✺Chapitre 24: La Moisson des Jeux de l'Expiation

Pandora se sentit très seule face au grand écran plat qui lui faisait face. Dans un silence tendu, elle attendait, entendait les petits grésillements de la télévision, qui semblait aussi attendre l'heure avec grande impatience. Déglutissant, les bras en compote, elle serrait frénétiquement la main de son amie. La maquilleuse, elle, semblait un peu embarrassée par la panique croissante de la blonde, et la regardait du coin de l'oeil, sans piper mot.

Les deux femmes étaient très différentes à propos des Hunger Games. Depuis le début, et comme pratiquement tout les citoyens du Capitole, Léonor avait montré un grand intérêt et beaucoup d'enthousiasme pour les Jeux, considérant les participants comme des héros veinards. Mais depuis qu'elle était amie avec Pandora, elle commençait à peine à considérer les Jeux de la Faim comme autre chose qu'un incroyable évènement plein de rebondissements. Ainsi, elle se retint de s'extasier de bonheur en voyant le président Snow apparaitre sur l'écran, et se concentra sur le stress de son amie.

Pandora soupira, et se concentra sur l'écran. Merci, Léonor. Malgré leurs désaccords fréquents, c'était une bonne amie. Elle était contente d'être avec elle pour affronter cette épreuve. Car oui, Pandora était persuadée qu'elle allait être prise. C'était logique, après tout !

"Bonjour à tous et à toutes. Bienvenue, chers citoyens du Capitole, bienvenue, chers habitants des districts ! J'ai l'immense honneur et la grande joie de vous annoncer que les Jeux de l'Expiation se sont déroulés aujourd'hui même !"

Pandora prit une inspiration tremblante. Comme toutes les émissions étaient rediffusées, les citoyens du Capitole étaient les derniers à recevoir la nouvelle. En effet, c'était en ce moment même que la Moisson se déroulait, et ils verraient en direct les carrières se faire choisir.

Elle écouta d'une oreille distraite le président Snow rendre hommage à je ne sais quel ingénieur, et regarda son amie, qui l'écoutait avidement, buvant ses paroles comme si c'était de l'or. Puis, les caméras se figèrent sur le ditrict 1, où une femme retouchée de partout, du nom de Effie Trinket, tira d'une grande jarre les noms de "Elphine Beauboix" et "Ethan Jones". Le deuxième district passa, présentant deux carrières, qui, radieux, montèrent sur scène, acclamés par leur district. Ils paraissaient si heureux d'être là, si content, Pandora ne comprenait pas.

La boule au ventre de Pandora, accentué par le fait qu'elle avait ses règles, se dénoua soudainement, en découvrant que pour le district 5, c'était deux adultes de plus de quarante ans qui avaient été pris, et pas Valentin et Iris. Quel soulagement ! Elle se félicita elle-même comme si c'était grâce à sa personne, et cela l'amusa. Seulement, le tirage au sort reprenait, acharné, puissant, angoissant.

La blonde soupira. Comme elle aurait voulu serrer la main de Morgane en cet instant... Le district 10 parut aux caméras. Elle se tendit brusquement.

- Ca va ? dit d'une petite voix Léonore, qui n'osait rien dire, de peur de la faire démarrer au quart de tour.

Elle ne prit même pas la peine de répondre.

"Citoyens du district 10 ! Chers amis, fidèles et reconnaissants envers notre bon président ! Bienvenue aux Jeux de l'Expiation !"

Il y eut un tonnerrre d'applaudissements, mais Pandora savait qu'ils étaient forcés, pour l'avoir elle-même vécu.

"Je vais donc tirer au sort, entre ces deux jarres, le nom de deux carrières, deux gagnants qui ont participés dernièrement... Aux Hunger Games !"

