Chapitre 18: Crazy In Love
S'il l'avait vu ainsi, allongé comme un débauché sur le premier transat venu, une bière à la main ; Kurapika se serait probablement lancé dans un long monologue de reproches avec preuves scientifiques à l'appui. Seulement voilà, il n'était pas là, et Kirua aurait payé cher pour entendre ses commentaires agacés lui vriller les tympans. L'adolescent avait besoin de conseils. Terriblement besoin. Gon lui échappait sans qu'il ne sache quoi faire pour le récupérer. Où pouvait-il bien être ? Avec qui ? Pourquoi ne cessait-il de le fuir ?
Il avait disparu aux premières heures du matin, avec l'un de ces sourires joyeux que Kirua ne parvenait plus à provoquer. Alors des bouffées de bonheur, de peine et de jalousie avaient fait rage, frappant son cœur comme le ressac contre une rive. Ainsi, Gon retrouvait sa joie de vivre. Seul. Ou avec quelqu'un d'autre. Mais sans lui. Kirua avait été purement et simplement éliminé de l'équation.
— Bonjour, Kirua-sama.
Il n'eut nul besoin de se retourner pour la reconnaître. Sa voix suffisait. Ce timbre avait claironné dans ses oreilles toute son enfance. Une musique impalpable, inaccessible, dont il avait toujours apprécié les accents lointains. Les sons d'un autre monde. Trop différent pour approcher le sien, mais toujours proches, à graviter autour de lui. S'ils étaient devenus amis, aurait-il un jour rencontré Gon ?
— Salut, Kanaria. Ça va ?
— Très bien, maître. Et vous ?
— Mmh... Tu en veux ? dit-il lui tendant sa bouteille entamée de Celester, tandis qu'elle s'asseyait sur le transat attenant au sien.
— Non merci, maître. Je ne bois pas si tôt, généralement. Il n'est pas encore midi.
Kirua soupira d'ennui. Le monde devenait terne sans Gon. Sans doute lui aurait-il arraché la bière des mains pour la lui verser sur la tête en le voyant ainsi. L'outrage feint de Kirua les auraient tous deux emportés dans un long fou-rire, dont ils se seraient tirés avec des douleurs aux côtés et des larmes dans les yeux. Au lieu de cela, Kanaria se tenait sagement assise sur la chaise longue, le dos droit, ses yeux gris portés sur l'horizon, sa peau noire absorbant les timides rayons de soleil qui perçaient les nuages.
— Considère que c'est un ordre, alors, souffla-t-il platement.
La jeune femme se tourna vers lui avec surprise, sembla hésiter une poignée de secondes, puis s'empara vaillamment de la bouteille pour en boire quelques gorgées. Les joues roses, elle rendit la boisson à Kirua sans plus oser croiser son regard amusé.
— Tu as dix-neuf ans, non ? Boire de l'alcool ne devrait pas être si incroyable pour toi.
— C'est qu'il est tôt, et que c'est le vôtre, maître.
— Arrête de m'appeler comme ça, c'est ridicule.
— Je ne peux pas, maître.
— Et pourquoi ? Avant, je pouvais comprendre. Tu étais constamment observée. Ça aurait pu être dangereux pour ta vie de me traiter en égal. Mais ici, tu ne risques rien.
— Sauf votre respect, vous n'en savez rien.
— Nous ne sommes pas au manoir !
— Irumi-sama est là.
Kirua souffla. Cette altercation n'était pas leur première sur le sujet, et Kanaria s'était toujours montrée d'un professionnalisme irréprochable. Le combat était perdu d'avance.
— Mon frère, il t'a battu, non ?
— Oui, murmura-t-elle, le regard voilé de peine. La semaine dernière. Ce n'était pas plus mal. J'aurais été gênée de gagner face à l'un de mes maîtres. Vos parents m'auraient peut-être même renvoyée après un tel affront...
— Et alors ? Tu mérites mieux qu'un boulot pareil, de toute façon.
