60-N
⇸⇷
D'aussi loin qu'il s'en souvient, Taehyung avait toujours eu conscience que la vie ne serait pas un cadeau. A l'instar des saisons, si tout ceci ne se résumait qu'un un cycle perpétuel de crue et de décrue, alors il en concluait que sa vie se terminerait de la même manière qu'elle avait commencé : mal.
Il avait connu des bas, si abyssaux que les ténèbres des profondeurs restaient toujours encrées en partie dans son cœur. Même lorsqu'il parvenait à s'extirper de la mélasse, et peu importe s'il était baigné de la lumière à la surface.
Les hauts existaient eux aussi, vertigineux, aveuglant, audacieux. D'ailleurs, quand il avait appris à l'aimer, il volait loin au-dessus de la masse. En apesanteur, il devenait incapable d'en voir la laideur, même s'il essayait très fort, car plus rien ne semblait pouvoir le refaire basculer.
Mais finalement, peut-être avait-il raison.
Peut-être que l'existence n'était qu'un grand manège condamné à revenir sur lui-même.
A fleurter avec la liberté pour lamentablement échouer et se répéter.
⇸⇷
La fraicheur de la brise caressa son profil, virevoltant dans ses cheveux, indifférent à la vie humaine. Les températures avaient baissé en ce début de soirée et le halo luminescent que commençait à former le lampadaire au-dessus de sa tête ne faisait qu'accentuer son angoisse, lui rappelant que le temps passait, inexorablement, et qu'il n'avait plus d'autre choix que de passer à l'action.
Faisant face à la maison de Jungkook, son plan de départ était de contourner la bâtisse, pour tenter de passer par la porte de derrière, par-delà le jardin. Rentrer par effraction n'était pas à compter parmi ses activités préférées, surtout en tant que policier, mais pour l'instant, les règles du contrat social s'effaçaient derrière la nécessité impérieuse de le sauver, l'inspecteur étant persuadé que ces quelques murs contenaient le prochain et peut-être ultime indice le menant à Jungkook.
Seulement, Taehyung rencontra un imprévu. En traversant le trottoir d'en face, il ne s'attendait pas à tomber sur l'ombre d'une silhouette errant autour de l'entrée de la maison, pensant que les lieux avaient été abandonné afin de mettre en sécurité ses habitants. Pourtant ce n'était pas un mirage, la mère de Jungkook se tenait effectivement devant le porche de l'entrée, penchée sur les quelques parcelles de pelouses qui bordaient les abords de la maison.
Abandonnant ses précédentes prétentions, il se rapprocha des brins d'herbe, avançant d'une démarche détendue pour ne pas faire peur à la propriétaire. Lorsque la distance se réduisit, Taehyung comprit qu'elle cueillait des marguerites, la mine basse et les cernes creusées par l'inquiétude.
Sa main cessa de flatter les fleurs à l'arrivée de l'inspecteur, le toisant soudainement comme s'il avait interrompu une cérémonie, ou un moment sacré.
La douleur qu'il lut dans son regard lui coupa le souffle, nette, aussi tranchante qu'une lame de rasoir.
Il pensa alors que rien ne pouvait égaler la douleur d'une mère, du moins, lorsqu'elle voulait bien endosser ce rôle.
« Madame Jeon, salua-t-il en s'inclinant, le ton grave et solennel. Un agent est bien avec vous ?
-Il avait besoin de passer un appel en privé, il est dans le salon. Qu'est-ce que vous fichez ici ? »
L'hostilité qu'il rencontra ne le surprenait pas. Madame Jeon ne l'avait jamais apprécié, ou plutôt, elle s'était toujours méfiée de lui. Quelque part, Taehyung ne lui en voulait pas. Au contraire, il admirait l'intensité avec laquelle cette femme essayait de préserver son enfant.
Les circonstances dans lesquelles lui et son fils s'étaient rencontrées étaient peu banales et même si un jour il avait espéré gagner ses grâces, rien ne pouvait changer le fait qu'aujourd'hui, il était incapable de trouver les mots.
Des années lumières les séparant, ils étaient empêchés l'un comme l'autre, de partager leur peine.
Dans ces conditions, essayer de la réconforter était une vaine entreprise. C'est pourquoi Taehyung décida d'aller droit au but, faute de pouvoir faire autrement.
« J'ai besoin d'aller dans la chambre de Jungkook. »
A l'entente de ce doux prénom, celui qu'elle avait choisi de lui donner, ses lèvres se pincèrent en un signe de mécontentement. Elle se recroquevilla sur elle-même, à l'intérieur de son enveloppe de chair, les muscles tendus à l'extrême sans que pourtant sa main ne se referme sur les fruits de sa cueillette.
Elle ne voulait pas écraser les fleurs.
« Mais pour qui vous vous prenez ? Vous venez chez moi, comme si la maison vous appartenez, alors que depuis le début vous harcelez mon fils, en l'accusant de tous les crimes possibles et inimaginables. Alors peut-être que mon garçon est passé au-dessus de tout ça, mais pas moi. C'est votre faute ! Tout va de plus en plus mal depuis que vous vous êtes immiscé dans sa vie. »
Ses lèvres tremblaient de lui répondre, mais Taehyung patienta, laissant une mère dans le désarroi se défouler sur le parfait coupable de ses maux. Ainsi, un florilège de reproches s'abattit sur le haut de sa tête, lui faisant ployer le genou, entamant un peu plus la piètre carapace qu'il s'était forcé de construire.
Il encaissait, le regard fuyant sous l'avalanche de paroles acerbes, sachant que derrière la colère ne se cachait que de la peur, celle de perdre l'être qui comptait le plus dans son monde.
Puis l'image de Jungkook resurgit, ses yeux pétillants d'intelligence ainsi que son damné de sourire, et le sentiment d'urgence le poussa à interrompre ce pugilat.
