Chapitre 10: Zombie
Génocideur :
Tu voudrais pas m'envoyer une photo de toi ?
Type à la chaîne :
Bien-sûr que non.
Pourquoi ?
Génocideur :
Pour ma liste de contacts.
Type à la chaîne :
Tu as pas mon numéro de téléphone. On parle sur Huntergram.
Génocideur :
Oups.
Type à la chaîne :
C'est quoi ton problème, au fait ?
Génocideur :
Toi.
Type à la chaîne :
Mais arrête de me parler alors !
Génocideur :
Bah non...
Si j'arrête de te parler, je pourrai pas te détruire émotionnellement
¯\_༼ ಥ ‿ ಥ ༽_/¯
Bon. Envoie-moi une photo de toi.
Type à la chaîne :
Mais non !
Et puis c'est pour faire quoi ?
Génocideur :
Plein de trucs ( ͡° ͜ʖ ͡°)
Type à la chaîne :
?
Génocideur :
Jouer aux fléchettes par exemple.
Type à la chaîne :
Oh, je suis flatté. Moi aussi, je joue aux fléchettes avec ta tête.
Génocideur :
C'est vrai ?
Type à la chaîne :
Non.
Mais j'aimerais bien.
Génocideur :
Attends.
Au bout de quelques secondes, un selfie apparu dans le fil de conversation. Il représentait Kuroro Lucifer, les cheveux emmêlés dans une coupe qui sentait la nuit agitée, allongé et torse nu dans son lit, en train de se mordre la lèvre avec un air lubrique. Kurapika nia son trouble avec une telle ardeur qu'il aurait pu se hisser à cet instant en roi suprême du déni. Il reprit une contenance assortie à un air outragé avant de taper rageusement sur son clavier.
Génocideur :
Pour les fléchettes et tes nuits solitaires 😉
Type à la chaîne :
...
Mais tu me dragues ouvertement, en fait.
Je suis pas fou.
Kirua avait raison.
Génocideur :
Tu parles de moi à tes petits camarades ?
Type à la chaîne :
Oui...
Enfin non.
Va pas t'imaginer des trucs, espèce de dégénéré.
Génocideur :
Mmh...
C'est intéressant.
J'attends toujours ma photo.
Type à la chaîne :
Tu peux courir.
Génocideur :
Bon. C'est pas grave, je vais me débrouiller moi-même.
J'avais pris celle-là, cette nuit, mais tu es un peu trop mignon pour faire « type à la chaîne » et ce n'est pas très intéressant.
Une nouvelle image apparue dans la conversation. Le sang de Kurapika se glaça immédiatement. Il était représenté endormi sur le dos, les bras déposés autour de la tête, et le visage complètement détendu. Ses lèvres étaient entrouvertes et son expression candide aurait pu être apaisante si elle n'avait pas insinué que Kuroro s'était invité dans sa chambre en pleine nuit pour se mettre au-dessus de lui à califourchon et le photographier. Il ne comprenait même pas comment il avait fait pour ne pas le réveiller.
Type à la chaîne :
Waouh...
Que dire ?
Il y a trop de choses à dire...
Je suis atterré.
Tu vas essayer de me violer dans mon sommeil ?
Ou tu l'as peut-être déjà fait ?
Génocideur :
Te violer dans ton sommeil ? Quel intérêt ?
Type à la chaîne :
Et en plus tu prends ça au premier degré...
Espèce de malade.
Génocideur :
Oui, bien sûr. Pourquoi pas ?
Quand tu dors, tu es très mignon, mais j'en ai rien à foutre de ça. J'ai l'air d'être vanille, comme mec ?
Type à la chaîne :
Depuis quand le viol, c'est « vanille » ?
Génocideur :
Va savoir.
De toute manière, ça m'intéresse pas.
Moi, je préfère quand tu es énervé...
Avec tes beaux yeux bien rouges.
Type à la chaîne :
C'est fou comme tu me donnes facilement envie de te tuer.
