18 ~ "The Sorting"
Je me retiens de lui porter un coup. Après tout c'est mon professeur et il est aussi bien plus costaud que moi. Au lieu de ça je serre les dents et continue d'avancer alors qu'il a enfin cessé de me bloquer le passage. Il reste dans mon dos, n'essayant même plus de rester à ma hauteur et l'espace d'un instant, l'envie de lui parler me prend. Enfin, juste une envie, car mes lèvres restent scellées. Il n'est plus comme avant et bien que j'avais malgré tout gardé un minuscule espoir de réussir à revenir en arrière, rien n'y fait.
Je serre un peu plus ma veste, j'ai froid comme si je venais d'arriver ici pour la première fois. Pourtant rien n'a changé. Quelques élèves déambulent dans le long couloir, mais dès qu'ils voient Joe, ils semblent tous s'en aller.
A moins que ce ne soit à cause de moi ?
« Je peux me rendre à mon dortoir ? –Je demande à Joe sans même le regarder-
-Pourquoi tu me demandes mon accord ? Après tout tu es devenue la préférée d'Amadalia, je ne voudrais pas embêter son nouveau jouet.
-Tu es obligé d'être aussi condescendant ? –Je lâche sous la pression des nerfs, me tournant face à lui- Ok, j'ai compris que tu avais joué un rôle, que nous ne sommes pas, ou plus, amis, mais est-ce que tu es vraiment obligé de me sortir des choses aussi méchantes et gratuites ? Aux dernières nouvelles je ne t'ai rien fait, alors contente toi de seulement m'ignorer.
-Je suis condescendant car je suis réellement déçu de toi –Me répond-t'il sur le même ton- Je croyais que le projet Hunters était ce pourquoi tu te battais ici, que tes amis comptaient pour toi et non pas que tu allais sauter sur la première occasion de filer vers la facilité.
-Oui moi aussi je pensais que le projet Hunters était ce pourquoi je tenais le coup ici, mais à la base ce n'était pas mon but, je n'ai jamais voulu être comme ça.
-Tu veux quoi alors ? Faire partie de l'AGFA ?
-Non !
-Alors qu'est-ce que tu veux ?!
-Je n'en sais rien ça te va ? Je pensais vouloir retourner auprès de mes amis, sauf qu'ils ont tous changé, quant à ma famille, je ne suis pas sûre de pouvoir les retrouver comme avant elles aussi.
-En attendant, toi au moins tu as eu la chance de les revoir, jamais personne ici n'a pu revoir quiconque qui lui était cher.
-Ne me le reproche pas !
-Très bien. Dans ce cas vas-y, fais ce que tu veux. Mais un conseil Pandore, quand tu seras là-bas, seule et que tu te rendras compte de ton erreur, ne reviens pas ici en pleurant. Il n'y aura plus personne.
-Ne t'en fais pas, je ne reviendrai pas. »
Nous échangeons un long regard jusqu'à ce que le sien ne dérive brusquement dans mon dos. Au même moment j'entends des bruits de pas arriver vers moi, des pas bruyants, énervés. Joe semble vouloir m'écarter mais je suis violemment tirée en arrière par l'épaule encore fébrile de mon altercation avec Shey.
« Je peux savoir pourquoi TU as été choisie ? –Beugle Tray- T'as quoi de spécial ? Réponds ! »
Ses gestes sont si soudains et brusques que je suis sous le choc, ne pouvant ni répondre, ni bouger. Il me tire un peu plus et j'imagine qu'il allait pour enrouler sa poigne autour de ma gorge lorsque Joe intervient. Il m'écarte et dégage Tray, ses deux mains poussant durement sur le torse de ce dernier pour le faire reculer.
« Ne te mêle pas de ça toi ! –Crache-t'il à Joe- Tu sais ce que tu risques.
-Je n'en ai rien à faire, nous ne sommes pas autorisés à violenter nos élèves !
-Et c'est toi qui me donnes des leçons ? Toi qui a assassiné la meilleure de mes élèves ?! »
D'un simple geste Joe empoigne Tray à la gorge et le soulève du sol. La mâchoire serrée et les yeux brûlants de colère.
« Je donne des leçons à qui je veux –Dit-il d'une voix contrôlée- Je suis ici depuis bien plus longtemps que toi, j'en ai vu d'autre des Criminels. »
Le visage de Tray tourne rapidement au violet, parsemés de veines épaisses. Pourtant il ne capitule pas, continuant de fixer Joe dans le blanc des yeux même lorsqu'un filet de bave se dessine au coin de ses lèvres bleues.
