Chapitre 33 : 2

Kurapika ne vit jamais les couleurs de ses chambres. Les hôtels dans lesquels ils séjournèrent au cours de la tournée furent tous témoins de l'amour qu'il offrait à son amant. Si Kuroro n'appréciait pas de le perdre de vue, il n'envisageait même plus qu'ils passent une nuit l'un sans l'autre. Et bien que le Kuruta râle et réclame sa liberté à la première occasion, chaque heure passée loin du Lucifer lui semblait interminable.

Kuroro chassait ses démons, il donnait à sa vie des nuances chatoyantes, des accents de bonheur et de paix. Il lui souriait, et le monde s'illuminait. Il insufflait la chaleur en son corps, par chaque soupir déposé sur sa peau, par ses yeux brûlants d'amour et de désir, par ses mots tendres chuchotés au creux de son oreille, ses cheveux qui lui chatouillaient le nez, ses mains possessives, son odeur provoquante. Kurapika se surprenait à sourire, et se sentir de nouveau heureux à ses côtés. Le fardeau de sa vie était moins lourd, depuis qu'ils étaient deux à le porter.

Dans le regard de Kuroro, dans ses gestes, dans le moindre de ses rires enamourés, se déployait un conte de fée. Kurapika était le prince orphelin et éploré ; et le Lucifer, le démon de sa déchéance, finalement tombé pour lui. C'était son conte pour lui-même, l'histoire intime dans laquelle il s'oubliait. Le jardin dont il ne déverrouillait jamais la porte, où il enfermait ses déclarations et ses poèmes, au grand dam de Kuroro.

Ce jour-là, ils se lavaient ensemble, serrés l'un contre l'autre dans une salle de bain démesurée, recouverte de marbre du sol au plafond. Une baie vitrée surplombait toute la ville. Kuroro s'était appuyé contre le mur, le Kuruta blotti dans ses bras. L'eau bouillonnante glissait sur eux, entre les mèches de leurs cheveux, et sur le grain de leur peau. Elle s'infiltrait entre leurs torses et les liaient ensemble. Et Kurapika s'endormait peu à peu, bercé par l'eau en cascade sur le cœur de son amant. L'organe pulsait lentement contre son oreille, et prosodiait, accompagné par son ample respiration, la plus délicieuse des mélodies.

— Je t'aime, Kurapika.

— Je sais, répondit l'autre en souriant.

— Et moi, je sais que tu m'aimes aussi, soupira Kuroro.

— Tu crois ?

— Je le sais.

— Mmh...

— Tu n'as pas l'intention de me le dire, un jour ? Un « Je sais » fait même souffrir l'amoureux le plus valeureux.

Kurapika gloussa.

— Mais comment tu parles ?

— Parle-moi de tes heurts, je te donne mon cœur. Ton regard écarlate, dans mes remords, éclate. Ne va plus dépérir, laisse-moi te reconstruire. La passion, je la sème, au jardin où l'on s'aime.

Kurapika s'arracha à l'embrassade. Ses yeux, fixés sur Kuroro, trahissaient son incompréhension. Comment avait-il pu entendre ces paroles ? Ce ne pouvait pas être un hasard.

— Tu parles en dormant, mon amour, expliqua Kuroro.

— Et tu ne comptais pas me le dire ?

— Non, j'écoutais tes vers. Pour un poète endormi, ce n'est pas mal.

Le Kuruta rougit jusqu'à la racine des cheveux. Son amant connaissait donc les textes qu'il avait cru conserver comme le plus beau des secrets. Il eut honte. Ses vers étaient misérables, et dans la plupart d'entre eux, il avouait à Kuroro son amour sans bornes. Ce dernier eut l'obligeance de ne pas réciter celui commençant par : « J'oublie tout, je te pardonne tout ». Il était de loin le poème le plus niais. Et son préféré. Il se le récitait à longueurs de journées.

— J'ai raconté tout le conte, quand je dormais ?

— Dans les moindres détails. D'ailleurs, Kurapika, je te ferai remarquer qu'il n'est pas très approprié pour les enfants.

— Il était censé n'être que pour moi.

— Ta bouche en a décidé autrement.

Kurapika souffla, les yeux baissés, les joues toujours roses. Vaincu par sa moue adorable, Kuroro l'attira de nouveau à lui, et embrassa ses cheveux blonds.

— Ne pars pas comme ça, j'ai froid sans toi, murmura-t-il.

— J'ai tellement honte.

— Je trouve ton conte très bien. Ce démon, qui a tué la famille du prince, et qui l'a élevé, dans son château enseveli par les ronces, c'est touchant.