Effie Trinket regard la caméra avec un sourire enchanté, avant de faire un petit clin d'oeil, et Pandora se sentit visée personnellement. Son front n'était que sueur, ses yeux fiévreux étaient rivés sur l'écran, n'en lâchant pas une goutte. Intérieurement, elle priait. Pitié, pas moi. Pas moi, pas Morgane.

"Je vais tirer le nom de..."


- Excuse-moi ! Je ne savais pas que tu étais allergique aux lilas.

- Je te l'ai pourtant dit. Tu n'écoutes pas quand je parles ? s'énerva Cassiopée.

- Mais si !

Le grand brun s'étais assis sur le sol, et la regardait de ses grands yeux doux. Ces yeux si beaux, comme ceux d'un martyre ou d'une statue grecque de la tragédie antique. Il était magnifique, et c'était ce genre de beauté fatale que Cassiopée adorait détruire de l'intérieur. Quel plaisir ! Elle sourit intérieurement de le voir agenouillé devant elle, et minauda:

- Je suis affreusement vexée.

- Je t'en achèterais d'autres !

Elle jeta le bouquet à ses pieds, répandant les pétales sur ses genoux, qu'il s'efforça de ramasser le plus rapidement possible.

- Déçue, dit-elle en en rajoutant une couche.

- Je ferais tout ce que tu veux, je vais me racheter, dit Ness, en posant le bouquet comme un cadavre, près de la porte.

- Alors viens m'embrasser, dit Cassiopée en souriant, d'un air rusé.

Le jeune homme, contrit, s'assit près d'elle sur le lit, avant de poser lentement ses lèvres sur les siennes, se délectant de son parfum plus qu'enivrant. Ennuyée, Cassiopée le prit par le col de la chemise, avant de l'attirer à elle. Oui, il était parfaitement plat et chiant, seulement, elle commençait à bien l'aimer. Sa petite marionnette...

Elle le colla à lui, et passa ses mains derrière sa nuque, enroulant ses mains autour de son cou. Le serpent enserrait sa proie, qui n'eut d'autre choix que de poser ses mains sur ses hanches. Objectif atteint, Ness était si prévisible ! Elle ondula son bassin contre le sien, tout en pensant à autre chose.

- Cassiopée je...

- Tais-toi. Tu veux dire quoi ?

- Enfin, je ne comprend pas ce que tu fais, balbutia le jeune homme.

Elle stoppa tout mouvement pour le regarder dans les yeux, la lueur innocente et candide de ses yeux la jeta dans une rage intérieure pure.

- Tu ne comprends pas ce qu'on fait ? répéta-t-elle. Tu ne comprends pas ?

- O... Maintenant ?

- Tu es trop lent, Ness de Saint Vaast, soupira-t-elle. Trop lent pour moi.

Elle reprenait peu à peu le contrôle des choses, et se releva soudain, avant de s'installer à califourchon sur lui:

- Imbécile.

Elle l'embrassa passionnément.


Pandora hurla de joie, faisant sursauter la pauvre maquilleuse.

- C'est pas moi ! HAHAHA !

Elle se leva d'un bond pour exécuter une petite danse de la joie. Sa tête sonnait tant elle était heureuse. Ce n'était pas elle ! Ni Morgane ! Un grand sourire aux lèvres et un rire euphorique en travers de la gorge, elle prit les mains de Léonore pour danser avec elle, dans une valse déjantée.

Quelques secondes après, elle sortit en courant, et hurla dans les couloirs du Capitole:

- Je ne suis pas prise !

Elle criait d'allégresse, ne se souciant même plus des regards outrés que lui lançaient certains des plus colorés des citoyens du Capitole. Elle courut si vite vers ses amis, qu'elle faillit se prendre Iris en plein vol, mais celle-ci la retint poliment, gênée de la voir aussi survoltée. Sans tenir compte de cela, elle se jeta au cou de Valentin, avant de lui meugler à l'oreille:

- JE SUIS PAS PRISE ! TOI NON PLUS !

Il rit et remonta sur son nez sa monture en or:

- C'est génial, Pandora. Bravo ! Je suis heureux que tu y aies échappé.

