12 ~ A knife in the ice

Plusieurs jours passèrent suite à cet incident avec Joe et depuis, lui et moi n'avions plus échangé un seul mot. Il m'évitait, ne mentionnait mon nom que lors des cours de sport en groupe puis portais son attention sur quelqu'un d'autre. A l'inverse, mes rapports avec Mélawi s'étaient améliorés et elle m'avait énormément félicité après un exercice de survie, consistant à allumer un feu d'abord en pleine nature, puis sur un bloc de glace. Reni m'avait également donné quelques points supplémentaires pour une rédaction sur les poisons et les remèdes naturels et je n'avais pas hésité à lui faire part de mon point de vue au sujet d'un sérum permettant aux végétaux d'être soignés sans pour autant être pulvérisés, ce à quoi elle m'avait répondu qu'elle se renseignerait mais que le choix ne lui revenait pas à elle, mais aux autres scientifiques, les plus hauts placés travaillant directement sous les ordres de l'AGFA.

En fait, une semaine complète s'était écoulée et j'avais finalement appris à accepter d'être à l'Iceberg, à vrai dire je commençais même à m'y plaire. J'étais passé une seconde fois voir Bianka, pour parler de mon projet de couleur et j'avais enfin fixé une date avec elle, une date significative à mes yeux, mon anniversaire.

J'avais commencé à trouver ma place. Mais c'est après ces quelques jours que j'ai reçu un message de Joe directement sur mon écran, juste avant le dîner, chose qui n'était pas arrivée depuis notre premier cours tous les deux. J'active le message et si j'avais ressenti un quelconque pincement au cœur, pensant recevoir des excuses ou quelque chose dans ce goût-là, après avoir lu le contenu je serre mes dents et mes poings, découvrant finalement une liste d'élèves, sélectionnés pour les premières épreuves notées et de ce fait, déterminantes pour le Hunternumb. Pire encore, dans la liste se trouve Shay et cette dernière, venant elle aussi de recevoir la liste, me lance un regard de défi au travers du réfectoire avant de murmurer quelque chose à tout son petit groupe.

«- J'imagine qu'on sera sélectionnées pour la prochaine épreuve –Dit Vénus en fixant mon écran- Tu sais quelles seront les disciplines ?

-Non, il n'en dit pas plus dans son message.

-Je ne pensais pas que les évaluations notées allaient arriver si vite –Dit Minna en soupirant- J'imagine que cette fois-ci je serais obligée d'aller en cours d'armes avec Tray.

-Tiens d'ailleurs Pandore –Se redresse Vénus- Tu n'as encore jamais eu avec Tray, je me trompe ?

-Non, tu as raison.

-C'est bizarre non ? Normalement tu aurais dû le voir au moins une fois depuis ton arrivée.

-Il n'en a pas fait la demande en tout cas –Dis-je en me crispant-

-C'est parce qu'il n'a pas le droit de faire des cours particuliers, en tant que Criminel, il a moins d'avantages que les autres professeurs qui sont Illégaux. Cependant c'est vrai que c'est étrange.

-Moi ça ne me dérange pas –Dis-je en avalant le verre d'eau tiède, grimaçant comme au premier jour-

-Je comprends, mais ça peut te poser des problèmes, je suis sûre qu'il te fera quand même passer l'examen d'arme, celui qui comptera pour ton Hunternumb et comme il n'aime pas les Illégaux et que tu es aussi nouvelle, il risque de s'en donner à cœur joie et de te baisser dans le classement.

-J'imagine qu'il n'est pas le seul à avoir du pouvoir ici, donc il suffit que je réussisse dans toutes les autres matières et tant pis s'il m'enlève quelques points. »

Mes deux camarades hochent la tête, malgré tout peu convaincues et c'est après avoir terminé notre maigre dessert que nous quittons le réfectoire pour aller nous préparer à nous coucher. Comme d'habitude, l'attente est longue, en une semaine j'ai eu le temps de comprendre que ça ne servait à rien de faire la queue dans le froid, alors je reste perchée sur mon lit, les pieds ballants et attendant que nombre de mes camarades reviennent.

Quelques rangées plus loin, vers l'entrée, il y a un lit vide depuis maintenant une semaine et le numéro sur l'écran aux pieds du lit a disparu, comme s'il n'y avait jamais eu personne. Pourtant il ne me semblait pas avoir trouvé de lit vide à l'entrée lorsque je suis arrivée. Je jette un coup d'œil aux alentours et après m'être assurée d'être seule, ou du moins hors des regards de certaines filles déjà couchées, je descends de la mezzanine et vais vers le lit vide. Les couvertures sont pliées et les tiroirs vides, sauf le dernier dans lequel pourrit une petite peluche en piteux état et sur laquelle est brodé le prénom Elyse. Il y avait bien quelqu'un ici.

Et alors que je referme le tiroir, un cri résonne du couloir extérieur. Je me glisse sous l'arche, en silence et découvre trois filles d'allure fort disgracieuse, aux poignets entourés de bracelets rouges, occupées à mettre au sol une fillette. La petite se met à crier de plus belle alors qu'une Criminelle lui porte un coup de pieds dans l'épaule, la faisant s'écrouler contre le sol glacé.

Bien que les mises en garde de Joe me reviennent en tête, je m'écarte de l'arche du dortoir et m'avance d'un pas rapide jusqu'aux filles, poussant violemment la meneuse d'un coup dans les côtes pour la faire tomber sous le regard surpris et menaçant de ses « amies ».

«- Tu fous quoi là ? –Me demande une blonde semblable à un molosse enragé-

-Je vous renvoie la question –Dis-je en soulevant la fille qui n'est autre que la Native que j'avais bousculée un jour- Je peux savoir ce qu'elle vous a fait ?

-Cette pisseuse a voulu emprunter nos douches, sauf qu'on l'a choppée et maintenant elle chiale.

-Vos douches ? Les douches appartiennent à toutes les filles de l'Iceberg, v...

-Tu crois ? A ton avis pourquoi certaines Criminelles auraient le droit à des douches privatisées, en plus du dortoir séparé ? –Demande une autre fille, arborant un sourire mauvais- Parce que vos petits profs Illégaux ont peur que l'on vienne vous égorger sous la douche ou dans vos lits.