Génocideur :
Tes yeux sont écarlates ?
Type à la chaîne :
Qu'est-ce que ça peut te foutre ?!
Génocideur :
Ils ont l'air écarlates. Je le vois d'ici. Envoie la photo maintenant.
Type à la chaîne :
Mais tu peux aller te faire voir, oui !
Génocideur :
Envoie la photo et je te laisse tranquille pour la journée.
Type à la chaîne :
Non.
Génocideur :
Je m'impatiente.
Je te propose deux options :
1. Tu prends gentiment cette photo et tu me l'envoies.
2. Je viens te photographier moi-même et ce sera beaucoup moins drôle.
Type à la chaîne :
MAIS VIENS !
Tu crois que tu me fais peur, c'est ça ?
Génocideur :
Ah, j'oubliais. Si je dois venir pour avoir ma photo, je ferai en sorte de ruiner votre petit spectacle de tout à l'heure à toi et tes amis.
Type à la chaîne :
Comment ?
Génocideur :
Ce serait dommage de te gâcher la surprise.
Mais tu me connais, je fais pas les choses à moitié.
Type à la chaîne :
Tu fais chier, Kuroro. Tu fais vraiment chier.
Kurapika envoya alors un selfie sombre et flou, en digne partisan du moindre effort. Son visage était figé et fermé par la colère et ses sourcils, froncés au possible, s'accompagnaient d'un doigt d'honneur dressé comme un pique qui signifiait tout le mécontentement du Kuruta. Sa chaîne, matérialisée autour de ses doigts dans des entrelacs de métal complexes gravés de signes de Nen lui rajoutaient une expression étrangement inquiétante.
Le cliché classique de l'adolescent mal dans sa peau prenait alors, lorsqu'on y regardait de près, une tournure effrayante, comme si le garçon mince et colérique cachait une rage douloureuse, toujours prête à exploser et une parfaite maîtrise du meurtre. A cet instant, Kurapika ne semblait même pas avoir conscience de ce qu'il dégageait, tant il était exaspéré.
Génocideur :
Magnifique.
Tu es vraiment magnifique.
Ça aurait été dommage que tu sois pris dans le massacre.
Type à la chaîne :
Ça a été « dommage » pour tout le reste de mon village.
Connard.
Génocideur :
Ce que tu as, c'est trop rare et précieux pour m'échapper. Je veux ça.
Type à la chaîne :
Ça quoi ? Mes yeux ?
Parce que tous les autres t'ont pas suffi ?
Tu as vraiment faim, hein ?
Génocideur :
...
Type à la chaîne :
Je vais te tuer, Kuroro Lucifer !
Je vais te tuer !!
Génocideur :
Je suis désolé, Kurapika.
Type à la chaîne :
Pardon ?
Génocideur :
Je n'aurais jamais dû arracher les yeux de ton clan.
Qu'est-ce que j'ai été con...
J'ai massacré ce peuple pour rien.
Maintenant, je comprends ma frustration en voyant vos yeux extirpés de vos corps sans vie...
Pauvres enfants.
Vos yeux sont comme des coquelicots.
Ils ne sont réellement beau que là où ils sont sensés vivre...
Vos yeux sont des coquelicots que je n'aurais jamais dû cueillir.
C'est toute la colline qu'il fallait prendre avec.
- Alors, on... toi et moi on... On sort ensemble ?
- C'est pas ce qu'on a toujours fait ?
- Si... Mais pas dans ce sens-là. Ce que je veux dire c'est que... - Kirua se gratta la tête face à l'incompréhension de son ami. Il n'arrivait pas à formuler sa question d'une manière assez claire pour lui. - Est-ce que je suis ton petit-ami ?
- Mais qu'est-ce que ça change ?
- Rien... Tout ? On ne serait plus comme de simples amis, on serait un... un...
- Un couple ?
- Voilà, murmura Kirua de plus en plus rose.
