Chapitre 5: La chasseuse de ténèbres
Cassiopée regarda ses ongles d'un air sombre. Elle qui avait toujours été froide, morne, piquante, aujourd'hui il lui était difficile de faire fi. Elle ne voulait montrer sa peur d'être dans l'inconnu, de la curiosité qui la prenait en voyant l'étrange silhouette du Valet.
Elle qui avait pendant des années fait face à toutes les situations, qui avait fait les Hunger Games et qui avait été la seconde sur le podium, au prix de la mort et de la destruction. Destruction de tout ce qui lui était cher. Son honneur, sa vie, son petit ami Franck...
Cassiopée ravala sa salive. Non. Il ne fallait pas penser au passé.
Les images du torse ensanglanté du gigantesque Franck envahirent son esprit. Les effusions de sang, de combat... Ses yeux vitreux, son corps posé dans l'herbe, sans vie...
Sa gorge se noua, respirer lui parut soudainement difficile. Ses yeux lui piquèrent, elle agita les paupières furieusement pour chasser l'humidité qui s'y installait. Se reconcentrant sur la scène, elle resta silencieuse.
Avouer que la femme qui se présentait à eux l'intimidait aurait été bien vrai, mais inavouable. Elle avait des yeux très clairs, était sûrement albinos. Sa tête était sertie d'une couronne et elle tenait un sceptre en forme de coeur.
Elle le pointait sur la blonde, qui se sentait légèrement agressée.
- Valet ? Qui est cette fille ?
- Ma future femme, répondit le Valet en s'inclinant très bas devant le roi et la reine.
- Ta femme ?
Le visage de la femme se teignit d'horreur. Elle se tourna vers le grand homme noir assis près d'elle, et lui lança un regard éloquent. Celui-ci darda son regard intimidant sur la blonde, qui se sentit vouloir disparaitre dix pieds sous terre. Elle aurait voulu hurler dans cette salle qu'elle n'était pas la femme de ce sale type, mais sa bouche refusa de s'ouvrir.
- Cassiopée Price, fille d'André Price.
- André Price, l'homme qui est venue hier. Ca fait sens, souligna le grand homme.
- Et vous êtes qui ? demanda la jeune femme, d'une voix qui se voulait assurée.
Un grand silence accompagna ses paroles, et le timbre de sa voix se répercuta sur les murs blancs de la pièce. La grande femme répondit d'un ton dédaigneux:
- Je suis Prudence. La reine de coeur.
- Et je suis Balthazar, le roi de coeur.
Cassiopée supposa qu'ils étaient vexés de ne pas être reconnus. A en juger par leurs titres plus que pédants, ils devaient s'attendre à ce qu'elle s'incline devant eux. Hors de question. C'était sûrement les supérieurs d'Ange. Ils le regardaient avec supériorité, et celui-ci se courbait bien bas vers eux.
Cassiopée se perdit à nouveau dans ses pensées, alors qu'ils parlaient ensemble. Un mouvement de la part de la reine de coeur lui fit retrouver ses esprits. Cette dernière s'était levée et avait posé sa main sur la joue du Valet de coeur.
Les yeux froids de la grande femme considéraient le visage sans expression, masqué, de son sous-fifre. Dans ses prunelles se reflétait une lueur dangereuse que Cassiopée avait souvent vu... Dans le regard de son père.
Son esprit se ralluma, comme si on lui avait soudainement mit une prise entre les deux yeux, alors qu'elle voyait les lèvres de la reine s'approcher peu à peu du visage du Valet de coeur. Bordel... Quoi ?
- Où sont les toilettes ?
La voix un peu tremblotante, elle sentit un silence pesant s'installer. Balthazar, le roi de coeur, la fixait depuis maintenant quelques temps, renforçant l'impression de malaise. Les yeux cernés de blanc de Prudence se posèrent cruellement sur la jeune femme, elle se sentit mise à nu.
- Je vais lui montrer, dit le Valet de coeur d'un ton glacial.
Il se sépara de la reine de coeur, ses pas secs résonnant dans la pièce. Lorsque son visage couvert de métal se tourna vers Cassiopée, elle frissonna.
- Suis-moi.
✺
Lorsque Morgane se leva, le soleil lui brûla les yeux. Elle s'étira, baillant de toute la force de sa mâchoire. Elle retira la couverture, et regarda autour d'elle. Elle se trouvait dans la salle des fêtes, la salle qui était occupée chaque soirs par leurs soirées entre amis arrosée d'alcool.
