Chapitre 6: Le secret du Valet
Iris soupira. Elle secoua ses cheveux salis par la suie, et continua d'avancer. Au fur et à mesure que le paysage passait, on voyait des maisons en meilleur état. Le délabrement, le manque de verdure faisait place à de jolis buissons bourgeois qui sonnaient étrangement décalés par rapport aux grands forêts qui entouraient les districts.
Ils venaient de traverser un lac. C'était assurément l'idée de Valentin, elle n'aurait jamais eu l'envie de le faire sinon. Et c'était absolument idiot. Maintenant, ils étaient couverts de vase des pieds jusqu'aux cuisses, et le froid mordait leurs peaux. L'hiver arrivait, et le soleil tapait fort sur leurs peaux déjà brunies par le voyage.
- C'était vraiment stupide, dit-elle d'un ton las.
- Désolé, dit Valentin, le sourire aux lèvres.
Il avait eu l'intelligence de prendre de meilleures bottes que sa compagne. Ainsi, à chaque pas qu'il faisait, de la boue sortait des semelles, créant des empreintes grandiloquentes autour d'eux.
- Tu n'es même pas désolé, en plus.
Introvertie, Iris n'avait pas haussé le ton pour exprimer son désaccord. Elle s'était contentée de lui lancer un regard éloquent, et de prendre le ton le plus froid et le plus sans appel qu'elle avait. Habitué, le Mentor répondit par un petit rire.
- Non. Même, j'ai trouvé ça amusant. Je voyais les têtards bouger dans la vase.
- C'est dégoutant. Tu as marché dessus, en plus.
Elle s'imagina Valentin lui offrir avec amour une soupe à la vase et aux têtards, et eut un haut-le-coeur. Il était absolument immonde de penser qu'un jour Valentin trouverait ça super de marcher dans de la vase.
- Et s'il y avait eu des crocodiles ? Il y a ce genre d'animaux dans les marais.
Elle pesta, alors qu'il lui prenait la main, pour marcher près d'elle. Il croisa son regard, et derrière ses lunettes dorées il répondit simplement:
- Mais non. Ah là là, tu as passé trop de temps au Capitole. Tu ne reconnais même plus un petit lac boueux d'un marécage.
Alors qu'il s'amusait à la railler sur son manque de connaissance en matière d'écosystème, elle repensa avec une pointe de soulagement aux années qui avaient suivi la fin de ses Hunger Games. Des années de perte, de manipulation. Elle était totalement tombée sous le joug cruel et pathétique de Zachary Servilus.
- Dit, lança-t-elle soudain, le coupant. Tu penses qu'il est où, à présent, Servilus ?
Le regard sage et intelligent de Valentin se posa sur elle. Il la regarda longuement, et gratta son menton couvert de barbe. Malgré leur couple uni et la communication qui passait entre eux, jamais elle n'avait vraiment souhaité parler du doyen. Celui-ci, qui avait tout fait pour faire d'elle son esclave, n'était jamais vraiment bienvenu dans leurs conversations.
- Je...
Il réfléchit à une réponse appropriée.
- Je pense qu'il est toujours doyen.
Il y eut un silence. Iris baissa les yeux, impénétrable. Elle paraissait froide, pourtant ce n'était pas le cas. Sa timidité, presque maladive, prenait le dessus et c'était dans sa tête qu'elle répondit à Valentin.
- Pourquoi tu demandes ça ?
- Ça ne sert à rien d'aider les gens des districts pauvres si ce genre de gens sont encore au Capitole.
Valentin la regarda intensément.
- Mais que ce soit lui ou un autre, ce sera la même chose, tu sais. À mon avis, c'est plutôt Snow...
Ils détournèrent le regard avec crainte. Avant, ils ne pouvaient pas, voire n'avaient pas le droit de parler mal du président. Mais en pleine nature ? Qui les en empêcherait ?
- C'est plutôt Snow le problème, murmura Valentin. Il raconte de beaux discours mais il aurait pu régler bien des famines. L'hiver va être rude pour ces pauvres gens.