— Je me suis battue pour ce travail. Votre famille me traite admirablement. J'ai été bien accueillie. Je suis logée, nourrie, vêtue. Je ne pourrais prétendre à un tel luxe nulle part ailleurs.
— Le monde est vaste. Tu peux faire plein d'autres choses, à commencer par le chant.
— Je ne pense pas. Je ne suis pas aussi douée que vous. Votre frère me l'a bien fait comprendre, même si je le savais déjà.
— Je t'ai vue sur scène, Kanaria. Tu es très douée. Pour être franc, je ne sais même pas ce que les gens me trouvent. Et puis Irumi, je suis sûr qu'il triche.
Kanaria écoutait son maître avec patience, sans jamais oser l'interrompre, mais prête à le contredire si nécessaire. Kirua se surprit à apprécier sa compagnie discrète et réservée, et cette conversation normale avec la jeune majordome, trop rare pour ne pas être savourée.
— Je ne saurais porter de telles accusation sur votre frère. Mais ses résultats sont effectivement surprenants compte tenu de ses prestations. Plusieurs de ses adversaires auraient mérité, selon moi, la première place, à commencer par la mère de votre ami.
— Tu parles de Mito-San ? demanda Kirua les sourcils froncés. Ce n'est pas la mère de Gon, mais sa tante. Il n'a jamais su qui était sa mère. Aux dernières nouvelles, ça n'avait que peu d'importance pour lui, mais je ne sais plus maintenant. Ça fait quelques temps que je ne le reconnais plus.
— Pourquoi n'est-il pas avec vous ?
— Je ne sais pas. Je suppose qu'on n'est pas obligés d'être tout le temps ensemble.
— Vous m'avez toujours semblés inséparables. — C'est lorsqu'elle se tourna vers Kirua qu'il remarqua le doux sourire animant ses traits. — Je me souviendrai sans doute toute ma vie du regard qu'il m'a lancé lorsqu'il est venu vous chercher. Je l'avais frappé durant des heures. Son visage était si boursoufflé que je ne savais plus s'il en guérirait totalement un jour. J'ai vu ses yeux, et ils m'ont dit la même chose que ses mots. Seulement là, je ne pouvais que le croire. Avec la voix, c'est simple de mentir, mais pour qui sait le lire, le regard dit toujours la vérité. Ce jour-là, ses yeux m'ont dit qu'il s'était attaché à vous, qu'il avait décidé que vous étiez important, et qu'il ne partirait pas sans vous. Ce jour-là, j'ai vu le véritable visage de la détermination. Et il me hante toujours.
La gorge nouée, Kirua réprima un sanglot d'émotions. Jamais Gon ne lui avait fait part de cette histoire. Il imaginait volontiers le périple de ses amis jusqu'au manoir, mais jamais son partenaire n'avait voulu en faire mention.
Insister jusqu'à ce que l'autre cède, jusqu'à mettre sa vie en jeu. C'était du Gon tout craché. Son ami ne s'était jamais montré totalement sain d'esprit, pour le plus grand bonheur et le dam de Kirua.
— Kirua-sama, reprit Kanaria d'une voix moins assurée. Puis-je vous poser une question indiscrète ?
Kirua haussa un sourcil.
— Vas-y.
— Gon-sama et vous... Entretenez-vous une relation intime ?
§
— Allez, Gon ! Un peu de nerfs !
Le manège avait démarré depuis plus d'une heure. Hisoka déclenchait l'aura de Gon de force, intimait à l'adolescent de conserver le Ten en autonomie, puis s'éloignait de quelques pas. Le résultat était sans appel. A peine le magicien avait retiré ses doigts que le Nen s'évanouissait comme il était venu.
Les premières fois, l'exercice avait été supportable. Très agréable sur l'instant, particulièrement frustrant ensuite, mais vivable. Hisoka s'était révélé un mentor d'une patience inattendue. Il assurait à Gon que tout était normal, et qu'ils finiraient par y arriver.