-Mais votre petite barrière ne vous protège que dans votre sommeil, vous devriez faire un peu plus attention à vous, en plein jour. »

Je fronce les sourcils alors qu'au même instant la Native m'attrape par le bras et me tire vers l'arche sous les rires gras des trois filles, lesquelles retournent dans leur dortoir. Je jette enfin un regard à la petite, laquelle éponge un filet de sang dégoulinant depuis sa bouche avant de me regarder à son tour, sans rien dire.

«- Pourquoi tu es rentrée dans leur dortoir ? Tu devais bien savoir que ça se finirait ainsi non ?

-J'en ai marre d'attendre, tous les soirs –Dit-elle d'une voix fantomatique, fade- Vous prenez toutes votre temps, tout ça pour seulement enfiler un pyjama et dormir. Vous êtes bêtes !

-Je pense que tu n'as pas grand-chose à dire là-dessus après ce qu'il vient de se passer.

-Tu vas le dire aux professeurs ?

-Bien-sûr que non, je ne suis pas comme ça –Dis-je en allant chercher mes affaires de toilettes- Au fait, c'est quoi cette barrière dont elle parlait ?

-Les arches du dortoir sont magnétiques et captent les informations des bracelets jaunes et rouges. Notre arche est programmée pour ne laisser aucun Criminel entrer, si les informations d'un bracelet rouge sont interceptées par l'arche, une alerte sera immédiatement donnée.

-Ils ne rigolent pas avec notre sécurité.

-Parce que les Criminels ne plaisantent pas non plus. –Dit-elle en attachant son carré brun et bleu nuit en un chignon- Il y a une dizaine d'années, Criminels, Illégaux et Natifs étaient ensemble dans l'ancien dortoir, tout allait très bien. Puis quand le projet Hunter a été dévoilé et qu'une compétition est entrée en jeu, une tension a commencé à naître et c'est après que plusieurs Illégales aient été retrouvées égorgées et tuées dans leur sommeil que l'AGFA a fait construire deux dortoirs.

-Tu sais beaucoup de chose.

-Je suis presque née ici.

-Comment tu t'appelles ?

-EPF-M4250-N

-Ca c'est ton matricule, pas un nom –Dis-je avec un regard gêné-

-Alors je n'ai pas de nom –Dit-elle froidement-

-Tes parents ont bien dû te donner un nom.

-Peut-être. En quoi est-ce important ?

-Je ne sais pas, c'est plus simple pour t'appeler, comment les profs t'appellent-ils ?

-M4250, c'est mon nom même si ça ne te plait pas. »

Elle attrape ses affaires dans une commode non loin de la mienne, ce qui me laisse à penser que son véritable prénom commençait par un M, puis elle se dirige vers les salles de bain, seule.

Du haut de sa petite taille et de son jeune âge, cette fillette semble si vieille. Rafaël avait raison, les Natifs ont été élevés hors de notre réalité et semblent bien plus détachés et graves que nous. Ils n'ont presque rien connu d'autre que l'Iceberg et la famille ne signifie rien pour eux.

Quand je pense que chaque soir je revois les images de Cécile, d'Alice ou de Victoria dans ma tête avant de réussir à m'endormir. A quoi peut-elle penser cette petite ?

*

C'est Minna qui reste à attendre avec moi alors que je pars prendre ma douche. Il n'y a presque plus personne et l'eau chaude se fait rare après tous ces litres déjà écoulés. Je n'y reste pas longtemps, me remémorant dans le même temps ce que m'avait dit la Native tout à l'heure. Peut-être passons-nous trop de temps à des choses peu existentielles, nous avons été éduquées ainsi. A qui la faute ?

Je me sèche rapidement et enfile mon pyjama avant de sortir pour retrouver Minna, laquelle porte mon uniforme à bout de bras, une grimace indéchiffrable sur son visage qui se change en malaise total lorsqu'elle croise mon regard.

«- Qu'est-ce qu'il y a ?

-Tu...Tu as fait une connerie ? –Balbutie-t'elle-

-Quoi ? Non pourquoi ? »

Elle déglutit et me montre simplement l'écran sur ma veste d'uniforme, sur lequel brille la mention « Message Important – Disciplinaire ». Disciplinaire, c'est la sixième arche du couloir des salles de cours, celle destinée aux punitions et je déglutis avec difficulté lorsque mes doigts ouvrent fébrilement ledit message.

« ETF-P7020-I, une punition a été maintenue contre vous ce soir à 21:35, dans l'enceinte des dortoirs des filles pour bagarre. Vous vous présenterez demain en salle Disciplinaire à 8 heures, tout manquement entrainera une plus lourde sanction. »

« - Tu t'es battue ? –Demande Minna alors que le sang me monte jusqu'aux oreilles-

-Ce n'est pas moi qui ai commencé ! Ce sont ces abruties de Criminelles qui ont violenté une gamine ! Je me suis simplement interposée pour la laisser partir.

-J'imagine qu'elles auront reçu le même message alors.

-J'espère bien –Dis-je en mettant ma veste d'uniforme en boule- Comment ont-ils su ?

-Ils voient tout –Dit Minna d'une petite voix- Nous sommes surveillés, à chaque instant. Les professeurs n'en parlent pas car ils n'en ont pas le droit, mais il est évident que l'AGFA nous observe. Ils ne laisseraient pas une telle population échapper à leur contrôle, encore moins les Hunters. Ils ont dû te voir t'interposer.

-Tu es déjà allé dans cette salle ? –Je demande, la gorge sèche-

-Jamais, certains disent que c'est la salle la plus froide et que pour te punir, ils te font retirer ta combinaison le temps que ton corps soit totalement engourdi –Dit-elle alors que nous retournons au dortoir d'un pas lourd- Mais peut-être que tu auras quelque chose de moins grave.

-Ou de pire –Dis-je les dents serrées- Bon eh bien, à demain matin.

