Chapitre 18: Comment faire chier son père

- Bon... Moi c'est Azur.

- J'sais.

- Enchanté de faire ta connaissance. C'est vrai qu'on connait déjà nos noms.

Azur se sentit bête et gratta ses cheveux blonds vénitiens, en regardant ailleurs.

- Et toi c'est Salomé. Pourquoi tu t'appelles Salomé ?

- J'sais pas bien.

Elle se tourna vers lui. Il fut surpris par son regard franc et direct, un peu d'humour dans son ton, et son sourire aux lèvres. Elle avait des dents qui n'étaient pas alignées, des canines trop grandes et des dents de traviole, mais ça lui donnait un petit charme.

- Ca veut dire calme, sympa, tout le tralala. Ca devait être l'humour de mes parents à ma naissance, ils m'ont nommé tout ce que je suis pas.

- Tu as l'air sympa, objecta poliment Azur, même si finalement après ce qu'il avait vu d'elle, il ne savait pas très bien.

- Nan. Et toi, demi-portion ?

- Mon nom ? Euh... Je ne sais plus très bien. Mais c'est un ton de bleu, je crois. C'est un peu...

- La pureté, la sainteté et tout les machins comme ça ? compléta Salomé avec un air d'ennui terrible.

Elle pianota sur la vitre en haussant un sourcil.

- Mouais. Le problème c'est qu'ils veulent tous dire la même chose, les noms. Que t'es doux. Jeanne, Salomé, Trucbidule, tout les noms veulent juste dire "t'es gentil et t'es con" au final.

- Tu crois ?

Azur haussa les épaules. Au fond, il se fichait bien de cela.

- Et t'as quel âge ? T'es bien petit pour un garçon de quinze ans.

- J'ai pas quinze ans. J'ai treize ans, objecta Azure en la regardant, étonné.

- What the... Mais quoi ?!

Salomé se tourna vers lui, désabusée. Elle le regarda en plissant les yeux, longuement. Non, il ne rigolait pas. Ce n'était pas une blague de mauvais gout.

- Mais t'as le droit d'être là toi ?

- Oui.

- Ah... J'savais pas. Ben moi j'ai quinze, écoute. Quinze ans et toutes mes dents, quel joli slogan !

Elle chantonna cela en tournant sur elle-même. Azur la regarda faire avec un rire nerveux, mais teinté de sincérité. Elle l'impressionnait, mais semblait assez gentille, au final. Un peu bourrue, mais on apprenait très vite à la cerner.

- Pourquoi tu t'es présentée ?

- Pour faire chier mon abruti de père.

- Attend... Sérieusement ?!

Ce fut au tour d'Azur d'être complètement dépassé. Horrifié, même. Comment pouvait-on décider d'aller se battre pour sauver sa propre vie de son plein gré ?!

- De toute façon, mec, on va gagner. On est le district 1. J'ai été élevée pour ça, je vais pas aller chialer que ma vie est un enfer !

- Ah. Bon.

Azur sentit que les journées seraient longues accompagnées de cette fille aussi étrange.

Les larmes étouffaient sa vue. Brûlantes, pleines de rage. Une colère sourde, qui lui étreignait le coeur. Elle se répandait dans son corps. A commencer par ce mal de crâne horrible depuis qu'elle était rentrée en jet privé. Ses yeux éreintés d'avoir retenu tant de larmes, ses joues d'ordinaire froides, pour garder son teint en porcelaine, qui brûlaient sous les larmes. Sa gorge nouée, qui retenait mille sanglots à la fois. L'impression qu'un rien aurait pu la faire craquer. Même le fait de chercher ses clés dans son sac renforça dans son ventre l'impression qu'un déménageur installait une armoire au fond de son estomac.

Pour compléter le tableau de la douleur psychologique des pieds à la tête, Cassiopée sentait son coeur se serrer. Psychologiquement, mais aussi physiquement. Son coeur battait vite. Elle était passée dans les couloirs tapissés de grands tissus rouges aux armoiries de la reine et du roi de Coeur en baissant la tête, priant pour que personne ne la verrait, ne remarquerait l'état pitoyable dans lequel elle était.

Elle finit par enfin ouvrir cette porte. Cette putain de porte, là, qui ne voulait pas s'ouvrir ! Elle retint un sanglot. Elle était idiote. Voilà qu'elle avait envie de pleurer pour une histoire de clés maintenant. Mais ce n'était pas de la colère qu'elle ressentait. C'était juste de la tristesse... Et ce grand vide.

Tellement énorme. Depuis que Franck était mort. Que cet homme qu'elle avait tant aimé plus jeune l'aie quitté devant ses yeux...

