Chapitre 8: Aussi Libre Que Moi
— ON EST QUI ?
— LES PETITS MUSICIENS !!
— ON EST QUI ?!
— LES PETITS MUSICIENS !!!!
— OUAIS !!!
Les braillements aigus du groupe résonnaient en écho à ceux bien plus graves de Léorio dès qu'ils furent de retour dans leur petite loge miteuse. Les murs d'un blanc décrépi tirant sur le jaune, la moquette initialement rouge, qui tournait au grisâtre et dont les poils étaient couchés, épuisés d'avoir été trop piétinés, même la lumière de l'halogène vieilli et clignotant n'entachait point leur bonheur. Ils se souriaient les uns les autres, enlacés dans un cercle presque trop large pour le minuscule cagibi, heureux, perdus dans une allégresse aux allures divines.
L.P.M avait remporté haut la main le premier tour. Si haut qu'ils étaient directement propulsés au cent-cinquantième étage, parmi les quelques candidats qui s'étaient déjà révélés. C'était presque trop beau, trop merveilleux. Alors, pour extérioriser la joie indomptable qui possédait leur corps, ils s'enlaçaient les uns aux autres et poussaient des cris de guerre sensiblement masculins.
Dans cette atmosphère torréfiée baignée d'accolades viriles, Gon ne parvenait plus à lâcher son meilleur ami des yeux. Un débat d'intérêts s'était engagé dans son esprit nébuleux, submergé par l'émotion. Comment lui annoncer son amour pour lui ? Car le jeune homme brun dont les cheveux crespelés se disciplinaient avec le temps, à l'image de son caractère désormais moins impulsif et toujours plus doux, avait balayé la majorité des questions inhérentes aux adolescents de son âge.
Gon ne s'était pas demandé si Kirua accepterait toujours sa solide amitié après avoir pris connaissance de ces sentiments dont il était l'objet. Il ne s'était pas demandé s'il ne serait pas répugné, dégoûté, d'avoir été taquiné, complimenté, enlacé, par cet homme qui aimait les autres hommes. Il ne se demandait pas s'il ne se sentirait pas trahi, trompé par celui qu'il considérait comme son meilleur ami et qui nourrissait un amour caché depuis longtemps. Gon ne se posait pas ce genre de questions.
Il était évident pour lui que l'objet de son amour se dressait au-dessus des réactions puériles des hommes en quête de virilité, de ceux pour lesquels l'organe était si précieux et fragile qu'ils le disposaient au rang de l'artefact le plus ancien de l'histoire de l'humanité. Il était évident pour Gon que Kirua lui témoignerait toujours son affection, l'aimerait peut-être même plus encore, flatté de ses sentiments, même si ceux-ci n'étaient pas réciproques et se déversaient hors de son cœur transpercé à sens unique.
Tout cela était évident pour Gon parce qu'il n'envisageait pas de se donner entièrement à un homme effrayé de son amour. Si son corps et son âme l'avait choisi lui, c'est qu'il serait capable d'y faire face, de s'y confronter. C'était si évident qu'il n'y avait pas eu de processus cérébral, seulement un amour inconditionnel qui l'avait frappé sans pitié.
S'il avait dû résumer ce qu'il avait senti à ce moment-là, avec des mots bien trop faibles pour être dignes de ses émotions, il aurait comparé cet instant à ce jour tempétueux sur l'île de la Baleine qui l'avait tant marqué.
Mito lui avait crié après, alors qu'il fuyait hors de la maison, en proie à l'une de ces violentes crises de larmes incontrôlables qui le submergeait parfois depuis le départ de Kirua. Il avait couru sous la pluie battante, ignorant le déluge déchaîné contre ses épaules, l'odeur de la terre rafraîchie par le torrent, ses pieds empêtrés dans le chemin boueux.
Des rivières improvisées dévalaient la pente dans des gouttières naturelles aux abords de la route. La pluie glaciale s'abattait si monstrueusement sur le sol qu'elle soulevait un brouillard d'eau et de poussière mêlée. Les plantes s'agenouillaient devant leur nouveau maître, vaincues par la force de la tempête, noyées sous ses coups impitoyables. Le vent hurlait ses cris terrorisants, par-dessus le déferlement orageux, par-dessus la furieuse rage qui tambourinait dans le creux laissé à la place de son coeur manquant.