-Bon courage, on t'attendra avec Vénus, si Joe nous laisse arriver en retard à son cours. »

Elle part se coucher non loin du lit de la Native alors que je grimpe dans le mien, le corps pétrifié par l'appréhension. Vais-je devoir retirer ma combinaison et affronter le froid ? Ou bien quelque chose d'autre m'attend ? Joe m'avait prévenu de ne pas me faire repérer et voilà que je dois me rendre en salle Disciplinaire, comme une fillette turbulente qu'on doit punir.

*

Le lendemain matin, je me lève avant mon réveil pour me préparer sans être vue de personne. Je préfère que cette petite visite en salle Disciplinaire ne se sache pas et c'est avec le cœur lourd et le corps secoué de frissons que je me rends devant cette arche encore inconnue, attendant que sonne 8 heures.

Mais je suis devant cette porte close depuis presque vingt minutes et rien ne s'est produit. J'ai frappé plusieurs fois, vérifié mon écran au cas où quelque chose aurait été modifié, mais non. Je suis également toute seule, aucune des Criminelles d'hier soir n'est présente et après ce qu'elles ont fait à la Native, je les imagine mal échapper à une punition. Au loin des bourdonnements résonnent, devenant des discussions et ce ne sont ni les Criminelles, ni des professeurs, mais des élèves partant rejoindre le réfectoire.

Je m'écarte un peu de l'arche, faisant semblant d'attendre ailleurs et même lorsqu'une dizaine de minutes plus tard certains élèves commencent à arriver devant leurs salles de cours, je me place presque à leurs côtés, zieutant la porte Disciplinaire.

Minna me découvre avec des yeux ronds, au même instant Joe prend la tête du groupe de classe et me passe devant, demandant aux élèves de rentrer.

«- Comment c'était ? –Demande Minna-

-Je n'en sais rien, je n'ai pas encore été dans la salle.

-Quoi ? Mais il est bientôt 9 heures ! Tu es sûre que tu ne t'es pas trompée ?

-Tu as vu l'heure comme moi hier soir, je ne comprends pas pourquoi personne n'est venu me chercher.

-Qu'est-ce que tu vas faire ?

-Je ne sais pas, légalement je dois entrer en cours –Dis-je en fixant Joe- Si je lui explique la situation peut-être qu...

-Pandore Keanon ? –Annonce fortement une voix dans mon dos alors que je me raidis-

-Oh mais c'est... -S'étrangle Minna-

-Pandore Keanon, que fais-tu dans ce rang ? –La voix devient menaçante tout en se rapprochant- Tu pensais pouvoir t'en sortir comme ça hein ? »

Je lâche les yeux terrifiés de Minna pour les iris presque noirs de Tray, ce dernier m'indiquant d'un signe de tête de quitter le rang. Sur le moment je ne réagis pas, je fronce simplement les sourcils sans comprendre et alors qu'il devient plus insistant, enroulant sa poigne autour de mon bras et coupant ma respiration, il le lâche finalement et se redresse, détachant son regard de mon visage pour en fixer un autre derrière moi, avec un sourire de triomphe.

«- Cette élève a cours de sport avec moi ce matin –Gronde Joe dans mon dos, faisant se retourner plusieurs têtes-

-Non je regrette, cette élève est en salle Disciplinaire ce matin et avec moi.

-Quoi ?! –S'exclame le rougeâtre alors que je me sens pâlir- Qu'est-ce que tu racontes encore et depuis quand c'est toi qui t'occupe de la discipline ?

-Je n'avais pas cours ce matin alors je me suis porté volontaire et puis, après tout, depuis qu'elle est arrivée je n'ai bizarrement jamais eu cours avec elle. Tu ne trouves pas ça bizarre Joe ? On dirait presque que quelques professeurs ont appuyé une demande pour éviter qu'elle n'ait ses cours d'arme. Peut-être sais-tu de qui il s'agit ? –Il sourit en coin avant de m'observer- Nous avons des tas de choses à apprendre ensemble, d'après Lucie et Reni, elle serait la meilleure Hunter de la promo et je t'avoue que je suis plutôt impatient de voir ça. Dommage que cette crétine ne sache pas se tenir, on dirait qu'elle se chargera elle-même de son expulsion.

-Dès qu'elle sort de la salle Disciplinaire tu me la renvoies, cette fille est dans mon cours ce matin et elle est déjà en retard sur le programme, ça ne peut être en aucun cas la Hunter la plus forte, elle manque d'entraînement.

-Ce n'est pas mon problème, tu n'avais qu'à mieux t'en occuper tant que tu le pouvais.»

Il m'attire violemment par le bras, devant toutes les personnes n'étant pas encore rentrées et des professeurs et la dernière chose que je vois avant de passer la porte Disciplinaire, ce sont les cheveux de Joe au loin, retournant dans sa salle et fermant la porte.

*

La salle Disciplinaire est glacée, au sens propre. Il n'y a aucun chauffage ici et mon souffle s'échappe en une fumée épaisse. Tandis que les murs ne me renvoient aucun reflet, pris dans la glace. Je reserre un peu plus mon uniforme et me tiens droite face à Tray, lequel m'observe de haut en bas, un large sourire sur ses lèvres.

«- Je ne peux pas en vouloir à Joe, c'est vrai que t'as l'air plutôt bonne –Lance-t'il alors qu'une honte et une colère grandissent en moi- Sais-tu pourquoi tu es ici ?

-Oui, ce que je ne sais pas, c'est pourquoi les autres Criminelles ne sont pas ici avec moi.

-Elles sont jugées à part, de simples travaux d'intérêts généraux. Toi par contre, tu vas recevoir une punition. Relax ma mignonne, je réfléchis encore à ce que je vais bien pouvoir faire et sache que je suis surveillé moi aussi, je ne peux pas te faire de mal. Enfin, pas directement. »

Il fait quelques pas dans son coin, faisant semblant de réfléchir avant de se poser sur le bureau face à moi, son regard partant toujours de mes pieds jusqu'à ma tête, s'arrêtant par instants à des endroits plus qu'à d'autres.

«- Bien, étant donné que je n'ai encore jamais eu la chance de t'avoir à un de mes cours, pourquoi ne pas en profiter ? Ce serait dommage que tu sois éliminée du projet à cause d'un zéro. Tu es d'accord ? –Je fais oui de la tête- Parfait, quelle arme préfères-tu ?