« Je l'aime ! »
Un rire étranglé força la barrière de ses lèvres, dégoulinant de nervosité, incrédule de s'entendre aussi désespérer.
Il lui semblait que sa voix et ses pensées ne lui appartenaient plus, aliéné qu'il était par la pression qui reposait sur ses épaules.
« J'aime tellement votre fils que je suis en train de me déclarer pour la première fois à sa mère, avant même de l'avoir fait à l'intéressé ! Alors s'il vous plait, vous pouvez me détester autant que vous voulez, faites-vous plaisir, mais croyez-moi quand je vous dis que la seule chose que je veux vraiment pour l'instant, c'est de ramener votre fils sain et sauf. Il faut qu'il revienne. »
Sa voix se brisa sur les derniers mots, ses cordes vocales s'épuisant à retenir les émotions qui s'accumulaient au fond de sa gorge. Une main plaquée contre sa bouche, sa résilience à toute épreuve lui permit de se maitriser à nouveau, finissant par présenter une expression composée à Madame Jeon, qui le toisait désormais d'un œil bien moins hostile.
« Il le faut, vous m'entendez ? Et pour ça, j'ai besoin de voir sa chambre. Je vous en prie. »
Son buste remontait et descendait dans des mouvements saccadés, conséquence de sa respiration erratique. Taehyung ne pouvait pas se voir, mais ses yeux brillaient, si débordant que madame Jeon était presque capable d'y voir son reflet.
« Lorsque son père est parti, Jungkook s'est renfermé sur lui-même, répondit-elle d'une voix lointaine, sous le regard perplexe de son interlocuteur. Du jour au lendemain, il ne voulait plus parler à personne sauf à moi. Il était terrorisé par l'idée d'être à nouveau abandonné, alors il avait décidé de ne plus faire confiance à quiconque. »
Se remettant à cueillir les fleurs qui s'épanouissaient autour de ses chevilles, Madame Jeon poursuivit un récit qui ne semblait avoir du sens que pour celle qui le racontait, ignorant le regard troublé que Taehyung posait sur elle.
Des larmes silencieuses coulaient le long de ses joues creusées par le temps.
« Un jour, pendant que je faisais à manger, il a tendu sa petite main vers moi, pressé de me donner ce qu'il tenait dans son poing. Il a déposé des marguerites au creux de ma paume, des étoiles plein les yeux. Du haut de ses sept ans, il m'a dit qu'il avait lu dans un livre que les marguerites symbolisaient la famille et l'éternité, que j'en faisais partie, mais qu'il était persuadé qu'un jour, il trouverait une personne qui aime tout autant les marguerites que lui. »
Taehyung était à court de mot, ému par l'image du petit Jungkook, futé pour son âgé, mais encore bercé par l'innocence et la crédulité de l'enfance.
Il aurait voulu être sa marguerite.
Dans un geste soudain, comme pour ne pas trop penser à sa symbolique, madame Jeon lui attrapa le poignet et déposa les marguerites qu'elle avait amassé dans la main crispée de l'inspecteur.
Elle recula de quelques pas, embarrassée de ce qu'elle venait de faire, mais prête à croire celui qui prétendait vouloir sauver son fils de ce tueur, et de lui-même peut-être.
« Ramener mon fils en vie, ramenez-le-nous. »
⁂
Lorsqu'il pénétra la chambre de Jungkook, l'inspecteur avait le cœur lourd et léger à la fois. Mais ses dernières pensées moururent lorsqu'il se retrouva face à cette armoire et qu'il se pencha pour vérifier qu'elle était toujours là.
Après avoir tâtonné le sol poussiéreux, Taehyung finit par en tirer une peluche rose en forme de lapin, la même sur laquelle il était tombé ce jour-là, la veille du concours de portrait, et où Jungkook l'avait abandonné un long moment pour aider sa voisine.
« Forever my bunny » lut à nouveau Taehyung en se relevant. L'étiquette était toujours là.
Connaissant les goûts du tueur pour les jeux à grande échelle, cela ne pouvait pas être une coïncidence, pas quand les victimes s'étaient faites tatouées les lettres qui composaient le mot « bunny ».
Par instinct, il appuya ses pouces contre le ventre moelleux du lapin et son sang se glaça lorsqu'il sentit quelque chose de plus ferme que la mousse venir à la rencontre de ses doigts.
En s'asseyant sur le matelas confortable du lit, Taehyung voulut se donner une claque en repensant à ses suppositions de départ. Au moment de sa découverte, il y a quelques semaines de cela, il avait pensé que la peluche était un cadeau de Jimin.
Mais peut-être que le tueur avait déposé un indice supplémentaire pour son destinataire, afin de lui donner les clefs nécessaires pour le jour où celui-ci était censé le retrouver.
Taehyung ne pensait pas être le destinataire originel, le tueur ne pouvant pas à ce point préméditer le cours des évènements, mais tout ça n'avait plus d'importance.
Quelque part il s'en voulait terriblement, quand bien même il n'aurait jamais pu deviner.
Plus que jamais intrigué par ce qu'il allait y trouver, Taehyung se dirigea avec empressement vers le bureau de Jungkook, là où s'entassaient du matériel d'art plastique et de peinture.
Il soutira un cutteur de l'un des pots en terre cuite et d'un geste assuré, trancha net le ventre de la petite bête. Lorsque l'excédent de mousse blanche se retrouva au sol, Taehyung parvint à extraire du trou béant ce qui semblait être une carte de visite, sobrement peinte d'un beige écru et tachée uniquement d'une suite de chiffre à l'encre noire ponctués par les signes « ° » et « '' ».
L'urgence l'empêcha de voir l'évidence, mais avec un petit effort, la signification lui sauta au visage.