- Oui, tu as raison, dit Iris d'une petite voix.
Elle darda ses pupilles de chat sur l'horizon, avant de se tourner brusquement vers un buisson, entendant un frottement de feuille.
- Ça a toujours été comme ça. Pourquoi on a oublié que c'était lui qui nous a créé cette vie ?
- C'est grâce à Snow que nous nous sommes rencontrés.
- J'aurais préféré ne p- aïe !
Iris venait de le frapper à la tête avec un petit sourire en coin. Elle soupira et regarda le ciel, qui se couvrait bientôt de nuages grisâtres.
- Trouver un endroit où dormir.
- C'est vrai. Et puis, j'ai vraiment faim.
Iris tourna la tête. Il lui semblait avoir vu un oiseau voleter près d'elle.
- Tu n'as pas vu ç-
- Excusez-moi, messieurs dames ?
Valentin et elle se tournèrent vers la voix. Trois hommes barbus, en uniforme, arrivaient d'un autre chemin. Ils étaient munis d'uniformes bleus, de casques et armés jusqu'au dents. Ils semblaient un peu agressifs, lorgnant les deux voyageurs avec des regards torves.
- Bonjour, répondit le couple, gêné.
- Qu'est-ce que vous faites là ? Les limites du district sont derrière la clairière, dit le plus âgé d'entre eux en levant un sourcil broussailleux, direct.
- Excusez-nous, nous ne sommes pas des habitants du district 3, dit Valentin avec un air apaisant, au cas où les Pacificateurs ne soient pas sereins.
Les deux autres hommes plissèrent les yeux avec méfiance.
- Et vous v'nez d'où ?
- Du Capitole.
En guise de preuve, Valentin dévoila sa montre dorée, où son identité s'afficha en grand. Il présenta aussi ses lunettes, qui présentaient à l'intérieur de leurs branches le nom de sa famille, et sa mention en tant que Mentor des 95èmes Hunger Games.
- Ah, dit simplement le grand Pacificateur.
Il parut mal à l'aise.
- Euh, j'imagine que vous avez le droit, alors... Ben...
Il se gratta la tête.
- En effet, nous avons le droit d'être ici, dit diligemment Valentin, qui se sentait perdre patience devant la rustrerie de ces messieurs.
- D'accord, d'accord. Vous faites quoi ici ? demanda-t-il d'un air un peu suspicieux, comme si Valentin allait tout à coup sortir une arme de son grand sac à dos de voyage.
- Nous visitons, voilà tout.
Les Pacificateurs les regardèrent d'un air perplexe avant de continuer à faire leur ronde, marchant d'un air pataud à travers les chemins. Iris et Valentin se regardèrent et sourirent, trouvant cette scène comique tant elle était étonnante.
- Arrêtons-nous là pour manger, le district n'est pas loin, proposa le brun.
✺
Le Valet de coeur passa sa main gantée sur le tissus. Plongé dans ses pensées, il trouva cela peu agréable, et enleva le tissus qui recouvrait ses phalanges. Il put alors mieux toucher la dentelle fine qui recouvrait la robe.
Elle était magnifique, et on voyait aux mesures qu'elle convenait parfaitement au corps de Cassiopée. Alliant beauté, délicatesse et sensualité, c'était une pure oeuvre d'art. Elle était entièrement blanche, on aurait dit le vêtement d'une fée.
C'était une robe de mariage, une robe qui n'inspirait que danse et joie. Ange passa distraitement sa main sur le col en V, et murmura:
- Pour qui destinais-tu cette belle robe, Price ?
Il se tourna vers Cassiopée, vit qu'elle était encore endormie. Heureusement qu'elle ne s'était pas éveillée, le Valet de coeur avait enlevé son masque et son ample capuche, incorporée dans sa tenue. Ainsi, ses longs cheveux roux tombaient en cascade sur ses épaules.