-Le javelot –Dis-je alors qu'il éclate de rire-

-Ce truc merdique avec lequel tu fais joujou pendant les cours de sport ? Je te parle de vraies armes, oublie les gadgets de fillette de Joe.

-Qu'est-ce que tu me proposes ? –Dis-je mal à l'aise alors qu'il se poste face à moi-

-Etant donné ton gabarit et le peu de force que tu sembles avoir, je dirais une arme à feu ou un couteau.

-Si le javelot est une arme de fillette, qu'est-ce que le couteau ? –Dis-je en essayant de me tenir droite-

-Tu me plais –Dit-il avec un sourire amusé- J'aime les filles qui s'imaginent sûres d'elles, c'est toujours plus drôle de voir leurs visages lorsqu'elles comprennent que face à moi elles ne sont rien du tout. Je vais donc choisir pour et j'attends un sans-faute. »

Il commence à s'éclipser et je me mets à le suivre, jusqu'à ce qu'il ne me repousse du plat de la main, un large sourire sur ses lèvres suivi d'un petit rire ironique.

«- Tu croyais que tu allais avoir le droit à du confort ? Tu restes ici et tu attends que j'aie ramené les cibles. Surtout, n'hésite pas à me dire si tu as trop froid. »

Il ricane de plus belle et quitte la salle, provoquant un courant d'air contre mon visage, lequel se répercute finalement dans tout mon corps déjà victime du froid. Mes articulations sont raides, douloureuses et je dois faire les cents pas pour éviter de geler sur place.

J'imagine qu'il prend son temps et que cela l'amuse. J'ignore combien de temps dure la punition, mais j'ose espérer qu'après son exercice je pourrais quitter la salle.

Je frotte mes mains contre mes genoux, fais bouger du mieux que je peux mes orteils endoloris et confinés dans mes botes pourtant thermiques, lorsque Tray revient enfin, plusieurs larges cibles balancées sur son épaule et une petite boite dans sa main libre.

« -La température te convient ? –Dit-il avec un large sourire alors que je remarque qu'il s'est rajouté un long manteau- Tu m'excuseras mais moi j'avais un peu froid. Bien, l'exercice est simple. Vise les points vitaux des trois cibles. Si tu vises le corps mais que tu rates les points vitaux, tu devras te mettre à genoux sur le bloc de glace là-bas et tenir deux minutes, puis recommencer. Si tu vises le cadre autour du corps, tu feras la même chose et sans ta veste thermique et tu recommenceras. Et si jamais tu venais à rater la cible complète.. Mh je pense que si ton niveau est aussi bon qu'on le dit, j'ai le temps de réfléchir à ta punition. Vas-y, qu'attends-tu ? Tu ne voudrais pas finir complètement glacée ici ?"

De violents spasmes secouent mon corps alors qu'il me semble que la température vient encore de baisser. C'est un jeu pour lui. Mes mains sont livides et mes ongles sont passés du violet au blanc cadavérique à tel point que bientôt je ne sens plus le bout de mes doigts.

J'ai terriblement froid et mon uniforme thermique ne m'est plus d'aucun secours, bien que j'imagine à quel point ce serait encore plus dur si jamais je venais à l'enlever.

Je m'approche donc de la boite et y découvre avec horreur trois couteaux affutés. Le pistolet m'aurait sûrement demandé plus de patience, tandis que les couteaux me demandent un travail plus physique, chose que je suis moins en mesure de faire avec la moitié de mon corps paralysé par le froid extrême. Il me semble que mon nez coule, mais avec le froid le liquide devient vite solide et je sens que ça brûle, comme une sensation de chaleur dévorante et acide prenant le pas sur le froid.

«- Si tu ne bouges pas ton cul, je t'attache à la cible et c'est moi qui tirerais –Dit Tray en me poussant vers le point de tir- Montre-moi ce que tu vaux vraiment. »

Je ne dois pas me précipiter malgré tout. J'attrape un couteau sans vraiment le sentir et le serre du mieux que je peux, sans pouvoir juger de la force que j'emploi réellement. Je fais le vide dans ma tête. Je n'ai jamais jeté de couteau, seulement des javelots et le mouvement de poignet est différent.

Et c'est après un temps d'adaptation que je lance le premier couteau, lequel se plante heureusement dans la cible.

Mais pas sur un point vital.

Mon sang ne fait qu'un tour et c'est avec dépit que je me place sur le bloc de glace, sous le rire caché de Tray. Mes genoux heurtent la paroi dure alors que je place mes talons sous mes fesses et le froid ne met pas longtemps à agir à tel point qu'un grincement suivi d'un crac sonore fait écho dans la pièce lorsque je me redresse, deux minutes après.

Je retourne difficilement jusqu'au premier point de tir et malgré mes efforts, je manque encore le point vital, sentant cette fois-ci le froid du bloc de glace devenir liquide et s'infiltrer légèrement dans ma combinaison. Je me redresse à l'aide de mes mains, refusant de montrer que je souffre et ravalant mes larmes alors que je boite de façon distincte.

La température à encore chutée si ça l'est possible.

Et mes mains sont désormais entre le blanc et le jaune, dures comme la pierre et prêtes à se briser à chaque mouvement que je fais, même léger.

Je lance une troisième fois, ayant l'impression de n'avoir ni tenu, ni lâché le couteau tant mes mains sont engourdies et c'est non pas avec satisfaction mais avec la peur d'échouer à nouveau sur la deuxième cible, que je trouve le couteau planté dans la zone de l'estomac.

« -Eh bien, il t'en aura fallu du temps, voyons ce que tu vas donner sur la deuxième cible »

Je respire difficilement, à chaque fois que j'ouvre ma bouche, ma langue semble sur le point de se solidifier, mais l'air aspiré par mes narines glacées est insuffisant et mes poumons m'envoient des décharges électriques, faisant couler quelques larmes aussitôt glacées.

Je dois sortir d'ici.

Une volonté nait soudain en moi, une sorte d'instinct de survie qui me fait lancer le couteau à vive allure, le plantant directement dans la zone génitale.

«- En soit, c'est une partie à demie vitale, il te faudra neutraliser ta cible malgré tout. Mais c'était bien mieux que la première cible, tu es presque douée. Vise la gorge maintenant.