Elle rit et retomba au sol, en serrant la main avec force de Iris, qui paraissait déboussolée.

- Super, marmonna-t-elle sincèrement, mais timidement.

- Je sais ! fanfaronna Pandora. Cassy ! Tu as regardé ?

- Ouais, répondit celle-ci avec un sourire vainqueur. T'es pas prise, Lane !

Elle rirent ensemble toutes les deux, partageant le même soulagement. Quelle ardeur, quelle angoisse ! Pandora sentait qu'en son coeur s'apaisait tout les problèmes du monde. 

Pandora se tourna d'un coup, se prenant presque le menton de Morgane en plein dedans. Elle poussa un cri de joie, hystérique. Mais qu'est-ce qu'elle s'en foutait de paraître folle, à cet instant ! Oui, elles n'auraient pas à revivre ces affreux moments...

Elle sauta dans ses bras et l'enlaça tendrement, avec tout l'amour dont elle pouvait faire preuve. Morgane l'étreignit, laissant libre court à sa joie.

- Oh, Morgane... Je t'aime, je t'aime.

Celle-ci passa tendrement ses mains dans le dos de Pandora, étreignant ses omoplates avec douceur.

- On est pas prises, tu te rends compte ?

- C'est génial, vraiment.

Elle tourna la tête pour la regarder, une lueur de pure joie dans ses yeux bleus, et l'embrassa, ivre de joie, ivre de liberté.

- Qu'est-ce que j'aime la vie, déclara-t-elle contre ses lèvres, enivrée par les senteurs de ses habits, le parfum musqué et étrange de Morgane.

- Bon, ça va vous ? demanda Cassiopée en les regardant, plantée sur ses deux pieds, les bras croisés.

Ses yeux frondeurs fixèrent Morgane, avant de lui faire un clin d'oeil en souriant de toutes ses dents, tandis qu'elle lui adressait un pouce levé, contentée. La brune ne répondit pas, mais sembla faire une grimace discrète. Lorsque le couple se retourna, Pandora lovée dans les bras de Morgane, elles purent remarquer que Iris, Valentin, Cassiopée et Léonore les regardaient les yeux ronds. Le malaise sembla interminable, mais Iris coupa:

- Je dois aller rejoindre quelqu'un. Au revoir.

Elle adressa un signe de tête respectueux aux autres personnes présentes, et s'éclipsa. Valentin la regarda s'éloigner, une lueur alarmée dans le regard, avant de marmonner que lui aussi devait faire des choses.

- Et bien.

Cassiopée regarda autour d'elle pour considérer Léonore, qu'elle regarda de haut. Pandora songea, en les regardant toutes les deux, que c'était les parfaits inverse, et cela l'amusa beaucoup.

En effet, Cassiopée adorait faire ressortir ses airs de femme, sensuelle, dragueuse et puissante, alors que la petite Léonore se contentait avec joie de ce qu'elle avait, bien que ce ne devait pas être grand-chose.

- Tu sais qui je suis ? dit Cassiopée à la petite maquilleuse, qui la regardait avec admiration, mêlé de crainte.

- Oui, Cassiopée Price, de la dynastie des Price.

- Exactement, idiote. Alors retient ce nom pour toujours et déguerpit.

L'amie de Pandora ne se fit pas prier, et obéit gentiment à l'air peste de Cassiopée, qui la regarda faire avec un sourire satisfait.

- Encore une qui ne sait pas que j'ai été déshéritée.

Elle éclata d'un rire ravi, alors que Pandora se détachait de la chaleur agréable et sécurisante du creux du corps de sa petite amie, mais garda leurs mains liées:

- Franchement, Cassy, tu es vache.

- Quoi ? C'est super drôle d'abuser de son pouvoir. Tu devrais le faire plus souvent, ça te détendrait.

- Tu ne m'amuses pas, dit Pandora en la regardant avec un petit sourire, détendue.