Pour vérifier son hypothèse, Taehyung tapa les inscriptions de la carte dans sa barre de recherche, dans l'ordre, les uns à la suite des autres.
Lorsque le résultat apparut sur le moteur de recherche, il faillit lâcher son téléphone de stupeur.
Sa vision se brouilla quelques instants, cherchant à rassembler tous les éléments qui jusqu'alors, l'avait empêché de remonter jusqu'au coupable.
Maintenant non seulement il s'en voulait, mais il se sentait stupide, aveugle à l'évidence.
Les données qu'il avait relevées étaient en réalité des coordonnées géographiques et désormais, il savait où était détenu Jungkook.
Alors il vérifia une dernière fois que son arme de service était chargée, avant de quitter cette maison qu'il espérait un jour retrouver, fonçant tête baissée vers un danger mortel.
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La nuit l'englobait quand il arriva devant une maison qu'il considéra lugubre, maintenant qu'il savait ce qu'elle renfermait.
Allégé de ses occupants, la rue derrière lui était déserte, escomptant la prochaine aube pour voir ses habitants foulés son bitume. Le coin était tranquille, seul un bruit de fond, celui des quelques voitures qui arpentaient la route à cette heure tardive, remontait jusqu'à ses oreilles.
C'était pour le mieux. En cet ultime soirée- sensé endiguer l'impunité de la bête- l'inspecteur ne pouvait pas se permettre de se préoccuper de la sécurité des autres.
Dépassant les panneaux en bois formant le portail qu'il venait de franchir, Taehyung ne fut pas surprit en découvrant que la porte d'entrée était déjà grande ouverte.
Après tout, il était un invité attendu, un convive de haute importance. Il ne manquait plus qu'à se joindre à son hôte diabolique.
Les battements de son cœur étaient réguliers, synchronisés à la perfection, lorsqu'il passa dans le salon désertique, l'arme au poing. Il ne s'était jamais senti aussi concentré de toute sa vie, à tel point que le moindre relief lui paraissait plus tranché et les couleurs plus vives et contrastées.
Comme s'il était parvenu à décupler ses sens, plus rien ne semblait exister à part les pièces qu'il traversait.
La superficie de la maison n'étant pas suffisante pour qu'il prenne trop de temps à en faire le tour, Taehyung se confronta bientôt au seul endroit qu'il n'avait pas encore arpenté, frustré de ne rencontrer jusqu'à maintenant que des pièces vides plongées dans le noir, avec pour bruit de fond, tonitruant, le tic-tac incessant de l'horloge qui surplombait la cuisine.
Seul une faible lumière, celle des lampadaires, filtraient à travers les stores de la fenêtre du salon. Pourtant, il parvint tout de même à discerner une porte, simple en apparence, engoncé dans un angle, entre deux pièces.
Lorsque ses doigts tournèrent la poignée, la surprise déforma pour la première fois ses traits, ne s'attendant pas à tomber directement sur un escalier dont il avait du mal à définir la profondeur, plongé dans un noir absolu, donc inquiétant.
Quelques tâtonnements plus tard, il parvint à trouver un interrupteur qui lui fit découvrir l'existence d'un souterrain insoupçonné et dont l'utilité ne faisait que peu de doute.
De moins en moins rassuré par la configuration des lieux, il dévala les marches avec prudence pour finalement découvrir à la fin, un large corridor entièrement bétonné qui suintait l'humidité.
Ses narines frémirent d'inconfort à l'odeur de renfermé, mais il poursuivit son périple, se retenant de ne pas tirer dedans lorsque pour la première fois, un néon s'alluma au-dessus de sa tête.
Plusieurs autres le suivirent à son passage, tandis que l'écho de ses pas retentissait dans un bruit crispant ses épaules à mesure qu'il avançait.
Pour la discrétion c'était raté, et son esprit de déduction lui soufflait que le tueur l'avait fait exprès.
Il savait ce qu'il faisait.
Alors qu'il se demandait comment une si petite maison pouvait accueillir des tunnels aussi profonds et étendus, il finit par déboucher sur un espace rectangulaire, un cul de sac de la taille d'un grand salon au fond duquel se présentaient trois portes, toutes identiques.
L'endroit était exempté de la moindre fourniture, mise à part ce brancard vide, accolé à la dernière porte se situant à la droite de l'inspecteur.
Le canon de son arme braqué sur la drôle de scénographie, Taehyung avait l'impression d'être propulsé dans un mauvais film à suspense, quelque chose de trop fou et démesuré pour se retrouver transposé à la réalité.
Pour la première fois, l'inspecteur sentit qu'il perdait ses moyens. Il regrettait presque de n'avoir prévenu personne, pas même Seokjin, de ses découvertes ainsi que de sa destination.
Il aimait prendre des risques, et il avait encore moins hésité lorsqu'il avait compris que la vie de Jungkook en dépendait, mais cette fois-ci, Taehyung craignait vraiment que ce fut le danger de trop.
Ses pieds restèrent englués dans le sol poussiéreux, hésitant à franchir l'une des entrées, craignant qu'un mécanisme mortel ne l'attende de l'autre côté s'il avait le malheur de faire le mauvais choix.
Son pragmatisme ne l'envisagea pas longtemps, conscient de ne pas être coincé dans un jeu vidéo, mais il pouvait s'attendre à presque tout et n'importe quoi venant de celui qui avait orchestré un spectacle à échelle humaine, terriblement cruel et glauque, bien que ficelé à la perfection.
Inspectant les trois portes de métal, l'inspecteur se trouva être attiré par celle qui se situait par-delà la civière métallique. La présence du dispositif n'était pas un hasard et si les liens que tissaient sont esprit étaient à propos, alors ce qu'il voyait devant lui devait servir au tueur à transporter ses victimes dans le lieu où il pouvait tranquillement les mutiler, dans un endroit beaucoup trop reculé pour qu'on puisse entendre les cris qui s'en échappaient.