Elle balança son sac par terre. Une liasse de billets s'en écoula pour dévaler le sol à la manière d'un liquide. Merde. Tout son maquillage était dans son sac. Et sa montre qui lui permettait de rester en contact avec sa meilleure amie Pandora. Zut. Mais elle n'alla pas vérifier si le contenant du sac allait bien.

Ce toquard de Valet de Coeur était là, derrière le comptoir. Il était occupé à lire un livre. Lorsque Cassiopée était rentrée, elle l'avait aperçu du coin de l'œil remettre son masque brouilleur. Tant pis. Elle ne désirait plus, maintenant, regarder sous cette parure masquante. Elle savait que pour se cacher ainsi il fallait être laid, et préférait se l'imaginer beau jeune homme. Même s'ils faisaient la même taille et qu'elle aimait les hommes grands et forts.

Elle essaya de faire comme si sa présence ne l'atteignait pas, et balança son manteau sur une chaise montante avec indifférence et dédain. Ange Coeur releva la tête lorsque le manteau atterrit dans un bruissement.

- Mmh ?

- Encore là ? C'est fou ce talent pour me faire chier. T'es un homme d'affaires, tu pars en voyages tout le temps, mais là t'es h24 présent dès que j'ai besoin d'être SEULE.

Ses nerfs étaient tant à vifs qu'elle avait déjà prit sa position de défense. Elle avait les poings serrés, les pieds nerveusement enfoncés dans le sol. Prête à en découdre avec lui, toujours. Mais comme d'habitude, c'était un silence mat qui l'accueillait.

Et comme avec la porte, c'était ce silence qui lui donnait envie de pleurer.

Mais putain ! Dit quelque chose, merde ! Engueule-moi, crie-moi dessus, crache tout ce que tu as, frappe-moi, met moi à terre et fais de moi une loque ! Fais tout ce que tu voudras, donne moi envie de répondre à tes coups, à ta haine, à tout ce que tu as de malsain en toi ! Donne moi envie de m'enfuir ! De fuir le mal ! Ne me laisse pas... Ne me laisse pas devenir la personne que j'aimerais que tu sois... Ne me laisse pas l'être encore ! J'ai tellement besoin qu'on m'aide à être une bonne personne. J'ai tellement besoin d'avoir une petite voix dans ma tête comme celle de Pandora, qui me dise ce qui est bien et ce qui est mal. J'ai tellement besoin de quelqu'un qui sache qui je suis !

- Tu as besoin que je te laisse ? demanda le Valet de Coeur au bout d'un moment.

Il regarda son livre, puis la jeune femme, dont le souffle s'était accéléré. Toutes les pensées défilaient dans sa tête, les souvenirs, les douleurs, les larmes, les cris, la peine...

Mais t'es rien. T'es rien de ce que j'ai connu. J'ai toujours eu le contrôle sur les hommes avec qui je sortais. Franck était un ami d'enfance avec qui j'avais décidé de commencer à sortir parce qu'il y avait plus que de l'affection. Les autres étaient des hommes attirés par mon physique. Des bons à rien, de simples corps. On était tous des corps avec lesquels je jouais. Et que je jetais. Je les voulais, je les obtenais. Et je me lassais. Mais toi tu es tellement différent. C'est toi qui m'a eut, et c'est moi qui ne veut pas de toi. C'est toi qui peut faire ce que tu veux, c'est moi qui suis prise au piège dans ce petit jeu de mariage. Pour une fois, je ne pourrais jouer d'aucun charme sur un homme.

Son visage avait rougi et son regard s'était noirci. Ses cheveux tombaient sur son visage amaigri par l'aigreur de la vie. Le Valet se leva avec un peu plus d'enthousiasme que son habituelle tranquillité passive. Il contourna le muret de pierre pour venir se pencher sur elle avec, elle l'espérait, consternation.

- Cassiopée.

- Mais dit quelque chose, merde ! dit soudainement Cassiopée qui sentit la fin de sa phrase se décomposer de douleur.

Un sanglot déforma ses lèvres, tout son visage se tordait. Elle avait mal. Tellement mal. Et le monstre qui était en elle, qu'elle s'était toujours efforcée d'être, forait ses organes. Elle vacilla. Sa plainte déchira l'air, le silence qui lui pesait devint une litanie. Le Valet ne paraissait pas bouger d'un cil derrière ses longs habits qui pendaient sur son corps inaccessible.

- Ange, merde !

Ce cri perça la pièce à nouveau. Comme si Cassiopée ne l'avait pas voulu, il s'était frayé un chemin dans son esprit. Mais qu'est ce que c'est que ces absurdités, se faire aider par ce toquard. Et puis quoi encore ? Tomber amoureuse de lui ?