Le ciel, moins ténébreux que son esprit, ne lui faisait pas peur. Il avait terminé sur la plage à force de marcher à l'aveuglette, les yeux mi-clos à cause des gouttes de pluie qui y avaient trouvées un moyen de s'y immiscer, pour achever de glacer ce corps déjà rafraîchi par la mort.
La mort. Si elle avait été une émotion, ce serait celle qu'il aurait choisi pour décrire l'avalanche grondante au fond de ses entrailles. Gon avait trouvé cette étonnante façon de gérer ses émotions qui consistait en ne rien gérer du tout. Elles s'abattaient sur le rivage de son âme comme les vagues de l'océan sur le sable de la plage sur laquelle il s'était effondré.
La plupart du temps, il était joyeux, comme à son habitude. Enjoué, gentil, aimable, toujours motivé à découvrir quelque chose de nouveau, comme à l'époque des grandes vadrouilles avec Kirua. La plupart du temps, il pensait à son meilleur ami et tout était rose, sucré, comme un bonbon qui fond sur la langue, ou un de ces chocorobot qu'il affectionnait tant. Et parfois, le souvenir englué de guimauve laissait place à celui bien plus incisif de la douleur de la séparation. Parfois, le garçon rose dont il se souvenait enfonçait sa main dans sa poitrine pour lui compresser le cœur, assez douloureusement pour être aussi inoubliable qu'interminable. Penché au-dessus de lui, avec ce petit sourire gêné qu'il dévoilait parfois, il prenait un plaisir sadique à le tuer petit à petit.
Et parce qu'il se détestait de l'imaginer comme ça, parce qu'il ne voulait pas laisser ses sombres pensées ternir le souvenir de son seul véritable ami, de la seule personne à laquelle il ait jamais vraiment tenu, Gon rentrait dans des accès de rage incontrôlables, et un Nen noirâtre aussi sombre que du sang vicié se déployait autour de lui. Alors, pour pallier à son désespoir, il entreprenait de longues marches, des courses de plusieurs heures, jusqu'à être entièrement vidé de cette répugnante énergie, prêt à être rempli d'une force nouvelle.
Ce jour-là, il préféra marcher sous le torrent qu'avoir à faire face à ce Kirua tout droit sorti de ses cauchemars. Ce jour-là, il avança, résolu, jusqu'à cette mer déchaînée, dont la brisure tonitruante du ressac aurait effrayé le plus téméraire des matelots. Ce jour-là, il était prêt à se noyer dans cette mer assoiffée de son âme, bien qu'il sache que ça n'arriverait pas, bien qu'il ait conscience qu'il dominerait les flots, qu'il dominerait l'océan, rien que par la volonté, dans le sursaut désespéré du corps qui s'accroche à la vie.
Ce jour-là, il s'était jeté dans l'eau, au milieu des vagues démentes, narguant Poséidon lui-même avec l'un de ces doigts d'honneur dont seul Kirua avait le secret. Kirua. Et la vague le renversa. Fidèle à sa promesse, elle le fit tourner sur lui-même au fond de l'océan, le plaqua contre les abysses, impétueuse, insensible. Gon était écrasé par le poids de cette eau glaciale, qui s'infiltrait jusque dans ses os dans une morsure gelée, et incapable de bouger, balloté dans un sens, puis dans un autre, alors qu'il regardait la lumière dispersée dans l'eau perdre de son éclat à travers ses yeux vitreux, le sursaut de la vie s'empara de lui.
Dans un dernier éclair de lucidité, sa jambe prit appui sur le sol sablonneux, et il nagea jusqu'à la surface, avec un second doigt d'honneur fait à la nuit éternelle et Poséidon lui-même. Il s'était battu contre la pression de la nature, contre son corps épuisé et essoufflé. Il s'était battu comme il avait toujours su le faire pour regagner la surface. Pour sentir l'air lui brûler les poumons, pour pouvoir un jour serrer Kirua contre lui.
Ce jour où Gon avait échappé de justesse à la noyade, ce jour lors duquel il s'était refusé à l'appel de la mort, il fut frappé par la beauté du monde. Le vent lui fouettait le visage, le sel de la mer agressait sa peau, le ciel au-dessus de lui était plus noir encore que le fond de l'océan, mais Gon avait vu, au loin, les rayons du soleil transpercer les nuages et la tempête disparaître comme un lointain souvenir. Alors, il avait regagné le rivage, et le monde était redevenu beau, brillant d'une clarté retrouvée. Ce fut ce jour-là qu'il mit un point final à cette peine qui le rongeait depuis trop longtemps, après avoir pris la ferme décision d'appeler Kirua, de réaliser qu'il lui manquait aussi, et qu'ils se reverraient bientôt.
