Chapitre 33: Le bal de l'Amour
Angelina regarda son reflet dans le miroir et inspecta ses traits dans le plus grand des silences. Elle posa ses doigts sous son menton, regarda ses pommettes, ses yeux. Elle s'empara d'un mascara qui trainait sur le comptoir et fit ressortir ses cils roussis. Sans savoir si les tâches de rousseur qui parsemaient son visage pâle étaient belles ou intempestives, elle passa un spray sur sa peau.
- Et bien ?
La voix froide et électrique de la reine Prudence réveilla la peau du bas de son dos qui se couvrit de chair de poule.
- Tu es à demi nue dans une salle de bain et tu te maquilles ?
La rousse tourna son visage vers elle et la regarda de ses yeux profonds, intelligents, silencieux.
- Je suis en short.
- Et pourquoi ?
- Parce que je n'en peux plus, dit Angelina d'une voix rauque et hésitante. Depuis ce mariage, je dois me couvrir tout le temps.
- La nuit doit être compliquée, en effet...
La reine Prudence affronta la jeune femme du regard, les mâchoires serrées. Le Valet savait exactement ce qu'elle voulait dire, et ce n'était qu'un test. On aurait dit qu'elle savait que les deux femmes avaient passés la plupart des dernières nuit à s'embrasser langoureusement et à tester les limites de l'épuisement du corps de Cassiopée...
- Ça va, répondit nettement la jeune femme en courbant l'échine.
La reine la regarda des pieds à la tête avec un rictus... Mauvais ? Jaloux ? Ange n'était pas toujours sûre et n'osait pas toujours la regarder dans les yeux.
- Les cheveux détachés en plus. Et avec du rouge à lèvres... Quelle manie te prends ? À qui crois-tu plaire ?
- À vous, mentit-elle.
À moi. À elle.
- Tu ferais mieux d'enlever toutes ces choses inutiles et de te tenir prête pour le bal. Je me demande combien de temps tu pleureras en voyant ta stupide petite cavalière aux bras de tout les hommes de la soirée.
- Elle fait ce qu'elle veut.
- Comme c'est mignon ? Je sais à quel point tu es un être perverti, jaloux, possessif. Elle le découvrira tôt ou tard et te détruira !
- Comme vous voulez, dit Angelina avec un regard lointain, peiné.
- Regarde moi, petite sotte.
Leurs regards se croisèrent et Angelina dût mettre toute son âme pour ne pas détourner les yeux, ou essayer de lever la main sur elle pour avoir parlé ainsi de la blonde. Elle savait que dans tout les cas, elle serait punie. Plus restreinte encore sur sa tenue, son apparence, son genre. Sur tout ce qui dépassait, pouvait plaire à d'autres que Prudence.
Pourtant Cassiopée était passée outre ça. Et cela avait donné une force nouvelle à Angelina, la force de comprendre que ce que disait Prudence était miné de ses insécurités profondes.
- Oui, ma reine.
- Si ce soir me satisfait, je ferais en sorte que ce mariage soit annulé.
- Oh...
- Comme neuf. N'est-ce pas une belle récompense.
- Oui, bien sûr, ma reine, dit elle en cachant son trouble.
- Bien. Nous nous revoyons au bal.
Elle partit en laissant derrière elle un ouragan de pensées que Angelina n'arrivait pas à réprimer. Et si Cassiopée se remettait en colère ce soir-là ? Si son identité était découverte ? Si elle n'arrivait plus à tenir son rôle et craquait ? Elle sentit sa gorge se serrer.
- Tout va bien se passer. Tu es parfaite comme ça... Cassiopée ne fera pas n'importe quoi. Calmes toi.
Elle poussa un long soupir et passa ses bras autour de ses côtes en se mordillant les lèvres, démoralisée par les mots venimeux de sa supérieure.
- Tout va bien se passer.
Ce fut les mots qu'elle se répéta en enfilant son grand costume, ses gants, ses bottes qui l'étouffaient et la bridaient. En serrant les dents elle se fit un chignon haut, deux mèches folles s'en échappant, et se présenta au bal avec son masque.
Elle croisa le regard d'une fille qui parlait dans son dos, et sentit des chuchotements lorsqu'elle entra. Dans sa grande cape pourpre, sa chemise si large qu'on ne voyait même pas ses côtes, et son masque presque effrayant de vide émotionnel, elle pouvait presque amener la peste. En frissonnant, elle s'avança et souhaitait presque disparaitre dans le mur. Que personne ne la regarde et ne dise encore une fois "monsieur", par pitié.
Elle tourna la tête de tout les côtés, entendant soudain un grand silence. Avait-elle encore fait une gaffe ? Fait tomber une grande duchesse sur sa cape trainante, lourde, pesante à porter ?
Puis elle vit quelque chose qui lui coupa le souffle. Cassiopée venait d'entrer dans la salle.