— Le prince déteste le démon plus que tout, mais il ne peut pas le chasser.

— Parce que le démon ne veut plus partir, il est tombé pour lui.

— Oui.

— C'est une jolie histoire. A la fin, le prince l'aime et le pardonne. Et les ronces fanent et disparaissent. Alors la lumière éclaire de nouveau le château.

— Il n'y a pas de « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ».

— Oui, je suis un peu déçu. Tu aurais pu avoir la fantaisie de créer deux ou trois bambins quand même.

Ils rirent tous deux, puis Kuroro resserra sa prise sur les épaules de son amant.

— Je ne veux plus jamais t'abandonner, Kurapika.

— Quand tout sera fini, et que nos vies reprendront leur court normal, garde-moi une place.


§


— Bravo, tout le monde, votre première partie était super ! s'enthousiasma Pamu en entrant dans la loge de Léorio, où se trouvaient Kurapika et Gon. Kirua n'est pas avec vous ?

— Non, il n'a jamais partagé sa loge avec nous depuis le début de la tournée, expliqua Gon. C'est ma faute. Il fait tout pour m'éviter.

— Il nous évite tous, ces derniers temps, répliqua Kurapika, les bras croisés.

— Peut-être que tu devrais aller le voir, Gon, proposa Léorio au garçon. Si ça se trouve, il acceptera de nous rejoindre, on ne sait jamais.

Gon sembla trouver l'idée à son goût. Il sourit, les yeux brillants de détermination, et quitta la pièce. En sortant, il croisa Kuroro. L'homme le dépassait encore de plusieurs centimètres, et malgré leur écart de taille largement réduit, Gon le trouvait toujours aussi impressionnant qu'à ses douze ans. Il déglutit, glacé par le regard impénétrable du Lucifer, qui le fixait sans détour, et le contourna en pas chassés.

— Kurapika est là ? lui demanda Kuroro.

— Oui, il est avec Léorio.

Les yeux du Chef de la Brigade semblèrent s'assombrir. Gon n'en fut pas certain. En revanche, il sentit son aura pesante le cerner de part en part. Qu'est-ce que Kurapika peut bien lui trouver ? pensa-t-il. Ce type est effrayant.

— Je les dérangerai, si je rentre ?

— Non, je ne crois pas.

— Bien. Merci, Gon.

L'adolescent s'éloigna dans le couloir. Il entendit le Lucifer toquer à la porte, qui s'ouvrit dans les secondes suivantes. La voix de Kurapika tonna dans le couloir :

— Dis-donc, tu ne peux plus te passer de moi !

Les pensées de Gon divaguèrent, tandis qu'il s'enfonçait dans les corridors du théâtre où ils se produisaient, ce soir-là. Il songea aux tatouages du Lucifer. Bien que très sectaires, il les trouvait assez jolis. Il s'imagina avec une croix dessinée sur le front, puis il se figura Kirua, avec le même dessin. Ses rêves dérivèrent sur les souvenirs de la douceur de sa peau, sa couleur de lait, ses poils transparents qui l'auréolaient d'argent, une fois plongés dans la lumière. Il se souvint de sa voix encore adolescente, pas tout à fait adulte, de ses « je t'aime » timidement murmurés sur l'oreiller, ses doigts blancs entremêlés aux siens.

Gon toqua à la porte, le cœur serré, la boule au ventre. Soudain, il ne connut plus la raison de sa présence. Il eut seulement besoin de rassasier son appétit de le voir, et peut-être de le prendre dans ses bras, et peut-être de l'embrasser, et lui dire tout ce qu'il ressentait, et déblatérer tous les mots comme ils venaient.

Kirua ouvrit la porte, une bouteille d'alcool fort dans une main, une fille blonde sous le bras. Il riait jusqu'à ce que ses yeux se posent sur Gon.

— Tu veux quoi ?

— T'es bourré ?

— Peut-être bien, répondit Kirua.

— Mais on est en plein milieu du spectacle, t'es dingue ?

— Bah quoi ? Ça m'a plutôt bien réussi jusque-là, tu ne trouves pas ?

— T'es bourré depuis le début du spectacle ?

— Je suis bourré depuis bien plus longtemps que ça, répliqua Kirua avant d'éclater de rire avec la fille à côté de lui.

Gon lui jeta un regard mauvais, il attrapa l'adolescent par le poignet, le forçant à lâcher la bouteille, dont le contenu se vida sur le sol, puis il l'entraîna dans le couloir.

— Putain, mais tu fais quoi, Gon, t'es malade ?