- Mais on n'a jamais été de simples amis. - Il entremêla leurs doigts et décala sa tête sur l'oreiller de telle sorte à être plus proche encore de lui. - Toi et moi, on est Gon et Kirua, qu'on soit amis ou petits-amis.
Le cœur de Kirua s'emballa follement à cette réponse. Il ne savait plus ce qu'il devait penser. L'avoir si proche de lui était ce dont il rêvait depuis bien plus longtemps qu'il n'était prêt à l'admettre et sa réponse ambiguë était aussi douloureuse qu'agréable à entendre.
- Je ne comprends pas ce que ça veut dire, avait-il alors simplement répondu.
- Ce que je veux dire, c'est que peu importe ce qu'on a été, ce qu'on est ou ce qu'on sera, je t'aimerai toujours. Parce qu'avant d'être mon ami ou mon petit-ami, tu es Kirua, et c'est comme ça que j'ai envie de t'aimer.
Ses grands yeux dorés et son sourire innocent firent frémir Kirua, et tandis qu'il rougissait et souriait à la fois, il ne pouvait s'empêcher de réaliser sa chance de partager sa vie avec quelqu'un qui parvenait toujours à le surprendre, l'impressionner ou provoquer son admiration. Kirua avait souvent le sentiment de partager sa vie avec un soleil.
Ses réflexions furent soudainement interrompues par des coups frappés contre la porte. Il avait l'habitude de passer des matinées tranquilles et celle-là lui importait encore plus que les autres à cause de la présence de Gon. Il aurait presque été tenté de ne pas ouvrir et faire semblant de ne pas être là si ce dernier ne s'était pas rué sur la porte.
- Gon ? Je me suis trompé de chambre ?
- Non, bougonna Kirua en apparaissant derrière Gon en train d'enfiler un t-shirt.
Léorio se tenait dans l'embrasure de la porte, presque entièrement masqué par Gon qui faisait quasiment la même taille que lui. Ça n'empêcha pas Kirua de le voir rougir légèrement avant d'éclater, secoué par un grand rire.
- Si je m'étais attendu à ça, suffoqua-t-il des larmes au coin des yeux. Tu as pas traîné Gon ! Félicitations !
- Gon ! De quoi il parle ?
- Du fait que je voulais t'embrasser.
Les rires de Léorio redoublèrent. Kirua lui jeta un regard assassin parfaitement inefficace, avant de reporter toute son attention sur Gon, qui le fixait innocemment, comme s'il ne se rendait pas compte du problème.
- Mais pourquoi tu lui as raconté, ça ?!
- Kurapika ! Viens ! J'ai trouvé les petits !
La mine sombre de Kurapika s'éclaira lorsqu'il vit les adolescents. Le premier lui souriait dans la joie et l'insouciance la plus totale tandis que le deuxième, les joues d'un rouge proche du pourpre, semblait avoir réuni tout le sang de son corps dans sa tête, et se cachait derrière le corps de Gon d'une manière un peu ridicule étant donné qu'il le dépassait légèrement.
Kurapika, lui, avait un teint anormalement pâle. Ses cheveux étaient décoiffés, ce qui contrastait terriblement avec son habituelle chevelure harmonieusement domptée et brillante. Là, elle était terne, emmêlée et ses mêches semblaient se battre les unes avec les autres sur son crâne. Ses yeux étaient rougis et cernés et ses paupières, lourdes et gonflées, témoignaient de ses nombreuses insomnies et de son manque de sommeil.
Pourtant, tout son visage s'était éclairé dans un sourire fugace mais plein de la sincérité du bonheur de voir ses amis ensemble. Ceux qui étaient susceptibles de l'aider à remonter la pente, ceux qui étaient peut-être sa seule chance de salut se tenaient là, juste devant lui.
- Alors, vous avez sauté le pas ?
- Oui !
- Non !!
- Mais si, Kirua !