Face à l'absence de manifestation de la part de son ultime opposant, Taehyung préféra retirer la sécurité de son revolver, avançant vers la porte noire qui lui faisait de l'œil.
Au moment où ses doigts en frôlèrent la surface, une voix transperça le voile du silence.
Une voix qui lui donna immédiatement les larmes aux yeux.
« T-tae c'est toi ? Ne me dis pas que c'est toi. »
Le son était étouffé, mais son oreille capta sans difficulté sa provenance, non pas de l'endroit où il voulait accéder, mais juste à côté de lui, à sa gauche.
« Jungkook, murmura-t-il, ne pouvant croire qu'il avait réussi. Jungkook ! hurla-t-il en se jetant sur la porte lourde, poussant de toutes ses forces, à en faire craquer les os de ses doigts. »
En parvenant à ses fins, le bruit métallique qu'il produisit se répercuta dans tout le souterrain, provoquant un écho à la fois grinçant et sinistre qui le fit frissonner.
Lorsqu'il pénétra la pièce, essoufflé et plus fébrile qu'il ne l'a jamais été, il fut incapable d'admirer le divin profil de son petit ami. A la place, ses paupières voulurent se clore, aveuglé par un spot de lumière dardant sa position et déstabilisant sa vue du noir environnant auquel il s'était habituée.
« Tu es venu, souffla l'étudiant d'une voix penaude. »
Il plissa les yeux quelques instants avant que le décor ne réapparaisse de nouveau, le soulagement se propageant par vague, aussi doux que douloureux.
Jungkook était planté devant lui, toujours ligoté à sa chaise.
« Jung-
-Ne t'approche pas ! »
Interloqué par le ton suppliant et le regard exorbité de son petit ami, il s'immobilisa et orienta le canon de son arme vers le sol, s'apercevant seulement maintenant que la pièce avait changé depuis que la photo avait été prise.
Elle était recouverte de bâches en plastique, du sol au plafond, sans que la moindre parcelle de terrain ne soit pas recouverte.
Cette installation presque médicale ne valait rien qui vaille.
« Tu dois être en état de choc, mais je vais te sortir de là ok ?
-Non non non, tu ne comprends pas. Il faut que tu sortes de là, il va- »
Conscient que l'ange de la mort planait au-dessus de leurs têtes, Taehyung tendit le bras vers son amant, prêt à le rejoindre et le sortir de cet enfer.
Il ne savait pas ce qu'il avait subi, mais Jungkook semblait devenir fou. Son corps s'agitait avec frénésie sur sa chaise, tellement que les liens s'étiraient sans pour autant se rompre. Taehyung ne comprit pas sa réaction, tout du moins, jusqu'à ce qu'un métal froid ne se pose sur sa gorge, le long de sa glotte, le tranchant de la lame irritant sa peau par un simple frôlement.
Des images de son agression tentèrent de le tourmenter, mais il résista, ignorant la sueur qui se formait sur son front ou la contraction involontaire de ses muscles.
Son corps entier voulait le convaincre de fuir face au danger imminent, mais l'inspecteur puisa dans sa force mentale pour ignorer son instinct de survie.
La peur ravageait ses nerfs, mais sa détermination à affronter le monstre qui sommeillait en l'homme qui le menaçait la dévorait, déchirant les entrailles de son traumatisme.
Littéralement le couteau sous la gorge, il put voir le visage de Jungkook se décomposer, avant qu'un souffle brûlant ne se mette à chatouiller la naissance de sa nuque.
« A qui ai-je l'honneur ? souffla Taehyung tout en plongeant dans les douces prunelles de son cadet. Attends ne me dis rien, je sais déjà. »
Lorsque le tueur lui retira avec délicatesse son arme des mains, il ne se débattit pas. Son unique but était de sauver Jungkook et l'entreprise serait compromise s'il devait le faire en se vidant de la moitié de son sang.
Taehyung sentit le couteau glisser sur sa jugulaire avant que sa pointe ne s'éloigne avec lenteur, le tueur contournant l'inspecteur.
Lorsqu'il espéra enfin voir son vrai visage, il ne rencontra qu'un masque qui reculait sans jamais lui tourner le dos, jusqu'à se retrouver au niveau de Jungkook.
Celui-ci l'insulta avec toute la véhémence dont il était capable avant que le tueur ne se place derrière lui, pressant sa lame contre la lèvre inférieure du plus jeune, de quoi le faire taire le temps pour lui d'enfoncer un tissu épais au fond de sa bouche.
« Arrête ton petit numéro, tu ne m'aurais pas amené jusqu'ici si tu voulais garder ton identité secrète.
-Vous avez parfaitement raison, inspecteur Kim. Je dois cesser mes enfantillages et honorer votre présence...Vous avez réellement trouvé votre vocation, vous transpirez l'autorité ! Peut-être que c'est ce que Jungkook aime en vous... La figure paternelle. »
Ses doigts émaciés s'enfoncèrent dans les rebords de son masque et lorsqu'enfin, son visage prit une apparence humaine et reconnaissable, Taehyung ne broncha pas.
Il savait qui se cachait avec lâcheté derrière ces apparats, mais le voir de ses propres yeux ranima une colère qu'il avait contenu pour ce moment précis, alors qu'il faisait face à l'ombre de tous leurs tourments.
« Kim Dojoon, enfoiré. Pourquoi ? Pourquoi tout ce cirque ? Ton obsession pour Jungkook et cette ritualisation si spécifique doivent forcément avoir une explication. Est-ce que tu comptes nous arracher le visage à nous aussi ? Tu veux essayer d'affronter quelqu'un qui peut réellement se défendre pour voir ? »
Taehyung ne parvenait plus à filtrer ce que déversait son esprit sur sa langue. Il avait eu le temps de réfléchir sur le trajet, surtout après avoir découvert l'identité du tueur, mais les possibilités étaient infinies et quelque part, il désespérait de pouvoir se faufiler, aussi petite l'ouverture fut-elle, dans cette psyché rongée par le vice.
