Chapitre 34
En temps normal j'aurais protesté. Je me serais défendu. J'aurais cherché pourquoi l'on m'accuse d'un tel crime. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui je sais que rien de tout ça n'est le hasard. Si je suis là, c'est qu'il y a une raison. Une raison précise. Oui j'ai tué. Oui j'ai pris la vie de quelqu'un.
Et est-ce que je m'en veux ? Pas le moins du monde. Si c'était à refaire, je le referais.
Il y a un an, j'étais aussi ici. Entre ces murs même. C'est presque comme si je pouvais me revoir, assis par terre, attendant que les heures passent et que les jours interminables d'Esteria m'achèvent en plein.
Mais aujourd'hui, je ne réalise même plus. Ma vie n'est que révélation sur révélation et c'est à peine si on me laisse le temps de tout digérer.
Mon père est le roi des esprits. Ma mère était une chasseuse. Mon frère lui, un psychopathe. Et moi dans tout ça ? Un soi-disant « Prince » accusé de meurtre. Un demi. Moitié homme. Moitié chat.
Je ne sais même pas ce que je dois ressentir. Colère, joie, peine, tristesse, honte, bonheur, stupéfaction... J'ai l'impression d'être vide et de n'avoir qu'à appuyer sur un bouton pour qu'une émotion m'envahisse. Mais laquelle ?
Mon père est en vie et je ne sais même pas si je peux l'appeler « papa ».
Sur le moment, je commence à comprendre ce que ressentait Amélia vis-à-vis du sien.
« - Laissez-nous. »
Une directive résonne au bout du couloir et des pas, lourds, s'approchent. C'est lui. Il prend appuie contre le mur derrière lui, s'adosse, croise les bras, prends un air grave et finit par soupirer. Il a l'air tout aussi paumé que moi.
« - Je présume que tu dois avoir des questions. »
En ai-je vraiment une ?
« - Malheureusement tu es accusé d'un crime grave et tant que nous n'aurons pas la preuve formelle de ton innocence, tu resteras ici-bas.
- D'accord. »
Il lève un sourcil. Je l'intrigue peut-être. Enfin moi-même je me trouve étonnamment calme. Ça me surprend.
« - N'as-tu dont rien à me dire ?
- Aurais-je quelque chose à te dire en particulier ? Comme « Je suis content de te voir » ? Dois-je t'appeler « Papa » ou « votre Majesté » ? Ou peut-être que tu t'attends à ce que je te hurle toute ma peine au visage en te demandant ce que tu as fait ces 18 dernières années ? Pourquoi tu nous as abandonnés ? Rêve. Je ne te ferais même pas cet honneur.
- Je comprends. Je ne m'attends pas à ce que notre relation soit... Comme avant.
- T'en as peut-être un souvenir mais pas moi. Et entre nous ? Ça m'arrange.
- Ne le prends pas comme ça. J'avais mes raisons. J'espère seulement qu'avec le temps, tu les comprendras.
- Le temps ? Je doute qu'il m'en reste beaucoup.
- Je sais ce qui se passe sur Terre et j'aimerais aider. Vraiment. Mais il y a tellement d'affaires qui m'attendent ici que...
- Non mais tu sais, la Terre saura très bien se débrouiller sans toi. Après tout, elle a survécu jusqu'à présent non ?
- Dois-je comprendre un quelconque sous-entendu ?
- Comprends ce que tu veux...
- Tu sais, tu as le même entêtement que ta mère. Tu lui ressembles vraiment beaucoup. »
Ma mère. Ma mère est morte quand j'avais 12 ans. Emportée par une maladie inconnue mais on sait, que dans ce monde, des maladies « inconnues » y'en a des tonnes. Depuis, j'avais été pris sous l'aile d'Helena qui a fait du mieux qu'elle pouvait avec moi. Je n'ai pas toujours été facile.
J'ai eu mes moments et je les ai toujours je crois.