Puis sans prévenir, Joe le lâche.
« J'ai à te parler, alors tu la fermes et tu me suis. »
Tray pousse un juron entre deux souffles et après avoir essuyé son menton d'un revers de manche, il suit Joe, me lançant un dernier regard de haine. Il ne me laissera pas tranquille si je reste ici.
Alors rien que pour ça, je suis convaincue d'avoir fait le bon choix.
*
Je ne mets pas longtemps pour arriver au dortoir des filles d'où s'échappent des bourdonnements et des murmures. A peine ai-je passé l'arche que le silence tombe comme un immense rocher, inévitable. La tension est palpable, non seulement en ces temps qui précèdent les examens, mais aussi parce que je sens des regards se tourner vers moi. Suis-je paranoïaque si j'ose penser que ces filles parlaient sur moi ?
J'accélère le pas et arrive à mon lit. Je ne viens pas me coucher, je vérifie juste mon meuble et en sors une combinaison propre pour demain matin que je glisse sous mon oreiller, faisant comme si j'étais seule. Derrière-moi les murmures reprennent, mais inaudibles, comme un sifflement dans les oreilles. Je tente de discerner quelques mots, mais je finis par battre en retraite, m'en allant jusqu'à la bibliothèque où je cherche quelques livres traitant du Noyau.
Aucun des livres présents n'en parle, c'est comme si notre source d'énergie était un tabou, quelque chose fait pour être ignoré. Sûrement à cause des conditions de travail. Qui aimerait apprendre qu'un membre de sa famille est traité de la sorte ?
Je laisse tomber ma recherche pour me focaliser sur un livre de sciences, dévorant un chapitre sur les différents vaccins créés par l'Homme au fil du temps. Le dernier grand vaccin était un Sérum de Décontamination, administré à chaque réfugié du Canada avant de descendre sous Terre pour les années à venir. Enfin à chaque... Plus j'avance dans ma page et plus je me rends compte que c'était un bien grand mot. Tous les réfugiés n'ont pas pu descendre, le Nouveau Canada n'était que Terre Promise pour ceux qui n'étaient pas trop contaminés. Bien des gens ont survécu aux bombardements chimiques, mais le Sérum n'était efficace que face à de petites contaminations, excluant donc près des deux tiers de la population du Canada à l'époque. Une sélection naturelle a également été faite, laisser la place aux personnes jeunes, pour le travail mais également la reproduction et la sauvegarde de l'espèce humaine.
Je me demande bien ce qui a pu arriver aux autres rescapés. Je pars chercher un autre livre sur le sujet, mais comme je m'y attendais, il n'y a rien. L'AGFA contrôle les livres, aussi bien les plus anciens écrits datant d'époques presque irréelles que nos livres scolaires. Il est donc sûr qu'ils ne prendraient pas le risque de voir les heures les plus sombres du Canada être racontées à tout le monde. Les puissants ont toujours une crainte de voir l'opinion publique contre eux.
Je soupire et tourne la tête au bon moment, découvrant ma professeur d'Histoire Ancienne, occupée à ranger une pile de bouquins, lesquels sont sur le point de dégringoler. Je m'approche d'elle et attrape un des livres, trouvant ce prétexte tout à fait honnête pour engager la conversation.
« Votre livre Madame –Dis-je d'une petite voix alors qu'elle sursaute-
-Oh tu es... Pandore c'est ça ? –Elle demande, peinant à cacher une mine mal à l'aise- Je suis désolée j'ai du mal à mettre des prénoms sur des visages.
-C'est bien moi –Dis-je en rangeant son livre-
-Merci à toi. Que... Que fais-tu là ?
-Je lisais un livre, sur l'époque de la Guerre Chimique, mais il ne répond pas à toutes mes questions.
-Bien-sûr que non –Dit-elle avec un soupçon d'ironie dans la voix, laquelle n'est pas contre moi- L'AGFA n'a pas besoin que la population apprenne la vérité.
-Alors il s'est bien passé plus de choses ?
-Pourquoi veux-tu savoir cela ?
-Je ne sais pas, ça m'intéresse –Dis-je en me trouvant bête-
-Tu sais que ça ne tombera pas à l'examen et tu ferais mieux de.... De travailler sur ces cours-là.
