2 ~ Black Water


Je badge mon écran contre le lecteur et quitte le Sub, prenant la direction de la Banque Alimentaire du Terrier en compagnie de quelques habitants. C'est un gigantesque baraquement tout en bois et en pierre, presque aussi grand que notre hôpital et j'imagine qu'au début de la vie sous terre, la Banque Alimentaire a dû connaître son âge d'or, nourrissant toute la population du Terrier autrefois bien moins modeste. Seulement aujourd'hui la plupart des étalages sont vides, poussiéreux et parfois en ruine.
Les aliments, cultivés et produits dans les serres de la Bulle, sont livrés tous les lundis et jeudi, en priorité à la Rûche, puis dans les quartiers riches de l'Est et de l'Ouest avant de terminer dans les quartiers défavorisés. Autant dire qu'il ne reste plus grand choix.

Je me place dans la queue, préparant mon écran tandis que les habitants défilent devant moi. Chacun récupère la part qui lui est attribuée, sa taille variant en fonction du nombre d'individus par baraquement, du revenu du foyer mais aussi en fonction de l'approvisionnement. Si nous sommes sûrs de trouver à manger le lundi, ce n'est pas toujours le cas le jeudi.
L'homme âgé devant moi scanne son écran, attendant patiemment que les employés lui apportent son panier de provisions, à peine plus grand qu'une boîte à chaussure. 

« Je suis désolée Monsieur Fabre -S'excuse une employée, la mine abattue- mais nous n'avons rien de plus pour vous aujourd'hui...

- Ce n'est rien mon petit -Dit-il d'une voix chaleureuse en tapotant la main de la jeune fille- Je repasserai jeudi, ne vous inquiétez donc pas. »

Je le connais peu mais je sais qu'il vit seul et qu'il ne travaille plus, ne gagnant plus assez d'argent pour se nourrir correctement. Il récupère son panier et repart avec un large sourire, sans prêter la moindre attention aux regards désolés alentours.

Quand vient mon tour de badger, je sens mes joues brûler. Vivant dans un baraquement de quatre personnes, avec deux salaires au dessus de la moyenne et une bourse d'étude, je récupère un panier presque trois fois plus gros que celui de Monsieur Fabre, que j'accepte en baissant les yeux.

Le personnel ne me dit rien, c'est la règle après tout. Même lorsque je refais la file en sens inverse, je sens les regards envieux ou mauvais, mais personne ne dit rien encore une fois.

Rapidement j'arrive à hauteur de Monsieur Fabre, lequel traverse d'un pas mal assuré le sol accidenté.

« Est-ce que je peux vous aider ? -Je demande en lui prêtant mon bras comme appuis-

- Volontiers. » 

Alors qu'il aurait pu zieuter mon panier, il n'en fait rien, prenant mon bras avec soulagement et continuant de sourire. Pour ma part, je ne peux m'empêcher de regarder son panier. Quelques légumes rabougris, du riz, des céréales, un peu de savon et du lait d'avoine. Le tout en quantité infime.

« C'est peu n'est-ce pas ? -Dit-il avec un petit rire alors que je m'empresse de regarder ailleurs- Mais au moins j'ai de quoi manger.

- C'est tout de même incroyable que vous ne puissiez pas avoir le droit à plus -Dis-je avec un certain malaise- Vous avez passé votre vie à travailler...

- C'est vrai, mais je ne travaille plus et je n'ai plus besoin d'autant de force qu'auparavant.

- Dans quoi travailliez-vous ?

- J'ai commencé comme pilote de Sub avant que certains ne deviennent automatisés, puis j'ai fini à la station d'épuration de la Bulle.

- J'y suis allée une fois avec l'École lorsque j'étais enfant -Dis-je en me souvenant des gigantesques cuves reliées à la roche par des gouttières, mais également de l'odeur atroce- 

- C'était un travail fort intéressant, bien que personne ne voulait y travailler. »

Il hausse les épaules et nous atteignons bientôt son baraquement, à moitié en ruines. Il pousse un profond soupir, dont je peine à comprendre la signification et me sourit à nouveau.

« Merci pour ton aide ma petite -Dit-il en pressant chaleureusement ma main- 

- C'est normal. »

Et alors qu'il s'apprête à rentrer, je lui glisse un peu de pain et de fromage de mon panier, rien qui puisse nous manquer vu la quantité restante. S'il commence par refuser, je vois bientôt ses yeux pétiller de reconnaissance. Sa main, rendue câleuse par des années de labeur, se pressant encore une fois autour de la mienne. il n'a pas besoin de parler pour exprimer sa gratitude. 

Puis je prends le chemin de mon baraquement, le coeur léger, sans même prêter attention à Hemmings qui m'observe non loin de là.

Je souris en voyant les enfants courir vers notre miteuse aire sportive, un petit terrain vague surveillé par des Gardiens, recouvert d'un gazon synthétique. Quand j'étais plus jeune j'adorais venir y jouer ou m'entraîner au sport, mais l'aire n'étant autorisée qu'aux enfants, j'ai dû cesser d'y aller à mes onze ans. 

Les enfants de la Perle ont plus de chance, ils ont une grande aire sportive où tout le monde peut venir jouer mais bien évidemment nous, les enfants du Terrier, ne sommes pas autorisés à y aller. Il n'y a que ceux qui ont des bonnes relations avec les gens de la Perle qui sont privilégiés, comme Hemmings. Son amitié avec Jared lui permet d'aller s'y entrainer une fois par semaine en plus des cours de sport dispensés à l'école et je dois avouer que cela n'a fait qu'augmenter l'animosité entre nous. Fut un temps où j'étais meilleure que lui en sport.