Les minutes défilaient, et l'adolescent s'épuisait anormalement vite, attisant à petit feu une rage misérable. Les assauts de Nen d'Hisoka, aussi modérés fussent-ils, agressaient les cellules de l'adolescent comme un corps étranger immiscé de force sous son épiderme. Gon avait chaud, puis froid. Il suait à grosses gouttes. Ses jambes tremblaient. Sa respiration haletante endormait son cerveau sous d'épaisses couches d'oxygène. Les larmes coulaient de ses yeux comme du pue suintant d'une fracture ouverte.
De toutes ses forces, il tentait de raviver son Nen, avec une détermination sans bornes, attendant la timide apparition d'une aura désordonnée, balbutiante, pourvu qu'elle vienne de lui, pourvu qu'elle ranime ses espoirs.
Ses jambes se dérobèrent sous ses pieds. Il s'effondra au sol. La chambre tangua devant ses yeux. Une salsa désordonnée entre le sol et le plafond. Les murs noircirent et changèrent de couleur. La température varia en quelques instants des plus grandes chaleurs à un froid saisissant.
— Je n'y arrive pas, s'entendit-il bafouiller. Ça ne sert à rien, j'ai déjà essayé.
Le soufflet reçu lui rendit vaguement conscience. Même accroupi, Hisoka le dominait de toute sa hauteur. Son regard sévère le dévisageait, tandis que sa main, toujours pressée sur ses joues, lui déformait le visage.
— Tu as tenu jusqu'ici sans te plaindre ou t'apitoyer sur ton sort. Alors, hors de question que ça commence maintenant.
Gon releva ses yeux vitreux sur lui sans parvenir à le considérer correctement. Le visage du magicien le narguait dans une valse effrénée. Un haut-le-cœur lui souleva la poitrine. Sa bouche pâteuse le dégoûtait lui-même. Au bord du malaise, il fronça le nez d'horreur face aux afflux nauséeux qui le menaçaient.
— Baptise-moi à nouveau, s'il-te-plaît, articula-t-il difficilement. Un vrai baptême.
— Non, je te tuerai à coups sûr. Ton aura explosera en toi si je t'attaque de la sorte... Et vu ton état, et la puissance de ton Nen, je pourrais y passer aussi. Actuellement, tu es une bombe à retardement, Gon. Il faut te manier avec soin.
Le corps de l'adolescent s'effondra, sa tête seulement maintenue par la poigne d'Hisoka. Ses forces abandonnées, des larmes de frustration lui échappèrent et ruisselèrent le long de ses joues. Rageur et malheureux, il serra la mâchoire assez fort pour se briser les dents.
— Je veux y arriver, dit-t-il finalement.
— Et tu vas y arriver, tu t'en sors parfaitement jusqu'à présent.
— Mais non ! Je ne parviens pas à faire l'exercice.
— Parce que tu croyais réussir ? Il n'y avait aucun moyen que ça marche.
Cette fois, les pupilles dorées de l'adolescent rencontrèrent frontalement celles d'Hisoka. L'homme en frissonna de plaisir. Tant de haine, tant de frustration, tant de courroux contenus dans un seul regard. Ces yeux, ils brillaient du même éclat inépuisable même après des heures de torture. Ces yeux, il aurait aimé les crever lentement, du bout de ses doigts enfoncés dans ses orbites démesurés, et lui faire ravaler son orgueil à grands coups de salive.
Il laissa seulement échapper un soupir extatique.
— A quoi bon me faire travailler comme ça alors ?
— A fluidifier ton aura. Si tu t'imaginais réussir avec un exercice miracle, tu t'es rudement planté, Gon. La merde dans laquelle tu t'es mis il y a deux ans va être très difficile à décrasser. Récupérer ton Nen actuellement à de grandes chances de te tuer, et à vrai dire, je t'imaginais évanoui depuis plus d'une demi-heure. Alors soit tu retournes faire mumuse sur un plateau-télé avec ton amoureux, avec tes souvenirs pour seule consolation de ta vie merdique, soit tu ravales ton arrogance, et tu cesses de te comporter comme la serpillière qui nettoiera sa propre gerbe.
