Chapitre 1

Un an et demi. Cela va faire maintenant un an et demi que je suis revenu et tellement de choses ont changées. Peut-être trop à mon goût, faut dire que je n'ai jamais été un grand adepte du changement. J'aimais cette routine quotidienne. J'aimais me lever le matin avant tout le monde, rester des heures entières, adossé à la porte d'Amélia, la regardant dormir. J'aimais la tête de Mima au réveil, toujours surprise de me voir debout bien avant elle. J'aimais la regarder préparer le petit déjeuner et je m'étais habitué à le partager avec elles.

Je me satisfaisais de peu. Je m'en serais satisfait toute ma vie si j'avais pu, si j'avais eu le choix.

Mais aujourd'hui, la maison est pratiquement vide et il ne reste que moi.

Je suis seul, comme au départ.

N'aurais-je pas dû faire ce que j'ai ce jour-là ? N'aurais-je pas dû prendre cette initiative et empêcher Amélia de regretter son geste ? Au fond, je me demande si elle aurait eu une once de regrets. Elle était d'une tout autre trempe. Amélia était le genre de personne forte et indépendante. Elle n'avait besoin ni de quelqu'un, ni de quelque chose. Elle traçait son chemin d'elle-même. Amélia était une tornade. Elle emmenait tout le monde avec elle.

Malgré tout j'ai découvert des aspects de sa personnalité que je ne croyais pas existant chez elle. J'ai découvert la Amélia douce, tendre, aimante. J'ai découvert la guerrière, la barbare. J'ai découvert celle prête à tout. Prête à tout risquer jusqu'à sa vie pour les autres. J'ai découvert une nouvelle personne que je ne pensais pas existante. Je veux dire, la première fois que j'ai posé les yeux sur elle, j'ai eu envie de rire. Un rire fort et moqueur mais elle avait une sale tête avec ses cheveux châtains en bataille, son air pâle, ses yeux fatigués et en plus, elle aboyait comme un caniche enragé. Oui, au début, j'étais loin de l'aimer et je pense que c'était réciproque.

Mais aujourd'hui, Amélia n'est plus là. Aujourd'hui, Amélia est partie. Elle est partie à cause de moi. À cause de nous. À cause de tout.

Je ne l'entendrai plus rire. Je ne l'entendrai plus hurler. Je ne l'entendrai plus chanter sous la douche. Je ne l'entendrai plus crier et se plaindre. Je ne l'entendrai plus insulter les meubles contre lesquels elle avait l'habitude de se cogner. Je ne l'entendrai plus parler dans son sommeil.

Oui, je n'entendrais plus sa voix et parfois, dans le noir, je me demande si je me souviens encore de chaque décibel et de chaque son de cette dernière. J'aimerais dire que ça me manque, qu'elle me manque, que sa présence me manque et que son ton provocateur me manque mais je n'ai pas envie de m'apitoyer sur mon sort. Après tout, je l'ai bien cherché.

Tout ça, c'est de ma faute non ?

Vous vous demandez sans doute ce qui s'est passé ce jour-là dans le cimetière ? Quand pour la première fois en un an, nos regards se sont croisés à nouveau, il y a six mois de cela.

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« - Ne dit-on pas que les chats ont neuf vies ? »

Un an s'est écoulé et maintenant que je me retrouve face à elle, tout ce que je trouve à faire c'est le plaisantin mais mon sourire s'efface quand je vois toute la douleur et toute la peine du monde s'inscrire dans son regard. Amélia est brisée. Décomposée. Amélia est encore en deuil. Mon deuil. Partagé par le sentiment de devoir la prendre dans mes bras, j'hésite pourtant à avancer vers elle, comme si je comprenais que si j'osais, elle allait m'échapper.

Si tu savais comme je suis désolé. Si tu savais... 

« - Je ne crois plus aux esprits, dit-elle sèchement. »

Elle me passe à côté, tellement près que nos épaules se frôlent. Tout mon corps me crie de la retenir mais je ne bouge pas. Pourquoi ? Bouge... Bouge...BOUGE BON SANG !

« - Parce que tu crois que je suis un spectre ? Une image ? Une illusion ? »

Ma main vint saisir la sienne et nos doigts s'entremêlent, une nouvelle fois, comme s'ils s'en souvenaient pour nous.

Et toi ? Toi te souviens-tu de nous ? 

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Mais c'est sans un mot qu'elle partit ce jour-là. Sans un mot, le regard vide, l'âme brisée.

Qu'avais-je fait ?

Je n'ai cessé de me torturer l'esprit, d'y penser. L'image de son sourire jusqu'à présent gravé, s'efface pour ne laisser que cette image-là. L'image d'une triste réalité.

Ma réalité.

Quand ils eurent appris que j'étais revenu, Tara et Nico passèrent me voir, me sautant au cou, pleurant et bien-sûr, malgré le tact de Nico, Tara, elle ne me ménagea pas. Je ne pouvais que comprendre son intention et son geste, sa prévention. La solidarité féminine à ce qu'ils disent maintenant... Pour elle, je devrais laisser du temps au temps. Je devrais reprendre ma vie au mieux et recommencer ce que nous faisions auparavant à trois. Mais je n'en ai plus le cœur. Tous les matins, je me lève et je regarde cette chambre...vide. Déserte de vie. Tous les matins, cette chambre en face de la mienne n'est qu'un reflet de mon erreur. Une erreur qui me hante et pourtant, j'aurais aimé lui dire ce qui s'est passé là-bas. J'aurais aimé tout lui raconter. J'aurais aimé lui expliquer pourquoi je suis là. Comment je peux être là. Je voudrais, qu'un instant, elle m'écoute et qu'elle comprenne.