*

Une fois les galeries traversées, je débouche sur une première section de baraquements avant d'arriver devant le mien. Comparé à celui de Monsieur Fabre, le notre tient encore debout et est assez long et haut pour héberger deux familles. Bien qu'à certains endroits le bois commence à bouger, créant de petites interstices sombres, ce n'est rien à côté de ceux totalement éventrés, laissant apercevoir l'intérieur ainsi que l'intimité des familles qui y vivent.

Après avoir badgé mon écran sur le lecteur à l'entrée, la porte se déverrouille. Pour le moment il n'y a que moi qui sois rentrée, alors je range nos provisions, me prends quelques biscuits et monte dans ma chambre où se trouve mon bazar que je qualifierais d'organisé. Sur mes étagères se mélangent mes uniformes scolaires propres avec quelques livres sur la physique et les sciences, des bibelots, mais également quelques-unes de mes inventions. 

Quand je n'ai pas de devoirs à faire, ni de tâches à remplir pour l'AGFA, je m'accorde un peu de temps pour travailler sur des expériences. Mon dernier projet en date étant deux masques reliés à une capsule d'oxygène et un régulateur de pression, permettant d'aller nager dans les Eaux Noires. Nous les avions testés avec Michael, un soir où les Gardiens ne surveillaient pas le champ de force du Terrier et nous avons pu nager quelques minutes pour tenter le coup. Mais malgré notre excitation et le goût de la liberté, nous sommes vites rentrés, plus effrayés à l'idée de tomber sur des monstres des bas-fonds que sur un Gardien en patrouille.

J'attrape le masque et retire la capsule d'oxygène presque vide, l'observant longuement. Il m'en faudrait une qui ait la capacité de vingt capsules réunies pour que mon projet soit abouti, mais il n'y a que dans les conduits d'aération de la Rûche que l'on peut en trouver et je n'y aurais jamais accès. Personne en dehors des membres de l'AGFA n'y a accès, alors je dois me contenter des capsules que ma mère adoptive me ramène des Subs sur lesquels elle travaille.

Je me mets à mon bureau, où je corrige les quelques défauts de mon masque et de celui de Michael, sursautant lorsque, une heure plus tard, la porte s'ouvre en bas.

« Salut Pandore –Je me penche contre la rambarde derrière mon matelas, laquelle donne sur le salon en contre-bas-

- Salut Victoria –Dis-je en saluant ma grande soeur- Tu as passé une bonne journée ?

- Plutôt agréable, nos professeurs nous ont dit qu'il y aurait bientôt de nouvelles bourses pour les étudiants, comme tu n'auras dix-huit ans que dans quelques mois, je pensais m'y inscrire afin de ramener un peu d'argent à la maison en attendant que tu puisses en faire de même.

- C'est une bonne idée, tu devras en parler maman. »

Elle jette un coup d'œil à l'extérieur avant d'hocher la tête. Je sais ce qu'elle vérifie, qu'il n'y ai pas de Gardien à proximité du baraquement qui puisse entendre notre conversation, mais à cette heure il n'y a personne. Bien que l'on soit contrôlés partout, le baraquement est le seul endroit où l'on a encore le droit à notre intimité. Une fois notre écran badgé à l'entrée, l'AGFA ne se mêle plus de nos affaires et ce n'est qu'à ce moment que je reprends ma véritable identité, Pandore Keanon. 

« Tu es encore sur tes fichus masques ? -Demande-t'elle les sourcils froncés-

- Non j'ai des devoirs. »

Mon mensonge n'est pas crédible, je le sais. Elle soupire, détache son chignon d'un roux plus foncé que le mien et part ranger ses affaires alors que je retourne à mes expériences. Victoria désapprouve mes travaux, selon elle je cours déjà suffisamment de risques à cause de ma naissance et ce genre d'invention illégale ne m'aidera pas, mais je m'en moque. Si je ne peux plus faire quoi que ce soit qui me plaise, alors autant m'envoyer à l'Iceberg tout de suite.

Parfois je me demande ce que la vie aurait été si les rôles avaient été inversés, si j'étais née la première et Victoria après. L'aurais-je empêchée de se faire remarquer ? De s'amuser ? J'aurais pu vivre mes rêves librement, loin de la peur, j'aurais pu avoir des tas d'amis... Mais tout en gardant cette angoisse permanente. Car même si c'est l'Illégal qui est envoyé à l'Iceberg, la famille est également punie pour l'exemple.

Et ça, ma soeur le redoute plus que tout. Étudiante à l'Université de Droit de la Bulle, en lice pour une troisième bourse étudiante pour Excellence. C'est tout son petit monde parfait qui se briserait si j'étais percée à jour. Alors je peux la comprendre.

*

C'est aux alentours de 19 heures que rentrent ma mère biologique, Alice Keanon et ma mère adoptive, Cécile Jones. Cécile était la voisine et meilleure amie de ma mère quand elles étaient jeunes. Quand son mari et mon père sont décédés dans l'éboulement d'un Puits, elles ont décidé de vivre ensemble. À ce moment il n'y avait que Victoria et ma mère ignorait qu'elle était à nouveau enceinte. Avec l'aide de Cécile et notre médecin, Monsieur Fergusson, elle a pu cacher au mieux sa grossesse et quand je suis née, c'est naturellement que Cécile a choisi de me sauver en me prenant comme sa fille. J'ai pu donc grandir en présence de ma véritable mère, sans jamais pouvoir l'appeler ainsi en public, seulement lorsque nous étions seules au baraquement.

