Chapitre trente-six
❝ Quoi de plus lucide que la peur ? ❞
Les enchères se déroulaient. Au devant de la scène, Tsubasa énonçait les lots un par un, tandis que William s'occupait de les apporter pour l'exposition. Les propositions coulaient à flot, tellement qu'elle peina à garder le fil. Les projecteurs braqués sur sa personne l'empêchaient de bien y voir.
— Vingt millions, personne ? Vingt millions une fois, vingt millions deux fois...
— Trente millions ! s'écria une voix masculine parmi la foule.
La jeune femme trépignait d'impatience. Ce sentiment la faisait se hâter dans chacun de ses gestes. Ce plan n'avait aucune chance d'échouer. Très vite, elle serait en cavale avec une somme de monnaie incalculable et pourrait fuir tous les problèmes accumulés ici, à Yorkshin City.
— Pour le prochain lot, nous aimerions vous présenter un objet des plus particuliers, j'ai nommé le fameux corps immortel !
William attrapa le drap qui recouvrait la caisse pour la découvrir, tentant de garder une expression neutre face au visage de son confrère. Déposé bras en croix, il reposait dans un cercueil de verre, yeux fermés.
— Le prix de départ est fixé à trois cent millions, déclara la blonde.
La somme augmenta à vue d'œil. La Berisha chercha un quelconque signe de Jéricho, qui ne semblait pas réagir. Les acheteurs se disputèrent pendant plusieurs minutes et dépassèrent le milliard. Elle se mordit la lèvre puis jeta un regard à William qui, comme cette dernière, ne comprenait rien.
— Six milliards.
Une voix s'éleva, plus forte que les autres. Le duo sur scène remarqua Wallace, bras dans son dos, une expression neutre peinte sur son visage. Quelque chose ne tournait pas rond. Il devait s'occuper d'empêcher quiconque d'entrer et Jéricho, de décourager ceux qui assistaient à la vente.
— Six milliards une fois, annonça Tsubasa désorientée.
Ses yeux se baladèrent partout, en recherche de leur alliée, sans succès. Des murmures parcoururent la salle. L'hésitation parmi les acheteurs semblait les prohiber d'aller plus haut. Vu le prix, rien d'étonnant.
— Six milliards deux fois.
La porte qui permettait d'accéder aux enchères s'ouvrit et laissa entrer leur camarade disparue. Cette dernière s'empressa de leur faire un signe, afin de les rassurer. William ainsi que Tsubasa soufflèrent un bon coup.
— Six milliards trois fois, adjugé vendu !
Objectif réussi. Macbeth s'occupa de ranger la dépouille du vampire dans un coin et apporta le lot suivant. La dynamique ne s'arrêta pas, jusqu'à ce qu'ils épuisent le stock du soir. Un tonnerre d'applaudissements accueillit la clôture des ventes.
— Tu peux t'occuper d'échanger les lots contre l'argent ? demanda son aîné. Je dois mettre les choses au clair avec les autres.
Elle opina. Debout derrière la table, les gens faisaient la queue afin de récupérer leur dû. Tsubasa s'occupa de lister petit à petit, puis allait chercher chacun des prix, aussi lourds pouvaient-ils être. Le plan s'était déroulé à merveille, il ne restait plus qu'à transférer le corps de Vortimer hors du bâtiment et fuir loin de la ville, qu'importe la destination. Elle n'avait même pas eu besoin de l'aide de Feitan. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Son téléphone vibra alors. Intriguée, la blonde regarda ses messages.
"Ils te cherchent. Je t'en supplie, où que tu sois, fuis."
Le numéro était inconnu, mais elle devina vite que son frère le lui avait envoyé. Au même moment, le bruit d'une porte se fermant au loin la fit sursauter. Tsubasa releva la tête et tomba nez-à-nez avec sa mère, assise au premier rang. La surprise l'empêcha de réagir assez vite. Elle crut d'abord que son cerveau lui jouait des tours, mais elle se trouvait bien là : vêtue d'une robe ressemblant à la sienne, ses cheveux noirs retombaient devant son visage. Ses yeux gris transpercèrent jusqu'à son âme.
— Ma fille, articula-t-elle d'une voix douce.
Des pas attirèrent son attention, mais sa génitrice resta de marbre, bras et jambes croisés. Au sommet des marches, elle reconnut son père en costard, ses cheveux blonds tirés vers l'arrière. Plus personne ne se trouvait dans l'immense salle. William discutait avec ses camarades, il ne restait pas un seul lot à rendre. Pas une seule âme qui vive aux alentours.
— Je te l'accorde, poursuivit son géniteur. Tu as été très difficile à trouver.