- Ce n'est pas de ce pas là qu'il parle, baka !
- Ah... oh... Ah oui, je comprends mieux. Bah non alors. Enfin, pas encore !
- Comment ça, pas encore ?
- On va faire l'amour un jour, non ? En tous cas moi, je veux le faire avec toi !
- Putain mais tais-toi, Gon ! Ils ont pas besoin de le savoir !
- Pourquoi ? C'est naturel ! Il faut pas avoir honte.
- Mais c'est pas la question ! Tu parles trop ! Bref ! Qu'est-ce que vous voulez ? aboya Kirua, hors de lui.
Léorio et Kurapika se tordaient de rire de l'autre côté du couloir. Ils riaient tellement qu'ils semblaient avoir du mal à respirer, ce qui énerva d'autant plus Kirua. Le pire était qu'ils avaient l'air d'essayer de se retenir, mais la scène qui se jouait devant eux était si drôle que s'en était presque impossible. Après s'être quasiment roulé parterre à cause du manque d'oxygène, Léorio se redressa en se raclant la gorge et pris l'expression de circonstance convenante à sa déclaration.
- Alors... heu... Ton frère est là, Kirua.
- Lequel ?
- Irumi.
- Hein ? Qu'est-ce qu'il veut ? demanda Kirua d'une voix dans laquelle on sentait toute l'inquiétude.
- Je ne sais pas, mais c'est lui qu'on va affronter en battle aujourd'hui, compléta Kurapika.
- Non, c'est pas possible... Je veux pas le voir...
Si le sol s'était soudainement désagrégé sous ses pieds et métamorphosé en sables mouvants, il se serait senti pareil. L'adolescent avait le sentiment de tomber en chute libre dans un puit sans fond. Le puit de ses souvenirs avec son frère, qu'il avait maladroitement rebouché au fil des ans mais dont il connaissait de mémoire toute la profondeur, semblait l'avoir de nouveau avalé pour lui rappeler toute l'angoisse qu'il provoquait et qui le tiraillait dès qu'il entendait son nom. C'était dans ces instants qu'il ressentait la gêne de l'aiguille plantée pile entre ses deux yeux, comme si le métal doré fendait toujours en deux la chair de son cerveau et manipulait ses peurs, les rendaient insurmontables. Comment une telle torture aurait-elle pu rester sans séquelle aucune ?
Il entendait déjà ses reproches, il voyait ses deux grands yeux vides comme des trous noirs posés sur lui et avaler son âme. Il sentait son Nen effrayant et répugnant graviter autour de lui, s'immiscer de ses os jusqu'au fond de ses entrailles pour en aspirer toute l'humanité qu'il avait peiné à construire. Il entendait sa voix aigre, amère, lui répéter ces phrases qu'il ne pouvait plus entendre sans avoir envie d'hurler et réalisait qu'il était trop tôt. Il n'était pas encore prêt à l'affronter.
- Kirua.
Et Gon avait parlé. Trois syllabes toute simple, une main sur son épaule et il avait tout balayé. Comme un ouragan souffle sur les ruines et efface la misère, Gon avait tout envoyé valser avec une facilité fulgurante.
Tout avait disparu et il ne restait rien d'autre qu'eux deux, unis dans le vide. Trois syllabes. Une voix douce. Un bras autour de son épaule. Sa main dans la sienne.
Et lorsqu'il se retourna pour le regarder sourire, alors ses yeux chaleureux illuminèrent son âme comme seul un véritable soleil aurait été capable de le faire. L'amitié, c'était merveilleux mais avec l'amour, on n'était plus jamais seul.
- Kirua, reprit-il. On a beaucoup travaillé. Cette possibilité, elle te faisait peur, mais on l'a envisagé depuis longtemps, tu te souviens ?
- Oui.
- On va le faire. Tu vas le battre. Tu vas lui prouver que tu n'as pas besoin de lui pour trouver ta place, que tu n'es plus un assassin et que tu es un vrai musicien, qui sait toucher les gens.