Avec le temps, le souvenir de ma famille s'efface. Je me souvenais même plus quelle tête avait mon père et ma mère, comme lui, disparaît à son tour. Le son de sa voix ? Je l'ai oublié. La couleur de ses yeux ? Je l'ai oublié ? Les traits de son visage ? Je les ai oubliés. J'ai fini par n'avoir en tête, qu'une vague image.
Alors quand Magnus m'a parlé de me faire comprendre « l'avant », j'ai ri. Intérieurement j'ai ri. Parce que je ne sais tout simplement plus ce qu'il y avait « avant ».
« - Les lois ici sont différentes. Tes amis auront un droit de visite régulier mais nous entendront la demi dans cette affaire.
- Elle s'appelle Raya.
- Raya... C'est un joli prénom. Tu l'aimes bien ? »
Je n'ai même pas envie d'avoir ce genre de conversation avec lui. Pas maintenant. Ni même peut-être jamais.
« - Je présume que ton silence en dit long... Sur ce, je ne vais pas m'attarder mais quand le moment sera venu, je te dirais pourquoi je suis partis. »
C'est ça.
Au fond, il n'avait pas tort. Ça me faisait juste mal de l'admettre. Je voulais des réponses. Je voulais comprendre. Je voulais qu'on me dise pourquoi, je me suis retrouvé seul.
À peine quitte-t-il le couloir qu'un nouvel invité fait son apparition.
Raya.
« - Oh, je suis déçu, tu n'as pas les clés ni un garde sous le coude ? rigolais-je en la voyant arriver la mine attristée
- Ce n'est pas drôle. C'est de ma faute si tu es là. Je devrais aller le dire au Roi.
- Raya... Tu sais très bien que non.
- On dirait que cela ne te gêne pas toi de passer ton temps en prison. Entre sur Terre et ici.
- Disons que tout est une question de perspective. Dis-moi alors ? Ils vous traitent bien ?
- Assez. Comme on est liés à la déesse de la nature, ils sont relativement sympas avec nous. Je m'attendais à pire. Mais tu mériterais d'être avec nous.
- On ne va pas en rediscuter.
- Mais moi ça ne me plaît pas ! »
Sa voix qui faiblissait au fur et à mesure de la conversation vient soudainement de gravir un échelon que je ne connaissais pas encore.
Elle s'approche de la cellule, pose sa main sur les barreaux et plaque son front entre le petit espace.
« - Rien de tout ça ne me plaît. Rien ! Pourquoi ça serait à nous de nous sacrifier pour réparer tout ça ? Pourquoi c'est à nous qu'on demande de sauver le monde ? Pourquoi c'est à toi qu'on demande l'impossible ? Pourquoi c'est toujours TOI ?! Le monde est vaste, il y a d'autres personnes tout aussi apte. Sans doute meilleures même ! Pourquoi c'est à toi que l'on demande d'aller à la mort sans sourciller ?! »
Je n'ai pas su lui répondre parce qu'au fond, je ne comprenais pas non plus. Je ne me fais pas martyr et d'un certain côté, j'ai ma part de responsabilité dans tout ce qui arrive mais Amélia a toujours été une déesse...
Je ressens à nouveau cette gêne dans ma poitrine. Ce pique de couleur comme si j'étais poignardé. Alors je comprends, je comprends que Raya souffre. Je m'empresse de me lever, mettant mes mains sur la sienne. Plaquant mon front contre le sien.
« - Écoute... Je te promets qu'une fois que j'aurais résolu tout ça, ça ira mieux.
- On ne sera jamais comme avant... Toi et moi...
- Raya...
- Non ! »
Elle s'écarte brutalement, les joues en feu, le regard empli de colère.