Il n'y avait personne dans la pièce, tout les meubles avaient été enlevés. Même le bar, qui aurait dû être encastré dans le sol. Morgane n'y fit que peu attention. Lorsqu'elle tourna la tête derrière elle, pour regarder les détails des coins de la pièce, une énorme masse rougeâtre lui sauta dessus.
Un cri de terreur traversa les lèvres de la brune, seulement aucun son ne sortit de sa bouche. Comme si elle était sous l'eau, ses oreilles bourdonnaient, elle avait presque l'impression de suffoquer.
Après quelques instants de pure confusion et d'épouvante, Morgane, debout, frémissante, se rendit compte que c'était le corps de Céleste Néolisse qui se trouvait là. Ses cheveux flottaient agréablement autour de son visage, et ses yeux, comme des globes de verre, fixaient Morgane avec une jouissance tragique. Le dégout que lui inspirait cette scène s'ajouta à ce sentiment d'insécurité, de tragédie que l'on sentait dans l'air, ou plutôt dans l'eau.
- Si j'étais vous, je ne ferais pas ça, fit la voix de Céleste.
Et étonnamment, elle n'ouvrait pas la bouche. Celle-ci semblait cousue, bleuie. Sa voix résonnait dans toute la pièce, résonnait dans la tête de Morgane comme les basses retentissantes d'une enceinte qu'on aurait placé juste dans ses conduits auditifs.
- Il est trop tard pour se repentir. Le sang de Panem couvre vos mains, la vengeance est proche.
Morgane sentit sa gorge se serrer, ses poumons se contracter. Elle prit soudain conscience qu'elle était sous l'eau, et elle ne savait pas respirer sous l'eau ! Elle commença à suffoquer... Il ne fallait pas respirer ! Si elle respirait, elle avalerait du liquide qui la tuerait. Elle se débattit, cherchant à remonter à une surface lointaine, bien qu'elle n'en voit pas.
- La vengeance vous tuera.
Elle hurla.
- Morgane ! Morgane !
Les oreilles bourdonnantes, le souffle court, Morgane reprit peu à peu conscience. Elle était dans son lit, au Capitole. Son corps était prostré, tendu vers le ciel. Allongée comme une malade, elle suait, tremblait de partout. Il n'était pas une position où elle se sente plus vulnérable qu'à cet instant.
Aucune force autre que celle de l'angoisse ne faisait bouger ses bras, elle se sentait comme pétrifiée. Elle fixait le plafond, les yeux grands ouverts, apeurée. Sa respiration était si courte, si sifflante, qu'elle sentait l'air assécher sa gorge en entrant et en sortant.
Sortie de sa torpeur, de son rêve horrible, elle prit peu à peu conscience qu'une personne était là avec elle, et lui parlait. Impossible pour l'instant de savoir ce qu'elle disait, vu l'état dans lequel la brune était. Seulement, cela l'apaisait.
Sur le côté droit de son corps, une masse chaude, diffusant une douce chaleur, murmurait des mots à son oreille. Des cheveux blonds tombaient sur le visage de Morgane, et elle sentait ses lèvres rosées contre sa peau moite.
- Tout va bien. Tu te trouves avec moi, au Capitole. Tu ne crains rien, tu n'as rien à te reprocher.
Elle écouta ces mots, calmant peu à peu sa respiration. Sa poitrine se soulevait au rythme de ses halètements, qui peu à peu devenaient de larges respirations entrecoupées de silence. Elle sentait tout de même ses oreilles bourdonner, son crâne lui faire mal.
Gueule de bois. Morgane grimaça, un sentiment de culpabilité la prenant peu à peu. Elle venait de réveiller Pandora avec son cauchemar, juste parce qu'elle avait bu.
- Est-ce que ça va, mon amour ? chuchota celle-ci.
- Oui, déglutit la brune.
Dans l'obscurité, elle ne pouvait voir grand-chose mais elle sentait le regard attentif, bien que fatigué de la blonde.
- Il est quelle heure ?
- Quatre heures, murmura la blonde. Encore un cauchemar. Ça fait presque un an qu'ils s'étaient arrêtés...
- Je suis désolée.
Morgane serra la taille de Pandora entre ses doigts, qui peu à peu reprenaient de leur vigueur. Elle posa sa bouche sur le cou de sa petite amie, parlant contre sa peau pour lui faire sentir toutes les variations de son ton rauque.
- Je n'aurais pas dû boire autant, c'est l'alcool qui m'a fait ça.
- Tu es sûre ? demanda la blonde en caressant son visage, prenant en coupe ses joues. Tu peux m'en parler si tu veux.
- Oui, c'est certain. Ce n'était pas comme d'habitude, il n'y avait pas Gabriel, ou Gadjeel.