Le professeur d'art éloigna l'arme du visage de Jungkook pour se mettre à jouer avec sa pointe, observant son indexe faire pression sur le tranchant, sans pour autant se blesser.
En entrant dans la maison qui servait d'atelier au professeur, celle où lui et Jungkook avaient partagé un moment charnel et s'étaient disputé dans la même après-midi, Taehyung se doutait que l'artiste était le responsable de tous ces meurtres.
Il n'était pas absolument sûr, mais plus il y repensait, plus les morceaux qui se recollaient dans sa tête concordés.
Son intérêt démesuré pour Jungkook, tous ces moments où il avait été là au bon endroit au bon moment tout en se faisant discret, l'odeur de produit chimique, puis les poils d'animaux retrouvés sur chacune des victimes qui devaient appartenir aux nombreux pinceaux en poils naturels de l'artiste.
« Tant de questions, si peu de temps pour y répondre ! Vous êtes incapable de comprendre mon mignon, ce n'est pas inscrit dans votre logiciel. Seul des êtres aussi spéciaux que Jungkook et moi avons la capacité d'apprécier la beauté et l'importance de tout ceci. »
D'ailleurs, le plus jeune tenta de capter le regard de son amant, en vain. Taehyung était absorbé par le profil monstrueux du professeur, cette pourriture qui osait se comparer à l'homme qui avait su lui offrir un sentiment de sécurité et d'appartenance qu'il n'avait jamais ressenti auparavant.
« T'es vraiment à côté de la plaque, s'indigna alors Taehyung. Moi tout ce que je vois, c'est un pauvre type, incapable de susciter l'amour de la part de ses semblables, seul et pathétique. »
L'inspecteur gagnait du temps, espérant le pousser suffisamment à bout pour le déstabiliser et avec un peu de chance, l'entendre se confesser.
« Vas-y, raconte-moi comment ta pauvre moman t'as délaissé face à la déception que tu représentais. C'est à cause d'elle que tu fais du mal aux autres. Les mecs comme toi reporte toujours la faute sur leur mère, pas vrai ? s'enquit-il d'un ton dégoulinant de mépris. Attends, j'ai changé d'avis en fait. Tu peux bien fermer ta gueule, ta vie ne m'intéresse pas. Je veux juste connaitre tes plans nous concernant Jungkook et moi. Je suis prêt à négocier beaucoup de chose. »
Décochant enfin un regard à Jungkook, celui-ci s'agita à nouveau comme un diable, comprenant ce qu'il venait de capter à travers ce simple échange.
Une excuse silencieuse de ce qui allait advenir : un sacrifice.
Le regard de Taehyung avait rejoint la position de son arme, posée sur une commode juste à côté du tueur, pour rapidement plonger de nouveau dans les prunelles de son amant. Et le plus jeune devina les prétentions de Taehyung, lorsque celui-ci lui l'intima d'une prière silencieuse de s'enfuir à la seconde où il se jetterait sur le professeur.
Mais le tueur n'était pas dupe et le prenant au dépourvu, l'inspecteur expulsa un cri de désespoir lorsqu'il entailla la pommette de Jungkook, s'arrêtant juste avant que la blessure ne soit trop sérieuse.
« Il n'y a aucune négociation. Ce que je vais vous dire va vous passionner aussi longtemps que je l'aurais décidé très cher. »
Son calme froid pétrifia l'inspecteur.
« Ça ne me fait pas plaisir de le blesser, mais c'est une étape nécessaire, renchérit-il en désignant Jungkook. Il apprendra et de cette façon, vous tiendrez en laisse ce ridicule syndrome du héro qui vous pousse à prendre des décisions inconsidérées pour votre propre bien. Je ne vous laisse aucune option, vous m'entendez ? Tentez quoi que ce soit et je serais obligé de lui faire vraiment, vraiment très mal. »
A la fois dominé par la peur et par la rage la plus sombre, Taehyung se contenta de hocher la tête, attendant un signe de la part de Jungkook pour lui signifier qu'il ne souffrait pas trop, avant de plonger un regard meurtrier dans celui qui avait réellement ôté des vies.
« Je t'écoute sombre merde.
-Je ne suis pas friand des insultes, mais soit. Donc oui, je disais ! »
Poursuivant son monologue, l'inspecteur crut vomir de dégout lorsque le tueur lécha le sang qui perlait de sa lame, tandis que sa main parcourait distraitement les mèches de Jungkook.
« J'adore parler de moi, soyez en sur...Et j'aurais adoré continuer à vous expliquer les raisons pour lesquelles il est évident que Jungkook et moi partagions un lien unique et que fatalement, nos chemins auraient fini par se croiser mais...Je préfère laisser parler l'intéressé. Il est un peu timide, il n'ose pas, mais il a quelque chose à vous dire. »
La bouche de l'inspecteur s'assécha alors que Jungkook serrait la mâchoire, le menton relevé vers le tueur, ignorant le sang qui coulait le long de sa joue meurtrie.
Quelque chose lui échappait et l'inspecteur n'aimait pas ça.
Un goût métallique se répandit désagréablement sur sa langue, mais il ignora la drôle de sensation, se concentrant plutôt sur la poubelle en plastique qui trônait proche de ses pieds, contre un mur.
S'il se montrait assez rapide, il serait capable de jeter l'objet à la figure du tueur pour se ruer sur lui et ce, avant qu'il ne blesse d'avantage son petit ami...