Cécile grimpe jusqu'à ma chambre pour venir m'embrasser sur le front alors que ma mère me salue depuis le salon, toujours un peu distante et aussi effrayée que Victoria à l'idée que l'on soit observées. Et à force je m'y suis habituée, me sentant bien plus à l'aise avec ma mère adoptive au point de préférer le nom de Jones à celui de Keanon. 

« Je t'ai ramené une surprise –Me dit-elle avec un grand sourire alors qu'elle sort un paquet de son sac- J'ai eu peur que quelqu'un ne me surprenne avec, mais j'ai eu de la chance. »

Je la remercie avant d'ouvrir le paquet, trouvant plusieurs capsules d'oxygène, plus volumineuses que les précédentes. À les voir comme ça, je dirais qu'elles peuvent tenir au moins deux heures et je serre si fort Cécile qu'elle se met à rire. Je vais pouvoir me rapprocher de mon but. Je me mets tout de suite au travail, sous son regard bienveillant, lorsque j'entends frapper à la porte.

D'un geste vif je cache les capsules et mes masques derrière mes livres, jetant un coup d'œil par-dessus ma balustrade alors que Victoria part ouvrir. Elle ne semble pas formelle, ni même trop pincée, ce qui veut dire qu'il ne s'agit pas de la visite d'un Gardien et que je n'ai pas besoin de paniquer. Je suis d'ailleurs soulagée en voyant la tignasse blonde foncée de Michael passer le pas de ma porte après qu'il ait badgé.

« Bonjour madame Keanon, Bonjour madame Jones, je ne vous dérange pas ?

- Pas du tout mon grand, tu connais le chemin. »

Cécile retourne auprès de ma mère alors que Michael fixe aussitôt son regard en hauteur, un large sourire sur ses lèvres tandis qu'il monte jusqu'à ma chambre, se vautrant tout de suite sur mon matelas comme si c'était le sien.

« Aah Jonesie, toujours le nez dans tes bouquins ennuyeux ? –Dit-il en se relevant sur ses coudes-

- Ils ne sont pas ennuyeux et je travaillais sur autre chose –J'écarte mes livres et reprends mes masques, attrapant une des nouvelles capsule apportées par Cécile- Avec ça je suis certaine qu'on pourra explorer plus loin et plus longtemps.

- Quand est-ce que ce sera au point ? -Demande-t'il avec admiration-

-D'ici quelques minutes, le temps que je change les capsules –Dis-je avec excitation-

-Parfait, les Gardiens ne viendront patrouiller qu'après le couvre-feu. On devrait avoir un peu de temps devant nous pour tester ces nouvelles capsules !

- Tu es sûr de vouloir ? -Je demande alors qu'il fronce les sourcils- C'est juste que je ne veux pas t'attirer des ennuis avec mes expériences... illégales.

- Je m'ennuie à mourir chez moi Jonesie ! –Souffle-t'il- Depuis quelques temps mes parents sont occupés sur des projets top secrets pour l'AGFA et ils ne mangent même plus avec moi. Alors je préfère mille fois risquer l'Iceberg en venant nager avec toi.

- Très bien, mais il va falloir trouver une excuse auprès de ma mère et des Keanon, le couvre-feu est dans une heure à peine.

- Oh pour ça tu peux me faire confiance. »

*

J'ignore comment ma famille a pu croire au mensonge de Michael, mais quoi qu'il en soit, nous voilà partis pour son baraquement où je badge, signalant à l'AGFA que je suis chez les Clifford alors qu'en vérité nous ne faisons que passer. Il salue ses parents, les prévenant de ma visite et comme il s'y attendait, ni son père ni sa mère ne remarquent notre présence, ils hochent simplement la tête et nous partons directement dans la chambre de mon meilleur ami où nous récupérons les lampes de poche imperméables qu'il a réalisées en cours de physique.

« Sais-tu où nous pourrions aller cette fois-ci ? –Me demande-t'il avec curiosité- La partie au Sud du Terrier n'était pas très intéressante, bien trop proche de la Perle à mon goût.

- Je me disais qu'on pourrait aller vers le Nord.

- Tu veux dire... vers l'Iceberg ?!

- On s'arrêtera avant, je ne pense pas qu'on puisse tenir à une telle température de toute façon, même avec nos combinaisons.

- Ça me va. »

Je l'attends dans sa chambre alors qu'il part fouiller dans celle de ses parents, en rapportant deux combinaisons thermiques. L'avantage, c'est que les parents de Michael travaillent dans les industries textiles de la Rûche et ces combinaisons sont un condensé de technologie et de stylisme. C'est grâce à ça que nous pouvons nager dans les Eaux Noires. Dotées de capteurs thermiques elles se régulent à la température nécessaire à la survie et sont également équipées d'un champ de force personnel pour éviter les désagréments liés aux fortes pressions. Je me demande d'ailleurs à quoi ces combinaisons peuvent servir en réalité étant donné que la plongée est formellement interdite.