Cassiopée aurait pu lui annoncer une nouvelle horrible, elle n'en aurait pas tenu compte. Elle était si heureuse de ne pas avoir été tirée lors de la Moisson, que tout lui semblait beau et resplendissant.

- On dirait, pourtant, dit gentiment Cassiopée. Vous venez ? On va prendre un thé.

Morgane se pencha vers Cassiopée et murmura, brisant le silence de sa chambre:

- Quelque chose cloche dans ce que tu me racontes.

Cassiopée releva la tête vers elle, surprise. Comment cela ? Elle venait de raconter à sa nouvelle "confidente" ce qu'il se passait avec son père.

- Pourquoi tu le laisses te frapper ? dit la brune en la fixant, les sourcils froncés. C'est chaud.

- C'est parce que ça m'éduque. Et puis, j'apprend plus vite quand on me menace.

- C'est pas son rôle. Il devrait t'aimer, te choyer... Tout ça.

- Qu'est ce que t'en sais ? T'es orpheline non ?

Cassiopée se sentit, avec étonnement, se refermer, et redevenir la fillette agressive dont elle aimait prendre la forme. Interessant, pensa-t-elle, en étudiant son propre esprit.

- Ouais. Mais bon, j'ai quand même une famille. J'ai un père, et puis plusieurs frères.

- Mmh. C'est plutôt cool, admit Cassiopée. Mais ça devait faire pas mal de casse à la maison, nan ?

- On était loin d'être riche, c'est sûr. Et puis, moi j'avais la haine envers les riches, les gosses pourris-gâtés, et tout. J'ai eu du mal avec Pandora, au début.

- Tu m'étonnes, rit Cassiopée.

La brune sourit, alors que son interlocutrice gloussait bêtement.

- Et puis, un autre truc est bizarre, Cassiopée.

- Quoi ?

- Pourquoi ton père te déshériterais, pour une simple raison de punition et d'argent, alors qu'il n'a plus qu'une fille ? La "dynastie" s'arrêterait, c'est illogique.

Cassiopée réfléchit longuement, étonnée par le raisonnement logique de la carrière, puis décréta:

- C'est très étrange, en effet, mais je peux t'expliquer un truc. Mon père ne m'a pas déshérité en vain, je sais comment il fonctionne. Non... Lui veut que j'accomplisse quelque chose de grand.

- C'est à dire ?

- Je ne sais pas ! Il veut que je le rende fier.

Un sourire rêveur et avide envahit le visage de la blonde, qui murmura:

- Sinon, quel aurait été le but de me rapprocher du couple qui a foutu ma vie en l'air ?

- Je ne sais pas quoi te dire, répondit Morgane, mal à l'aise.

- Et à un moment venu, pouf ! Je te trancherais la gorge, et je récupérerais mon argent, ma renommée, Franck, et tout ce qui m'est dû. Simple, non ?

- Tu es complètement timbrée, déglutit la brune.

- Oui. Ca reste notre petit secret ? Parfait.

- J'ai bien dormi, affirma Pandora, tout sourire, en s'asseyant à la table du salon.

Sa bonne humeur apparente influait toute la petite équipe, et depuis quelques jours, Cassiopée avait arrêté d'embêter tout le monde, Iris s'était trouvée un peu plus bavarde -le contraire aurait été difficile- et Valentin moins dans la lune. Ils prirent ensemble le petit déjeuner en bavardant avec légèreté.

- Et toi ? demanda la blonde, en tournant ses beaux yeux clairs vers le visage discret de Dimitri qui faisait oublier sa présence derrière un croissant frais.

- Moi ? répéta-t-il.

- Que comptes tu faire pour ces Jeux ? Tu vas les regarder ?

- Bien sûr. Mais je serais un peu occupé, je suis technicien chez un des doyens, dit Dimitri, avec un petit sourire confiant.