-P...Pourquoi s...Spécifiquement la gorge ?

-Que dis-tu ? Je ne te comprends pas avec ces bégaiements –S'amuse-t'il-

-P....Pourquoi la gorge...

-Car c'est la meilleure zone, si Joe était-là, il te dirait la même chose. Allez, fais-le, ensuite ce sera terminé. »

Je déglutis du mieux que je peux, respirant fortement et toussant alors que le froid provoque comme des aiguilles le long de ma gorge. Il me suffit de faire la même chose que tout à l'heure, tant-pis si je ne vise pas la tête, le but c'était de viser les zones vitales. Je lance le couteau, avec rage et pousse un cri qui fait vibrer l'intérieur de mon corps, le sortant d'une léthargie et me provoquant une douleur aigüe.

Tandis que le couteau se plante directement dans la boite crânienne.

« -Wow, tu es redoutable –Dit-il avec un sourire en coin alors que je pers l'équilibre et que je m'effondre au sol, tremblante- Mais je t'avais demandé la gorge, tu as désobéi, tu dois donc être punie et recommencer.

-N...Non ! »

Dis-je à bout de force alors qu'il me redresse et me maintiens d'un bras, son autre main lançant un couteau à vive allure, faisant siffler l'air et perçant un trou dans la gorge de la cible. La tête se met à pendre dans le vide avant de tomber sur le sol glacé et qu'un silence ne prenne place.

«- Tu as raison, je ne vais pas te punir. Enfin, pas ici. C'en est fini pour aujourd'hui, je trouve que tu t'en es plutôt bien sorti, la dernière fois qu'une élève a été évaluée ici durant une heure, son cœur a lâché et elle est morte comme un vulgaire morceau de viande réfrigéré –Dit-il en retirant son manteau et en me le jetant à la figure, son bras me maintenant toujours debout- Dire que les conditions là-haut risquent parfois d'être bien pire, cela permet de faire le tri entre les faibles et les forts. Mais trève de compliments, ta punition Pandore, sera une heure d'entrainement obligatoire avec moi, tous les soirs à l'heure du repas, pendant une semaine. C'est un bon compromis plutôt que tu ne crèves ici, n'est-ce pas ? »

Je fais un simple oui de la tête, serrant le manteau contre moi de toutes mes forces.

« -Bien, je pense que je peux te ramener à Joe maintenant ? Si j'étais toi, je ferais attention à lui, ou alors je me lierais à lui dans le but de mieux l'attaquer par derrière quand moement sera venu. Je suis peut-être un psychopathe mais moi au moins je ne m'en cache pas, lui par contre n'a jamais voulu avouer le meurtre de Janyce. Une fille sympa, une petite de l'ouest qui était bien plus belle que toi mais aussi bien plus forte. Plus forte même que Joe. Tu veux savoir ce qu'il lui a fait ? »

J'aimerais dire non, m'enfuir loin de cette voix et surtout de ce froid rendant l'atmosphère encore plus morbide, mais mes jambes ne répondent plus et c'est en fait Tray qui me porte, m'empêchant d'aller ou que ce soit. Je suis impuissante et le laisse coller ses lèvres à mon oreille, sentant quelque chose de plus glacé encore que la glace le long de mon cou et traçant une ligne invisible d'une oreille à une autre.

«- Il lui a suffi d'un trait, net et précis –Dit-il en redressant lalame du couteau devant mes yeux après avoir rejoint la deuxième oreille- Il n'a même pas eu besoin de forcer, il a seulement fait glisser la lame. Ca a dû être facile pour lui, Janyce était folle amoureuse de lui. Pauvre idiote. Il nous a fait perdre un très bon élément. »

Le son de sa voix devient plus grave, plus aucune fourberie n'émane de lui, seulement une sorte de colère ou de jalousie, je ne saurais dire et il lance à nouveau le couteau, traversant l'estomac à plusieurs mètres du point de tir.

«- Tu vas avoir du travail ma chère Pandore, espérons que tu sois toujours en vie d'ici-là. »

Puis nous quittons la salle.

La chaleur devrait revenir, mais je ne sens rien. Je suis tétanisée, seules mes joues sentent encore une différence de température, mais le chauffage n'est pas assez fort. Mon esprit s'égare, j'ignore si je suis dans un état de transe, si ce que j'ai entendu ou vu précédemment était vrai. Cette lame contre ma gorge, cette vision de Joe, la voix de Tray.

Je sursaute lorsqu'un bruit sourd retenti contre la porte et je comprends qu'il s'agissait de la salle de sport lorsque j'entre dans une pièce spacieuse. Tout tourne autour de moi, je vois quelques élèves, ils me regardent avec stupeur. Ma tête pend dans le vide et au loin Joe se tient droit, une tache rougeâtre parmi le métal et la glace.

Du sang.

Du sang s'écoule de mon nez, roule sur ma joue qui fourmille et s'écrase au sol.

« -Je te ramène ton élève comme convenu, bonne fin de séance »

Puis je sens mon corps léviter en même temps d'entendre des cris et des sursauts de stupeur, avant de sentir quelque chose, une douleur lente mais foudroyante. Ma tête vient d'heurter le sol, c'est la seule chose que je sente, j'ignore si mon corps a suivi et quelques secondes après, la porte claque derrière moi.

Le silence m'enveloppe et je ferme enfin les yeux.

*

S'il existe une sensation désagréable mais contradictoirement rassurante, c'est lorsque le sang tente de revenir dans des zones qui en étaient totalement privées. Mon corps tout entier est un amas de fourmillements, ça me démange, j'ai envie de me gratter, de bouger dans tous les sens pour faire disparaitre cette douleur qui en soit n'en est pas une, mais dès que je tente de bouger, sois je ne réussis pas à le faire, sois quelque chose m'en empêche.

