Chapitre 30
Après trois jours de route et d'interminables chansons de groupes chantées à tue-tête, nous voilà finalement à destination : Ygdressa.
Contrairement à Irita, la ville était beaucoup plus petite, plus festive et joyeuse. Les marchands ambulants n'étaient pas ce qui manque à chaque coin de rue, les passants vous souriez, vous saluez même sans savoir qui vous étiez et même l'architecture des bâtiments était... Différente. La ville respirait le vieux, le monument, l'histoire. Tout était encore en pierre apparente, en bois mais toujours avec plein de couleurs. C'était à la fois rigolo à voir et très moche sous certains angles.
L'adresse que m'avait indiquée Helena dans sa lettre nous conduisit jusqu'à un vieux temple gigantesque trônant sur la vallée, surplombant la ville. Comme dans les films, il était entouré d'une palissade de bois énorme et d'imposantes portes aux gravures étranges nous faisaient face.
« - Qu'est-ce que l'on fait ? On frappe ? demanda Hayley
- Je pense que nous n'avons pas le choix...répondis-je en m'approchant »
Mais à peine avais-je levé la main en l'air que les portes s'ouvrirent immédiatement et qu'un vieil homme nous apparut.
Lui aussi... N'était pas...normal.
« - On dirait ton grand-père, marmonna Hayley »
Et sur le moment, j'en ris. Le vieil homme avait de longs cheveux blancs comme neige et un teint hâlé comme le mien. Ses petits yeux légèrement bridés lui donnaient un air de sage des montagnes comme on n'en croise plus de nos jours.
« - Bienvenue au Temple des trois sages. Veuillez me suivre. Votre visite était espérée. »
On haussa les épaules, se contentant de suivre ce vieux bonhomme sans trop se poser de questions. Si Helena était amie avec cet homme, en présumant qu'il s'agisse bien de lui, alors il devait forcément y avoir une raison pour qu'elle me dise de venir ici.
On le suivit entre deux couloirs, puis une porte sur la droite, puis un autre couloir, donnant sur une autre porte à gauche cette fois, et enfin un énième couloir donnant sur une immense salle.
« - Patientez ici. »
Tout le monde déposa son sac à dos, la plupart des enfants s'asseyaient même par terre. Trois jours de mini-van, ça vous tasse les fesses.
On attendit et attendit. Cinq minutes, puis dix, puis trente... Puis l'heure passa et une seconde. On en était venu à la conclusion qu'on nous avait complètement zappés mais juste au moment où Hayley et moi, on amorça une descente vers le sol... Les portes s'ouvrirent à nouveau.
« - Le maître demande à vous voir. Seul. »
Finalement, ce n'était peut-être pas lui le vieux que je pensais croiser. Tout de suite en entendant « le maître », je me suis imaginé comme l'un de ces films d'arts martiaux avec un vieux maître à la longue moustache blanche et à la tête à moitié endormie.
Mais ma surprise fut toute autre en entrant dans la pièce.
« - Je vous laisse discuter. »
Encore une fois, on referme derrière moi. Il n'y a qu'un chat à moitié endormi sur un énorme pouffe et moi. Un chat sur un pouf, sur une estrade et moi. Dans le silence. Il ne bouge pas. Ne bronche pas. Ne lève pas un œil en ma direction et j'ai immédiatement l'impression que l'on me prend pour un idiot.
« - C'est ridicule...
- Qu'est-ce qu'est ridicule ? Devoir faire face à un chat ou en être un ? »
Sa voix était singulière. Bien trop pour que je puisse la décrire. Je me retourne vers la bête et de ses grands yeux verts, j'ai l'horrible sensation qu'il me met à nu. Sans même bouger. Sans même parler.
« - Je suis venu...
- De la part d'Helena, je sais. Je sais aussi pourquoi tu es ici. Je sais qui tu es. Ce que tu es.
- Si vous savez tant de chose, alors vous pourriez me dire ce que moi je ne sais pas non ?
- Et qu'est-ce que tu ne sais pas K.Y.L.E ? »
Rien que de l'entendre décomposer mon nom de la sorte me donne la chair de poule.
« - Comment sauver le monde. »
Je le regarde bondir et s'installer sur ma tête. Il ronronne.
« - C'est simple. Tu ne peux pas le sauver. Ce n'est pas à toi de le faire. Toi, tu n'es rien. Rien, ni personne. Ou du moins... Pour l'instant.
- Que suis-je supposé comprendre ?
- Que tu n'es pas prêt. Tout simplement.
- Prêt à quoi ?
- À être ce que tu es censé être.
- Et je suis censé être quoi ?
- Patience... C'est pour ça que tu es là non ?
- Justement, je viens de dire que je ne sais pas ce que je fais là.
- Si tu le sais... Tu viens chercher des réponses et les réponses, je les ai. »
Ok. Ma vie est un film. D'abord ma copine devient une déesse ou en a toujours été une. Ensuite mon psychopathe de frère s'amuse à tuer tout le monde autour de moi et là, un vieux matou cherche à me faire une leçon de philosophie tout en me torturant les méninges.