- Ah oui ? Tu pourrais nous aider alors, parce qu'on a une radio qui ne marche pas, et comme tu es très professionnel, la réparer serait faci-

L'air faussement décontracté de Morgane, et ses yeux meurtriers en direction du jeune homme ne trompèrent pas Pandora, qui les regarda, inquisitrice.

- Les Jeux, soupira Valentin. Quelle étrange invention, et à la fois superbe d'ingéniosité.

- Oui, affirma Iris, d'un ton plat.

- Merci de ta participation, ironisa la blonde, qui faisait tinter ses ongles contre son verre, ce qui semblait énerver tout le monde. Personnellement, j'ai prévu d'aller faire un petit tour dans mon district aujourd'hui. C'est une bonne journée pour aller découvrir les gagnants de ces 96èmes Jeux, non ?

Elle rit et se leva, faisant racler sa chaise sur le sol. D'un air fatigué, Morgane ne releva même pas, et la laissa faire son boucan habituel.

- Quelle emmerdeuse, marmonna-t-elle.

- Morgane, la réprimanda Pandora en lui donnant un coup sur la tête.

Dimitri les regarda avec ce qui semblait être de la bienveillance dans le regard, puis se reconcentra sur sa viennoiserie, qui lui semblait impossible à finir. Lui qui n'était pas gros mangeur, il avait eu les yeux plus gros que le ventre. Lorsqu'il releva les yeux, il remarqua le regard glacé d'un adulte posé sur lui, et son sang ne fit qu'un tour.

Les yeux sondeur d'Iris s'étaient posés sur lui. Comme les pupilles acérées d'un aigle, il avait l'impression d'être transpercé, lacéré de toute part, laissé pour mort à travers cet échange silencieux. Il leva avec lenteur son croissant, comme un bouclier, et la bouche d'Iris s'entrouvrit, comme pour dire quelque chose.

Son coeur s'accéléra rapidement. Ca y est. Il était découvert, sa couverture en tant qu'ami de Morgane n'était plus qu'un subterfuge. Il sentait presque l'accusation au bout de ses lèvres cramoisies, perler comme une goutte d'eau ou une larme qui aurait descendu son visage pour atterrir là. Qu'elle ne dise pas un mot...!

- Technicien... murmura la jeune femme.

- LES CHÉRIS !

La voix très reconnaissable de Kaloss retentit dans la pièce, et tous se retournèrent. Chacun eut une réaction diverse. Valentin se peignit d'un sourire chaleureux, content de retrouver un vieil ami. Iris, de sa timidité habituelle, baissa simplement les yeux, Dimitri n'eut pas de réaction, et Pandora se leva avant de se jeter sur lui avec chaleur. Morgane leva un sourcil, sans surprise.

- Kaloss !

Alors que la blonde l'enlaçait dans ses bras peu musclés, sincèrement heureuse de le voir ici, il rit, et secoua une longue tignasse rousse.

- Matez un peu cette crinière de lion ! Je l'ai achetée, elle vient tout droit du district 10, les chéries, le vôtre.

Morgane le regarda d'un air réjoui:

- Sympa. J'espère que t'as bien payé ceux qui te l'ont vendue.

- Mmh ? dit Kaloss, qui ne l'écoutait pas trop.

Il pencha son corps élégant et pailleté sur Iris, avant de lui murmurer deux mots à l'oreille. Elle l'écouta attentivement, levant ses beaux yeux impénétrables, avant d'hocher la tête silencieusement. Pandora tourna deux secondes sa tête vers Valentin, et vit une étrange moue de jalousie se peindre dans ses yeux réfléchis. Étonnant.

Mais à peine regardait elle à nouveau vers les deux adultes qu'ils s'étaient levés et qu'ils sortaient de la salle sans bruit, ce qui était étrange de la part du bruyant et retentissant Kaloss Abigail Manson.