— Non ! C'est toi qui es malade !

Ils s'arrêtèrent un peu à l'écart.

— C'est maintenant que tu t'en rends compte ?

— T'es alcoolique ?

— Ne sois pas ridicule. Tu ne te rends pas compte des efforts que je dois déployer, juste pour être un peu pompette ? De là à être alcoolique... Il déposa la paume de la main sur son torse. Il n'y a pas moyen que je devienne dépendant de quoique ce soit.

Gon lui jeta un coup d'œil circonspect.

— Alors, pourquoi est-ce que tu bois comme ça ?

— Pour t'oublier.

Le cœur de l'adolescent se serra. Jamais il n'aurait imaginé tant souffrir d'une méchanceté de son ancien ami. Celle-là n'était pas une moquerie stupide. C'était la vérité. Il parvint à ne rien laisser paraître, et porta sur le chanteur un regard sévère.

— Le règlement de comptes, au club de combats à côté de la Tour Céleste, c'était toi, n'est-ce pas ? Ce soir où tu es rentré, avec les mains en sang. C'était de là que tu venais.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ?

— Il n'y a pas que moi que tu veux oublier, il y a ça aussi.

Kirua ne répondit rien. Il baissa les yeux pour ne pas montrer ses paupières vacillantes. Sa voix trahit sa peine. Il n'y avait pas que Gon. Il y avait la vingtaine d'innocents, assassinés pour rien. Il y avait la jouissance du génocide. Il y avait le défoulement pur sur la vie des autres. Il y avait Kirua, et toute l'horreur qu'il transportait avec lui.

— C'est à cause de moi qu'ils sont morts, dit Gon.

— Le monde ne tourne pas autour de toi.

— Je sais. Mais ton monde, notre monde, il ne tourne qu'autour de nous.

— Il n'y a pas de nous.

— Si, il y en a un. Cruel et égoïste. Sincère. Nous. Tu veux la preuve ? Je ne t'en veux pas de ce que tu as fait, pas une seconde. C'est seulement après moi que j'en ai. Et tu veux savoir pourquoi je m'en veux ? Pas parce que tu as buté des gens qui n'avaient rien fait, mais parce que je t'ai poussé à bout. Je t'ai mis dans une position insupportable pour toi. Et c'est ça qui me rend fou.

Kirua sentit sa bouche s'assécher. Un mélange de colère, de peur et d'amour lui retourna le ventre. Il attrapa sa tête baissée entre ses deux mains, les paumes sur les oreilles, les dents serrées. Les mots de Gon étaient insupportables. Il le détestait autant qu'il l'adorait. Pourquoi revenait-il lorsqu'il désirait plus que tout s'en détacher ?

— Pourquoi est-ce que tu ne me laisses pas tranquille, Gon ? Juste, laisse-moi. Sans toi, tout ça, ça ne serait jamais arrivé.

— Tu as raison. Sans moi, tuer des gens serait ton quotidien. Tu ne souffrirais jamais tant d'un acte si banal.


*musique*


— Tais-toi.

— Tu as besoin de moi, Kirua

— Non.

— Autant que j'ai besoin de toi.

— Non !

Il hurla après son ancien ami comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Puis son corps se redressa étrangement. Il releva sur l'adolescent deux yeux vides de toute émotion, avant de lui offrir un sourire insensé, figé, placardé sur son visage en un masque impénétrable. Kirua avait disparu.

— Je n'ai pas besoin de toi, Gon. A la fin de cette tournée, nos routes se séparent. Moi, je vais faire de la musique. Toi... Je m'en fous de toi. Tu peux crever, ça m'est égal.

Reprise du concert dans deux minutes. Kirua est attendu dans les coulisses.

— Je dois y aller, conclu l'adolescent. La chanson qui va suivre t'es dédiée. Considère-là comme un cadeau d'adieu. Tu pourras partir après. Ça n'a aucune importance, tant que tu es heureux.


It's cool
C'est cool

It's really never been that deep
Ça n'a jamais vraiment été si profond

Wasn't thinking about you
Je ne pensais pas à toi

Cause you didn't give a fuck about me
Parce que tu n'en avais rien à foutre de moi

Thought I was up in my room
Tu croyais que j'étais dans ma chambre

Crying myself to sleep
En train de chialer en m'endormant

I was with a better you
J'étais avec mieux que toi

While you were busy playing me
Pendant que tu te jouais de moi


I was playing you 2-2-2
Je jouais avec toi aussi

I was playing you 2-2-2
Je jouais avec toi aussi


Thought I wouldn't find out
T'as cru que je ne découvrirais pas

Thought I didn't know how to play the game
T'as cru que je ne savais pas comment jouer au jeu