S'il avait fallu décrire ce qu'il avait ressenti lorsque Kirua s'était tourné vers lui pour lui sourire, sur cette scène perdue au milieu d'une arène, devant un public déchaîné qui beuglait la chanson faux et sans rythme, Gon aurait choisi de le comparer à cet instant, où il avait été renversé par la vague et réalisé à quel point la vie était belle.
Alors, loin des interrogations normales d'un adolescent de son âge, Gon prit la décision d'amener Kirua dans le plus bel endroit qu'il pourrait trouver, et de lui dire à quel point il l'aimait, avant de lui demander quelle race de chien ils devraient adopter dans leur future maison.
Peu après les résultats, Kurapika se balada dans les couloirs d'un futurisme impersonnel de la Tour Céleste, qu'il découvrait pour la première fois. Les néons blancs, qui se reflétaient sur le sol et les murs brunâtres en métal verni, l'odeur d'alcool désinfectant prégnante des couloirs, le bruit de ses pas réverbérés dans l'interminable corridor rappelaient au Kuruta ses quelques souvenirs de passages à l'hôpital.
Le demi joint et sa première fois sur scène l'avait apaisé. Depuis le massacre de son clan, Kurapika n'avait jamais joué de batterie en public et encore moins chanté. Sa rencontre avec Senritsu l'avait poussé à accepter l'idée de réécouter de la musique, activité qu'il avait relégué au rang de distraction inutile jusqu'à rencontrer cette fille à moitié chauve, dont les dents proéminentes lui rappelaient celle d'une taupe. Senritsu s'était révélée une amie fidèle, aussi sympathique que vilaine, et sa voix apaisante, un remède à sa haine.
Quelques fois, après avoir passé de longs mois à lancer des regards enamourés à une batterie isolée, dans une pièce qui ne l'était pas moins, de l'édifice Nostrad, Kurapika s'autorisa à caresser du bout des doigts des baguette d'un alliage de bois sombre, avec pour unique coquetterie la marque gravée au manche avec sobriété. C'est en effleurant le tambour de l'instrument qu'il réalisa à quel point la batterie lui avait manqué. Il avait alors développé pour cet objet la passion brûlante, alimentée d'interdits, nourrie de désirs secrets, de pulsions inassouvies, de celle d'un amant caché aux yeux du monde. Monter sur scène, dévoiler au monde entier que lui, Kurapika Kuruta, dernier survivant de son clan, était batteur dans un groupe d'adolescents lui avait donné le frisson de son amour révélé, le sentiment grisant du poids qui tombe des épaules.
C'est le cœur léger qu'il arpentait ces couloirs inconnus, sans autre objectif que celui d'une distrayante balade, à la vague recherche de la chambre qu'il occuperait sans doute quelques jours. Les couloirs se remplissaient quelques fois d'un autre humain auquel Kurapika ne daignait même pas jeter un regard, parce qu'il avait peur d'abandonner dans l'observation d'un autre la paix relative qu'il savourait à cet instant.
La drogue artificielle mêlée à celle, naturelle, suivant un moment d'extase, avait hermétiquement cloisonné la zone de son cerveau qui l'interpellait d'un danger imminent. Parfois, elle sonnait assez fort pour que son esprit brumeux esquisse le dessin du mafieux harceleur savamment occupé à saper le reste de son moral. Il était convaincu de l'avoir vu. Aussi clair que la bouée de sauvetage tendue par Kirua plus tôt dans l'après-midi. Il l'avait vu parce que Kuroro souhaitait se montrer, lui dire avec son horrible sourire : « Je suis là ».
Comment y arrivait-il encore ? A rider son visage dans cette expression joyeuse. Kurapika ne savait plus comment faire. Ses pommettes soulevées, ses lèvres étirées, tout lui semblait faux. Ça n'avait pas plus de sens qu'effectuer un squat. Sourire était devenu pour le Kuruta une simple contraction musculaire. Alors comment un mafieux, un meurtrier multirécidiviste, dont les crimes étaient trop nombreux pour être comptés parvenait à effectuer la contraction musculaire avec conviction ? Comment le squat de son visage parvenait-il à être sincère ?