Zachary Servilus était un homme courtaud, d'à peu près un mètre soixante-cinq. Sa grosse bedaine pendait devant lui, le rendant lent et extrêmement latent. Son double menton aussi rendait ses mouvements de tête nonchalants, et le bout de ses doigts était si boudiné qu'il mettait parfois du temps pour prendre chaque objet. Ainsi, il n'inspirait terreur et respect que par son attitude méprisante et son statut, qui était bien haut.

Zachary Servilus avait toujours travaillé dans les hautes sphères du Capitole, près de son bien aimé maitre Snow. Après des années de loyaux services, d'heureuses tâches bien appliquées, Snow avait consenti à lui donner un rang bien plus haut dans l'organisation de ses corps de métier. Il n'y avait que peu de doyens, ils réglaient à peu près tout, se distribuaient entre eux les districts, les rations, la gestion.

Servilus avait toujours usé de son pouvoir. Sa tâche attribuée concernait principalement les Hunger Games, bien qu'étayer tout ce dont il se chargeait serait long et inutile. Dès lors qu'un participant sortait de l'arène vivant, affreux vainqueur des Jeux de la Faim, il le ou la prenait sous son aile.

Le terme "prendre sous son aile" n'était pas réellement approprié pour caractériser la tendance systématique et perverse de Servilus à arnaquer, puis à faire chanter ses victimes. En effet, lorsqu'il avait volé tout l'argent des vainqueurs des Hunger Games, que pouvaient-ils faire contre lui ? Promettant de l'argent, de la renommée, ou tout ce qui pourrait attirer ces jeunes gens, Zachary Servilus se servait de ce qu'il voulait pour les attirer dans ses filets.

Des esclaves à sa merci, voilà qui était si pratique. Ces pensées victorieuses se traduisirent dans ses paroles, alors que le gros bonhomme parlait. Il laissa échapper avec orgueil toutes ses techniques les plus secrètes pour soumettre à lui toute sorte de personne, usant de subterfuges immondes.

Le regard de l'homme qui marchait à côté de lui le paralysait presque. Il bredouillait, suait comme un animal en agitant un mouchoir avec lequel il s'essuyait le front. André Price était bien connu pour sa froideur et son calme de glace. Quiconque se trouvait dans la même pièce que n'importe quel Price se sentait immédiatement mal à l'aise, observé, mis à nu. C'était le cas du doyen, dont l'angoisse montait peu à peu. Le silence de son interlocuteur le rebutait.

- Je vois, murmura simplement André Price en secouant ses cheveux blancs impeccablement brossés.

Malgré son âge qui se sentait bientôt dans sa façon de se tenir, de parler, il se tenait très droit, maintenant sa carrure musclée. Il ne faisait aucun doute que c'était un homme élégant et raffiné, il gardait l'ourlet de son veston dans le creux de sa paume, était vêtu d'un smoking des plus gracieux et sentait l'eau de Cologne.

- D'ailleurs, j'avais à vous parler, déblatéra Zachary Servilus, tout en le regardant de ses yeux fouineurs et nerveux. Vous parler de votre fille.

- Ma fille ? Vous voulez dire, Cassiopée. Ce n'est pas ma fille.

- Pardon ? Ah oui, bien sûr.

Il se corrigea, en passant une fois de plus le mouchoir sur son visage gras.

- Cette petite a beaucoup de potentiel vous savez... Vous l'avez parfaitement et convenablement instruite, oui... Mais elle gâche son potentiel.

- Vous la connaissez ?

Les iris pleine de mépris de l'homme se posèrent sur lui, le figeant presque.

- Oui. J'ai envoyé une de mes protégées dans le foyer des gagnantes des 95èmes Hunger Games. Il y a des Rebelles, là-bas.

- Des Rebelles ?

- Leur Mentor, Valentin.

- Comment pouvez-vous en être sûr ?

- C'est le président lui-même qui nous l'a dit, assura le doyen d'un ton pédant.

- D'accord. Cassiopée est donc avec eux. Interessant.