-J'y compte bien, mais n'existe-t'il pas des écrits au sujet de cette époque ?
-Il y a quelques livres, mais les élèves n'y ont pas accès –Elle fronce les sourcils- Mais j'imagine qu'étant donné ta position auprès de l'AGFA.... »
Je manque de rétorquer, au lieu de ça je mords ma lèvre et me contente de rester silencieuse afin de laisser ma professeur en venir aux conclusions. Non je n'ai aucune position auprès de l'AGFA, cette rumeur stupide commence à m'énerver, mais si ça peut me permettre de lire des livres d'ordinaire interdits, je peux prendre un peu sur moi.
« Il y a un petit livre que je pourrais te passer, mais tu devras me le rendre rapidement et surtout ne le laisse pas traîner. »
Peut-être a-t'elle peur que je lui tende un piège, car elle m'observe à plusieurs reprises et je suis sûre que c'est pour cela qu'elle ne se contente que d'un petit livre, alors qu'il doit exister des écrits plus longs et plus approfondis.
Elle me demande de l'attendre et s'enfonce dans les rangées de la bibliothèque jusqu'à ce que je ne puisse plus la voir. Au loin il me semble discerner un bruit de porte qu'on dévérouille, plusieurs fois, puis c'est le silence. Seul le bruit des pages, tournées avec appréhension par des élèves essayant de réviser, se fait entendre.
Je frotte le sol glacé avec la pointe de ma botte, n'arrivant même pas à effriter la simple surface. Je crois bien qu'il fait de plus en plus froid, ce n'était pas qu'une impression en revenant du Noyau tout à l'heure.
« Tiens, mais reste à l'écart pour le lire s'il-te-plait et une fois que tu l'auras terminé, tu me l'apporteras dans ma salle. »
Je la remercie, sentant dans le même temps un objet être glissé dans ma main. Je l'attrape rapidement et n'ai pas le temps de dire autre chose qu'elle est déjà partie ranger d'autres livres, faisant comme si elle ne m'avait jamais parlé.
En baissant les yeux, je découvre un petit livret, relié par une ficelle aussi jaunie que les pages. Le titre, écrit à la main, commence à s'effacer à cause du froid ou de toute autre chose, après tout j'ignore à quoi ressemble le lieu dans lequel il se trouvait. Sûrement une sorte de réserve.
« Le Tri »
Rien que le titre me donne des frissons et je pars m'asseoir à même le sol, un peu plus loin, à l'abris des regards comme me l'avait demandé ma prof. Il n'y a pas de chapitres, ce n'est pas un roman, ni même un livre organisé, cela ressemble plus à un carnet de bord, un carnet sur lequel sont inscrits des choses à la main. L'écriture est fluide, bien que des centaines d'années se soient écoulées, le français est resté le même et je n'ai aucun mal à le lire. C'était effectivement un journal de bord, appartenant à un certain Docteur Carron, dont le rôle était de vérifier le sang des réfugiés avant de les laisser intégrer le Nouveau Canada et de tenir le Gouvernement informé.
Il y a des données chiffrées, des listes de noms, dont certains sont barrés et quelques paragraphes plus longs, entrecoupés de dates et d'autre chiffres encore.
15 novembre 2110.
La Guerre est enfin terminée, mais les survivants continuent à affluer et à présent de toutes part. Le travail a triplé, nous devons faire face à présent à une vague d'étrangers. Le Gouvernement n'accepte que les Canadiens, de l'Ouest comme de l'Est, mais tous les étrangers sont arrêtés à la frontière. Elle ne tiendra plus très longtemps. La rumeur court que de nouvelles attaques auront lieu et les gens sont en constante ébullition.
Hier soir les gardes ont dû tirer dans la foule après qu'une émeute ait éclatée. J'ignore qui a péri, qui a survécu. Je n'ai plus le droit de sortir de la zone de quarantaine, pas même pour écrire. Les prises de sang sont de plus en plus négatives, il est rare de trouver un survivant qui ne soit pas atteint à au moins 50% de son organisme, de plus des virus se propagent à la frontière. Plus les gens attendent dehors et plus la maladie augmente, il y a à présent des soldats placés devant notre tente et j'ignore si nous pourrons faire descendre d'autres personnes encore.