Gon baissa les yeux quelques instants. Les mots durs d'Hisoka auraient pu l'humilier, mais il n'imaginait pas le magicien capable de tels encouragements. L'adolescent s'était figuré qu'à sa première faiblesse, l'homme ennuyé l'aurait chassé, peut-être même égorgé. Or, il était toujours là, accroupi face à lui, à le soutenir de sa manière très personnelle. Mué par le courage, il prit appui sur ses bras affaibli et se hissa maladroitement sur ses jambes. Sa démarche hésitante le fit tituber plusieurs minutes avant qu'il ne parvienne à se redresser.
— Je suis prêt, souffla-t-il d'une voix ankylosée.
Hisoka acquiesça, visiblement satisfait, puis approcha une dernière fois sa main du torse de Gon.
Gon frémit. Le Nen réchauffait ses veines et lançait des frémissements le long de sa peau. Il balayait sa fatigue et sa douleur d'un revers de main, ne laissant qu'un intense bien-être. Epuisant. Entêtant. C'était aussi délicieux qu'un déjeuner de roi, aussi jouissif qu'une fin d'orgasme. L'aura d'Hisoka prenait toute la place. Son corps la reconnaissait comme si elle lui avait toujours appartenu. Il ressentait chacune de ses irrégularités, sa fragilité fébrile, ses accès de force. Elle était faible, trouée, blessée, remplie d'une puissance décuplée encore inaccessible. Elle était farouche, guerrière, pleine de courage et détermination. Elle était sienne. C'était son aura. C'était son Nen.
Surpris, il ouvrit les yeux. Les doigts d'Hisoka avaient quitté sa peau. Il ne vit que son sourire disparaître dans l'obscurité, et exhala sa joie en s'écroulant sur le parquet.
— J'ai réussi, murmura-t-il avant de sombrer dans les ténèbres.
§
Kuroro Lucifer avait atteint ses propres limites. Attiser la haine du Kuruta était aisé lorsqu'il savait de quel enfer il l'extirpait. Il tirait même un grand amusement de son énervement perpétuel déclenché par ses répliques plus stupides les unes que les autres. Mais faire face à son amour inavoué était impossible. Leur dernière conversation l'avait mené à une conclusion inévitable : il était temps de mettre fin à leur mascarade.
Que résulterait-il de cette dernière provocation ? Aucun retour à l'étrange relation qu'ils s'étaient péniblement construit ne semblerait envisageable après en être venus aux mains. Cette pique serait-elle l'annonciatrice de leur indifférence mutuelle ? Ou les jetterait-elle tous deux dans les flammes ?
De grands coups tambourinés contre la porte le sortirent de ses questionnements. Il était là. Hors de ses gonds. Prêt à lui hurler dessus et lui sauter à la gorge. Kuroro soupira, passa une main dans sa chevelure de jais et rajusta ses vêtements.
— Arrête de t'acharner sur cette porte. Conserve plutôt tes mains pour me frapper, moi, souffla Kuroro pour lui-même.
Il admira une dernière fois son épiderme exempt de blessures. Ce réglage de compte gâcherait son visage pour les semaines à venir. Pourrait-il seulement continuer à chanter ?
La porte s'ouvrit sur Kurapika, écumant de rage, les yeux écarlates, pleins de la haine qui l'avait marqué dès leur première rencontre. Ses cheveux blonds d'épi soulignaient la féminité de ses traits magnifiés par la lumière du jour. Son expression farouche et sa colère palpable le rendirent plus désirable encore qu'à l'accoutumée. Jamais il ne lui était paru si resplendissant.