Et quand j'ouvre les yeux, heureusement pas collés par le froid comme j'avais même fini par penser, je découvre Joe, Vénus, Minna et... Calum à mes côtés, tous les quatre entourés d'une sorte de vapeur. Suis-je encore évanoui ? Pourtant je ne le crois pas, les fourmis qui semblent dévorer les extrémités glacées de mon corps me prouvent que je suis bien éveillée et cette vapeur, après avoir jeté un regard circulaire, n'est en fait que le résultat de l'eau chaude qui se trouve dans des récipients, eux même placés justement en dessous de mes mains et mes pieds nus. Minna les arrose par moment à l'aide d'un linge trempé dans l'eau bouillante et je comprends finalement comment le sang a pu me revenir aussi rapidement.

« -Vénus, va chercher un autre uniforme dans sa commode, je vais aller prévenir Reni qu'elle n'assistera pas à son cours –Dit Joe en se redressant, tout en se passant les mains sur le visage-

-Tu n'aurais pas dû la laisser avec Tray ! –Se plaint Minna, à qui Joe envoi un regard noir-

-Tu crois que j'avais le choix ? Elle devait être punie et c'était malheureusement à lui de le faire.

-Elle n'avait rien fait de mal ! Rien qui ne justifie un tel traitement ! Tray est un monstre et tu le savais !

-L'AGFA est le monstre ! C'est eux qui ont décidé de ça, c'est eux qui ont mis Tray pour la punir tout en sachant qui il était. Et je ne pouvais rien pour l'empêcher, alors maintenant ferme-là et rends-toi utile.

-Es-tu sûr que l'AGFA ne peut pas nous voir ici ? –Demande Calum-

-Non, les douches et les toilettes sont les seuls endroits qui ne sont pas surveillés et heureusement d'ailleurs, mais j'imagine que ça ne sera pas le cas pour très longtemps encore –Soupire Joe avant de me regarder- Tu peux parler ?

-Peut-être, mais je n'ai pas envie de te parler à toi –Dis-je d'une voix faible avant de tousser-

-Qu'est-ce qu'il t'a fait ?! –Me demande Minna, plus effrayée à l'idée qu'un jour elle aussi pourrait subit ce genre de chose avec Tray s'il apprenait qu'elle séchait volontairement ses cours-

-Juste un exercice.

-Qui a failli te tuer ! »

Braille Minna, alors qu'au même moment Joe quitte la douche du vestiaire, sans dire un mot. Vénus revient quelques instants plus tard avec un uniforme propre et chaud et Calum se retire le temps que je me change, gardant malgré-moi le manteau de Tray. Son odeur me dégoute, pourtant j'ai encore trop froid pour le quitter et je me sens salie de devoir le garder sur moi.

Quand Joe revient, son cours est terminé et Vénus et Minna doivent se rendre en géographie, me laissant seule avec Calum et lui. Je ressens encore quelques démangeaisons et quelques picotements un peu partout dans mon corps, mais je peux bientôt bouger toutes mes articulations, avec une certaine lourdeur et une inflammation. Calum m'aide à me redresser et je marche quelques mètres en me tenant à lui, rassurée de ne pas avoir perdu l'usage de mes jambes.

«- Je discuterais avec l'AGFA de cette punition –Dit Joe derrière nous- Il n'aurait pas dû en arriver-là.

-Il m'a dit qu'une élève était déjà morte dans ces conditions, je m'en suis plutôt bien sortie.

-Ce n'est pas une raison, les Criminels ne devraient même pas pouvoir donner des cours.

-Et que voudrais-tu qu'ils fassent ?

-Qu'ils disparaissent –Dit-il en détournant le regard- Tray plus que les autres.

-Parce qu'il a un Hunternumb élevé ? –Je demande, faisant face, comme je m'y attendais, à un regard de haine-

-Parce que c'est un salopard et un menteur.

-Nous sommes tous des menteurs –Dis-je- Les Illégaux plus que les Criminels.

-Tu prends sa défense ?! Il t'a laissée pour morte et toi tu es de son côté ?!

-Je ne suis du côté de personne ! –Dis-je d'une voix forte avant de me remettre à tousser-

-Tu devrais aller te reposer – Me dit Calum-

-Hors de question de la laisser seule dans son dortoir, tu vas rester avec elle Calum.

-Je vais l'amener à l'Infirmerie.

-Non plus, c'est ce que Tray veut, il veut la faire passer pour une faible et elle n'en est pas une.

-Mais elle est épuisée, elle a besoin de se reposer ! Je ne peux pas l'amener dans le dortoir des garçons.

-Tu vas l'amener au dortoir des professeurs –Dit-il en lui donnant un trousseau de deux clés- Prenez ma chambre ou celle de Mélawi et fais en sorte qu'elle dorme. Je passerai vérifier que tout va bien quand tu devras retourner en cours. »

Calum hoche la tête et remercie Joe alors que je le remercie à mon tour, d'une voix plus basse que mon camarade. Il me regarde longuement, tristement, avant de se retirer et de faire entrer ses nouveaux élèves tandis que Calum et moi en profitons pour partir. Dans les couloirs personne ne prête attention à nous et inconsciemment, je fais comme si tout allait bien, je me force à marcher droit, à ne pas tomber sur Calum lorsque mes genoux fléchissent et bientôt nous arrivons à l'escalier opposé à celui de l'Infirmerie, celui-ci montant un étage plus haut.

Le long couloir est couvert des mêmes parois métalliques et deux arches sont encastrées dans un mur brillant face à nous. Celle de gauche pour les professeurs Illégaux et celle de droite pour ceux Criminels, autrement dit, seulement pour Tray.

Nous passons sous l'arche de gauche et au lieu de trouver plusieurs lits en bois superposés, nous trouvons des compartiments séparés, délimités par des murs et des portes.

Joe Duncan, indique la première porte à droite et après que Calum ait inséré la clé, nous pénétrons dans le compartiment.

Les murs sont en métal mais ils semblent moins froids qu'à l'extérieur. A vrai dire il fait chaud, la preuve c'est qu'il n'y a pas de givre, pas de glace sous nos pieds. C'est agréable.

Au milieu de la pièce trône un lit bas, presque à même le sol et les couvertures ne sont même pas faites. Nous nous trouvons dans la chambre de Joe, comme il l'a laissée en partant et j'avoue que cela me gêne un peu. C'est son intimité après tout, peut-être aurions-nous dû aller dans la chambre de Mélawi, j'imagine qu'elle au moins doit plier ses draps chaque matin, stricte comme elle est.