Nous enfilons les combinaisons, passant nos vêtements par dessus et quittons son baraquement par sa fenêtre, glissant telles des ombres pour ne pas être repérés par d'éventuels Gardiens.

Généralement nous savons où ils se postent, ils sont toujours aux mêmes endroits et c'est sans surprise que nous trouvons la partie Nord du Terrier sans surveillance. Nous retirons nos affaires, les cachant dans un recoin rocailleux.

« J'ai quelque chose pour toi Jonesie -Dit-il tout bas en fouillant dans son sac, en sortant de minuscules boussoles rétro-éclairées- On les a fabriquées en cours ce matin. Je me suis dit que ça pouvait toujours nous servir pour nos excursions. 

- Vraiment qu'est-ce que je ne donnerai pas pour être un garçon et suivre vos cours ! -Je prends la boussole et l'observe- ce sera parfait en effet.

- Bien, je pars devant cette fois ? »

J'acquiesce et après avoir attaché nos harpons à nos ceintures, relié nos masques à nos capuches thermiques, nous actionnons la capsule d'oxygène et le champ de force de la combinaison. Plongeant l'un après l'autre au travers du champ de force dans un bruit magnétique et atterrissant dans le noir le plus total, passant de la pesanteur à une étrange sensation de flottement.

Si le halo du champ de force éclaire faiblement Michael devant moi, le reste est invisible. Et nous devons avancer dans le noir pour allumer nos lampes un peu plus loin, sans risquer d'être repérés. Si seulement nous pouvions avoir des radars comme les Subs nous aurions plus de facilités à nous repérer et à éviter la faune abyssale. Mais on se contente du fin faisceau de lumière qui peine à briser l'opacité environnante, priant pour ne pas faire de mauvaise rencontre.

Si plusieurs poissons étranges s'affolent autour de nous, effrayés par la lumière et la chaleur de nos combinaisons, aucun n'est bien terrifiant. Je suis malgré tout soulagée en sentant mon harpon contre moi. Nous progressons doucement le long de la croûte continentale, restant prêts l'un de l'autre et relativement proches des champs de force du Terrier, conscients qu'à tout moment nous serions susceptibles de rentrer en catastrophe.

Les poissons, les minéraux et surtout la roche ici-bas nous apprennent beaucoup de choses sur les civilisations précédentes, certaines même qui ont vécu avant les premiers hommes. Se dire que nous vivons parmi les premières créatures terrestres est une pensée pour le moins étrange, comme si en progressant vers le bas, nous avions atteint les secrets de notre existence.

Ce que j'aime le plus, c'est lorsque nous tombons sur des objets datant des siècles précédents, des fossiles, prisonniers d'une roche intemporelle.

Nous en trouvant d'ailleurs dans une grotte, percée de galeries naturelles. Nous ramassons quelques-uns de ces objets, témoins de l'ancien temps, ainsi que des fossiles et des coquillages étranges, puis nous sortons.

Michael nage à ma hauteur, sa lumière pointée sur nos trouvailles alors qu'avec la mienne je scrute l'espace autour de nous. Ne pas voir le danger arriver me rend nerveuse, sans compter que nous sommes à présent si éloignés du Terrier qu'on ne perçoit plus qu'un point lumineux au loin. Je fais signe à Michael de rentrer lorsqu'une vibration secoue mes tympans. On ne peut rien entendre de concret, mais la moindre onde étrange provoque une sensation désagréable à l'oreille et plus l'onde est insupportable, plus menaçant est le danger.

Parfois il ne s'agit que d'une roche à la dérive. Mais alors que je signale quelque chose de suspect à Michael, les ondes recommencent. Plus fortes encore. Mon cœur bat à tout rompre alors que je tente de me calmer. Nous ne devons pas paniquer si nous voulons éviter de gaspiller l'oxygène qu'il nous reste. Mais lorsque je braque ma lumière derrière Michael, apercevant une masse grisâtre et monstrueuse se mouvoir, je ne peux m'empêcher de lâcher un cri. Aussitôt que ma lumière l'éclaire, d'énormes dents pointues semblent sortir de nulle part et je n'ai que quelques secondes pour actionner mon premier harpon et détaler à la nage, retournant de justesse dans la grotte que nous venions de quitter. Je me réceptionne mal et manque de me tordre la cheville sur le sol accidenté, m'éraflant la jambe le long de la parois. 

Ai-je touché la créature ? Et Michael où est-il ? Je charge mon deuxième harpon lorsque le picotement incessant dans ma jambe se fait plus lancinant. Je l'éclaire en tremblotant, découvrant ma combinaison partiellement lacérée et ma cheville presque découverte. Je régule mon souffle, essayant d'économiser l'oxygène restant, lorsque quelque chose heurte mon épaule. Aussitôt je braque ma lumière sur le visage tendu de Michael... Un peu plus et je lançais mon harpon sur lui.

D'ailleurs il me montre le sien et me fait signe de braquer ma lumière hors de la grotte, ayant visiblement perdu la sienne. J'hoche la tête et braque la lumière à l'entrée de la grotte. Aussitôt attiré, le monstre fonce droit sur nous. Je m'écarte juste à temps pour laisser Michael viser, son harpon transperçant le crâne de la créature et disparaissant dans l'obscurité. 

Une dernière onde désagréable nous traverse tandis que le cadavre du monstre s'enfonce au plus profond des abysses et après un échange de regards entendus, nous quittons la grotte pour rejoindre au plus vite le Terrier. 