- N'est-ce pas ! Ha ha ! Je savais que cette information vous intéresserait.

- Vous savez pertinemment la seule chose qui m'intéresse. La seule chose pour laquelle je vous ai fait venir ici, pour me raconter vos petites magouilles imbéciles.

Zachary Servilus se sentit déglutir, et ses genoux ployèrent presque face à la colère et au mépris grondant dans les paroles de son supérieur. Il ne s'en trouva que plus petit face au grand homme, et reprit, d'un ton misérable:

- Et j'y consent, bien sûr...

- Evidemment. Vous croyiez que je vous laissais le choix ? Je veux un héritier. Et rapidement.

- Mais vous aviez dit que Cassiopée n'était plus votr-

- Je l'ai déshéritée. Pour l'instant. Mais je n'ai pas dit que ses enfants le seraient.

- Bien sûr, le rassura le doyen d'un ton mielleux en tripotant les bagues à ses gros doigts dodus. Et je suis d'accord pour être le père de cet héritier-

- Hors de question. Écoutez-moi bien, Servilus.

Le visage effrayant et sombre de André Price se plaça à la hauteur de celui de son interlocuteur, ses sourcils froncés. Son regard bleuté s'arrêta sur lui, et le regarda avec dégout et indifférence.

- Vous ne serez le père de personne. Si un enfant nait, ce sera un Price. Pas un Servilus Price, ou un Price Servilus, ou n'importe quel nom autre !

- Bien évidemment...

- Vous serez le géniteur. La chose qui enfante. Si vous vous accordez plus... Assurez-vous bien que vos jours seront comptés.

- Mais j'ai un profond respect pour votre famille, cher monsieur Price.

Il s'inclina de tout son long, en prononçant ces paroles qui lui écorchaient la gorge.

- J'ai aussi un grand respect pour votre fille, Olivia Servilus. Comment va-t-elle ? Jeune fleur à la santé fragile... Une seule petite maladie et soudain elle fane, n'est-ce pas ?

- Je... murmura Servilus, le visage blanc comme un linge.

- Obéissez simplement à mes ordres. Je m'arrangerais pour vous faire avoir ce que vous voulez.

Pandora regarda avec ennui la machine à coudre de Valentin qui semblait végéter sur la table. Il n'était que quinze heures et pourtant elle était déjà fatiguée. Depuis que Cassiopée avait déclaré d'elle-même que les entrainements de Morgane et Pandora s'arrêteraient, inutiles, elle n'avait pas grand-chose à faire de ses journées.

Elle regardait un peu la télévision, découvrait les personnages de ces nouveaux Hunger Games comme un stupide sitcom. D'ailleurs, elle se sentait peu à peu dodeliner, se détourner de son objectif. Elle qui n'était ni musclée, ni passionnée par quelque chose en particulier, ou par quelqu'un, elle ne faisait rien de bien spécial en ce moment. Les gens qui habitaient au Capitole, que sa petite amie adorait critiquer, n'étaient désormais plus si loin de son mode de vie. Le luxe, la luxure, et la lassitude. Drôle de destin pour une gagnante des Hunger Games.

La pièce vide se remplit d'un courant d'air. Un claquement de porte sec, et la voix féminine de l'amie de Pandora.

- Salut Cassy, dit Pandora en se relevant, grimaçant.

- Salut ma chérie, répondit celle-ci, en entrant dans le salon comme une tornade.

En tournant la tête vers elle, la petite blonde aux yeux bleus eut la surprise de voir, au bout de son bras, un jeune homme. Il était grand, brun, avait une petite barbe et de grands yeux clairs qui regardaient l'appartement avec un mélange de curiosité et d'appréhension. Il ressemblait à un mouton, pensa la blonde en demandant:

- C'est ...?

- Mon mec.

Le combientième de la semaine, là était la vraie question. Seulement, par amitié et par politesse envers elle, la blonde ne dit rien et se contenta de sourire à l'inconnu:

- Salut. C'est quoi ton nom ?

