était chez elle.

Ce n'était pas la même situation que les deux fois précédentes. Cette fois, elle sentit une animosité distincte.

Elle s'empara du couteau le plus aiguisé de sa pauvre cuisine : le couteau à viande.

Une main surgit pour attraper son poignet, elle poignarda son attaquant aussi vite et fort que possible, là où elle savait qu'il y aurait de la chaire puisqu'une main y était rattachée.

Pourtant, son attaque fût vaine : bien qu'elle sentait la peau de son adversaire autour de la lame de son couteau, aucun cri de douleur ne retentit et l'autre personne ne sembla avoir aucune autre réaction qu'un simple mouvement de surprise instinctif......quoi ?

Qu'est-ce que...?

Les deux individus se regardèrent, ne semblant comprendre la situation.

Enfin, l'autre personne regardait Thirteen silencieusement pendant qu'elle tentait de saisir exactement ce qu'il venait de se passer.

La situation sembla soudain s'inverser : dans son incompréhension, la jeune fille avait saisi le poignet de son adversaire afin de l'inspecter.

Elle lui découvrit un corps bien malnourit ainsi que des trous cicatrisés dans tout le bras — elle imagina que cela s'étendait au reste de lui.

Lorsqu'il tenta de récupérer son poignet d'un mouvement instinctivement défensif, une mélodie retentit.

Il s'appelait Bonolenov et cette fois, ce fut elle qui parla de ses amis.
Il partit le lendemain, après avoir profité de la cuisine de Thirteen.

Elle ne sut jamais ce qui le mena chez elle.

***

Ce jour-là, elle se réveilla angoissée, elle avait le sentiment étrange qu'elle devait dire adieu au seul refuge qu'elle ait jamais connu.

C'était étrange, elle ne pouvait décrire ce sentiment comme un instinct de survie car quelque chose lui disait qu'elle ne mourrait pas à cette date.

C'était une simple impression : celle qu'après aujourd'hui, elle reviendrait pas en ce lieu avant bien longtemps.

Sans un bruit, elle traversa sa maison, rangeant chaque pièce et plaçant dans un sac à dos tout ce qu'elle voudrait emporter.

Elle ne possédait pas beaucoup, après seulement deux ans à vivre seule, mais elle emporta également les objets étranges que sa mère lui avait toujours interdit de toucher. Elle voulait les étudier.

Lorsque le moment vint où elle sentit plusieurs présences juste devant sa porte, elle prit la décision d'emporter le gros couteau à viande dans un torchon qu'elle attacha à sa ceinture.

La sonnette retentit.

Elle tourna une dernière fois la tête vers sa demeure, faisant le deuil de l'enfance qu'elle n'avait pas eu.

Elle baissa le bandeau qui cachait les trous béants qu'étaient ses yeux autour de son cou.

Juste un petit test.

***

Au final, aucun n'avait réagi, ou du moins aucun de manière évidente, par rapport à ses yeux. Le sac avec toutes ses affaires préparées fut accueilli par un murmure parcourant ce qui lui sembla être un foule.

"J'ai eu un pressentiment" elle se sentit obligée d'expliquer.

"On vous informera de ce que vous devez savoir dans la voiture"

Sur ces mots, l'homme qui semblait être en charge lui tint la main afin de la guider.

Elle ne put s'empêcher de noter la douceur avec laquelle il l'avait approchée.

***

Il s'appelait Goto, il était le chef des serviteurs de la famille Zoldyck, connue pour avoir produit de nombreux assassins.

Leur Madame les avait envoyés pour la chercher.

Elle était apparemment tout ce qu'il restait de sa sœur. Thirteen savait qu'il parlait de sa génitrice.

Ce devait être pourquoi personne n'avait réagi à la vue de ses yeux.

La femme était originaire de la ville de l'étoile filante — c'était la ville dans laquelle elle se trouvait jusque là. Personne n'avait pensé le lui dire.

Les deux sœurs s'étaient fait connaître dans leur jeunesse par leur cruauté. L'une obtint un mariage à un assassin de renom, l'autre fut victime de la vengeance d'un homme à qui elle avait tout pris.

Thirteen était le résultat de cette vengeance. Elle était également la seule famille qu'il restait à sa génitrice, après l'abandon de sa sœur. La jeune fille déduisit cette dernière partie par elle-même.

Goto lui confirma la mort de sa gardienne, lui expliquant qu'à présent elle continuerait son éducation dans le château Zoldyck.

Il ne put lui définir son exacte position au sein de la propriété.

À son arrivée à Kukuru Mountain, le volcan sur lequel la famille Zoldyck et leur personnel résidait, elle profiterait de sa première — et probablement dernière — audience avec le patriarche.

Elle aurait alors l'occasion de poser ses questions.

***

Elle n'eut droit qu'à la main de Goto pour se repérer.

Elle comprit le raisonnement : ils ne pouvaient laisser une étrangère mémoriser le chemin menant aux quartiers privés de leur patriarche.

Le majordome l'accommoda du mieux qu'il pût : ils se déplacèrent doucement, il prit garde de la prévenir du moindre caillou, de la moindre marche à monter.