Kuroro ne put s'empêcher de sourire. Les yeux de Kurapika s'arrondirent de surprise. La joie du Lucifer passa auprès du jeune homme comme une énième provocation. Ses pupilles vrillèrent. Il lui envoya son poing en pleine mâchoire. Kuroro perdit l'équilibre et s'agrippa au mur de sa chambre du mieux qu'il put. Un goût de fer lui emplit la bouche à une vitesse fulgurante. Il saignait. La douleur lui parvint par saccades quelques secondes après l'attaque. En quelques instants, son menton lui sembla avoir triplé de taille.
Kurapika fonça sur lui. La porte claqua dans son dos. Il allait lui faire la peau, l'étrangler avec sa propre fierté, mordre son visage orgueilleux jusqu'à sa chair. Kuroro reprenait ses esprits, ses yeux perdus posés sur lui sans qu'il ne semble le voir. Kurapika, qui s'apprêtait à le gifler, toutes griffes dehors, fut arrêté par le bras de son opposant, à quelques centimètres de sa tempe. Il étouffa un cri de rage lorsque Kuroro envoya son pied au milieu de sa cuisse, le forçant à reculer. Feignant la douleur, il ne s'éloigna que pour mieux s'approcher, et lui asséna un coup de tête en pleine face.
— Putain, exclama Kuroro, tenant son nez dont le sang s'échappait à grosses gouttes.
— Ça t'apprendra à sourire comme un connard au lieu de te préparer ! Tu n'avais qu'à pas me sous-estimer !
Kuroro profita de la déconcentration relative du Kuruta pour lui balayer les mollets de sa jambe libre et le projeter au sol. Kurapika se cogna contre le mur les dents serrées. Ses yeux lançaient des éclairs.
— Je ne t'ai pas sous-estimé, Kurapika.
— Tu parles ! Tu n'arrêtes pas de me provoquer ! Tu ne fais que jouer avec moi ! Et tout ça pour quoi ? Pour me balancer des horreurs à la première occasion ? Tu es inhumain !
Il s'était jeté sur Kuroro, prêt à le frapper à nouveau. Par réflexe, le Lucifer contra son attaque en lui attrapant les poignets. La lutte fut difficile, le Kuruta était habile, et poussé par une force inattendue.
— Ça ne veut pas dire que je te sous-estime...
Kuroro fut coupé dans sa tirade à peine entamée par le genou de son adversaire logé dans son sternum. Ses bras cédèrent. Plié en deux, son front heurta l'épaule du Kuruta, avant que l'arrière de sa tête ne s'écrase contre le mur.
— Qu'est-ce que ça veut dire alors ?
Le choc passé, Kuroro ouvrit les yeux. Son crâne douloureux lui semblait prêt à éclore. Kurapika avait cessé de se défouler, et attendait désormais une réponse, son regard profondément troublé porté sur lui. La main pressée contre sa nuque pulsante de souffrance, le Lucifer se promit de ne plus jamais se laisser faire par Kurapika, même si abimer son visage relevait du sacrilège.
— Que tu n'es vraiment pas très perspicace.
Le Kuruta poussa un cri de rage, puis se rua à nouveau sur lui. Sa course fut rapidement stoppée par Kuroro, qui chargeait déjà dans sa direction. Le poids supérieur du chef de la brigade eut raison du jeune homme. Embarqué par la force de son adversaire, il se retrouva bientôt coincé contre le mur, la tête nichée dans son cou, le corps collé au sien.
Jamais encore il n'avait été donné à Kuroro de sentir une telle odeur. C'était un parfum musqué, imprégné d'une senteur de blé et de rose. Son odeur lui rappelait les campagnes dantesques de l'étoile filante, les rares fois où le soleil y dardait ses rayons. Kurapika sentait les épis brûlés par la chaleur écrasante de ses étés d'enfance, au milieu desquels il faisait le compte de ses butins volés. Combien de jours avait-il répété ses plans, les fesses dans la terre empoussiérée d'un grand terrain vague, entouré des amis fidèles qu'il conservait encore aujourd'hui ? Combien de fois s'étaient-ils félicités de l'argent amassé, dérobé à des pauvres qui l'étaient légèrement moins, où aux marâtres mal-aimées des quartiers d'à côté ? Kuroro s'était attelé à haïr une enfance difficile remplie d'injustice et de privations, mais l'odeur de Kurapika dégageait de cet amas sordide les souvenirs brûlants d'un bonheur oublié.