« - Kyle ? Est-ce que tu es prêt ? On va y aller. »

La voix de Raya me sort de mes sombres pensées. Je la regarde et tente de lui sourire. Je devais beaucoup à Raya. Énormément même. Je lui devais la vie.

« - J'arrive ! Pars devant sinon, je te rattraperais bien vue ta vitesse de tortue !

- Hé ! C'est méchant de se moquer d'autrui. Tu le sais ça ? »

Raya était une demi, comme moi, la première que j'ai rencontrée. Moitié-femme, moitié-chat, comme moi. Raya faisait partie de ces esprits habitant sur Esteria et m'ayant trouvé, blessé, laissé pour mort, c'est elle qui s'est occupé de moi pendant les trois mois qui suivirent l'incident. Grâce à Raya et à ses enseignements, je pus également mieux comprendre le monde des esprits.

Notre monde. Dorénavant j'ai compris qu'être demi n'est pas une malédiction mais plutôt une bénédiction de pouvoir passer d'un monde à l'autre.

Ne sachant comment la remercier, j'avais pris la décision de venir l'installer dans ce monde-là. Dans un monde où les chasseurs l'accepteraient tel qu'elle est... Mais là encore, bien des choses ont changées depuis mon départ et je n'ai qu'une parole en l'air même si elle ne m'en tient pas rigueur pour l'instant.

En revenant, Nico me fit un bref résumé de ces derniers mois. Le Consul est mort et un nouveau Consul est en place, un gars réglo apparemment, jeune, ce qui n'est pas plus mal. Léo a fini en prison mais sortira bientôt sous bonne garde. Pandora, elle, a disparu dans la nature peu de temps avant tout ça. May et Hayley continues de chasser mais auraient pris du grade aux dernières nouvelles. C'est cool, je suis content, après tout ce qu'elles ont fait pour nous, elles le méritent.

Mima et Leina, la mère d'Amy, s'occupent également de plusieurs petites choses comme sur la neutralisation totale du portail dimensionnel malgré son implosion il y a un an après l'incident. 

Il n'y a qu'Amélia qui a disparu. Elle ne cherche pas à être joignable et fait tout son possible pour être indisponible. Parfois, Tara va la voir mais elle ne revient jamais avec de bonnes nouvelles. Je sais que c'est de ma faute, mais je ne sais pas comment l'aider. Je ne sais pas comment je pourrais. Je me sens nul. Chaque fois que je vais voir ce regard, je vais constamment avoir l'impression que je suis le mal incarné. Je ne serais pas dans le tort de le penser.

Peu de temps après nos retrouvailles, j'ai d'ailleurs récupéré l'anneau qu'elle avait soigneusement laissé sur ma tombe. Ça me fait bizarre d'y aller mais là-bas, j'ai tout le calme et la tranquillité que je veux. Même Raya ne sait pas que j'y vais quelquefois. Moi-même, je ne sais pas pourquoi j'y vais. Peut-être pour une pénitence ou peut-être dans un infime espoir de me dire, que j'y croiserais Amélia. Au fond, j'espère encore comme un ado amoureux et je me trouve ridicule. C'est tellement cliché.

 « - Tu m'as l'air dans la lune aujourd'hui ... Tu penses encore à toute cette histoire ? Tu devrais arrêter de te torturer l'esprit de la sorte. Avance. N'est-ce pas toi qui avais de grands projets ? 

- Tu as sans doute raison mais au fond, cette culpabilité ne me quittera jamais tu sais ? Je veux dire... Plus j'y pense et plus je me dis que si j'avais pris le temps de réfléchir dix secondes de plus ce jour-là... Peut-être que les choses auraient été autrement.
- Tu ne peux pas modifier le passé Kyle, mais tu peux rendre l'avenir meilleur. Cela ne dépend que de toi. Et puis, Amélia, pour ce que tu m'as dit d'elle, finira par s'en remettre. Si elle est un dixième de la femme dont tu m'as parlé, ça ira mieux. Ai foi.
- Foi... Confiance... Courage... Patience...Honnêtement, je n'ai plus rien de tout ça en moi. Si tu savais comme j'ai envie de...nonrien. Oublie.
- D'aller la voir ? Qu'est-ce qui t'en empêche ? Vas-y. T'es un homme non ? Prends ton courage à deux mains et va toquer à sa porte.
- Je ne pense pas qu'elle m'ouvrira. »

Je m'efforce de sourire mais cette image me déchire de l'intérieur. Il fut un temps, les portes, on les faisait s'écrouler sur notre passage. Il fut un temps, il y a quelques mois à peine, ce n'est pas ça qui pouvait nous séparer.

Et maintenant, j'ai l'impression qu'un monde entier s'est dressé entre nous. Contre nous. Comme un gigantesque mur que je ne pourrais jamais franchir.  

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