Je sens que je vais apprécier.
« - D'accord. Ok. Très bien. Si vous avez toutes les réponses du monde. Dites-les-moi.
- Ahahaha, non. Cela ne fonctionne pas comme ça. Pose tes questions et j'y répondrais.
- Mais je viens de la poser ma question. Comment suis-je supposé sauver le monde ?
- Pose une autre question. Je n'aime pas celle-là.
- N'êtes-vous pas censé me répondre ?
- Si, mais je n'aime pas ta question. Changes-en.
- Non, je veux mes réponses.
- Alors je n'y répondrais pas.
- Si.
- Non.
- Si.
- Non.
- Vous commencez sérieusement à... »
Garde ton calme. C'est le propre des chats. Sournois. Manipulateurs. Versatiles surtout. Ces bêtes changent d'avis comme de petites souris.
Et le pire dans tout ça, c'est que j'en suis un.
« - Avant de pouvoir t'attarder sur le « maintenant », tu dois comprendre «l'avant ».
- Avant ? Je n'ai rien besoin de comprendre d'avant. Je sais d'où je viens.
- Oh vraiment ? Le sais-tu? Tu penses le savoir mais tu es loin de la vérité. »
Encore un truc du genre et je jure devant Dieu que je le balance par la fenêtre.
« - Faisons-la autrement vieux matou... Je vais m'asseoir... Là, sur ce pouffe et je vais attendre que vous me dites tout ce que vous avez à me dire car honnêtement, les devinettes et les délires de ce genre-là, ce n'est pas mon truc.
- Je vois que tu as exactement le même comportement que ton père. C'est regrettable. »
C'est là que je suis censé crier « stop » à ce moment de l'histoire et me retourner brutalement pour le dévisager en me demandant comment il peut connaître mon père.
Un père que moi, je n'ai jamais connu.
Un esprit.
Un descendant d'une longue lignée royale.
« - Oh ? Tu ne tiques même pas ? Là c'est admirable.
- Je ne marche pas, c'est différent. Il n'y a aucun moyen pour que vous puissiez connaître mon père. Il est mort il y a des années de cela.
- Le crois-tu ? Notre espèce est vouée à mourir, certes, mais cela ne nous arrête pas. Tu devrais le savoir mieux que quiconque. Tu ne t'es jamais posé la question ? N'as-tu dont jamais fait le rapprochement ? »
Et là, j'ai l'impression que quelque chose me traverse. Ma soudaine stupidité, mon ignorance ou cette chose sur laquelle ne saurais mettre un nom ?
« - Tu vois, le problème avec toi c'est que tu n'as jamais pris le temps de voir plus loin que le bout de ton nez. Je t'ai observé. Je t'ai vu grandir, évolué et devenir un homme. Je me suis intéressé à toi. Et enfin j'ai ri. J'ai vraiment ris. Ta vie est une comédie avec une pointe de pathétique et de dramatique. Et maintenant que tu t'aperçois de ça... Tu viens ici. Seulement maintenant.
- Qu'est-ce qui vous permet de...
- De quoi ? De critiquer ta misérable vie d'être humain ? Je vais te le dire, gamin. Tu n'es pas humain... »
Soudainement, il s'est mis à grossir, grossir, grossir, prenant toujours plus de place, m'écrasant littéralement pour enfin prendre tout l'espace de la pièce.
« - Et moi je suis Magnus, serviteur du premier roi des esprits, premier « chat » de la création mais également ton ancêtre P.E.T.I.T. Et tu me dois le respect.
- Comme si j'allais marcher dans ça ! criais-je en essayant de m'échapper de son emprise
- Tu ne marcheras pas, oh non ! Tu courras. Tu feras ce que je te dirais de faire. Tu obéiras. Comme ils ont obéi avant toi.
- Ou sinon ?
- Sinon ? La déesse sera ton dernier souci. Crois-moi. Tu ne pourras fuir dans aucun monde. Je te retrouverais. Maintenant, tais-toi et écoute. Tu veux sauver le monde ? Tu veux des réponses ? Observe. Tu veux défier la déesse qui se déchaine ? Apprends. Tu veux abattre ton frère ? Combat. Crois-moi gamin, tu ne sortiras pas d'ici si tu n'es pas prêt.
- .............
- Tu vas pleurer. Tu vas suer. Tu vas saigner. Mais peut-être qu'à la fin, tu seras plus un esprit digne de ce nom qu'un humain dégoûtant. Prépare-toi. Leçon n°1 : Histoire ! Suis-moi.
- ..............
- Et ne t'avises même pas de m'appeler « papy ».
- Nullement mon intention... »
Et c'est à partir de ce jour, à partir du moment où mes yeux se sont posés sur Magnus, que les choses ont commencé à changer, que le vent à commencer à tourner.
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