Kuroro Lucifer ne démordait pas. On lui avait dit qu'il se lasserait, qu'il passerait à autre chose, qu'il était comme un enfant trop gâté pour ne pas se lasser de ses jouets. On lui avait promis que c'était seulement l'affaire de quelques jours, que sa vie reprendrait normalement dès qu'il aurait lassé son ennemi. Mais il ne le lassait pas. Tous les jours, il recevait ses messages. Tous les jours, il y répondait. Si bien qu'au bout d'un mois, après avoir déployé des trésors d'imagination pour trouver des insultes plus cinglantes les unes que les autres, ils avaient simplement commencé à faire connaissance. Sans vraiment s'en rendre compte, juste parce que ça tombait sous le sens.
Une information échappait à Kuroro, une autre à Kurapika, et lentement, ils en savaient plus l'un sur l'autre, puis ils utilisaient cette nouvelle connaissance pour mieux insulter l'autre encore, et ainsi de suite. Le matin précédent le concours, Kurapika avait paniqué, remis toute sa vie en question en cognant sa tête contre le miroir, parce qu'il avait souri en lisant son message. C'était bête. Un geste simple, qu'on effectue sans jamais s'en rendre compte. Une simple contraction musculaire qui fait circuler la dopamine dans le corps. Le premier sourire sincère depuis combien d'années ? Il l'avait donné à un homme qu'il détestait par-dessus tout. L'enfer avait pris son visage, la forme de son corps. L'enfer c'était lui. Son incarnation. Il lui avait donné son tout premier sourire avant d'éclater en sanglots à cause de l'incompréhension, à cause de la honte, comme lorsqu'on réalise qu'on vient de gâcher cette chose que l'on attendait depuis longtemps, et qu'il n'y aura pas de retour arrière.
Kurapika poussa la porte de la chambre que l'hôtesse de la Tour lui avait indiqué. Les chiffres « 197 » se succédaient en gros caractères dorées sur une porte lourde revêtue de bois. Il poussa la poignée faite du même métal que les numéros, après avoir inséré une carte bariolée sur laquelle était gravée un « X Huntor » d'un rouge vif.
Le Kuruta pénétra dans un petit couloir recouvert d'un papier peint gris et d'une moquette marron. Ce n'était pas du meilleur effet. Ses amis lui avaient expliqué que le confort s'améliorait au fil des étages, jusqu'à devenir luxe d'un presque indécent, mais un lit aux draps frais lui suffisait amplement. La chambre était petite. L'espace autour du lit-double tout juste assez grand pour s'y déplacer se terminait par deux petites tables de chevet d'un bois bas-de-gamme. Les stores à la fenêtre filtraient une lumière striée blanchâtre à travers la pièce. Une petite télévision décorait le mur gris et la télécommande attenante avait été déposée sur la table de chevet.
Sans même prendre le temps d'aller voir la salle de bain, Kurapika se déshabilla brièvement, retirant son aube habituelle pour ne garder qu'un débardeur et son sous-vêtement, avant de se glisser entre les draps blancs et rafraîchissant.
Alors qu'il somnolait, terrassé par la fatigue ressentie habituellement après l'euphorie du joint, il remarqua une silhouette ombrageuse érigée dans au fond du couloir. Kurapika se redressa en sursaut, et scruta l'ombre sans bouger. Son cœur manqua de lâcher lorsqu'il la vit se déplacer pour s'approcher de lui.
— Bah alors, on fait une petite sieste ?
— Putain, mais qu'est-ce que tu fous là ?
Kuroro Lucifer, dans son manteau des grands soirs, un col de fourrure aux longs poils soyeux et démêlés, probablement issus d'un animal en voie de disparition, cousu sur la capuche, une trame d'un cuir noir et épais cascadant jusqu'à ses genoux, se tenait devant lui dans cette droiture insolente, pleine de désinvolture, qui le caractérisait sans mal.
— Je venais te dire bonjour.
Son tatouage en croix sur le front laissé à l'air libre, ses cheveux noirs de jais embataillés autour de son visage pâle, ses yeux d'un gris sombre, profond, qui le fixaient avec un amusement non dissimulé, tout chez lui rendait Kurapika fou de rage. En réponse à sa colère, ses yeux ne tardèrent pas à virer au rouge.
— Dégage de là avant que je te tue !