Elle déglutit à ces noms, qui commençaient à peine à ne plus être un tabou entre elles.
- C'était... Oh, c'est bête, tu vas trouver ça ridicule, Pandora. Il y avait cette fille chiante, la rousse. Elle me disait des trucs comme quoi j'allais mourir... Enfin la routine.
Elle essaya de rire, mais cela sonnait plutôt comme un sanglot. Respirant à plein nez l'odeur rassurante de Pandora, couchée sur elle, elle laissa leurs pensées dériver ensemble. Pandora caressa son cou, apaisant les veines à vif de la jeune femme.
- C'était peut-être un simple cauchemar, pour une fois, acquiesça Pandora, en s'asseyant sur Morgane pour laisser dériver ses mains sur son tronc.
Morgane murmura quelques approbations, sentant peu à peu son corps s'endormir dans cette chaleur, cette sécurité que lui offrait Pandora. Ces mains agréablement fraiches qui couraient sous son tee-shirt, qui détendaient ses muscles et ses tendons.
Lorsqu'elle sentit que son corps, ainsi que son esprit, s'étaient totalement apaisés, elle sourit dans l'ombre et ce furent ses mains à elle qui vinrent caresser le corps de son aimée.
- On devrait peut-être dire à la sécurité de ne plus laisser rentrer Céleste si elle te fait avoir des cauchemars.
Morgane acquiesça, et la colla contre elle. Elles restèrent enlacées jusqu'au matin, à murmurer ensemble sur les causes et les conséquences de ses cauchemars, s'ils se renouvelaient.
✺
- C'est qui elle ? s'exclama Cassiopée en fermant la porte de son "nouvel" appartement d'un coup sec.
Le Valet n'avait pas le visage tourné vers elle, il lui tournait le dos. Agacée, elle ne pouvait pas décoder de sa posture une quelconque émotion.
- Et toi, t'es qui ? Bordel je suis où ?!
Ange sursauta en se retournant. La jeune femme blonde avait crié, et le timbre de sa voix résonna sur les murs blancs. Elle avait le souffle pantelant, elle paniquait.
Pourquoi voyait elle les murs de l'appartement couverts de sang ? Du sang noir, poisseux. Les grandes baies vitrées en étaient recouvertes, et le cadavre de Franck gisait près d'eux. Elle se retint d'hurler ou de faire un bond en arrière en voyant les yeux de son petit ami, maintenant mort, se poser sur elle.
- Je suis Ange Coeur. Le Valet de coeur. Et Prudence est ma supérieure, ma reine.
Cassiopée recula, grondante et sifflante comme un serpent qu'on aurait pris en chasse. Cette façon nonchalante de parler, de marcher, le fait qu'il ne portait pas réellement attention à ce qu'elle disait... Cela la rendait folle. Folle de rage.
- T'es en couple avec elle ? balança-t-elle en contournant la table de bois au milieu du salon.
- Non.
- C'est...
- La reine de coeur est ma supérieure, répéta-t-il.
Cassiopée tourna la tête, et se retint d'hurler. Le corps de Ness de Saint Vaast, qui avait été un de ses petits amis, gisait, pendu au lustre au-dessus de la table à manger. Des frissons parcoururent son corps, il regarda la jeune blonde de ses yeux blancs et marbrés de sang.
- QU'EST-CE QU'IL SE PASSE ICI BORDEL ?
Cassiopée posa ses deux mains sur ses oreilles, en proie à une frénésie proche de la folie. Son sang battait à ses tempes, et elle avait l'impression de se noyer dans ses propres pensées. Ses propres démons, qui ne voulaient pas la lâcher. Ses doigts attrapèrent fébrilement son tee-shirt, alors qu'elle regardait le Valet de coeur avec une lueur sombre dans le regard.
Celui-ci paraissait moins calme, désormais. Il avait redressé les épaules et dit simplement:
- Je comprend ton désaccord, et je vais t'expliquer la situation.
Cassiopée, les oreilles bourdonnante, ferma les yeux du plus fort qu'elle put. Elle sentait encore le souffle pantelant de Ness dans son cou, mais parvint à l'oublier pour écouter Ange Coeur.
- Tu n'es en réalité qu'un leurre. Ma reine, Prudence, souhaite que je prenne le trône à ses côtés.
- A la place du roi de coeur ?
Cassiopée hoqueta, ses yeux effilés scrutant le langage corporel de son "mari". Le Valet ne dit rien, semblant hésiter, puis déclara d'un air faux:
- Non, c'est compliqué. Seulement, je ne peux assurer cette fonction. Je devais donc déjouer cet affront que j'aurais fait à ma reine, en épousant quelqu'un d'autre. Tu peux donc être libre, faire ce que tu veux. Seulement, devant Balthazar et Prudence, il faudra être l'épouse la plus aimante à mon égard possible.