D'après le registre, déjà 6000 personnes auraient été traitées et admises. J'ignore à quoi ça ressemble là-dessous. On fait passer les personnes traitées dans de grands cratères, creusés jusqu'à une profondeur inimaginable. Apparemment nous allons vivre sous terre, sous l'eau, là où les bactéries et les virus n'ont pas pu proliférer. Seul le nouveau Gouvernement et ses sympathisants semblent savoir ce qu'il se passera là-dessous, mais rien n'est ébruité. Personne ne veut que les individus contaminés ne tentent de rejoindre ceux qui sont hors de danger.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
20 novembre 2110.
Ce que nous redoutions le plus est arrivé. L'Hiver est arrivé et la neige commence à tomber. Ce n'est pas une neige normale, elle semble bien plus lourde, bien trop blanche comparé à celle que nous avions l'habitude de voir et les quelques personnes qu'il m'arrive de faire encore passer sont couvertes de plaques là où la peau n'est pas couverte. Ce n'est pas une neige normale, comme cette pluie acide et noire que nous subissons depuis les bombardements, c'est un phénomène chimique qui n'aurait jamais dû arriver. Jamais le ciel, pourtant loin de l'homme, n'aurait dû être contaminé par notre bêtise. Le Monde est contre nous, la Terre se détruit elle-même à présent.
Des enfants hurlent dehors. Des femmes supplient les gardes et les soldats de faire passer leurs bébés avant qu'il ne soit trop tard. Mais je n'ai vu aucun bébé depuis des jours. Le Gouvernement a fait passer de nouveaux ordres. Plus d'enfants, plus de personnes âgées, seulement des personnes jeunes ou suffisamment vigoureuses pour faire marcher un nouveau pays.
Je ne peux plus regarder ces gens dans les yeux. Certains ont cessé d'attendre et sont parti chercher refuge ailleurs, dans les Montagnes ou dans des abris anti-atomiques encore intacts, quand ils ne sont pas remplis de d'individus attendant la mort. Beaucoup sont morts, exécutés ou de fatigue.
Les Criminels qui ont pu passer sont chargés d'évacuer les corps, c'est là leur façon d'expier leurs crimes avant de retourner à la vie sociale.
Quelle ironie. On laisse entrer des meurtrier, car ils ne sont pas jugés dangereux de par leur sang, mais on refuse les femmes et les enfants, car trop faibles. La bonté et la gentillesse ne sont plus un critère, il n'en reste sûrement plus après cette Guerre et peut-être un jour regarderons-nous à nouveau les gens pour leur vraie valeur.
28 novembre 2110.
La fin du tri est proche. Le Gouvernement, baptisé AGFA, a trouvé deux nouveaux leaders parmis les réfugiés. Suzanna McCullins pour les anglophones et Philippe Lambert pour les francophones. Ces deux nouveaux Gouverneurs nous somment de rentrer au plus vite de peur que nous soyons, nous les scientifiques chargés du tri, contaminés.
Pourtant il reste du monde à l'extérieur.
Mais cette nuit est peut-être bien la dernière.
Il n'y a plus aucun pleurs de bébé depuis que l'Hiver s'est installé, seulement des plaintes et des gémissements de personnes encore assez valides pour espérer. Il n'y a pas eu de nouveaux bombardements, mais la neige a continué de tomber, brûlant la peau de ceux qui aujourd'hui regretteraient presque de ne pas avoir succombé sous une bombe il y a quelques mois de ça.
Hier ma collègue Tiana a voulu faire passer des enfants, deux jeunes frères et sœurs venant des ruines de l'Ontario, seuls, sans parents ni autre famille. Quel danger aurait pu représenter des orphelins ? Les enfants guérissent bien plus vite que les adultes, une simple injection du Sérum aurait pu les ramener à la normale d'ici peu... Mais j'imagine que ce n'était pas un argument recevable, il n'y aurait même pas dû avoir d'argument, de remise en question des dernières directives...
Quand je tourne la tête et que je vois la chaise vide de Tiana, je me demande si au final nous tous, restés sur Terre, ne sommes pas condamnés. A quoi dois-je m'attendre lorsque je descendrai ? Va-t'on me remercier pour mon travail ou me suspecter d'être contaminé ? Après tout, je n'ai jamais fait parti de l'élite ni des sympathisants scientifiques du Gouvernement. Ai-je réellement une autre place que celle de trieur ?
1 décembre 2110.