Bientôt je sens que l'oxygène se fait rare, je n'aspire presque plus rien et mon cœur se met à palpiter alors que j'accélère, faisant un énième signal à Michael pour le prévenir que quelque chose ne va pas de mon côté. Ce dernier tire sur mon poignet, m'aidant à nager sur les derniers mètres avant de traverser le champ de force du Terrier et de nous effondrer sous la pesanteur.

Il me tire derrière un rocher et retire mon masque, soulagé de me voir reprendre mon souffle.

« C'était cool Jonesie ! –Dit-il entre deux toussotements après avoir vérifié que nous étions seuls- J'aurais aimé ramener ce poisson comme trophée, il était gigantesque !

- Contente que ça t'ai plus –Dis-je en reprenant mon souffle, attirant mon masque sous la lumière des néons- Par contre je ne comprends pas pourquoi ma capsule n'a pas tenu aussi longtemps que la tienne.

- Peut-être parce que je n'ai pas paniqué, moi ?

- Tu n'as pas paniqué ? Tu aurais dû voir ta tête –Dis-je avec un sourire en coin- Non, je crois que j'ai la réponse, regarde l'état de la capsule –Je la lui tends, y désignant des fissures- J'ai dû l'abimer lorsque je me suis faufilée dans la grotte à toute vitesse, une chance que l'on n'était pas loin.

-Effectivement –Dit-il en se déshabillant- Bon, il va falloir travailler encore un peu dessus, mais ça reste une des meilleures inventions que je connaisse. D'ailleurs, quel est ton réel projet avec ces capsules ? Faire des masques pour tout le monde ?

- Non, les masques ne sont qu'un passe-temps -Dis-je en enfilant mes vêtements- J'aimerais créér des capsules d'énergie et d'oxygène plus conséquentes, pour donner aux Sub la puissance suffisante pour aller directement à la surface. Les Subs que nous connaissons ne peuvent nous transporter que de quartiers en quartiers mais ils ne peuvent atteindre la surface.

-Tu voudrais aller à la surface ? -Il hausse les sourcils- Tu perds ton temps Jonesie. L'AGFA dit que c'est encore inhabitable à cause des virus et des dégâts chimiques causés par la Grande Guerre. Même l'eau qu'on fait venir des nappes souterraines est encore polluée. 

- Et alors, on arrive bien à la rendre potable cette eau. On pourrait trouver une solution pour tout le reste.

- Tu ferais mieux de nous inventer un véhicule capable d'aller découvrir d'autres territoires sous-marins.

- À quoi bon continuer de s'enfoncer ? -Dis-je d'un air bougon, ce qui fait sourire le blond-

- C'est chez nous ici maintenant -Dit-il en me donnant une bourrade amicale- Mais bon, j'imagine que mes paroles ne te feront pas changer d'avis ? »

Je fais un simple non de la tête et jette un coup d'œil à l'écran, remarquant avec soulagement que le couvre-feu n'est que dans quelques minutes, nous laissant le temps de retourner discrètement aux baraquements. Je salue Michael et rentre badger chez moi, tombant nez à nez avec Victoria, laquelle louche sur mes cheveux humides.

« Ne me dis pas que tu as recommencé ? –Me demande-t'elle tout bas- Michael a vraiment une mauvaise influence sur toi.

- J'aurais plutôt dit l'inverse -Dis-je en m'éloignant vers ma chambre-

- Pandore ! -Je me tourne vers ma soeur dont les mâchoires serrées n'augurent rien de bon- Avec tout le mal que maman, Cécile et moi nous donnons pour te couvrir, faire ce genre de chose est véritablement stupide ! C'est à se demander si tu ne cherches pas à te faire attraper.

- Je sais ce que je fais -Dis-je avec colère-

 - J'espère qu'un jour tu grandiras et que tu comprendras. Maintenant file te sécher les cheveux avant qu'elles ne te voient.

- Tu gardes ça pour toi ?

- Je ne pense pas avoir le choix –Elle hausse les épaules et s'apprête à repartir quand je lui lance un coquillage- C'est quoi ?

-Je l'ai trouvé dans les roches qui bordent le Nord du Terrier, c'est pour toi.

-Merci Pandi. »

Elle se déride enfin et me fait un demi sourire. Je file alors jusqu'à notre salle de bain commune où je me sèche les cheveux, m'occupant dans le même temps de mon éraflure à la jambe et de ma cheville. Un coup de désinfectant recouvert d'un bandage suffit et j'enfile la tenue grisâtre qui me sert de pyjama.

*

Lors du dîner j'évite de parler de mon excursion avec Michael, surtout qu'à cette heure le couvre-feu vient de tomber et bientôt les Gardiens viennent patrouiller autour des baraquements, écoutant presque aux portes. Nous parlons donc de la future bourse de Victoria, jusqu'à ce que le sujet du jour ne vienne sur le tapis.

« Au fait, vous avez vu cette publicité bizarre ? –Demande ma sœur-

- Purity ? –Je demande alors que ma mère et Cécile semblent intéressées elles aussi-

- Tout le monde en parle mais apparemment personne ne sait réellement de quoi il s'agit.

- Des collègues m'ont dit avoir entendu parler d'un nouveau territoire, que des ouvriers, des ingénieurs et des scientifiques y seraient envoyés –Murmure Cécile-

- Oui la rumeur s'est même répandue jusqu'aux Écoles, on parle d'un territoire réservé aux Illégaux.