« Dis-lui Jungkook, souffla le professeur à l'oreille de son étudiant en retirant son bâillon. »
Sa voix le ramena à la réalité et il détourna le regard de cette poubelle.
Jungkook s'humecta les lèvres et après une brève inspiration, détendit sa mâchoire crispée par la tension.
« Ce type à prévu de te buter ! Enfuis-toi et prévient les flics, t'occupes pas de moi ! »
A la position de ses lèvres, il était évident que Jungkook voulait dire autre chose, une déclaration plus douce peut-être, pour partir sans un regret, mais Kim Dojoong ne lui en laissa pas l'occasion.
Prenant en main le manche épais de son couteau, il porta un coup sec et violent contre la tempe du plus jeune, attrapant sa mâchoire d'une prise dur pour lui faire comprendre qu'il était déçu de sa prestation.
« Ne le touche pas connard ! »
Taehyung tendit le bras, mais le tueur menaça à nouveau Jungkook. Alors sa main retomba mollement le long de son corps et ses tripes se tordirent de douleur en voyant son amant dodeliner de la tête, sonné par le coup qu'il venait d'encaisser.
« C'est toi qui vas mourir si tu ne lui dis pas la vérité. »
Le professeur attendit une réaction de la part du plus jeune mais celui-ci, après avoir repris ses esprits, se contenta de lui cracher à la figure. La trace de salive dégoulina le long de son visage déformé par le sadisme, mais le tueur resta indifférant à la présence visqueuse.
« Tu préfères donc périr plutôt que de lui montrer ton vrai visage ?
-Pose pas tes sales mains sur lui. Je vais te buter bordel, intervint Taehyung d'une voix tremblante, pétrifié par son impuissance. »
Après lui avoir jeter à peine un regard, le tueur reporta son attention sur Jungkook, un sourire aussi mince que du papier peint sur ses lèvres souillées par la salive. Il s'approcha alors, se délectant de la souffrance qu'il créait autour de lui, avant d'appuyer ses lèvres contre la joue intact de l'étudiant, essuyant la salissure contre sa peau déjà amochée.
« Très bien. Si c'est ce que tu veux, je vais te faciliter la tâche. »
Après ces mots, Kim Dojoon enfonça de nouveau le bâillon dans la bouche de sa victime préférée, tapotant son dos comme pour le rassurer sur la suite des évènements.
Daignant enfin accorder son attention à l'inspecteur, il posa une main sur le cœur, prêt à endosser son rôle, celui qu'il s'était donné depuis peu : le tombeur de masque.
« Il existe bien des raisons pour lesquelles moi et Jungkook nous nous ressemblons. Mais il y en a une en particulier, dont vous devez absolument avoir conscience, inspecteur. »
Une alarme assourdissante lui vrilla les tempes. La sirène provenait de l'intérieur de sa tête, retentissant pour le prévenir de la catastrophe imminente.
Son rythme cardiaque ne faisait pas des siennes pour rien et la douleur dans ses entrailles ne pouvait mentir.
Il ne saurait pas dire à quoi cela tenait, mais Taehyung sentait que c'était la fin de tout. D'ailleurs, il détestait ce qu'il pouvait lire sur le visage de Jungkook, alors que celui-ci le toisait d'une expression indéchiffrable, ou presque : le regret tentait de l'atteindre.
« Je voudrais que vous fassiez preuve de compréhension mon très cher Taehyung. Je sais bien que c'est délicat, mais je serais vraiment peiné de contrarier Jungkook si vous vous décidiez à lui tourner le dos. Bon d'accord, c'est faux, mais je ne veux pas froisser mon étudiant préféré.
-Qu'est-ce que vous racontez ? »
Sa voix, étranglé et faiblarde, parut insupportable à l'inspecteur qui désormais, ne parvenait plus à se détacher des prunelles larmoyantes de son cadet.
Taehyung ne voulait plus écouter cet homme.
Il ne voulait plus de son insigne de police, non plus.
Il ne voulait plus avoir partagé ces souvenirs avec lui.
« Jungkook a été très vilain, mais franchement, qui peut le blâmer ? Tuer Jimin était un service rendu à l'humanité. Ce n'était qu'une petite merde manipulatrice.
-Que... »
La pièce tanguant devant ses yeux, Taehyung dû se retenir au mur derrière lui pour ne pas chavirer.
« Des conneries. Tu racontes que des conneries ! s'époumonna Taehyung en se redressant, puis en reportant son regard courroucé sur le professeur.
-Oh mais je suis beaucoup de chose monsieur le policier, mais lorsqu'il s'agit de Jungkook, je ne mens jamais. Souvenez-vous, qui a produit son alibi ce soir-là ? Il a déboulé dans mon atelier sans prévenir, tout tremblant. Il m'a suffi d'insister quelques minutes avant qu'il ne m'avoue ce qu'il avait fait. C'était mon devoir, en tant que tuteur, que de retourner à la demeure des Park et d'effacer les preuves après lui avoir dit de rentrer chez lui. »
Pour la première fois depuis la disparition de Jungkook, ses émotions prirent le dessus. Une larme solitaire courut le long de la cicatrice présente sur sa joue.
« Ce n'est pas vrai. Jamais je ne te croirais. Enlève son foutu bâillon... Et toi, dis-lui Jungkook ! »
Jamais il n'aurait cru la moindre parole sortant d'une bouche aussi infectée par le venin du mensonge et des manipulations. Jamais il n'aurait avalé ses bobards, si Jungkook n'avait pas soudainement clos les paupières, baissant la tête pour fuir l'expression douloureuse de son petit ami.
« Jungkook ? »
L'inspecteur le supplia, en vain.
Ses épaules tremblaient, mais il ne répondait à aucune des suppliques de l'inspecteur.
Il les entendait, mais il ne pouvait faire autre chose que de se cacher, honteux, incapable de rassurer celui qui lui avait tout donné jusqu'à son amour et sa confiance, prêt à lui sacrifier sa vie.