Je suis enfin descendu. Nous sommes passés par un cratère avec quelques-uns de mes camarades francophones. C'était long, humide et plus l'on s'enfonçait sous terre, plus la sensation d'écrasement nous prenait. On nous a donné des casques, lourds, inconfortables et puant la sueur des porteurs précédents, mais nous n'avons rien dit. Ca aurait pu être un piège que ça ne m'aurait rien fait, je venais de vivre le pire moment de ma vie. Nous ne sommes pas descendus car c'était la fin, mais par nécessité. J'essaye de me rappeler ce que j'ai entendu et vu, mais tout se mélange dans ma tête. Je suis subjugué par cette descente aux enfers, ce casque qui servait en fait à réguler la pression sous l'eau afin que l'on n'explose pas de l'intérieur... Je me sens écrasé à la fois par la roche et les informations, pourtant cette nuit était la pire. Il régnait le même bruit que d'ordinaire, le bruit des survivants, aussi bien à la Guerre qu'à l'Hiver, nous implorant de les laisser au moins entrer dans la tente pour être au chaud et hors des ravages de la neige chimique.
Les soldats les en ont empêché.
Puis il y a eu ce tremblement. J'ai pensé que cela venait de l'intérieur, que le Nouveau Canada était en fait un piège, ou qu'il s'était passé quelque chose. Mais le bruit ne venait pas de sous terre mais de sur terre. Le sol tremblait, des gens se sont mis à hurler, comme s'ils revivaient. Pourtant c'était différent, je pense que d'autres réfugiés sont arrivés en courant, effrayés par quelque chose. Le vent a commencé à souffler et nos barrières, contre lesquelles plus personne n'avait plus la force de se tenir jusqu'à maintenant, ont été secouées, manquant d'être arrachées. Le bruit du métal me revient en tête, les cris dans toutes les langues. On nous implorait, quelque chose venait, quelque chose se passait dehors, mais nous n'avons pas pu voir. J'ai seulement aperçu les soldats se mouvoir plus rapidement, puis ils ont ouvert le feu, à volonté, sur tout ce qui bougeait.
La neige et le vent étaient bien plus violents que d'ordinaire et alors que j'ai voulu sortir, des officiers sont venu nous récupérer à la hâte, nous donnant ces casques. Au dehors les cris et les tirs se mélangent, j'ai seulement eu le temps de reprendre mon carnet et de voir la tante s'écrouler. Sous le poids de la neige ? Des gens restés dehors qui tentaient de fuir ? Je l'ignore, mais d'un coup, tout est devenu blanc et silencieux, comme s'il n'y avait jamais eu personne. Les coups de feux se sont arrêtés d'un coup sec, comme ils avaient commencé et plus aucun bruit humain ne s'est fait entendre, pas même le moindre souffle. Juste le vent qui sifflait de manière morbide à nos oreilles.
Tout est devenu blanc. Éclairé par la Lune j'ai aperçu un épais brouillard, puis on nous a demandé de descendre, sans plus attendre. Après quoi une énorme grille faite de verre et de métal, couverte de pieux et de barbelé, s'est refermée sur nous. Les officiers l'ont verrouillée avant de nous faire monter dans des espèces ascenseurs.
Je ne verrais plus jamais la Terre et j'emporte avec moi la dernière vision de la Lune, semblable à ce qu'elle a toujours été, bien loin de la cruauté des Hommes.
3 décembre 2110.
Les populations ont été séparées entre anglophones et francophones, nous sommes répartis dans des immenses blocs de terre, cachés et protégés par des champs de forces assez puissants pour nous garder en vie. Il y a de l'oxygène, bien qu'il ne soit pas aussi pur que sur Terre et les scientifiques sont mis à rude épreuve pour faire perdurer la vie humaine à un stade aussi improbable.
Depuis quelques temps les gens commencent à devenir fou. Le soleil manque à certains, les bébés qui ont été admis ont la peau jaune et j'imagine que de nouvelles maladies inconnues vont croître ici. Ce n'est pas notre état naturel.
Quoi que, notre état naturel nous l'avons détruit, alors finalement, où sommes-nous réellement à-même de vivre ?
10 décembre 2110.
Les maladies liées au manque de soleil n'ont fait qu'augmenter, l'AGFA ne sait quoi faire des corps d'enfants qui n'ont pas survécu au changement. Depuis hier les ascenseurs sont retirés des Puits et un nouveau métier a vu le jour. Des hommes sont envoyés le long de ces parois rocailleuses pour installer des miroirs et retirer les blocs de terre et de neige qui les obstruaient. Ce sont des ramoneurs, baptisés les Puisards.