Elle avait une grande robe rouge à couper le souffle qui descendait jusqu'à ses genoux, ce qui était presque étonnant de sa part, plutôt habituée aux vêtements plus que courts. Elle avait un décolleté anormalement sage et pourtant cet air si séduisant qui ne la quittait jamais. Ses cheveux étaient tressés en une couronne qui coupa le souffle à Angelina. Son rouge à lèvre d'un rouge carmin s'accordait parfaitement avec sa tenue et elle sourit à la foule en faisant un petit signe minaudier.
Tout le monde la regarda avec un regard plein d'admiration, de surprise et d'envie. Et le Valet resta planté là, devant tout le monde, complètement surpassé par sa beauté.
- Tu m'as dit thème rouge, dit elle en s'approchant de lui. Alors j'ai acheté une robe.
La rousse mit un genou à terre, et prit sa main pour y coller sa bouche derrière le masque. Cassiopée gloussa et rougit, flattée et gênée.
- Tant que ça, Ange ?
- Cette tenue te va bien, bafouilla-t-elle en se sentant devenir aussi rouge que ses cheveux.
- Et bah, quel engouement, ironisa la sublime blonde en ne sentant pas qu'elle troublait sa partenaire.
- N-non ! Je veux dire...
- T'inquiètes, on avait comprit que t'étais un bloc-de-glace-trop-mystérieux.
- Je ne pense pas, argumenta Angelina en l'entrainant loin du centre de la foule. Je pense que je n'aime pas parler pour ne rien dire.
- C'est ça, rit-elle. Tu es aussi ennuyeux qu'un citoyen du district 13 !
- Euh... Ils sont tous morts...
- Justement, dit Cassiopée en levant les yeux au ciel. Espèce d'andouille.
- Je ne sais pas si je te permet de dire ça, dit Angelina, consternée par le ton rebelle et railleur de celle qu'elle aimait.
- Tant pis t'as pas le choix.
- Tu ne disais pas ça hier.
Cassiopée grimaça en repensant à leur dispute, la gifle magistrale du Valet pour mettre un stop à ses agissements, et sa crise de larmes.
- Ce n'était pas la chose à laquelle je voulais penser ce soir, Ange...
- Désolée. Mais tu sais, ce n'est pas parce que je ne dis rien que tu as droit de tout faire. Ce n'est pas permis de m'insulter.
Cassiopée sourit et posa ses mains sur ses épaules avant de rapprocher dangereusement son visage du sien:
- C'est dommage, j'adore les interdits.
Le Valet déglutit, sentant son parfum à plein nez comme une senteur de fleur. Elle n'avait jamais fait de bouquet, mais elle était prête à en acheter mille pour lui offrir, tisser des pétales sur sa robe, la maquiller de pollen... Tout cela la dérangeait autant que cela réveillait des centaines de papillons dans son ventre.
- Je crois que je suis en train de rougir, dit elle après réflexion.
- J'adorerais lire dans tes pensées pour voir comment tu es en train de m'imaginer, roucoula Cassiopée à son oreille, chuchotant d'une voix qu'elle savait particulièrement bien faire.
- Crois moi, tu ne veux pas savoir répondit le Valet, malgré un grand sourire qui venait poindre jusqu'à ses oreilles.
Elles se laissèrent entrainer par le rythme du petit orchestre non loin d'elles et dansèrent parmis les convives. Collées l'une à l'autre, Angelina put lui murmurer à l'oreille le nom des fameux barons qui venaient danser ici, étrangers de Panem. Cassiopée les critiquait, passant en revue leurs coupes de cheveux, leurs vêtements, et cela les faisait rire.
Quelle belle soirée en perspective.
✺
Le premier Pacificateur fronça les sourcils et se leva si soudainement qu'il fit sursauter l'homme à sa droite, qui faillit lâcher ses cartes. Elle paraissaient bien petites pour sa grosse main qui ressortait de son armure.
- Putain, tu m'as fait peur ! gronda-t-il.
- Désolé. J'ai entendu un truc.
- Tu m'étonnes, marmonna le dernier d'entre les trois. Tu as vu la tête de la baraque ? Si on avait été affiliés au district 3, croyez moi qu'on aurait pas eu les mêmes problèmes.
Les trois Pacificateurs de garde poussèrent un long soupir. L'un se passa une main dans les cheveux en posant sur la table jonchée de débris de mégots, de taches d'alcool poisseux une carte d'as de trèfle qui fit râler de plus belle son coéquipier.
- On avait dit pas d'atouts ...!
Le Pacificateur qui s'était levé ouvrit la porte pour regarder s'il n'y avait personne dehors. Un seul bruit lui fit tourner la tête. Une ombre qu'il n'eut pas le temps de voir...