Mais Calum a retiré sa veste et posé son sac, je ne vais pas lui demander maintenant d'aller ailleurs.

Je quitte enfin le manteau de Tray et me baisse du mieux que je peux sans trop plier mes genoux pour arriver au bord du lit, grognant en sentant mes articulations encore fragiles.

« -Tu ne t'allonges pas dans son lit ?

-C'est gênant –Dis-je-

-Oh ce n'est pas comme si tu dormais avec lui –Dit-il amusé avant de s'allonger- Est-ce que ça te gêne de dormir avec moi ?

-Eh bien, on ne se connait pas.

-Tu n'as jamais dormi avec des garçons ?

-Si, avec mon meilleur ami.

-Comment s'appelait-il ?

-Michael –Dis-je lentement- C'était... C'était aussi devenu mon petit ami.

-Ah l'amitié mène souvent à l'amour –Il soupire et me regarde en coin- Tu l'aimes toujours ?

-A quoi bon, je ne le verrais plus jamais.

-Peut-être que si, les Hunters permettront aux autres habitants de revenir à la surface un jour, je suis certain que tu le retrouveras là-haut. L'amour aura peut-être disparu, mais pas l'amitié.

-Tu as déjà été amoureux ?

-Souvent oui, mais c'était plutôt pour m'amuser... J'étais assez populaire à l'Ecole de l'Ouest, j'avais ce que je voulais, filles, garçons... Mais ma vie n'était jamais aussi parfaite que je l'aurais souhaité –Soupire-t'il- C'est ça de naître Illégal, on ne connait jamais le vrai bonheur d'une vie simple et toute tracée.

-Parfois une vie toute tracée peut être ennuyante –Dis-je en m'allongeant enfin- Tu sais, finalement je me dis que c'est une bonne chose que je sois ici. J'ai enfin l'impression d'avoir trouvé ma place, de vivre pleinement et non dans l'illégalité. La seule chose qu'il me manque, c'est ceux que j'aimais, mais je ne leur souhaite pas de venir ici, cette épreuve ne m'est réservée qu'à moi. Au moins là-bas ils sont préservés.

-Je comprends tout à fait, j'ai fini par accepter cette vie moi aussi, mais seulement parce que mon frère était présent à mes côtés –Dit-il avant de sourire- J'ai appris que tu l'avais rencontré, comment le trouves-tu ?

-Sincèrement ?

-Eh bien, oui.

-C'est un véritable enfoiré –Dis-je avant de créer un silence- Désolée, j'aurais dû mieux choisir mes mots.

-Non, tu as raison –Dit-il en se mettant enfin à rire- J'aime à penser que je suis le meilleur de nous deux et donc, c'est un peu ce que tu viens de dire, alors merci.

-Je t'en prie –Dis-je amusée-

-Son mauvais caractère a toujours été son plus grand défaut, et moi c'était d'être amoureux et égoïste, c'est d'ailleurs à cause de ça que nous avons été envoyés ici. Jusque-là on se débrouillait, étant jumeaux c'était facile pour lui et moi de ne faire croire à l'existence que d'un seul Hood. Chaque jour on se remplaçait, c'était un rythme assez pénible, mais à force on s'y est habitués, jusqu'à la grande journée sportive où j'ai fait remporter le match de football à mon équipe.

-Oui je m'en souviens.

-Après ça, les deux gouverneurs de l'AGFA m'ont demandé de joindre leur projet de garde rapprochée, ils disaient avoir besoin de personnes fortes, ils me voulaient. Mais je me suis senti en danger alors j'ai refusé, ce n'était pas possible avec notre style de vie, un seul ne pouvait suivre la voie qu'il souhaitait, nous étions toujours obligés de faire les choses pour nous deux et surtout, Adrian et moi n'avions pas le même niveau en sport. Quand je suis rentré le soir et que je lui en ai parlé, il s'est énervé, voulant intégrer ce projet plus que tout. Il disait qu'être proche de l'ennemi était une bien meilleure tactique pour être en sécurité.

-Oui je me suis laissée séduire par cette même idée –Dis-je dans mes pensées- Mais c'était faux.

-Oui c'était faux, l'ennemi n'était pas seulement l'AGFA, mais tous ses pions. Nous avons finalement accepté et commencé à infiltrer le projet des gouverneurs, nous étions parmi les premiers de l'Ouest, notre plan marchait bien et Adrian avait fait des progrès en sport. Je suis tombé amoureux, d'une fille adorable, que j'ai pris le risque d'amener chez nous. Elle n'avait pas beaucoup d'argent, elle venait du quartier le plus pauvre de l'Ouest et sa participation au projet de garde rapprochée ne lui rapportait pas grand-chose. Mais je l'aimais. Je n'ai pas voulu la partager avec Adrian comme nous faisions jusque-là, j'ai eu envie d'être indépendant et j'ai été stupide. Je lui ai demandé de rejoindre le quartier pour les Illégaux, celui dont parlait le projet Purity, qu'ainsi il aurait un toit et un avenir. Mais il a voulu me faire payer mon envie d'indépendance après tant d'années passées à établir une tactique et il m'a dit « Pourquoi moi seul irait chez les Illégaux alors que tu en es un toi aussi ? » J'ai voulu l'évincer, je l'avoue. J'aimais la fille. Mais un jour il a débarqué alors que j'étais avec elle. Il s'est montré, alors que notre règle était de ne jamais se montrer ensemble devant qui que ce soit d'autre que nos parents. La fille que j'aimais a dit que ce n'était pas grave, qu'elle garderait le secret parce qu'elle m'aimait. Mais qu'est-ce que l'amour face au besoin d'argent ? Elle était pauvre et nous avons été arrêtés par l'AGFA peu de temps après. Au moins, nous sommes tous les deux.

-C'est une histoire bien triste.

-Et toi, quelle est ton histoire ?

-On m'a dénoncée, c'est tout ce que je sais et depuis je suis ici. Je ne sais pas quel a été le motif de cette délation, si c'était de l'argent ou de la rancœur.

-Tu avais des ennemis ?