- Comment tu le sais, que je suis musicien et que je touche les gens ?
- Parce que quand tu chantes, tout ce qu'on voit, c'est que tu es plus humain que n'importe qui.
Il y a ces moments dans la vie, où il semble que l'on perd conscience et l'instant d'après, nous sommes dans cette situation que nous n'avions pas anticipée. C'est l'un de ces moments que Kirua vécu après la phrase de Gon. Il y eut un silence lors duquel tout fut noir. Ce fut si court qu'il ne comprit qu'après la décision de son corps de prendre les rênes. Il réalisa dans le même temps que des larmes de joie ruisselaient sur ses joues et que ses lèvres se pressaient amoureusement contre celles de Gon, qu'il serrait dans ses bras.
La prestation d'Irumi était à son image. Impressionnante et impersonnelle. C'était tellement froid et vide de toute émotion que la chanson prenait une allure glaçante. Les mots s'enchaînaient, ne semblaient pas prendre le moindre sens, chaque inflexion de sa voix était d'une rigidité mécanique si ahurissante qu'il ne semblait même pas humain. La prestation d'Irumi était à son image : effroyable.
On avait proposé à Kirua d'attendre dans sa loge qu'il ait terminé, pour ne pas être forcé de le voir. Après tout, les artistes n'avaient aucune obligation d'assister au spectacle de leur adversaire. Mais Kirua avait insisté pour aller le regarder. Il voulait voir son frère et que son frère le voie pour ne plus se cacher. Ne plus cacher qui il était vraiment et ce qu'il faisait. Il voulait le regarder dans les yeux et lui dire : « C'est moi. Je m'appelle Kirua Zoldyck. Je ne suis pas un assassin. Je suis chanteur et guitariste. Je suis musicien. Je suis un artiste. »
Alors, sous le regard éberlué de Kurapika et Léorio, il s'était assis au tout premier rang, en plein milieu du carré VIP, bien en face de son frère et avait observé sa prouesse technique désincarnée émerveiller le public.
Ses longs cheveux noirs et épais n'avaient jamais paru si lisses. Ils cascadaient jusqu'au bas de ses reins et s'y terminaient avec sécheresse. Il portait sa tenue habituelle, comme si l'événement n'avait eu aucune importance. Un blouson turquoise et pastelle dans de fins tissus de mousseline et de velours, recouvert d'une double rangée de boutons en acier doré brossé, un pantalon assorti au haut et des mocassins dans les mêmes teintes surmontées de collants transparents.
Sa peau, aussi blanche que celle de Kirua, brillait à la lumière, scintillait, comme recouverte de paillettes argentées. Les projecteurs et la machine à fumée masquaient habilement les deux gouffres sans fond que formaient ses yeux. Il aurait presque pu paraître beau si seulement il n'avait pas fixé Kirua pendant toute sa prestation. Il avait chanté « Rap God » de Eminem et Gon, toujours égal à lui-même, le regardait avec des étoiles dans les yeux.
- Tu crois qu'il accepterait de me donner des cours particuliers ?
- Je crois qu'il te méprise trop pour ça. Et il manque cruellement de pédagogie. Ça ne t'apporterait rien. En plus, tu es meilleur que lui.
- N'importe quoi, rétorqua Gon du tac au tac en dévisageant Kirua comme s'il avait sorti une énormité plus grosse que lui. Il articule incroyablement bien. Les accents toniques des phrases sont parfaitement respectés. Pourtant la vitesse de la chanson simplifie pas la chose. Pour avoir essayé, je finis toujours par m'emmêler les pinceaux à la partie rapide. Je n'ai même jamais réussi à la faire d'une traite. Et regarde comment il engage ses muscles. Sa voix a l'air tellement grave...