- Aux Illégaux ? –S'étonne ma mère- Non les Illégaux vont tous à l'Iceberg, je pense que ce territoire servira pour les nouvelles entreprises qui ne trouvent plus de place ni à la Bulle, ni à la Rûche. Ça m'étonnerait que l'AGFA soit généreux avec ceux qu'ils qualifient de bêtes noires.

- Mais et si c'était vrai ? –Demande Victoria- Si enfin l'AGFA reconnaissait certains Illégaux comme 'innocents' ?

- Ça n'arrivera jamais –Soupire ma mère- De toute façon de mon côté je n'ai pas entendu la même chose, on dit que le projet Purity ne concerne pas les Illégaux mais un nouveau traitement de l'énergie. Apparemment le Noyau ne suffit plus à en produire suffisamment pour nous maintenir en vie ici-bas alors un deuxième quartier sera destiné à l'énergie, un quartier neuf et trois fois plus grand.

- On n'a plus qu'à attendre. »

Une fois le repas terminé, nous nous accordons un petit temps de veille devant ce que l'on peut considérer comme un écran télévisé, jusqu'à ce que la publicité pour Purity ne se lance une seconde fois. Quoi que soit ce projet, cet énorme I rouge me donne une impression plutôt désagréable et c'est avec cette gêne que je vais me coucher, observant les néons extérieurs grésiller au travers des planches de bois ajourées avant de trouver le sommeil.

*

Trois jours plus tard je suis obligée de me rendre à l'hôpital du Terrier pour les suites de mon traitement commencé il y a quelques semaines. Je n'aime pas me rendre là-bas, il y a des Gardiens partout et tous les médecins ne sont pas de bonnes personnes. Je suis habituée à voir Mr Fergusson, le médecin qui me suit depuis ma naissance et qui a aidé Cécile et ma mère en trafiquant mon résultat sanguin à ma naissance. Mais quand j'arrive devant la porte pour badger et que celle-ci s'ouvre sur une jeune femme brune inconnue, mon sang ne fait qu'un tour et j'hésite à partir en courant. Jamais encore un autre médecin que Mr Fergusson ne s'était occupé de moi.

Je blêmis et prends sur moi alors que la jeune femme me demande de la suivre, mon cœur battant au rythme de mes pas.

Mon problème, c'est qu'à tout moment ma vie peut basculer et pire encore lors de ce genre d'imprévu. Je ravale ma salive et me pose sur la chaise face à son bureau, les ongles plantés dans mes genoux ankylosés alors que ses yeux bleus scrutent mon dossier.

« Pandore Jones, fille d'Adam et Cécile Jones ?

- Oui –Dis-je en redressant mon dos-

- Je m'appelle Delphie Habot, le Docteur Fergusson s'excuse mais il ne pouvait être présent aujourd'hui, c'est donc moi qui vais m'occuper de vous. Comme je ne vous connais pas je vais devoir vous ausculter un peu et vérifier que votre traitement a fait effet, à la demande de mon confrère.

- Comment ?

- Je vais simplement faire quelques prélèvements sanguins, pour m'assurer que tout est en ordre. Ne vous inquiétez pas, ce sera très rapide et vous ne sentirez rien. »

Voilà que mon monde s'écroule. Je ne peux plus m'en aller et tout ce que je peux faire c'est me laisser docilement ausculter et la regarder prélever de mon sang alors que je lutte pour ne pas m'effondrer en larmes. Jamais encore quelqu'un d'autre ne m'avait fait de prélèvement et si elle décide de faire les vérifications elle-même... elle comprendrait que je suis Illégale.

Je la regarde du coin de l'œil, au bord de la nausée, essayant de jauger si oui ou non cette fille est digne de confiance, mais elle se contente de fixer la seringue, gardant un visage impassible.

« Mr Fergusson verra les résultats ? –Je demande enfin, la bouche pâteuse-

- Oui il sera le premier informé -Dit-elle sans me regarder- Est-ce que vous avez bien pris votre traitement ?

- Oui, il s'est terminé hier.

- Bien, normalement vous ne devriez pas avoir besoin de le reprendre, mais si jamais c'était le cas je vous transmettrai un mot sur votre écran. En attendant vous devriez continuer les compléments en protéines précédemment prescrits, ce serait dommage de perdre vos muscles. Et concernant votre cheville...

- Ma cheville ? –Je sursaute- Mais je n'ai rien de grave.

- Enlevez votre bandage pour voir ? –Demande-t'elle alors que je lui montre ma jambe et ma cheville légèrement gonflées- Comment vous êtes-vous fait ça ?

- Je suis tombée dans les galeries, je pensais avoir suffisamment bien désinfecté mais visiblement non. 

- À première vue ce n'est pas cassé. »

Elle désinfecte ma jambe, passe un baume sur ma cheville et fait un nouveau bandage avant de me donner un petit échantillon de crème. Au moins elle n'a pas cherché plus loin et je lui en suis reconnaissante, car si apprendre que je suis Illégale me coûterait gros, apprendre que je fais des virées hors des quartiers pourrait me valoir une peine de mort. Elle me laisse me rhabiller et alors que je badge pour sortir, elle attrape mon poignet.

« Je ne sais pas pourquoi mais Mr Fergusson a tenu à vous faire passer un message, sûrement est-ce lié à vôtre cheville je n'en sais trop rien, mais il vous conseille d'être très prudente.