Cassiopée le regarda, ébahie. Elle regarda le Valet de coeur de haut en bas, l'air dégoutée. Ses sourcils froncés, ses poings serrés, elle ne semblait pas réceptive à ce qu'il venait de lui confier. Sans préambule, elle cracha à ses pieds:
- Tu es un lâche.
Il gronda, écœuré par le geste de la blonde, et recula.
- Quel enfoiré. Tu n'as même pas le courage de me montrer ton apparence, tu te sers d'un mariage pour foutre ma vie en l'air... Va te faire.
Elle contourna la table et s'avança à grands pas vers la sortie. Sans un regard pour l'homme, qui semblait figé sur place, elle traversa un long couloir. C'en était assez de ces conneries. Franck et Ness avaient raison elle...
Devait rentrer à la maison.
**
Cassiopée regarda tranquillement une jeune femme s'approcher du carré d'herbe dans lequel Franck et elle étaient. Elle ne semblait pas la voir, et criait. Sa main tenait un poignard effilé, elle semblait prête au combat. Seulement, la Price n'était pas très inquiète pour cela.
- Dégage, Franck !
Les mots durs qui sortirent de la bouche de la jeune femme qui avançait déplurent à Cassiopée. Contrairement à elle, elle n'avait pas des cheveux emmêlés, sales. Elle se trouvait en parfaite santé, alors que son ennemie était bien amaigrie.
Mais à peine la jeune femme, du nom de Pandora, avait touché l'herbe de son pied, que Cassiopée lui donna un grand coup de pied dans le dos, entre les omoplates. Le coup fut si fort qu'elle tomba à plat ventre, sa tête cogna le sol. C'était ainsi. Manger ou être mangé.
- Pauvre. Petite. Chose, articula Cassiopée en enfonçant son pied dans sa cage thoracique.
- Fuis Pandora !
Mais il était trop tard... Cassiopée allait la tuer, de sang-froid. Elle voyait déjà le cadavre de son ennemie tomber, salir l'herbe verte.
Pourquoi cela ne s'était pas passé ainsi ? Pourquoi avait-elle vu le corps de Franck s'écrouler sur le sol, sous les coups de la camarade de Pandora ? Les plaies béantes dans son dos saignaient abondamment. Il était mort. Il était mort !
Le Valet de coeur entra sans faire de bruit dans la pièce. Le problème de cet appartement était qu'il n'y avait qu'une pièce en bas.
Il contourna le comptoir, qui créait une mince séparation avec le salon, et le lit. Le froissement de sa tenue le gênait, il coupait le silence apaisant de la pièce. Cela faisait seulement un seul jour que sa femme était là. Et pourtant, elle trouvait intelligent de s'en aller.
Lorsqu'il avait vu la Price partir, il s'était dit qu'elle irait se calmer quelque part. Il ne connaissait visiblement pas grand-chose de cette famille, pourtant connue pour sa prestance et ses caprices.
Quelle n'avait pas été sa surprise lorsqu'il avait reçu un appel du père de la blonde, visiblement mécontent. Après quelques échanges d'une froideur monumentale, des deux côtés, Ange Coeur avait compris ce qu'il était arrivé.
Cassiopée, visiblement culottée, avait décidé qu'elle reviendrait "chez elle". Mais elle n'avait pas de chez elle. Le Valet de coeur se demanda songeusement comment Pandora Lane et Morgane Clay avaient pu rester amies avec Cassiopée, puisqu'elle avait tenté de les tuer. Quel était cet amour inconditionnel qui les liait, au point que la "maison" de Cassiopée Price était le foyer du couple ?
Il s'approcha du lit, Cassiopée y était allongée. Il frissonna en voyant la peau marbrée du visage de la blonde. La colère d'André Price s'était abattue sur elle, lorsqu'il avait appris qu'elle s'était échappée. De ce qu'il pouvait constater, elle avait été frappée.
Il soupira, et s'assit sur un côté du lit. Les mains de le jeune femme étaient posées sur le drap qui la recouvrait. "Tu es un lâche". Voilà la phrase qu'on lui avait dit, mais qui résonnait injustement dans son esprit. Non, elle ne pouvait pas comprendre.
Il se releva et prit un chiffon, qu'il humidifia. Puis, il se retourna auprès de la jeune femme, inconsciente. Il posa le tissus mouillé sur son front, remonta le drap jusqu'à son cou pour qu'elle n'aie pas froid, puis se leva.
Il quitta la pièce dans le silence.
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