- Ness. Ness de Saint-Vaast.

- Tu sais que ça fait plus d'un mois que je suis avec lui ? murmura Cassiopée en se penchant, parlant les dents serrées pour qu'il ne l'entende pas. Un record.

- Magnifique, dit sincèrement son amie. Je suis contente pour vous.

- Tu fais quoi là, toi ? demanda sévèrement la jolie blonde aux cheveux bouclés, avant de se relever pour poser son buste contre celui de son petit ami.

- M'ennuie, soupira Pandora.

- Qu'est-ce qu'elle fout, l'autre ?

- Morgane ?

- Ouais.

- Je ne sais pas. Et puis, je ne vais pas la coller toute la journée, tout de même, marmonna la blonde en fermant les yeux et en collant son front contre la table, comme épuisée.

Cassiopée s'approcha et s'assit, créant des plis sur sa longue robe de jade. Elle considéra silencieusement son amie, puis déclara, un sourire malicieux se peignant sur son visage maquillé:

- M'est avis qu'on devrait parler à Dimitri.

Le changement de sujet éveilla chez Ness comme chez Pandora un éveil plus brutal. Elle leva ses yeux clairs vers elle et demanda timidement:

- Pardon ? Ce n'est qu'un technicien.

- Qui dort chez nous, qui participe à notre vie de groupe, qui semble être trèèèèès ami avec Morgane...

- Oui ?

- Tu ne trouves pas ça étrange ? À peu près à la période où toi et Morgane, vous vous éloignez un peu, il apparait ?

- Ne soit pas ridicule, dit Pandora, intriguée. Notre couple va très bien, je ne comprend pas de quoi tu parles.

- Pourtant, il y a quelques temps, ce n'était pas ce que tu me disais. Ce n'était pas toi qui te plaignais du manque de communication entre vous ? Tout ça ?

Ness hocha la tête, semblant compatir, ou tout du moins, comprendre.

- Oublie, répondit Pandora. Tout va bien.

- Sérieux, Pandora. Ils cachent quelque chose. Est-ce que Morgane t'en as parlé, au moins, de ce mec ?

- Elle a dit que c'était un pote à elle, qui travaillait ici, qui avait des galères de logement.

- Et ça fait combien de temps qu'elle et toi vous ne faites rien ?

Pandora s'étouffa dans sa salive, alors que le jeune homme présent entre elles deux se détourna aussi, gêné. La rougeur qui s'étalait sur leurs deux visages ne dérangea absolument pas Cassiopée Price qui reprit, endiablée:

- Répond moi !

- C'est privé, balbutia Pandora, avec un rire nerveux, entremêlé de gêne.

- Tu vois que j'ai raison. Écoute, et je dis ça pour toi. Tu te fais tromper, c'est ça la réalité. Tu es cocue, Pandora !

Ness les regarda, de son air perdu, qui le rendait plutôt mignon. Seulement, Pandora n'écouta pas trop ce qu'il disait, perdue dans ses pensées et troublée.

- Vous croyez ? Ce ... Dimitri n'a pas l'air très intéressé par ça, il me semble.

- Tu le connais ? s'étonna Cassiopée.

- Non ! Non, non, seulement, je connais le milieu des techniciens du Capitole et.... Enfin, ça me semble improbable.

- Mh. Oui, c'est ça.

Cassiopée tapota sa tête, semblant trouver très mignon qu'il défende l'honneur de Pandora à tout prix, mais n'accordant pas grande importance à ses paroles.

- Mais c'est vrai. Il me semble que si j'allais dormir chez une fille, je n'aurais pas intention de sortir avec elle, en plus si elle est déjà en couple.

- Pourquoi tu veux dormir chez une fille ?! s'offusqua sa petite amie.

- Mais non mais...

- Laisse tomber. Ne t'inquiètes pas, toi. T'es chou.

- Je...

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