-J'ai fini par croire que oui et parmi tous mes ennemis, il y en avait un qui avait un jour était mon plus fidel confident.

-Michael ?

-Non, bien que j'aimais Michael, je ne lui avais jamais confié la vérité. L'autre garçon savait et ce depuis l'enfance, il n'avait jamais rien dit...Puis nous nous sommes éloignés et disputés et mon secret était devenue un arme pour lui, une arme contre moi.

-Pourquoi te détestait-il ?

-Il a perdu son petit frère, un Illégal et... Je pense que je ne me suis jamais avoué cette idée, mais je crois que je lui ai fait du mal. Je ne l'ai pas soutenu car je pensais qu'il n'en avait pas besoin. Je l'ai abandonné car il me donnait l'impression de ne plus vouloir de moi à ses côtés. J'ai cru bien faire, mais j'ai perdu un ami ce jour-là et j'en ai fait mon pire ennemi –Je soupire- J'ai été stupide aussi et je crois, amoureuse.

-Qu'est-ce qu'on est ridicules quand on tombe amoureux –Glousse Calum- En tout cas ça fait plaisir de mieux te connaître. J'ai hate que tout ceci soit terminé.

-C'est-à-dire ?

-Eh bien, que l'on soit tous sur Terre –Dit-il souriant- Une fois là-haut, le problème de surpopulation n'en sera plus un et nous pourrons retrouver nos familles.

-Bizarrement je ne suis pas aussi optimiste que toi.

-Je sais, je crois que c'est aussi un de mes nombreux défauts. Es-tu fatiguée ?

-Un peu oui.

-Bien, je vais te laisser te reposer dans ce cas, tu montreras à Tray que tu vaux mieux que lui. »

Et alors que je commençais à sombrer dans le sommeil, la pensée de revoir Tray me ramène à la réalité comme un coup de jus. Je vais devoir le voir tous les soirs, toute la semaine et j'ignore dans quel état je serais à la fin de cette punition totalement injuste.

*

Je me tourne un peu dans le lit, humant l'odeur qui n'est pas la mienne sur l'oreiller contre moi et m'enfonçant dans les couvertures chauffantes. Mon corps semble encore être comme chauffé à vif, les suites du réchauffement, mais j'ai besoin de sentir cette douce pression autour de moi.

Puis un grésillement arrive jusqu'à mes oreilles.

Est-ce un rêve ? Ce n'est pas fort, une musique flotte dans l'air, puis une voix.

Une voix que je connais et qui secoue mon corps d'un violent spasme. J'ouvre les yeux, découvrant que Calum s'en est allé et qu'à la place se trouve Joe, avachi dans une chaise à côté de moi et somnolent jusqu'à ce que la voix d'Amadalia se fasse plus forte. Lui aussi sursaute et son regard se porte d'abord sur moi avant de finalement regarder l'écran face à lui et augmentant le son.

C'est un spot publicitaire, promouvant une espèce d'armée et bientôt je me dresse pour observer chaque visage présent autour des gouverneurs, poussant un petit cri en voyant le visage fermé de Michael, vêtu d'une tenue rouge et tenant une arme à la main.

Aussitôt les larmes affluent et Joe éteint l'écran avant de se dresser et de me tirer dans ses bras.

Je ne l'ai pas reconnu, il semblait différent, un autre. Son regard était froid et même si ce n'était qu'un spot, j'imagine que c'est ce qu'il se passe malgré tout de l'autre côté des Eaux Glacées. Le revoir aussi soudainement et sentir cette impression que rien ne sera plus jamais comme avant semble me trouer l'estomac et je ne peux rien faire d'autre que serrer Joe le plus fort possible, regardant du coin de l'œil l'écran noir.

"-Q...Qu'est-ce qu'il lui on fait ?

-Il a choisi sa voie Pandore, tu le savais avant même que tu n'arrives ici.

-M...Mais il ne peut pas, pas lui ! On aurait dit un monstre !

-C'est ce qu'ils veulent nous faire croire.

-N...Nous ? C'est quoi cette armée au juste, e... est-ce que tu savais quelque chose à ce sujet ?

-Seulement que ce groupe allait être affublé d'un autre projet et j'espère ne pas rester trop longtemps encore à l'Iceberg pour voir ça.

-Michael... -Dis-je épuisée-

-Tu l'aimais encore ? –Demande enfin Joe-

-Jusque-là je n'en savais rien, je pensais que non, mais... le revoir comme ça... Je me sens tellement mal.

-Excuse-moi, j'aurais dû éteindre plus tôt et je ne voulais pas te réveiller –Dit-il en me passant un mouchoir, relachant son étreinte-

-N...Ne me lâche pas !

-Quoi ? »

Il semble surpris alors que je le serre à nouveau et moi même je me demande si j'ai raison de faire ça. Mais après tout, j'en ai besoin.

«- Je t'en prie ne me lâche pas. J'ai peur ici, peur des Criminels, des Illégaux, du Hunternumb, de l'AGFA qui nous observe, du froid, de Tray et aussi... De perdre.

-Et de moi, n'est-ce pas ? –Dit-il en glissant sa main dans mes cheveux- On s'est évités un moment à cause de ça et pourtant tu es dans mes bras, tu me serres contre toi comme si tu n'avais aucune conscience du danger, ou comme si tu le bravais. Tu es forte Pandore et c'est normal d'avoir peur, moi aussi j'ai peur tu sais ? Mais c'est en bravant ses peurs qu'on s'en sort.

-De quoi as-tu peur ?

-Des mêmes choses que toi.

-Et est-ce que tu as peur de moi ? –Je renifle alors qu'il m'observe-

-J'ai seulement peur que tu puisses te tromper de chemin –Dit-il en soupirant avant d'embrasser mon front- Mais si tu me dis que tu as peur de Tray alors c'est bon. »

Il se met à sourire et me serre à nouveau contre lui avant de m'allonger et de me recoucher, retournant sur sa chaise pour me laisser la place nécessaire et fixant l'écran éteint avec un voile devant ses yeux. Il a peur lui aussi. Et si Joe, le présumé plus haut Hunternumb, est effrayé par quelque chose, nous devrions tous l'être.

Et dire que le danger porte désormais le visage de Michael.

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