Ce dernier descendait les escaliers au-travers des sièges d'un pas régulier. Le corps entier de la jeune femme tremblait, sans qu'elle ne puisse le contrôler. Un sourire nerveux se dessina sur ses lèvres.
— Vous vous êtes perdus ? tenta-t-elle. Besoin d'un renseignement ?
— Ne prends pas ce ton avec nous, Tsubasa, répliqua sa mère.
— Tu sais très bien ce qui nous amène.
Eijiro et Jun, deux monstres de puissance. Ni la fuite ou le combat ne serait une option envisageable avec eux dans la même pièce. Les doigts de la Berisha appuyèrent discrètement sur un bouton de son téléphone. Elle le déposa sur la table et s'avança au-devant de la scène.
— Je veux te le demander de la manière la plus douce possible, ma chérie, dit la brune d'un ton calme. Rentre avec nous au manoir et reprends ta place d'héritière.
— Et Daiki ? cracha-t-elle. Il a l'étoffe et le désir d'assumer ce rôle. Pourquoi choisir de me ramener moi ?
— Parce que tu as été entraînée depuis que tu es capable de tenir debout pour cette occasion, rétorqua son père. Tu reprendras le flambeau, que tu le veuilles ou non.
Elle serra les poings. Libre. Voilà le mot que Tsubasa souhaitait entendre de toute son âme. Il n'était pas question de repartir pour vivre le calvaire qui l'a brisée ainsi pendant des années. De passer une seconde de plus proche de personnes qui mimaient un amour faux. Leur obsession dépassait l'entendement. Ce soir-là, elle comprit que malgré tous ses efforts, ils ne pourraient pas être raisonnés. Leurs idéaux, opposés comme l'eau et le feu, se trouvaient destinés à s'entrechoquer un jour. Elle serra les poings.
— Et si je décide de refuser ?
— Ne sois pas stupide...
— Vous, ne soyez pas stupides ! cria-t-elle.
Des larmes se formèrent au niveau de ses yeux. Par frustration. La liberté, elle la tenait du bout des doigts, si proche d'y accéder.
— Vous pensiez vraiment que je plierais face à vos demandes ? Que comme un bon chien, je serais revenue, la queue entre les jambes ? Obéir à vos ordres me fatigue, écouter vos discours empoisonnés à longueur de journée ou m'obliger à faire du mal à mon propre frère, c'est du passé !
Une aura s'écoula par ses pores. Un Ren plus puissant que ceux développés pour ses combats se manifesta. Les yeux de Tsubasa virèrent au rouge sans qu'elle ne puisse contrôler quoi que ce soit. Ses parents, à quelques mètres de la scène, restèrent surpris. Son souffle saccadé témoignait de la colère qui animait sa soif de combat.
— Eitarô, appela la brune.
— Je sais. Je pense que je m'en doutais déjà.
Sa mère se leva. Ils répondirent à sa provocation par une aura tout aussi puissante, si ce n'est plus. Leur enfant, munie d'une volonté propre, oubliait son désavantage pour ce combat. Mais elle ne semblait pas le moins du monde dérangée.
— Elle est devenue trop forte, murmura Jun. Trop éloignée de nous.
— C'est une menace, pesta son père. Qu'on la ramène ou pas, rien ne changera. Elle finira par nous filer entre les doigts. Elle nous tuera dès qu'elle en sera capable.
Sa génitrice fit apparaître des lames autour de son corps, prête à les diriger vers sa progéniture, le visage interdit.
— C'est pour ça qu'elle ne peut pas rester en vie.
Tout semblait se dérouler au ralenti. L'attaque se dirigea jusqu'à Tsubasa si lentement. Elle allait l'esquiver, quand subitement, un flash traversa sa tête.
« Le final de la pièce se soldera par un drame Shakespearien
Sortie de l'affrontement contre le numéro originel
Le dieu de la mort t'attendra au loin
Et tu n'auras pas d'autre choix que de répondre à son appel. »
Debout au milieu de cette scène, la réponse lui apparut. Elle se trouvait sous ses yeux depuis le début. Kuroro ne s'était pas trompé. Ainsi, alors qu'elle s'apprêtait à sauter sur le côté, la Berisha se rendit compte que son sort était scellé depuis un bon moment déjà. Car c'est sur la route empruntée afin de fuir son destin qu'elle l'a rencontrée. Le drame Shakespearien, celui qui tue jusqu'à son personnage principal et tombe le rideau sur une marre de sang, satisfait seulement lorsque le public hurle son désespoir. Je demande à tous une innovation, une inauguration, pour l'acte final d'une vie de souffrance.
Longue vie à toi, Tsubasa Berisha.
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