Il releva ses yeux vers le Kuruta, ses mains toujours enlacées autour de ses épaules. Kurapika, qui ne se débattait plus, lui jeta seulement l'un de ses regards foudroyants. Son expression de bête sauvage, sublimée par l'éclat de ses prunelles, avait le don de le rendre fou. Les yeux de Kurapika étaient bien plus beaux que tous ceux des Kuruta, mais il ne voulait plus les cueillir. Ce n'était pas seulement son regard, c'était l'homme qui lui plaisait. C'était sa peau d'une douceur de soie, ses cheveux aux couleurs du soleil, ses lèvres fines rosies par la colère. Il l'avait convoité bien trop longtemps pour le laisser partir.
Sa main agrippa ses cheveux blonds à l'arrière de sa nuque. Son regard incandescent darda sa bouche entrouverte. Son souffle rencontra chaque parcelle de sa peau. Dans l'océan écarlate des yeux de Kurapika naquit la surprise, balayant d'un coup de vent la colère et la peur. Il était un trésor, une pierre précieuse, un rubis étincelant porté à la lumière.
Les lèvres de Kuroro se refermèrent sur les siennes, puis s'ouvrirent dans une invitation que Kurapika s'empressa d'accepter. Ils gémirent doucement, le corps dominant la conscience. Leurs bouches heurtées l'une contre l'autre avaient déclenché un monstre de désir indomptable, une vague de pulsions qui les avait emportés au large, et dont la seule issue se trouvait dans l'abime.
Le Kuruta se serra plus fort contre lui, soupira bruyamment en glissant sa langue dans la cavité sanguinolente du Lucifer. Le baiser prit un goût métallique, et il fut avide de son sang. Il mordit sa lippe. Fort. Trop fort. Kuroro gémit péniblement, sans bouger. Il sentit sa chair s'ouvrir sous sa dent, et un flot de liquide poisseux ruisseler sur ses papilles. Le Lucifer sourit dans le baiser, séduit par la voracité et la haine dévorante du « Type à la chaîne ». La plaie s'étira. La brûlure, noyée par les coups de langue vampirisant de son amant.
Kurapika pressa encore son corps contre le sien, laissa ses mains se balader le long de son dos musculeux et se planter dans ses épaules. L'inimitié et l'envie se déchiraient en lui jusqu'à lui faire perdre la tête. Il voulait dévorer sa gorge, caresser sa peau jusqu'au sang, l'étouffer de sa langue dans un voluptueux baiser.
— Je te déteste tellement, souffla-t-il contre le cou du Lucifer, dont il rosissait chaque parcelle. Tu ne peux pas imaginer. C'est à devenir dingue.
Kuroro laissa échapper un rire, puis souleva le Kuruta. Le jeune homme agacé serra ses jambes autour de sa taille, et lui planta ses canines en pleine gorge, y laissant deux marques profondes et violacées.
— Arrête de rire, connard.
— Ce n'est pas ma faute si tu es si attirant, répondit-il en déposant le jeune homme sur le lit.
Allongé au-dessus de lui, il l'embrassa encore, d'un baiser brûlant, affamé. Kurapika agrippa ses fesses sans pudeur, entrechoqua les érections qui distendaient leurs pantalons, et les frotta l'une contre l'autre. La caresse était frustrante, terriblement excitante. Leurs soupirs se firent bruyant, franchissant la barrière de leurs lèvres pour s'écraser contre celle de l'autre.