Fonder une famille et se faire des raclettes tous ensembles ? Rire et se rappeler les bons souvenirs ? "Tu te souviens la fois où tu m'as achetée comme du bétail et que tu m'as marié sans mon consentement ? Qu'est-ce que c'était drôle, hahaha !"

Elle aurait voulu le frapper au visage. Déchiqueter ce masque stupide avec ses dents, tout de suite. Comme un animal, comme un chien. Ne faire de lui qu'une simple boulette de papier qu'elle jetterait aux ordures. Pourquoi elle n'y arrivait pas ?

Peut-être parce qu'il était un homme. Que son parfum sentait bon le garçon. Simplement.

Un mois passé en sa compagnie, déjà, et elle s'habituait peut-être. Voilà tout.

Elle eut un moment d'absence avant de sentir un contact doux. Un oreiller sous sa tête. Des mains de velours qui venaient la poser sur leur lit. Son propre souffle, ses sanglots, ses pleurs et sa tristesse. Son corps était lourd, mais brûlait aussi sourdement. Comme le sang à ses tempes qui battait au rythme de son coeur. Badoum, badoum. Elle le regarda sans le voir vraiment et pleura sans retenue. Il s'était assis à côté d'elle, en ayant retiré ses lourdes chaussures de cuir.

- Pourquoi tu n'es pas un monstre ? finit elle par sangloter.

Elle n'eut pas de réponse -évidemment, ç'aurait été trop beau-, mais trouva du réconfort dans son silence.

- Je n'arrive pas à te détester...

Le Valet de Coeur se pencha vers elle et elle le prit par le col. Elle sentit la surprise d'Ange Coeur, qui se raidit légèrement. A force de devoir deviner ce que l'impassible Valet pouvait penser, elle était toujours attentive à ses mouvements de corps, d'épaule, sa façon de se tenir. Et elle sentait que c'était le moment. Le moment de penser à elle même.

- C'est compliqué, souffla Ange.

- J-j'en ai marre d'être une connasse.

C'était sorti spontanément. Le Valet eut un soufflement de nez amusé, signe qu'il riait un peu. Ses épaules se secouèrent comme pour réprimer un rire et il déclara:

- Tu n'es pas une connasse.

Il se pencha encore et Cassiopée retint son souffle. Elle sentit ses yeux s'assécher pour s'écarquiller presque naturellement, ses lèvres se tendre. C'était un reflexe humain. Rien de plus (qu'est-ce que ça pouvait être d'autre, de toute façon ?)

Elle sentit sa main gantée se poser sur ses yeux. Aveuglée, Cassiopée émit un petit bruit étranglé, la gorge en feu d'avoir tant pleuré. Leurs souffles se rapprochaient et Cassiopée avait toujours l'impression de brûler de l'intérieur.

Mais pourtant, ce n'était pas un feu de détresse. Pas une fusée qu'on aurait lancé dans le corps de la blonde pour allumer ses organes. C'était un petit feu qui réchauffait doucement son coeur. Son coeur ? N'importe quoi.

Encore une fois, Cassiopée sentit une masse au niveau du poitrail du Valet. Il s'était tant penché sur elle... Leurs corps se touchaient et cela fit frissonner d'une excitation nouvelle la jolie jeune femme. Le fait qu'il avait posé sa main sur ses deux yeux rendait ce petit jeu encore plus nouveau pour Cassiopée. Ne pas contrôler, ne pas manipuler. Juste ressentir... Cette chaleur.

Elle tendit les lèvres et reconnut son cou. Et l'embrassa. Elle ne savait pas pourquoi. Mais ça lui semblait soudain important. Comme si elle parlait avec lui, comme si le suçon qu'elle venait de lui faire était la conversation la plus intense (et la seule) qu'ils aient jamais eu ensemble.

Et elle aima ça. Non ! N'importe quoi, c'était lui qui avait posé sa tête contre la sienne, qui l'avait forcée à rencontrer sa jugulaire à ses lèvres. Cassiopée n'arriva pas à se rebeller, car c'était bien elle qui embrassait cette peau à découvert.

A découvert ? Le Valet avait donc enlevé son masque. Elle voulut tendre la tête pour l'embrasser. C'était simplement la tristesse qui la faisait agir comme cela. Elle avait toujours eu besoin d'occuper sa bouche. Mais elle n'eut pas assez de liberté de mouvement pour le faire, et sentit une légère pression au niveau de la main sur ses yeux. Il embrassait ses yeux à travers sa propre main.

- Ange n'est pas mon nom. C'est le diminutif de mon vrai nom.

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