Un petit chignon élégamment relevé empêchait les autres cheveux de gêner la vue d'Ange Coeur. Cependant, celui-ci ne semblait pas à l'aise. A l'étroit dans son masque, il sortit une boule de sa poche.
L'étrange orbe qu'il tenait dans sa main tenait du fantastique. Parsemé de petits rouages et de cliquetis, les mécanismes semblaient si complexes qu'il était presque impossible de le regarder sans avoir le vertige... Exactement à la manière du masque brumeux que le Valet de coeur portait en permanence. Une seule pression sur l'objet permit au masque de se desserrer, et tomba dans les mains de son propriétaire.
- Enfin, soupira-t-il.
Il s'étira, visiblement éreinté, puis sortit de la pièce, en appuyant à nouveau sur la boule. Comme une ventouse, il posa le masque de métal sur son visage, qui s'y colla. Ses pas le menèrent vers la salle du trône, où reposait Prudence et Balthazar.
- Valet ? Valet ! Cela fait dix minutes que j'appelle.
- Veuillez m'excuser, ma reine.
Le roi de coeur sourit, légèrement amusé, avant de gratter sa barbe d'un air songeur. La reine, quant à elle, ne semblait pas aussi joyeuse que l'autre titre. Depuis que le Valet de coeur lui avait annoncé son mariage... Il était évident qu'elle voyait cela d'un mauvais oeil.
Et lorsque Prudence, la redoutable reine, était en mauvais terme avec quelqu'un ou quelque chose... Rien de bon ne pouvait être envisagé.
- Et le bal d'octobre ? Où ça en est ? demanda le grand homme noir, qui tourna ses yeux sages vers Ange.
- Je m'occupe des préparatifs.
- J'espère bien, dit la reine d'une voix froide, tournant entre ses deux mains le sceptre rouge avec ennui. Vous pourriez être démis de vos fonctions si le bal n'est pas un franc succès, n'est-ce pas ?
- Le bal est dans deux mois. Il me semble que je n'ai pas à m'alarmer pour l'instant.
Le ton plus froid encore que d'habitude qu'usa Ange Coeur pour parler à la reine déplut absolument à celle-ci. La hargne se lut dans sa voix, malgré son visage calme et suffisant.
- Je souhaiterais qu'il soit encore mieux que celui de l'année dernière.
- En effet. Nous en avons parlé, Prudence et moi... Pour fêter l'union de votre femme et vous, n'est-ce pas une bonne idée ?
- Vous pourrez ainsi démontrer votre amour pour elle devant nos yeux, dit Prudence en dardant son regard venimeux sur lui.
- Félicitations pour votre mariage. Comment avez-vous connu votre femme, rappelez-moi ?
Le ton cynique et blagueur de l'imposant Balthazar ne cherchait pas à rendre mal à l'aise le Valet de coeur. Il était évident qu'une petite provocation était attendue, cependant aucune lueur mauvaise ne brillait dans ses yeux sombres. Prudence, elle, ne semblait pas dans la même optique.
- Voyons, Balthazar. C'est un mariage arrangé, sinon il n'aurait pas marié une femme.
- Ce n'est pas un mariage arrangé, dit Ange Coeur.
- Ah oui ?
Prudence tapota l'accoudoir de son trône, et sourit diligemment à l'homme au masque brouilleur. Celui-ci sembla déglutir, et s'approcha. Il se positionna à droite d'elle, et elle passa songeusement ses doigts blancs sur son bras.
Malgré les épaisses couches de vêtement que le Valet portait, il ne put s'empêcher de frissonner. Mais reculer serait faire acte de lâcheté. Garder le cap. Serrer les dents. Ange ne posa pas ses yeux sur sa supérieure. Il savait qu'elle le regardait attentivement, et la glace de ses yeux le transcendait.
Il garda la tête haute, derrière son étrange masque. Cela faisait tellement de temps que cela durait... Il aurait tout fait pour échapper à ces yeux posés sur lui, à ces mains posées sur son corps.
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