Bientôt nous serons capable de voir le jour, grâce à eux.
Du moins, le voir sans le voir.
Au moins nous n'oublierons jamais la lumière qui faisait notre quotidien.
Je m'arrête un instant dans ma lecture, le souffle court et les yeux rivés sur un mot. Puisard. C'était ce que faisaient mon père, ainsi que le mari de Cécile. Tous les deux décédés, avec tant d'autres, dans un éboulement de Puit à la Rûche. Le père de Luke l'était également, lui aussi a succombé à un éboulement plus tard.
Alors ce métier a commencé à exister il y a deux cents ans. Je ne peux m'empêcher de penser à mon père et au mari de Cécile. Je n'ai pas eu le temps de profiter d'eux durant mon enfance car je ne les voyais jamais, ils travaillaient tout le temps, même le père de Luke. Mais j'aurais aimé les connaître bien plus et apprendre leur métier autrement qu'au travers d'un journal. Je cale ma tête contre le montant d'une étagère, souffle un bon coup, avant de replonger directement dans ma lecture, voulant à tout prix savoir ce qu'il s'est passé ensuite.
20 décembre 2110.
Des nouveaux quartiers viennent de voir le jour, notamment celui de la Perle, destinés seulement aux familles aisées et dont les métiers importent à la survie du pays. Les autres sont au Terrier et il semblerait que deux autres endroits spéciaux soient en construction. Nous voyons des appareils quitter les espaces du champs de force et disparaître dans les Eaux Noires avec beaucoup de matériel. Sûrement en prévision d'une éventuelle surpopulation, ce qui n'arrivera pas si l'épidémie d'Hydro-Grippe n'est pas contrée.
Beaucoup de corps ont été balancés par les champs de forces, pour nourrir les poissons et autres créatures qui nous observent. C'est un lieu hostile, j'ignore combien de temps notre race tiendra ici bas, mais sûrement pas longtemps.
Beaucoup de ceux qui avaient été admis sont morts ou inutiles. Et c'est la même chose à l'Ouest.
Peut-être ce carnet n'aura jamais de réel but, si ce n'est de m'exprimer sur ces choses qui me rongent et peuplent mes cauchemars.
25 décembre 2110.
Noël sous terre. C'est idiot d'y penser, personne n'y pense, personne n'a envie de fêter quoi que ce soit, d'être heureux. Le fait d'être en vie est la seule chose que l'on peut encore fêter aujourd'hui et aucun festin n'a eu lieu.
10 janvier 2111.
Les nouveaux quartiers sont l'Iceberg et le Noyau. L'un est plus qu'hostile et ne peut convenir à abriter des humains en raison du froid, j'imagine donc qu'il servira d'entrepôts réfrigéré, pour la nourriture qu'il nous reste de sur Terre. Ou bien ce sera pour les derniers cadavres ? Ils ne sont plus jetés à l'eau depuis des semaines, peut-être iront-ils là-bas.
Je n'ose pas imaginer pourquoi.
En fait je préfère éviter de me mêler des affaires de l'AGFA.
Philippe Lambert ne semble pas nous voir d'un très bon œil. Peut-être à cause de ce que nous avons vécu là-haut ? Il nous a été ordonné, dès notre arrivée, de ne rien dire à propos de ce que nous avions vu dernièrement sur Terre et c'est donc ce seul carnet qui témoignera de la vérité, si jamais il perdure et que quelqu'un soit assez fou un jour pour me croire.
25 février 2114.
Les choses ont changé en trois ans, je suis à présent à l'Iceberg. J'ignore pourquoi, apparemment on veut nous envoyer y faire des expériences, mais nous ne sommes pas stupides. Des Criminels sont également ici et eux n'ont aucune expérience à faire.
Les gens deviennent hargneux, se regardent mal et de nombreux amis sont parti hier dans un Sub et ne sont jamais revenus. La tension est palpable et personne ne nous donne de réponses.
Sont-ils retournés au Nouveau Canada ?
Nous n'avons presque pas fait d'expériences.
Enfin, si vraiment on croit à cette histoire.
Parfois je pense à la vie sur Terre. Reste-t'il encore des gens ? Ceux qui se sont réfugiés dans les bunkers ont-il survécu à l'Hiver de 2110 ? La neige est-elle aussi tueuse et les nuages toujours noir d'une pluie acide ?