Kirua fixa Gon sans vraiment y croire, bouche bée d'avoir vu la précision avec laquelle il s'exprimait. Lui qui avait toujours été un garçon instinctif analysait avec justesse les qualités d'Irumi. Puis Gon se tourna vers lui en souriant, et il ne put s'empêcher de lui répondre en réalisant à quel point ils s'influençaient l'un l'autre.
- Et alors ? Il aligne bien les mots, oui. Mais de sa bouche, ça ne veut rien dire. Toi, tu sais comment toucher les gens.
La chanson semblait à Kirua particulièrement longue et interminable. Pourtant, le public semblait toujours assez emballé, même si l'ambiance retombait lentement. Le dernier couplet arriva enfin. Irumi n'avait pas bougé d'un poil. Seuls les muscles de sa bouche semblaient avoir été sollicités, et encore.
Les spectateurs, séduits par sa froideur et son charme glacial, hurlaient, battaient des mains, votaient dans tous les sens, si bien que les chiffres alignés en rouge sur le tableau des scores avaient quelque chose de douloureusement humiliant à côté du « zéro » central sous le nom « L.P.M ».
*musique*
Kirua monta sur scène la boule au ventre. Et s'il n'était pas à la hauteur ? Et si son frère le battait à son propre jeu, sur son propre terrain ? Kirua se remettrait-il d'un tel affront ? Accepterait-il de continuer à jouer malgré tout ? Ou le dégoût le ferait-il tout abandonner ?
Another head hangs slowly
Une autre tête pend doucement
Child is slowly taken
L'enfant est pris lentement
And the violence causes silence
Et la violence entraine le silence
Who are we mistaken?
A qui la faute ?
But you see, it's not me
Mais tu vois, ce n'est pas moi
It's not my family
Ce n'est pas famille
In your head, in your head, they are fighting
Dans ta tête, dans ta tête, ils se battent
Il observait le public l'encourager d'un regard lointain. Ils battaient des mains, criaient le nom du groupe, mais tout lui semblait brumeux et ralenti. Les bruits du public sonnaient comme une bouillie infâme, les flashs lumineux des appareils photos l'aveuglait. C'était comme s'il se tenait au bord du puit, les pieds au bord du précipice, prêt à être englouti. La certitude de tomber dedans pour ne plus jamais en sortir manqua de le faire tomber évanoui.
La voix de Gon retentit à nouveau dans ses oreilles. De l'autre bout de la scène, il l'avait appelé et Kirua l'avait entendu. Et comme le matin-même, sa simple voix lui sembla être une main tendue qui le retenait de sombrer, de tomber dans le vide, et son sourire, la raison qui faisait battre son cœur.
What's in your head, in your head?
Qu'y-a-t-il dans ta tête, dans ta tête ?
Alors tout sembla s'accélérer, tout pris son sens. Le public scandait leur nom, les projecteurs les chauffaient de leur lumière, les flashs lumineux immortalisaient le moment. Il se souvint pourquoi il avait choisi cette chanson. Pourquoi elle le touchait autant.
Another mother's breaking
D'une autre mère
Heart is taking over
Le cœur est brisé
When the violence causes silence
Quand la violence entraîne le silence
We must be mistaken
Nous devons nous tromper
Il y avait toutes ces choses qu'il avait dû faire et qu'il n'avait jamais voulu. Cette souffrance sourde qui résonnait en lui jusqu'à ce qu'il rencontre Gon. Il y avait tout ce vide, remplacé pour sa présence et par l'amour qu'il avait provoqué. Un amour beau, pur, sans limite. La souffrance et soudain, l'amour inconditionnel. Cette chanson ne parlait pas de lui mais elle lui parlait.
C'était sans doute stupide mais à cet instant, il avait impression que tout le public le comprenait et le pardonnait. Pour ce qu'il avait été sans le vouloir, ce qu'il avait dû faire et qu'il était incapable d'accepter, ce qu'il était encore souvent et qui le poursuivrait pour toujours.
What's in your head, in your head?
Qu'y-a-t-il dans ta tête, dans ta tête ?