La chaleur grimpante les fit s'écarter pour arracher nerveusement leurs vêtements respectifs, comme agacés que le tissu interrompe leur instant. Kurapika admira les courbes musculeuses et viriles de son ennemi, enveloppées sous la peau d'albâtre, sortir un emballage argenté de sous son lit, et le glisser entre ses dents. Son désir lui faisait mal. La distance lui faisait mal. Il allait fondre puis s'évaporer si Kuroro restait loin de lui une seconde de plus.
Le Lucifer se retourna vers lui. Ses cheveux retombaient avec sauvagerie sur son visage. La capote qu'il mordillait semblait le narguer. Sans le quitter des yeux, Kurapika entama une série de va et vient le long de sa hampe, et glissa son autre main entre ses fesses. Ses doigts s'enfoncèrent en lui sans résistance, et il lui montra tout. Sa colère et son désir mêlé. Son impatience, sa faim insatiable. Ses yeux couleur de lave qu'il lui offrait volontiers, et qui ne faisaient que le défier.
Kuroro traina un regard indécent sur le spectacle obscène, obsédé par ses yeux et son rectum qui s'ouvrait sous ses doigts. Il se masturba à son tour pour tempérer des envies insupportables qu'il ne fit qu'attiser davantage, puis ondula comme une ombre, à quatre pattes, jusqu'au Kuruta. Le regard de Kurapika marqua une expression indéchiffrable, puis il retira le préservatif des lèvres de Kuroro, rompant le filet de salive qui s'y était établi, et l'embrassa encore, ses mains glissées dans ses cheveux.
*musique*
Kurapika porta le préservatif à ses propres lèvres et, sans le quitter des yeux, le déposa à l'exact endroit où Kuroro l'avait mordillé. Dévoilant ses dents, il déchira l'emballage dont s'échappèrent quelques gouttes de lubrifiant, et attrapa le préservatif du bout des doigts. Kuroro contempla sans retenue les gestes experts du Kuruta, et frémit au contact de sa pulpe sur son membre tendu.
Ils s'allongèrent tous deux, Kuroro penché sur Kurapika, sans qu'aucun n'ose parler, écrasés par l'intensité de l'instant, et de leurs regards perdus dans les pupilles de l'autre. Le Kuruta se cambra légèrement, les lèvres entrouvertes et les yeux rivés sur le Lucifer lorsqu'il sentit son sexe le pénétrer lentement, puis glisser au fond de lui sans difficulté. Ils laissèrent tous deux échapper un soupir d'extase, tandis que les chairs de Kurapika s'ouvraient toujours sans protester.
You got me looking, so crazy, my baby
Tu me donnes l'air si fou, mon bébé
I'm not myself, lately I'm foolish, I don't do this
Je ne suis pas moi-même ces derniers temps, je suis insensé, je ne fais pas ça
I've been playing myself, baby I don't care
Je me suis joué de moi-même, bébé, je m'en fous
Penché tout contre lui, il fit jouer avec lenteur ses hanches contre les fesses du Kuruta, pour prolonger leur étrange trêve le plus longtemps possible. Ils se regardaient tous deux comme s'ils se voyaient pour la première fois. Les yeux écarlates de Kurapika brillaient d'un éclat nouveau, bien plus beau que celui de sa rage.
Baby your love's got the best of me
Bébé ton amour a eu le meilleur de moi
Baby you're making a fool of me
Bébé tu fais de moi un idiot
You got me sprung and I don't care who sees
Tu m'as pris et je me fous de qui voit
Cause baby you got me, you got me
Parce que bébé, tu m'as, tu m'as
You got me, you got me
Tu m'as, tu m'as
Les mouvements de Kuroro accélérèrent. Les jambes accrochées autour de sa taille, Kurapika accentua le mouvement, le visage tordu de plaisir, ses soupirs mués en gémissements étouffés, ses yeux incandescents rivés sur lui.