Je pense que je préfère ne rien savoir et oublier. Juste garder l'essentiel.
3 mars 2114
Mes amis ont été envoyés au Noyau. Pourquoi ? Je l'ignore. Je pense que ce sera bientôt mon tour. On m'interroge souvent, on me fait faire des tests alors qu'avant c'était à moi d'en faire. Peut-être vais-je laisser ce carnet ici. Je n'en ai plus l'utilité, je partirai avec ce que j'ai vu. L'AGFA ne doit jamais le trouver, peut-être qu'après tout il sera perdu.
L'être humain oublie vite ses erreurs passées.
Dommage que les choses n'aient été différentes.
Reverrais-je un jour le soleil ?
19 mars 2114.
J'ignore ce qu'il est advenu du Docteur Carron. Ce livre ne sera jamais perdu, ni oublié.
A sa mémoire et en son honneur ; je garderai ce livre.
Signé, Mathilde Fabre
Je tourne les quelques dernières pages du carnet, découvrant des signatures de personnes ayant permis à ce livre d'exister et de perdurer. Je m'arrête à la dernière page, ouvrant grand les yeux.
12 avril 2301
Je promets de faire perdurer la vérité et de faire payer le prix à ceux qui nous mentent.
Signé, Joe.
C'est signé du 12 avril 2301, c'était il y a neuf ans. Joe... Ce peut-il qu'il s'agisse du même Joe ? Celà ferait donc au moins neuf ans qu'il est ici... Et neuf ans... Il avait dix-huit ans ! Voilà pourquoi il n'a rien répondu lorsqu'on lui a demandé comment s'était passé son dix-huitième anniversaire. Il venait d'être envoyé à l'Iceberg? Ou bien y était-il déjà ? Ou alors ce n'est pas lui...
Bien que je suis réticente, je pense avoir trouvé une excuse pour une dernière discussion avec Joe, de gré ou de force.
J'aimerais seulement savoir qui il était, avant de ne plus jamais le revoir.
Je ferme le livre et le glisse dans ma poche, déambulant dans la bibliothèque en quête d'un stylo.
« Pandore ? »
Je sursaute et esquisse un sourire à la vue de Vénus, Minna, Calum, Moly et Rafael, tous les cinq à la même table. Aucun d'eux ne me dévisage avec appréhension ou l'air mauvais. Ou alors ce sont de bons menteurs.
Ils me font une place à leur table où je trouve pleins de cahiers et de livres disposés dans tous les sens.
« C'est comme ça que vous révisez ? –Je demande avec un sourire-
-Nous au moins on révise –Rétorque Vénus- J'allais faire une petite blague par rapport à Amadalia, mais je ne pense pas que ce soit de très bon goût.
-Non en effet –Soupire Calum-
-Ton frère ne vient pas ? –Lui demande-t'elle en jouant avec ses longues mèches violettes-
-Plus tard j'imagine, mais tu sais, ce n'est pas un gars bien.
-Oh les frères disent tous ça ! Enfin, quand ce sont des Illégaux évidemment.
-Je ne plaisante pas, mais tu t'en rendras vite compte quand on sera là-haut –Répond ce dernier d'un ton à la fois posé mais à la limite de l'avertissement avant de plonger son nez dans un livre de biologie-
-Je peux t'emprunter un stylo ? –Je demande à Rafael qui ne révise absolument pas-
-Bien-sûr !"
Je le remercie et pose le livre sur mes genoux, sous un cahier de science, faisant semblant de réfléchir. Mon mot ira juste après celui de Joe, neuf ans après. Deux cent ans après que le Docteur Carron ait fait son récit.
26 octobre 2310
Je promets de mettre la science au service de l'Homme et non du pouvoir et de faire perdurer la vérité, jusqu'à notre retour à tous sur Terre.
Signé, Pandore Jones Keanon
" Au fait, tu as fait quoi aujourd'hui ? -Me demande Rafael, lequel tente de voir ce que je peux bien noter- De nombreuses informations circulent, certain disent que tu as vu tes parents, d'autres que tu as mangé avec Amadalia dans ses quartiers et que tu es sa préférée. Mais je ne leur fais pas confiance sauf que... Joe avait l'air vraiment sur les nerfs quand je l'ai vu en venant. J'imagine.... Que ça te concernait ? Il se fait du soucis pour t...