Elle sut qu'ils étaient en intérieur dès qu'elle ne sentit plus le vent glacial frapper ses joues. À cette hauteur, il était bien plus dur de se réchauffer — elle avait bien senti la voiture monter pendant ce qui lui sembla être là moitié du voyage. Elle se demanda comment ils faisaient en hiver....

Elle entendit au loin des cris de douleur, lui rappelant ses anniversaires passés.

Sa main se resserra automatiquement autour de celle de Goto.

Pas un mot ne fut échangé.

***

Les premiers mots que le patriarche prononça à son arrivée furent pour congédier le majordome.

Dès que sa main quitta la sienne, Thirteen perdu tout repère. Une panique irrationnelle s'emprit d'elle.

Elle était seule dans une pièce fermée avec un homme de pouvoir dans tous les sens du terme.

N'importe quoi pourrait lui arriver et personne ne l'entendrait. Pire, même si quelqu'un l'entendait, personne ne lui viendrait en aide.

Peut-être la relation qu'il entretenait avec sa femme n'était pas bonne et qu'il se défoulerait sur elle.
Peut-être qu'il était frustré et que son rôle serait de l'aider à relâcher ses pulsions.
Peut-être qu'il avait une bonne relation avec sa femme mais que celle-ci n'aimait pas sa sœur et voudrait faire de ce qu'il reste d'elle une esclave.
Peut-être—

Sa respiration s'était accélérée, elle avait de plus en plus de mal à attraper et conserver de l'air dans ses poumons, elle avait mal à la tête et un bourdonnement sourd l'empêcher d'entendre son propre souffle.

Elle paniquait. Elle le savait. Cependant, cela ne signifiait pas qu'elle pouvait s'arrêter.

Des dizaines de scénarios lui venaient à l'esprit, renforçant sa panique—

Une grande main entoura doucement la sienne, toujours étendu à la recherche du majordome.

Ses pensées se taisèrent sur le champ, la laissant paralysée.
Elle retint son souffle.

La seconde main de l'homme vint caresser son sourcil droit très légèrement, comme s'il avait peur de la blesser.

"Que t'es-t-il arrivé ?"

Sa voix était la même que celle qu'il avait employée pour demander à Goto de quitter la pièce.

Pourtant, malgrès l'indifférence apparente dans sa voix, la douceur avec laquelle il caressa sa peau en-dessous de là où devrait être son œil réprouva cette idée.

Oh.

Cet homme ne lui ferait aucun mal.

"C'était le cadeau d'anniversaire de ma mère pour mes huit ans."

Devoir référer à sa génitrice comme sa mère la dégoûta au plus haut point.

Pourtant, ce qu'elle venait d'apprendre sur le passé de la femme l'intriga assez pour la pousser à l'appeler ainsi.

Elle avait, après la conversation dans la voiture, établi deux objectifs pour elle-même.

1) Apprendre le plus de choses possibles sur sa génitrice.
2) Apprendre le plus de choses possibles sur son géniteur.

Objectif 2) incluait le sous-objectif de se venger de cet homme pour la femme qui lui avait donné la vie.

Si la conversation avec Goto avait radouci un peu sa colère envers celle qui l'avait élevée, elle avait également renforcé celle qu'elle entretenait pour l'homme qui avait ruiné leurs vies.

Thirteen s'était résigner à pardonner les péchés de sa génitrice, si c'était ce qu'il fallait pour en apprendre plus sur elle.

C'est pourquoi elle prononça ces mots avec un petit sourire.

Un court silence suivit.

"Mon nom est Silva Zoldyck, ma femme se nomme Kikyo, mon premier fils, Illumi a 11 ans. Quel âge as-tu ?"

"12 ans monsieur."

"Bien. Tu serviras d'aide pour ton cousin, tu as un an pour apprendre le plus de choses possibles auprès des serviteurs."

Cela signifiait qu'io lui donnait moins de pouvoir que ses descendants mais plus que ceux qui, comme Goto, étaient en charge d'organiser et de diriger les employés.

Un aide signifiait qu'elle devrait encourager le jeune maître et lui donner conseil, même si cela signifiait le contrarier.

C'était... Presque une position dans la famille.

"Y a-t-il une durée limitée pour cet emploi ?"

Attendait-t-il d'elle qu'elle soit au service du jeune homme pour le reste de sa vie ?

"Jusqu'à l'anniversaire des dix-huit ans d'Illumi."

"Bien monsieur. Ce contrat est-il valable dès les douze ans du jeune maître ?"

"C'est exact. Ton entraînement commence demain. Je vais informer les responsables des domestiques."

"Oui monsieur." Elle inclina la tête dans sa direction.

Ses mains la quittèrent en douceur, de façon à ne pas la faire paniquer une seconde fois.

La porte se referma derrière lui et elle se résigna à attendre qu'il revienne.

***

Fin du premier chapitre !!
N'hésitez pas à me faire part de votre ressenti (⁠.⁠ ⁠❛⁠ ⁠ᴗ⁠ ⁠❛⁠.⁠)

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