L'aura de Nen se déploya autour de Kurapika avec tant de force qu'elle souleva ses cheveux blonds. Sa chaîne de métal se matérialisa autour de son bras, entourant chacun de ses doigts de bagues semblables à un alliage d'acier, décorées d'inscriptions mystiques.
Kuroro le regarda toujours plus amusé, un sourire au bord des lèvres, l'expression impénétrable et, sans protection aucune, il grimpa sur le lit dans une agilité féline, avança jusqu'à Kurapika, qui, désarmé par son attitude, n'osait plus l'agresser, et s'arrêta trop près de son visage, les yeux dans les yeux. Sa main effleura la peau du Kuruta, non sans une certaine tendresse, puis il tira doucement sur son cerne en appuyant son pouce vers sa joue.
— Tes yeux sont quand même bien plus beaux à l'intérieur de ton visage.
Kurapika le regarda s'éloigner de lui, béat, et sortir de la pièce sans dire un mot de plus. Le Kuruta se serait montré un bien incapable d'expliquer ce qui venait d'arriver.
*musique*
Tu peux venir te poser sur moi,
Je ne veux rien t'imposer.
Les yeux écarquillés par la surprise, le menton presque au sol à cause d'une bouche trop grande ouverte, Kirua regardait sur les écrans des couloirs la prestation de Ging. Au départ, il avait refusé de croire qu'il s'agissait de lui, puis, forcé de s'en rendre compte, il avait envoyé un message à Gon, porté disparu depuis quelques temps.
Reste aussi longtemps que tu voudras
Si le voyage à mes côtés,
Peut simplement te garder
« J'arrive », avait répondu Gon au « Faut que tu rappliques, il se passe un truc de dingue. » de Kirua.
L'adolescent brun apparu rapidement du fond du couloir, encore embellit par la lumière rasante de la fin de journée. La lumière dorée du soleil couchant se reflétait sur les carreaux de bleutés qui composaient entièrement le revêtement du premier étage. La Tour s'était lentement vidée au cours de la journée, et le soir venu, seuls les participants se baladaient encore dans les couloirs. Kirua avait donc tout le loisir de contempler la démarche virevoltante de son ami, celle qu'il arborait lorsqu'il voulait lui montrer quelque chose. Et incapable de le lâcher des yeux, Kirua lui lança de grands gestes à faire jalouser la meilleure des hôtesses de l'air.
Gon regarda distraitement ce que lui désignait la récente source de son amour et constata, non sans surprise, son père chanter sur scène dans une posture à la Johnny, dans ses vêtements habituels d'explorateur. Il avait l'air de passer en coup de vent, juste pour voir comment c'était. Il y avait même peu de chances qu'il reste jusqu'à la fin du concours.
N'aie pas à craindre de bouleverser
Ce qui pourrait arriver
— Ça m'étonne pas vraiment de lui.
— Ah bon ?!
— Bof. Tu viens ? Je veux te montrer un truc.
— Mais on regarde pas jusqu'au bout ?
— Non. Il chante même pas bien. Allez, viens !
Je te laisserai sur ma peau, te tatouer
A mon anneau, t'accrocher
Et sans barreaux, te garder
Gon le fit courir longtemps à travers la ville, sans jamais s'épuiser. Leurs pas rapides s'écrasaient sur l'asphalte brûlante de l'été, réchauffée par les rayons du soleil. Ils avaient slalomé entre les voitures, entre les passants, manqué plusieurs fois d'y laisser la vie. Kirua se demandait d'où venait cet empressement, pendu à cette main qui ne voulait pas lâcher la sienne, aux battements de son cœur perdu entre sa course et ses sentiments.
Gon accepta finalement de ralentir à l'approche d'un parc verdoyant d'un aspect boisé. Ils avancèrent dans l'allée sablonneuse, entourée d'une forêt touffue, face à un grand lac d'une eau sombre sur laquelle barbotaient des canards. Gon et Kirua marchaient sur le chemin, entourés des couples qui s'enlaçaient sur les bancs ou dans l'herbe, en profiteurs nocturnes de l'obscurité naissante.
Gon avança, sûr de lui, jusqu'à un bosquet à l'abri des regards qu'il avait repéré lors de sa balade improvisée, alors que Kirua, embarrassé, agitait la main que Gon refusait de lui rendre. Ce dernier ne se rendait même pas compte de la gêne de l'autre, trop occupé à se demander s'ils arriveraient au bon moment pour que son effet fonctionne.
Ne résiste pas à cette envie
Viens contre tout, contre moi.