-Vous me promettez de ne rien dire ? –Je demande alors que tous relèvent la tête de leurs livres et acquiescent- Je suis allée au Noyau.
-Quoi ?!
-Et alors c'est comment ? –Demande Calum avec excitation- C'est l'endroit le plus secret du Nouveau Canada, après l'AGFA !
-C'est... Spécial.
-J'imagine qu'Amadalia t'a montré ça parce que tu es douée en sciences et en physique ? –Demande Minna- Je ne sais pas si j'ai envie d'y aller, on entend des choses bizarres là-dessus, des gens qui ne reviennent pas. C'était le cas du père de Billy il me semble.
-Ils ne reviennent pas car ils y travaillent et dans des conditions...pire que mauvaises, je pense que beaucoup ne sont pas revenus à cause de la fatigue et du travail...
-Ce doit être horrible d'y être envoyé et de savoir que tu vas sûrement y mourir.
-Jamais personne n'est revenu du Noyau, si ? -Hoquète Vénus-
-Non, personne, du moins je ne pense pas, on devrait demander à Joe, il s'y connait mieux que nous étant donné qu'il est là depuis un moment. Le passage par le Noyau se faisait souvent par l'Iceberg avant que le projet Hunters ne soit mis en place –Nous dit Rafael d'un air pensif-
-Vous lui demanderez –Dis-je soudain, préférant le questionner au sujet du livre que du Noyau-
-Oh allez quoi vous êtes toujours fâchés ?
-Fâchés ? Il dénigre totalement Pandore –Dit Moly, vite intimidée par tous ces regards sur elle-
-Tu sais, ça arrive que les garçons soient compliqués –répond Rafael- Tu comprendras en grandissant.
-Pour ça il faut que je grandisse.
-Tu grandiras j'en suis sûr, mais pour ça tu dois réviser et viser les 80 meilleures places ! »
Tous se mettent à broncher car personne n'avait réellement envie de réentendre le nombre total de Hunters. Moi je ne dis rien, je fais semblant de faire la moue, mais au final je ne me soucie plus de ça. Demain je serai partie.
Dois-je le leur dire ?
Ils ont tous l'air à fond dans leurs révisions, je ne veux pas les déranger et encore moins passer pour la petite privilégiée. Eux ne croient pas encore aux rumeurs, ils sont encore mes amis...
Mais ce serait une trahison bien pire de ne rien leur dire.
Je réfléchis un moment, tourne les phrases dans ma tête, lorsque Minna sursaute.
« O...Oh non ! »
Nous redressons tous la tête vers elle, ou plutôt vers son visage fixé sur son écran allumé. Elle seule a reçu un message. Puis Vénus semble l'imiter, mais personne d'autre. Toutes deux se regardent, devenant blêmes, tandis que les yeux de Minna s'embuent de larmes.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? –Je demande soudain plus préoccupée par leur panique que mon discours d'au revoir-
-On... On a loupé trop de cours d'armes avec Tray alors on... On doit –Balbutie Vénus- On a un cours obligatoire avec lui, maintenant, sinon il...
-Sinon quoi ? –Je demande, poings serrés-
-Sinon on aura zéro d'office à son examen et nous perdrons beaucoup de points sur le Hunternumb.
-J...Je ne veux pas y aller ! –Tremblote Minna- J...J'ai séché la moitié de ses cours, il va me punir c'est obligé !
-Tout ira bien –Dis-je avec un sourire mal assuré- Je m'en suis sortie de ses punitions, vous vous en sortirez aussi les filles, j'en suis sûre, en plus vous êtes toutes les deux. D...Dites vous juste que ce n'est qu'un gros con et puis, vous êtes encore sous la protection de Joe, il ne vous arrivera rien. »
J'aimerais en être sûre. Les garçons ne peuvent que les encourager et Rafael se porte même volontaire pour les accompagner. Moly ne dit rien, soupirant discrètement de soulagement. J'imagine qu'elle craint d'avoir à subir la même chose.
Et dire que j'ai promis de la protéger... Je m'en veux de l'abandonner comme ça, maintenant.
"Tray ne peut rien face à Joe -Dis-je à Moly- Et Joe te protège, même si tu le refuses. Tu n'as pas à avoir peur et elles n'ont plus."
Calum quant à lui a cessé de réviser et me lance un regard qui veut tout dire.
Pas sûr que les choses aillent bien.
Non, ce n'est absolument pas bon signe.
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