« - Pendant un an j'ai été là ! Je t'ai recueilli, je t'ai sauvé la vie maintes et maintes fois, j'ai soigné tes blessures, je t'ai couvert, je t'ai suivi. Je t'ai tout donné ! TOUT ! Et elle ? Est-ce qu'elle vaut vraiment que tu t'y risques ainsi ? Elle vaut tout ça ? Combien de fois t'a-t-elle brisé le cœur ? Combien de fois s'est-elle énervée contre toi parce qu'elle ne comprenait même pas ?! Elle ne comprendra jamais ! On appartient ni à la Terre, ni à Esteria. Nous ne sommes ni Humain, ni Esprit. Mais toi et moi, on peut être quelque chose. On avait commencé et tu le sais aussi bien que moi ! Tu n'as qu'un mot à dire et je te fais sortir d'ici. On n'aura qu'à fuir ensemble. Le monde est vaste, ils ne nous retrouveront jamais ! Mais au moins, on sera ensemble... Au moins...tu seras sauf. Au moins...
- Au moins, je saurais que tu m'aimes ? »
Faisant volte-face j'ai l'impression que d'un seul coup d'œil, toute sa haine et toutes ses émotions auraient pu avoir raison de moi. L'espace d'un instant, j'y ai cru.
« - Ose me dire que tu n'as rien ressentis ? Ose me dire que tu ne ressens rien même aujourd'hui ?!
- Raya...
- DIS-LE KYLE ! DIS-LE !
- OUI ! »
Le silence tombe, laissant un blanc entre nous. Je me rends seulement compte de ce que je venais de dire.
Seulement maintenant, je me rends compte de ce que j'ai caché, enfoui et enterré au plus profond de moi-même.
Je n'ai jamais cessé de me mentir en réalité.
« - C'est vrai, je t'ai aimé et peut-être même que je t'aime encore, je n'en sais trop rien. Depuis un an ma vie est un bordel monstre et je n'ai même pas eu le temps de poser mon cul cinq minutes pour réfléchir à où j'allais ou même à ce que je faisais. Oui, y a eu quelque chose entre nous parce que t'étais différente ! T'étais comme moi. T'étais la première. Je pensais que tu me comprendrais. Je pensais qu'avec toi, je n'aurais pas à me cacher et à mentir à tout va. Je pensais que les choses seraient simples, c'est vrai ! Mais voilà la vérité... Rien n'est simple ! Ni nous, ni le monde qui nous entoure.
- Alors pourquoi tu me fuis ?
- Parce que ! Parce que... Parce que ce que je ressens pour toi, c'est différent de ce que je ressens pour Amélia.
- Nous y voilà hein ? C'est elle et personne d'autre...
- Je suis tombé amoureux d'Amélia comme on attrape une maladie : sans le vouloir et sans le comprendre. C'est arrivé, c'est tout. Au début, j'avais peur d'elle. Oh oui, elle me foutait la trouille bon sang. Elle est entrée dans ma vie en défonçant la porte de mon cœur à grand coup de pied. Elle était déjà à côté de moi avant même que je n'eus le temps de me faire à elle. Et elle s'est accrochée à moi. Elle s'accroche sans doute, toujours, à moi. Tu es différente, c'est vrai mais Amélia... Amélia elle est carrément spéciale. Et c'est vrai que je pourrais mourir pour elle. J'ai huit vies, qu'est-ce que ça peut me foutre ? Je peux bien lui en consacrer une même deux, même trois ! Je lui consacrerais toutes mes vies et toute MA vie si je le pouvais. Mais tu vois, si elle est comme ça maintenant, c'est à cause de moi. C'est parce que j'ai rompu une promesse. Une vieille promesse. NOTRE promesse. Je l'ai rompu parce que j'ai été égoïste et idiot. J'ai pensé qu'à ma gueule avant de penser à tout le mal que je laisserais derrière moi. J'ai pensé à moi avant de penser au mal que je lui ferais. Alors oui, je m'en veux maintenant et je cherche absolument à me rattraper. Oui je veux la sauver et je veux lui avouer que je ne pourrais pas passer mes huit prochaines vies sans elle. Tu le comprends ça ? »
Et avant que je ne me rende compte de l'incompréhension naissant dans le regard de Raya, elle disparaissait déjà à l'autre bout du couloir.
Je suis désolé. Pardonne-moi.
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