I look and stare so deep in your eyes
Je regarde et je vois si profond dans tes yeux
I touch on you more and more every time
Je me touche sur toi de plus en plus souvent
When you leave I'm begging you not to go
Quand tu pars, je te supplie de ne pas t'en aller
Call your name two, three times in a row
J'appelle ton nom deux, trois fois d'affilée
Such a funny thing for me to try to explain
Une chose si marrante pour moi de tenter d'expliquer
How I'm feeling and my pride is the one to blame
Comment je me sens et ma fierté est celle à blâmer
Yeah, I still don't understand
Ouais, je ne comprends toujours pas
Just how your love can do what no one else can
Juste comment ton amour peut faire ce qu'aucun autre ne peut
Les bras serrés autour de la nuque de Kuroro, la tête renversée, le corps entièrement emporté par ses coups de bassin, il jouissait de la présence du Lucifer au fond de lui, et de son sexe pilonnant sa prostate. Kuroro, la tête nichée dans son cou, soupirait d'extase, transporté par l'amour que leur corps s'offraient l'un à l'autre. Kurapika transparaissait sous un nouveau jour. Plus sombre encore. Plus sensuel. Entièrement donné à lui.
— Kurapika, murmura-t-il à peine conscient, presque pour s'assurer qu'il ne rêvait pas.
Il y eut un court instant de silence où Kuroro fut effrayé d'avoir brisé leur instant, attendant la sentence en noyant ses yeux dans ceux, impénétrables, du Kuruta.
— Dis encore mon nom, répondit-il finalement, le regard toujours plus avide et brillant.
— Kurapika...
— Encore.
— Kurapi...mmpfff...
La dernière syllabe s'était évaporée entre ses lèvres. Le Kuruta l'avait attrapé pour l'embrasser encore, remuant toujours plus fort son bassin sur le membre tendu de Kuroro. Le Lucifer délaissa alors son visage pour agripper ses fesses, et le martela sans retenue en poussant un grognement.
Got me looking so crazy right now, your love's
Me donne l'air si fou maintenant, ton amour
Got me looking so crazy right now
Me donne l'air si fou maintenant
Got me looking so crazy right now, your touch
Me donne l'air si fou maintenant, ton touché
Got me looking so crazy right now
Me donne l'air si fou
Got me hoping you're save me right now, your kiss
Me donne l'espoir que tu me sauves maintenant, ton baiser
Got me hoping you're slave me right now
Me donne l'espoir que tu me fasses esclave maintenant
Looking so crazy your love's
L'air si fou ton amour
Got me Looking, got me looking, so crazy in love
Me donne l'air, me donne l'air si fou d'amour
Le désir monté à son paroxysme se déversa dans un long orgasme insoutenable. Ils gémirent à l'unisson, enlacés l'un à l'autre, puis Kuroro se laissa retomber sur Kurapika, et le garda serré dans ses bras, de peur qu'il ne s'en aille.
Il caressait ses cheveux blonds lorsque le Kuruta ouvrit à nouveau ses yeux et les posa sur lui. Le brun se mêlait doucement au reste de pourpre. L'esprit encore vaporeux, il semblait le contempler sans le reconnaître. Ses yeux glissèrent sur tout son corps, se posèrent sur l'araignée tatouée dans le dos du Lucifer, et l'écarlate reparu, plus rouge et agressif que jamais, tandis qu'il s'arrachait aux bras de Kuroro en sautant au bas du lit.
Uh oh, uh oh, uh oh, oh no no
Uh oh, uh oh, uh oh, oh non non
— Tu t'en vas ? demanda le Lucifer en observant Kurapika se rhabiller sans cérémonie.
— Qu'est-ce que tu t'imagines ? Ce n'est pas comme si nous étions en couple, ou quoique ce soit.
Ses pupilles noires rencontrèrent une dernière fois celles, écarlates, du Kuruta, avant que le jeune homme ne claque violemment la porte, les ramenant tous deux à la réalité.
Le rouge et le noir s'étaient rencontrés.
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