- Vraiment ? –Je déglutis- Quand va-t'il revenir ? J'aimerais m'entretenir avec lui au sujet de... mes résultats.

- Je n'en ai aucune idée, je lui dirais de passer vous voir après vos résultats si jamais c'est important ?

-Oui, c'est très important.

-Bien, vous pouvez partir. »

*

« Tu sais que ce Purity à la con touche même les employés de l'industrie textile ? –M'informe Michael alors que nous mangeons au réfectoire avec Billy et Vénus- Ma mère m'a dit que l'AGFA avait fait une commande très spéciale à ce sujet et apparemment ça nécessite des textiles thermiques.

- Alors c'est vraiment un nouveau quartier au Nord de la Rûche ? –Demande Venus les sourcils froncés- Pour les Illégaux ?

-Je ne crois pas que ce soit pour les Illégaux –Dis-je- D'après Alice Keanon, ce serait un nouveau territoire pour l'énergie, un peu comme le quartier du Noyau mais en beaucoup plus grand.

- Et en beaucoup moins sombre j'espère –Grogne Billy, sa voix devenant chevrotante comme s'il retenait quelque chose- Personne ne sait à quoi ressemble ce fichu Noyau, on sait juste que les Illégaux irrécupérables et les plus gros criminels y sont envoyés pour travailler et qu'on ne les a jamais revus.

- Travailler dans l'énergie est un boulot comme un autre –Dit Michael en haussant les épaules- J'imagine qu'ils sont coupés de nous encore plus que les Illégaux et l'Iceberg et que c'est leur punition définitive.

- Tu connais quelqu'un qui y est allé Billy ? –Demande posément Vénus, ses doigts rondelets jouant avec sa cuillère-

- Mon père –Lâche-t'il finalement alors qu'une chape de plomb nous tombe dessus- Ils l'ont envoyé à l'Iceberg parce qu'il avait volé des vêtements pour ma mère durant sa grossesse. Le jour où je suis né, elle a demandé à savoir où il était, pour qu'il apprenne ma naissance et c'est là qu'on lui a dit qu'il avait été envoyé au Noyau après qu'il ait refusé de devenir Gardien.

- Il doit bien exister un moyen d'écourter sa peine non ? –Je demande, mal à l'aise-

- Penses-tu ! –S'exclame Billy- Devenir Gardien est la seconde chance qu'on offre aux Illégaux pour qu'ils puissent réintégrer le Nouveau Canada, mais s'ils refusent, alors on les utilise jusqu'à leur mort, ils ne font plus parti du système mais ils le servent encore. Je sais que jamais je ne verrai mon père, mais si l'AGFA décide d'établir un nouveau territoire pour l'énergie, alors je souhaite qu'il soit moins secret que le Noyau, pour les futures personnes vouées à vivre ce que ma mère et moi vivons. »

Nous essayons de finir le repas sur une note plus joyeuse, mais lorsque la bande des Tertiaires de la Perle débarque, avec à sa tête Hemmings, Diane et Jared, je décide de quitter les lieux.

Mais pas assez vite.

À peine me suis-je levée et mise en chemin pour débarrasser mon plateau que les Tertiaires de la Perle me siffle. Je l'ignore et continue mon chemin quand je me prends les pieds dans quelque chose, m'effondrant avec mon plateau dans un vacarme assourdissant. Aussitôt après, le silence s'impose dans le réfectoire. Quelques gloussements se font entendre, mais les rires forcés d'Hemmings et Diane sont vite coupés par un bruit sourd, puis des cris étouffés provenant de tous les élèves présents.

En me redressant je remarque que Michael a bousculé Diane et a attrapé Hemmings par le col de sa veste, le plaquant contre le mur. Il est sur le point de lui écraser son point au visage quand un Gardien vient les séparer.

Au même moment, Jared vient à ma hauteur en rigolant, me tendant la main pour m'aider à me relever.

« Excuse-les, Diane voulait seulement faire une petite blague. Elle ne t'a pas fait trop mal ? –Me demande-t'il alors que je remets la vaisselle sur mon plateau-

- Il m'en faut plus que ça, merci -Dis-je avec les dents serrées-

- Jay tu perds ton temps –L'appelle un de ses amis- Viens on mange.

- Laisse-la chialer -Rajoute Hemmings qui peine à remettre son col, son regard froid braqué sur moi- C'est tout ce qu'elle sait faire. »

Je fais signe à Jared de les rejoindre après l'avoir remercié, remarquant qu'ils se sont empressés de prendre notre table où Vénus et Billy se sont poussés pour éviter un scandale. Michael quant à lui ramasse les quelques affaires manquant sur mon plateau.

« Désolée que tu aies eu à faire ça -Dis-je à Michael-

- Ce connard a laissé Diane te faire un croche-pied. Initialement c'est à elle que je voulais faire passer son envie de rigoler, mais j'ai vrillé quand je l'ai vu lui. Il ne l'a même pas empêchée. 

- Et ça te surprend ? -Je demande en déposant mon plateau et m'excusant pour la vaisselle cassée-

- Je te jure que je lui ferai payer un jour. »

Je pose ma main sur le bras de Michael, ignorant ma propre rage qui me consume alors que nous quittons le réfectoire en silence, prenant la direction du vestiaire des filles de la salle de sport où se trouvent déjà Eponine, Pia et Magalie. Michael m'étreint une nouvelle fois sous les regards lourds de sous-entendus des élèves et je pars me changer. 