« Je suis Kirua Zoldyck. Je suis chanteur et guitariste. Je suis musicien. Je suis un artiste. Je ne veux plus être un meurtrier. »
C'est à cet instant qu'il réalisa que l'écho qu'il entendait depuis le début, c'était eux. Ce public qui le pardonnait de tout et qui se pardonnait lui aussi.
What's in your head, in your head?
Qu'y-a-t-il dans ta tête, dans ta tête ?
Zombie, zombie, zombie-ie-ie, oh
Le public était en liesse. Kirua ne s'était jamais senti autant porté par un solo de guitare. Il s'amusait et parce que les gens semblaient heureux et que ça lui faisait du bien, parce qu'ils aimaient sa musique, parce qu'ils avaient éclipsé Irumi de son cœur grâce à leurs cris d'encouragements déchaînés. Il leva les yeux vers eux pour les regarder, les remercier des yeux d'être là. Même s'ils ne votaient pas pour lui. Il était juste heureux de les avoir avec lui. Et si ça devait s'arrêter là, ce ne serait pas si grave.
Ils parlaient, communiaient tous ensemble avec les paroles d'une chanson qui évoquait à chacun d'entre eux quelque chose de différent mais qui les connectaient, les unissaient ensemble par la force de l'émotion et de l'instant. Finalement, ce qu'il voulait dire n'était pas très important. Ce qui comptait vraiment, c'était qu'à cet instant, dans cette arène, pour tous ceux qui l'avaient écouté, tout cela avait été vrai.
What's in your head, in your head?
Qu'y-a-t-il dans ta tête, dans ta tête ?
Zombie, zombie, zombie-ie-ie
What's in your head, in your head?
Qu'y-a-t-il dans ta tête, dans ta tête ?
Zombie, zombie, zombie-ie-ie, oh
Les Petits Musiciens remportèrent la battle de justesse. Irumi ayant déjà accumulé pas mal de points. Après avoir salué et remercié le public, Kirua jaillit hors de la scène comme monté sur des ressors. Excédé, il avait relevé ses manches, prêt à massacrer son frère, alors qu'il fredonnait : « Je vais lui péter la gueule » comme une longue litanie incantatoire.
Il finit par le retrouver dans un étroit couloir rempli de photos des combattants qui avaient marqué l'histoire de la Tour Céleste, au niveau des ascenseurs. Son frère attendait patiemment que la cabine de fer lui ouvre ses portes, son éternel air vide plaqué sur le visage. C'était à peine s'il respirait. Il se tourna vers lui, ni surpris, ni impressionné et le considéra avec neutralité.
- Kiru'
- Tu cherches quoi ici ? Qu'est-ce que tu veux ?
- Je suis venu quand je t'ai vu dans les médias. Papa et maman sont très en colère. J'étais obligé de m'inscrire pour monter dans la Tour et te retrouver, alors j'ai choisi quelque chose et je suis venu.
- Si je ne te dis pas où je suis, c'est peut-être parce que je n'ai pas envie que tu m'y suives !
- Je sais. Bravo Kiru'. Tout ça est complètement ridicule et indigne de toi mais tu le fais bien. C'est dommage que tu ruines le nom et la réputation de la famille avec ce genre de futilités.
- Si c'est pour me dire ça que tu es venu, tu n'aurais pas dû te donner la peine.
- Ce n'est pas pour ça. J'en profite seulement pour te dire ce que j'en pense.
- Alors pourquoi tu es là ?
Irumi considéra son frère si étrangement que Kirua sembla y percevoir quelque chose, une sorte d'éclat au fond de ses yeux totalement indéchiffrable et qui mit Kirua mal à l'aise. C'était comme s'il réalisait soudain tout ce qu'il avait raté pour que son frère le déteste autant. La réponse à la question était évidente et Kirua, intelligent, alors pourquoi ne comprenait-il pas ?
- Je voulais juste te voir.
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