Il avait la carotide tranchée. Son regard se figea, ses yeux posés sur ceux, calmes et bleutés à la lueur de la lune, d'une femme au poignard affilé. Elle posa sa main sur sa bouche, l'empêchant de crier quelque chose dans son dernier râle. Le soutenant pour qu'il ne s'écroule pas trop bruyamment, elle murmura à son oreille:
- Vous êtes le sacrifice nécessaire.
Lorsqu'elle rentra à l'intérieur de la cabane des gardes, les deux autres hommes avaient été égorgés de la même façon par Nicolas Clay.
- Bien, dit Iris en essuyant froidement le sang sur son cou. La Rébellion va enfin pouvoir commencer.
Valentin entra à sa suite, frissonnant.
- Longue vie à la Louve, murmura Nicolas avec respect.
- Ne dit pas ça. Allons-y, nous avons beaucoup à faire.
✺
Salomé regarda Gladys dormir avec les sourcils froncés, comme dans un mauvais rêve. Elle prenait le temps à la lumière du petit matin de regarder attentivement la jeune femme.
Elle avait des yeux bridés aux cils collés entre eux, fermés et sereins. Un nez pointu, peut-être refait (on pouvait s'attendre à tout avec les carrières des premiers districts). Ses cheveux étaient noirs et lisses, blondis au bout à cause d'une teinture rose passée car elle était pâle et peu voyante. Sa peau était pâle, ses lèvres recourbées comme celles d'un elfe. Troublée, Salomé détourna le regard. Lorsqu'elle dormait, on aurait dit une personne gentille... Comme cette belle boulangère du coin, ou une fille jolie sur laquelle on se retournerait quand on passe dans la rue.
Elle savait quel visage Gladys pouvait montrer lorsqu'elle était réveillée. Et la corde qui lui liait poings et pieds fermement prouvait que Azur et elle prévoyaient certainement de la tuer.
- Oh, mais... Tu m'as pas réveillé ! dit Azur avec colère.
- Tu dormais si bien. Et puis, je n'étais pas fatiguée.
Il s'étira.
- Qu'est-ce que t'as fait avec ce truc ?
Elle montra la silhouette au loin, à l'autre bout de la Corne d'Abondance. De loin, on aurait cru à une personne éveillée, alerte. C'était tout simplement le cadavre que Azur avait empalé sur un morceau de bois et qui flottait au vent, donnant cette impression morbide de vivant.
- Oh, un petit geste de...
Rebellion.
- Enfin, j'ai fais une blague.
Ils se regardèrent avec gravité avant que Salomé le prenne dans ses bras pour lui faire un câlin.
- Aujourd'hui, on chasse les districts, dit le blond avec confiance.
- Mmh... Okay.
Ils se mirent à faire l'inventaire des provisions qu'ils avaient amassés. Pas mal de viande séchée, quelques conserves, une pelle, deux couteaux dont un imbibé de sang, trois sacs, de la corde et des bandages. Lors de la préparation des sacs et de planques suffisamment crédibles pour y cacher la nourriture sans être volée, ils furent dérangés par un drone.
- Vous avez quelque chose pour vous, fit la voix de Gladys qui s'était maladroitement assise avant de foudroyer les tributs du 1 du regard.
Azur frappa dans le sol devant elle pour lui envoyer de la terre dans le visage avant de s'esclaffer. Salomé réceptionna l'objet volant.
- Oh... C'est un briquet.
Sans savoir si elle était contente ou déçue, Salomé regarda les petits reliefs sur l'objet. Une tête de dragon, des ailes en métal... Elle l'actionna, et de la gueule sortit une large flamme de dix bons centimètres. Les deux sifflèrent, impressionnés.
- C'était le briquet de Morgane, celui qu'elle perdait souvent, fit remarquer le petit Price.
- Tu crois qu'on peut la faire rôtir ?
Ils regardèrent Gladys en rigolant, et celle-ci cracha en essayant d'essuyer la terre sur son visage.
- Bah alors, Glagla, t'as un problème ? dit Azur en se rapprochant, petit adolescent impitoyable.
Salomé le regarda lui donner un coup dans le menton avec le bout de sa chaussure, et elle fut sûre que le petit couinement de douleur que Gladys poussa n'était pas volontaire. Elle se protégea avec ses mains liées, pensant qu'Azur recommencerait plus fort. Ce ne fut pas le cas, Salomé posa sa main sur l'épaule de l'adolescent.
- Pas tout de suite. Elle peut nous être utile.
- Ah ? dit le blond férocement.
- Comme appât.
Salomé expliqua sa technique à Azur dont le visage s'illumina au fur et à mesure, en même temps que celui de Gladys se teintait d'horreur. J'espère que tu me seras reconnaissante, débile, parce que crois moi que je te sauve la vie, pensa Salomé en la regardant avec insistance.
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