Could've screamed at you for hours
J'aurais pu te hurler dessus pendant des heures

Instead I was screaming somebody else's name
Au lieu de ça, je criais le nom de quelqu'un d'autre

There were no rules
Il n'y a pas de règles

Now I can do whatever I want
Maintenant, je peux faire ce que je veux

I can never lose
Je ne peux jamais perdre

So it's funny how you thought you won
Donc c'est marrant de voir comment tu crois que tu as gagné


But I was playing you 2-2-2
Mais je jouais avec toi aussi

I was playing you 2-2-2
Mais je jouais avec toi aussi


Des écrans retranscrivaient jusque dans les toilettes des images du concert. Il eût été impossible d'y échapper. Alors, seul, Gon regarda Kirua tenter de le détruire pour le faire fuir. Et il n'en fut pas réellement malheureux. Il eut simplement peur. Peur de l'avoir perdu à tout jamais. Peur que ce sourire de façade ne devienne son véritable visage. Peur de ne jamais pouvoir le reconquérir. Même en tant qu'ami. Même comme une connaissance. Gon eut simplement peur d'avoir gâché sa chance. Il restait si peu de temps pour tout réparer.

Car il le savait, désormais. Après s'être égaré sur le pire chemin, après avoir perdu de vue ses rêves et ses objectifs, après s'être laissé manipulé par l'homme le plus dangereux qu'il connaissait, Gon savait ce dont il avait besoin. Il avait besoin de Kirua. Il n'y avait que lui. Il n'y avait jamais eu que lui. Et même s'il le haïssait, même s'il l'insultait, le blessait, et finissait par le tuer, Gon ne le laisserait plus jamais seul.


I was playing you 2-2-2
Je jouais avec toi aussi

I was playing you 2-2-2
Je jouais avec toi aussi


I was playing you 2-2-2
Je jouais avec toi aussi

I was playing you 2-2-2
Je jouais avec toi aussi



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Petit chapitre de transition sans prétention avant la partie finale. J'espère que vous êtes prêts, moi je ne le suis pas du tout ! Tellement de mois sont passés depuis le démarrage de cette histoire, j'ai pensé si longtemps aux chansons qui seraient présentes, et j'ai créé tant de scènes dans mon esprit, que je crains de me sentir vide pendant un moment, quand tout sera terminé. J'ai plein d'autres projets  en attente qui me remplieront l'esprit à leur tour, donc je ne m'inquiète pas trop, mais je pense que cette fanfiction est la dernière, et je ne vous cache pas que ça me fait très bizarre de me dire que je n'écrirai plus jamais avec les personnages d'HxH.

Bref, pour en revenir au chapitre: non, vous ne rêvez pas, j'ai écrit des alexandrins. Enfin des alexandrins, c'est un grand mot... je soupçonne n'avoir aucune espèce de don pour ce qui est de la poésie, en tous cas, pas dans sa forme classique. Il y a trop de règles, je n'aime pas les règles. Mais apparemment, Kurapika a un côté romantique très fleuri, je me devais de respecter ça x) 

Pour en revenir à la chanson, je l'ai choisie parce que je la trouve super cool, déjà, et ensuite parce que j'imaginais bien Kirua la chanter. Pour tout vous dire, ce chapitre devait être beaucoup plus violent dans son schéma original. J'avais prévu que Gon surprenne Kirua en train de pécho une de ses fans dans un couloir, et qu'il lui dise quelque chose comme : "Fais ce que tu peux pour m'oublier, il n'y a que moi qui compte." Sauf que dans cette version, Kirua n'était jamais allé massacrer des innocents (Cette partie du chapitre 30 a été ajoutée sur un coup de tête, et elle a pas mal perturbé la suite). Il était trop heurté pour faire ce que je voulais, et Gon n'avait plus envie de se comporter comme un connard après avoir découvert à quel point il a blessé son ami, donc j'ai laissé tomber cette idée, même si elle aurait eu plus de sens avec la musique.

 Il y a un jeu de mot que je n'ai pas réussi à retranscrire dans la traduction. Tous ceux qui parlent un peu anglais comprendront, mais pour les autres : le chiffre 2 et le mot "too" qui signifie "aussi" se prononcent exactement pareil. D'où le titre de la chanson et les petits 2 du refrain. 

Il y a quelques jours, on a passé les 5k sur cette fiction. Je n'ai encore jamais eu autant de succès, alors merci à vous d'être si nombreux et actifs. Vous m'offrez une superbe expérience <3

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