Se refusant de craquer devant les deux spécimens, Taehyung serra les dents à s'en crisper la mâchoire, retenant les prémices d'un sanglot.
Maintenant tout s'expliquait.
En se donnant du mal, il était parvenu à éluder les confessions de Ghost. Le mafieux l'avait prévenu, sans vraiment en expliquer les circonstances, que Jimin était celui qui avait commandité le kidnapping de Jungkook et que celui-ci avait fini par le découvrir.
L'étudiant en droit l'avait tourmenté et traumatisé simplement parce qu'il ne s'imaginait plus le partager, avec qui que ce soit.
Son amour n'en était pas un. Jungkook était sa poupée et il voulait suffisamment le briser pour être le seul en mesure de l'approcher.
Jimin voulait devenir son monde.
En mentionnant la période durant laquelle Jungkook avait découvert la terrible vérité, le jour du meurtre, l'inspecteur avant tenté de nier les circonstances.
Et il avait eu tort.
« Alors c'était toi ! vociféra Taehyung en s'adressant à son amant, une veine colérique parcourant son front. C'est toi. C'est toi...Depuis le début, j'avais raison. Tu as tué la personne en qui tu avais le plus confiance parce qu'elle t'avait trahi. Tu t'es vengé, en crachant sur la morale et la loi. Tu t'es vengé et tu as couvert tes traces en me manipulant jusqu'à me faire sentir coupable de mes soupçons. Jusqu'à me faire tomber entre tes mains. Comment t'as pu me faire ça ? Qui es-tu ? »
Jungkook releva le menton et pour la première fois, il pleurait. Il pleurait tellement fort qu'il commençait à s'étouffer avec le foulard coincé au fond de sa bouche.
Ce spectacle répugna l'inspecteur, ne vouant à l'homme qui lui faisait face que des intentions malsaines et intéressées. Il l'aimait encore, mais cet amour n'était plus qu'une entrave insupportable. Bien qu'il pensât être en train de se consumer de douleur, une rage incommensurable la recouvra.
Il n'avait jamais autant haï (à la hauteur de son amour) une personne avec autant d'intensité, pas même le tueur.
Tirant de plus en plus fort sur ses liens, Jungkook tenta de parler, mais le tueur ne semblait pas décider à lui redonner la parole.
Depuis quand les tueurs sanguinaires faisaient dans la démocratie ?
Satisfait du déroulement des évènements, il se décida plutôt à reprendre la main sur cet échange.
Le chemin était encore long avant que ses desseins ne soient pleinement satisfaits, il devait s'atteler à la tâche, aussi peu reluisante était-elle.
Précis dans ses gestes, sa main gauche glissa de nouveau dans la chevelure emmêlée de sa victime (pas si victime), tandis que sa main droite, celle qui tenait le couteau, alla caresser le torse transpirant de l'étudiant.
« Bien que tout ceci est fort amusant, nous allons devoir conclure. »
Détruit dans ses fondements les plus solides, Taehyung resta les bras ballants, à l'écouter sans même essayer de l'arrêter. Il n'était même plus certain de vouloir ressortir de ce sous-sol.
« Votre rapprochement était imprévu, totalement. Au début et même si je préfère ne pas me laisser surprendre, j'étais vraiment curieux de ce que votre duo allait donner. C'était divertissant à souhait. Puis vous avez voulu gâcher tout son potentiel, et le façonner en bon petit citoyen modèle. Il fallait que j'intervienne d'une façon ou d'une autre, que je rappel à Jungkook sa véritable nature, expliqua-t-il en s'adressant à l'inspecteur. Vous n'étiez qu'une distraction malvenue. Ce qui explique pourquoi j'ai senti qu'il fallait que je vous révèle le vrai Jungkook. Remerciez-moi, car je vous ouvre les yeux sur la mascarade de votre relation. Vous ne faites pas partie du même monde. Vous n'êtes pas des amoureux transits. Vous êtes des ennemis naturels. »
Ce qu'il disait faisait à la fois sens et était dépourvu de raison. Ce n'était que les paroles d'un détraqué, mais un détraqué doté d'une intelligence que personne ne pouvait nier. Finalement, il avait sa logique et Taehyung pouvait entrapercevoir un mince aperçu de son cheminement, de l'éclat démoniaque de son univers tordu.
Au milieu de ce chao, Jungkook faisait figure de muse.
Non.
Les yeux de Taehyung s'écarquillèrent en même temps que la compréhension le remercia de sa lumière.
Il ne savait pas si Jungkook était de mèche avec le professeur, ou pas. Il ne connaissait finalement pas l'intensité et les composantes de leurs liens, mais une chose était sûre : le tueur considérait l'étudiant comme son disciple.
Comme l'élève studieux de son apprentissage de l'ombre.
« Taehyung, nos chemins se séparent ici. De manière définitive, je ne sais pas, qui sait ? »
Au loin, au très lointain, une mélodie se mit à tapisser les parois des murs. La musique familière prit de court Taehyung, qui ne s'attendait pas à entendre des sirènes de police alors qu'il n'avait prévenu personne, pas même son meilleur ami.
Un sourire enchanteur se dessina sur les lèvres du professeur, alors que positionné derrière Jungkook, il se penchait, de plus en plus proche de son étudiant.
« Comme c'est dommage de devoir procéder ainsi. On se retrouvera, my bunny. »
Son regard n'avait pas quitté la silhouette statique de l'inspecteur, mais ses mots avaient été chaudement murmurés à Jungkook et Jungkook seulement.
La fluidité de son mouvement empêcha la moindre intervention et son geste ne souffrit d'aucune hésitation, lorsqu'il tira en arrière les cheveux du plus jeune, son faciès désormais exposé au plâtre du plafond.