Ils enjambèrent une branche morte, pleine de mousse, et s'engouffrèrent dans le petit bosquet plongé dans l'obscurité.
— Qu'est-ce qu'il se passe, Gon ?
— Attends une seconde. Il va se passer quelque chose.
— D'accord, mais quoi ?
Alors que Kirua parlait et s'énervait un peu du silence obstiné de Gon, il fut surpris de voir des lucioles s'illuminer derrière son ami. Comme une pluie d'étoiles dorées, elles l'entouraient dans une magie nouvelle. Les points de lumières jaunes clignotaient, s'allumaient, s'éteignaient encore, volaient au-dessus d'eux. Cachés, à l'abri du monde, Gon avait posé sur lui un regard heureux. Kirua l'observait, sans voix, incapable de prononcer quoique ce soit, tant ce qu'il voyait était beau. Il n'y avait que Gon pour faire ce genre de surprises, connaître les secrets bien gardés de la nature. Il lui souriait et son sourire était à son image, d'une simple beauté inaltérable.
Aussi libre que moi.
— Kirua, j'ai réalisé quelque chose aujourd'hui, en te voyant chanter, que je n'avais jamais remarqué avant.
Kirua le regardait sans rien dire, la gorge sèche. Tout son corps s'enflammait, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, son estomac se tordait douloureusement, ses membres étaient parcourus de fourmillements. Incapable de le lâcher des yeux, incapable de prononcer quoique ce soit, il le contemplait, béat, s'efforçait de se dire qu'il se trompait forcément, pour ne pas se faire de faux espoirs.
Gon avait déjà commencé à parler quand il comprit qu'il manquait de mots pour exprimer ce qu'il ressentait. Il avait beau fouiller au plus profond de sa mémoire, dans le tiroir de vocabulaire de son esprit, il n'arrivait pas à trouver les termes adéquats. Il repensa à cette fois où il avait failli se noyer, sans se douter que Kirua ne comprendrait pas sa référence et dit simplement :
— Kirua, tu es ma vague.
— Hein ?
Le jeune homme aux cheveux blancs le considérait sans comprendre, ses émotions troublées laissant place à l'incompréhension. Ses cheveux resplendissaient, prenaient la dorure imposée par l'endroit. Ses yeux étaient lumineux, brillants de milles étoiles trop belles pour ne pas être contemplées, et devant cette magnificence interstellaire, Gon avait perdu ses mots, le fil de sa pensée, se contentant simplement de l'admirer. Il finit par reprendre conscience, se racla la gorge et prit une grande inspiration.
— Ce que je veux dire, c'est que je t'aime.
Face au silence de son ami, et il lui expliqua encore avec patience, de sorte à être le plus clair possible.
— Je suis amoureux de toi.
Gon avait beau lui répéter, Kirua ne comprenait toujours pas. Les mots ne s'alignaient tout simplement pas dans sa tête. Ils partaient dans tous les sens, étaient remplacés par d'autres. Il était perdu. Et puis la phrase prit finalement un sens qui le frappa comme une gifle, et, enfin ressaisit, il prit une expression de stupeur.
Les questions s'enchaînèrent dans sa tête dans une totale démesure, les interrogations aussi. Il réalisa bien vite que son ami ne lui ferait jamais une telle blague, qu'il n'aurait sans doute pas déployé de tels trésors d'imagination rien que pour une farce, et sans qu'il le décide vraiment, il répondit d'une bouche séchée par l'émotion :
— Moi aussi, Gon.
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Coucou tout le monde,
J'ai décidé de partir dans un style un peu différent pour ce chapitre. Je voulais prendre plus de temps pour les descriptions car j'ai tendance à me trouver trop expéditive dans mes écrits. Dites-moi si ça vous a plu.
Aussi, c'est la première chanson dans une autre langue que l'anglais. J'ai choisi quelque chose qui n'avait pas trop de texte, pour que ça ne soit pas trop pénible à compiler avec la lecture. Je conçois parfaitement que le style un peu cantonné aux années 2000 ne soit pas des plus séduisants, mais les paroles me plaisent, et vu le personnage qui la chante, je la trouvais plutôt à propos.
Il y aura sans doute une autre chanson en français, et une en espagnol. Pour le reste, je ne sais pas. L'avenir nous le dira ;)
J'espère que vous avez aimé ce chapitre, et je vous dit à très bientôt.
Sijinte
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