J'enfile ma tenue de sport, serrant les dents quand quelques minutes plus tard j'entends les rires perçants de Diane et son groupe. Les ignorant totalement lorsqu'elles se mettent à côté de moi.

« - Ici il y a de la place –Sourit Diane-

-Ce n'est pas très malin –Intervient Magalie- Vous êtes sur les affaires de Pandore.

- Et alors ? Il n'y a pas son nom d'inscrit sur les bancs à ce que je sache ?

- Nous mais vous pourriez vous mettre ailleurs –Ajoute Vénus-

- Et où ça ? A côté de toi ? –Elle pouffe- Désolée ma fille, mais tu prends un peu trop de place si tu vois ce que je veux dire. »

Blessée par une telle remarque sur sa rondeur, Vénus attrape sa serviette et quitte à grands pas le vestiaire, accompagnée de Magalie qui a elle aussi préféré laisser tomber. Eponine me jette quelques regards en biais et je continue de prendre sur moi jusqu'à voir le haut sale d'une des filles du groupe de Diane atterrir sur mes affaires. D'un geste je l'attrape et l'écarte.

Il retombe au même endroit.

Alors je l'attrape à nouveau et le balance dans la poubelle à côté du banc, faisant crier sa propriétaire.

« Je peux savoir pourquoi t'as fait ça Jones ? –Me demande Diane en se mettant face à moi, ses longs cheveux bruns arrivant presque dans mon visage-

- Je ne voulais pas de son haut dégueulasse sur mes affaires -Dis-je en la fixant-

- Tu sais quoi ? Je vais y mettre tes affaires moi aus... »

Elle approche sa main de mes affaires sur le banc et d'un geste j'attrape fermement son poignet. Elle sait que je la domine, je suis de loin la meilleure élève en sport et si je le voulais je n'aurais aucun mal à la mettre à terre. Mais c'est malheureusement ma prof de sport qui vient nous séparer après que Vénus et Magalie soient parties la prévenir, ne me laissant pas le plaisir de voir Diane pleurnicher au sol. Elle et sa bande quittent le vestiaire pour la salle de sport et au même moment j'entends un bruit provenir de ma veste. Je déverrouille mon écran sur la manche et me fige en voyant le message en provenance de l'hôpital.

« Dois te parler de toute urgence au sujet de tes prises de sang, passerai te voir ce soir chez toi. Sois très prudente.

Dr Henry Fergusson »

*

Le soir-même, alors que je badge en arrivant chez moi, je suis surprise de voir que Cécile est déjà là, au salon avec nulle autre que Mme Calgary, ma professeur de physique. Je m'attendais à voir Mr Fergusson. Alors je fais mine de rien et les joins pour le thé, parlant de mes nouvelles recherches autour de l'énergie lorsqu'on frappe à la porte. Cette fois-ci il s'agit bien de mon médecin et à son regard méfiant, je comprends que mes doutes étaient fondés. Quelque chose ne va pas.

« Tiens Henry ! –Se lève Cécile- Tu es venu pour le traitement de Pandore ? J'ai reçu le message que tu lui as envoyé, tout va bien ?

- Oui rassure-toi mais j'aimerais, si tu le permets, parler seul à seul avec ta fille un moment.

- Très bien, vous pouvez aller dans mon bureau. »

Il remercie Cécile et nous nous rendons dans son minuscule bureau, mon médecin fermant la porte et se posant sur une des chaises, malaxant ses tempes tandis que je reste droite comme un piquet devant lui.

« Est-ce que... Est-ce que Delphie Habot a vu les résultats ?

- Elle me les a directement transmis oui, après j'ignore si elle les a regardés mais je lui avais demandé de simplement me les passer.

- Qu'est-ce que ça dit ? Il y a un problème ?

- Du tout, à vrai dire il me fallait une excuse pour venir te voir.

- Vraiment ?

- Je crois que quelque chose se prépare, les médecins sont appelés chaque jour par l'AGFA en vue du projet Purity et bien qu'on ne sache pas encore de quoi il s'agisse, je ne pense pas me tromper en disant que quelques-uns de mes confrères ont disparu.

-Disparu ? Mais en quoi cela me concerne ?

- Oh en rien, du moins je l'espère... -Il marque une pause bien trop longue à mon goût- Mais j'aimerais être prudent et pour ça il va falloir que tu coopères –Dit-il en ouvrant sa petite valise dans laquelle se trouve une seringue rempli d'un produit jaune vif-

- Qu'est-ce que c'est ? –Je demande, peinant à cacher la réticence dans ma voix-

- Juste une précaution, au cas où les choses viennent à dégénérer.

- Je ne comprends pas...

- Si jamais on se revoit, alors tu me remercieras. Surtout ne parle de ça à personne d'autre que ta famille. »

Je fronce les sourcils et le laisse finalement approcher l'aiguille de mon bras, venant percer ma peau d'un geste vif et faisant s'écouler tout le produit dans mes veines. Au début je ne ressens rien, puis j'ai l'impression d'avoir du plomb dans le bras ainsi que dans tout le corps. Ma tête tourne et je suis dans un état second lorsque Mr Fergusson me laisse à Cécile, laquelle me couche directement sous les yeux de ma professeur. Les deux femmes se regardent et alors que je me sens planer, j'entends Cécile murmurer en retournant en bas.

« Alors c'est vrai, c'est pour bientôt ? »


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