Son cou de nymphe exposé, le professeur utilisa sa main libre pour trancher la gorge de Jungkook, la chaleur de son sang se répandant sur sa peau à une vitesse hallucinante.
Le sens.
Quelle drôle d'ironie.
Taehyung l'avait cherché toute sa vie, mais il ne lui avait jamais échappé à ce point, tellement qu'il voulait juste mourir avec lui.
Le temps de réaliser et de sortir de sa stupeur, Kim Dojoon s'était éclipsé de la pièce. Taehyung ne connaissait pas l'étendu de cet enfer sous terre, mais le tueur avait prévu sa fuite, se dérobant grâce à une autre porte derrière lui, caché derrière une bibliothèques vide de livres.
Les sirènes de polices se rapprochaient, mais Taehyung n'entendait plus rien, à part les gargarisassions assourdissantes de Jungkook qui s'étouffait avec son propre sang.
Alors qu'il sentait qu'une partie de lui-même s'échappait, Taehyung n'hésita pas un instant entre poursuivre le tueur, et rester avec son cadet.
Il se précipita vers lui, retirant sa veste, puis sa chemise, pour finalement compresser sa plaie avec fermeté et détermination, ralentissant de manière temporaire l'écoulement du liquide vermeil.
Malgré son état, Jungkook était toujours conscient. Pensant qu'il pourrait mieux respirer ainsi, Taehyung lui retira le morceau de tissu qui remplissait sa bouche, l'encourageant à ne pas paniquer et à rester le plus immobile possible pour contenir la plaie qui s'étendait de part et d'autre de son cou.
Captant la terreur qui traversait le noir de ses prunelles, l'inspecteur pria un Dieu auquel il ne croyait pas de les revoir un jour pleines de vie.
Peu importe ce qu'il venait de découvrir de l'homme qu'il avait pu aimer, il restait incapable de le voir mourir.
Reconnaissant la combativité de son cadet dans ses réactions, celui-ci tenta de formuler des phrases, mais son état empirait de secondes en secondes, et ses paupières commençaient à se fermer par intermittence.
« T-tae...T-ae. S'il... »
Les larmes de Taehyung commençaient à lui obstruer la vue, mais il garda constance, ses réflexes l'empêchant de prendre Jungkook dans ses bras pour l'accompagner dans ce qui était peut-être ses derniers instants.
« Shhhh.... N'essaye pas de parler, les secours vont arriver. Ça va aller, souffla l'inspecteur alors que l'une de ses mains, recouverte du sang de son amant, s'appliquait à cajoler l'avant-bras de Jungkook pour le rassurer. »
Comme si pour une fois l'univers l'avait écouté, la porte s'ouvrit à la volée, laissant passer un petit groupe d'individu que Taehyung reconnut comme étant des policiers.
Pour le reste, il ne pouvait rien dire, ses sens étant accaparer à le maintenir en vie, comme si son existence était liée à la sienne.
Et peut-être que c'était le cas.
« Aidez-moi, il faut l'emmener à l'hôpital ! Dépêchez vous ! »
Malgré le sang qui commençait à tacher les lèvres de Jungkook, un sourire déforma le bas de son visage.
Comme une demande de pardon.
Comme le début d'une délivrance.
Son regard exprimait tant de chose, des moitiés de vérités complexes et torturées que Taehyung ne pouvaient pas ignorer, mais qui bientôt se firent happer par le néant, alors que les paupières du plus jeune se refermaient une dernière fois.
« Tiens bon. S'il te plaît, reste avec moi. Pitié non ! »
Comme Taehyung se le répétait, la vie n'était qu'un cycle, une ronde perpétuelle destinée à revenir sur elle-même.
Pourtant, l'existence- dotée ou pas d'une volonté propre- se plaisait parfois à réunir l'incongrue et le paradoxale, à créer une force en mouvement dont la fin paraissait imprévisible, tant pour les pauvres mortels témoin de l'étrangeté de leur rencontre, que les agents actifs de cette scénette cosmico-dramatique.
Le chao avait quelque chose d'irrésistible, voire de purificateur, mais encore fallait-il en assumer les conséquences.
À l'ennemie aimée
Tes mains ont saccagé mes trésors les plus rares,
Et mon cœur est captif entre tes mains barbares.
Tu secouas au vent du nord tes longs cheveux
Et j'ai dit aussitôt : Je veux ce que tu veux.
Mais je te hais pourtant d'être ainsi ton domaine,
Ta serve... Mais je sens que ma révolte est vaine.
Je te hais cependant d'avoir subi tes lois,
D'avoir senti mon cœur près de ton cœur sournois...
Et parfois je regrette, en cette splendeur rare
Qu'est pour moi ton amour, la liberté barbare...
Renée Vivien, Dans un coin de violettes, 1910
Allons bon !
Le rideau vient de retomber lourdement sur le parquet de ce théâtre grandeur nature et les pauvres spectateurs restent, j'en suis sûr, tantôt béats, tantôt horrifiés du tragique de cette fin,
Où Jungkook est un tueur qui ne veux pas mourir,
Et où Taehyung est un policier qui se déteste d'avoir aimé un criminel.
Dans ces conditions, il serait opportun (certains diraient même facile) de clore l'histoire ainsi, sur un amour dramatiquement touchant.
Mais contrairement à ce que vous devez penser, toutes les autrices ne sont pas grandes ferventes du plus vicieux des sadismes et la plume que vous êtes à présent en train de dévorer de votre regard brillant, semble tout à fait disposé à se compter parmi les exceptions parce que, eh bien...
Ne trouvez-vous pas qu'il nous manque quelque chose ?
🖤🖤🖤🖤🖤
Coucou mes amours...Ne me détestez pas tout de suite, avant ça, allez lire l'épilogue !
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