Chapitre 14: Tomber amoureuse avant le bal

- Si vous devenez Mentores, votre côte de popularité augmentera, voilà ce que j'en pense, dit Dan Lee en regardant les ongles de sa main abîmée avec lassitude.

Dan se tourna vers la fenêtre qui laissait passer un grand soleil depuis l'extérieur. De toute façon, à toutes les saisons, il faisait toujours beau au Capitole. Pandora commençait à se dire que la pluie lui manquait.

Ils étaient tous assis autour d'une table, Morgane qui tripotait l'anneau à son nez avec une moue douloureuse, Pandora qui regardait le soleil avec nostalgie et Dan qui ronchonnait. Elles donnaient souvent rendez-vous à Dan. Depuis que Valentin était parti et que Kaloss ne pouvait plus vraiment s'occuper d'elles et les embêter de sa présence colorées, le couple se trouvait bien embêté. Sans avis extérieur d'un adulte, d'un conseiller avisé, elles avaient l'impression d'être désoeuvrées. La présence réconfortante de Dan Lee, l'ingénieur casanier, les aidait bien.

Elles étaient venues le voir pour s'opposer l'une l'autre à propos de l'histoire de cette femme, doyenne. Morgane ne voulait pas s'engager dans quelque chose et être la Mentore de son garçon, Pandora voulait tout le contraire.

- C'est si important que ça, la popularité ? grogna Morgane en agitant ses cheveux bruns coupés courts.

- Clairement. Il y aura bien un jour où les revenus de vos Hunger Games ne vous entretiendrons plus. Il va falloir trouver autre chose, et plus vous serez appréciées du Capitole, plus vous aurez le choix. Je vous rappelle que vous venez du district 10.

- C'est pas la joie là-bas, dit Morgane en grimaçant.

Elle allait souvent retrouver sa famille, avec qui elle était très proche. La misère du district la frappait de plein fouet. Pandora gardait en mémoire la fois où Morgane s'était fait frapper dans la rue par quatre gamins qui criaient "À mort le Capitole !"

Pandora croisa le regard de Morgane, qui s'était soudain assombri. L'étincelle de colère, de feu dans ses yeux venait de se rallumer soudainement... Elle qui s'était éteinte il y a bien trop longtemps. Cette étincelle de rébellion. Morgane releva le menton et prit la main de Pandora.

- Je crois que je me suis perdue.

Il y eut un blanc. Dan Lee la regarda, puis regarda Pandora avec un air intrigué. Il ne dit rien, et laissa les pensées de Morgane défiler à toute allure dans sa bouche, trébuchant sur ses lèvres rouges carmin, se prenant dans ses cheveux brossés.

- J'étais indocile. Libre. Sauvage, j'étais tellement de choses avant. Quand je suis montée sur cette estrade, quand on a tiré mon nom de la coupe, j'avais envie de dire tellement de choses à tout le monde. De les insulter, de me tirer et cassant le bocal sur la tête de la présentatrice... Je... J'étais vivante !

Morgane tripota de sa main libre le petit automate qui marchait nerveusement sur la table qui les séparait de Dan.

- J'étais née de la colère. J'avais pas de parent, pas d'argent.

- Mon coeur...

- Et puis on est rentré dans ce truc. On a combattu, on a tué. J'ai tué tellement de gens. Et je suis morte à chaque fois que mon poignard rentrait dans quelqu'un.

Elle sortit de sa poche le dragon de fer blanc, ce drôle de briquet qui avait appartenu à Ibis, une des Mentores. Qui avait appartenu à Gabriel après cela... Avant d'être partagé par le couple rescapé.

- J'ai tué Gadjeel. J'ai tué Franck...

- Ne t'inflige pas ça, dit Pandora d'une voix douce en serrant sa main dans la sienne.

Elle savait que ce que disait Morgane s'apparentait à de l'autoflagellation. Morgane n'arrêtait pas de répéter qu'elle était une meurtrière. Qu'elle n'était pas quelqu'un de bien. C'était les restes des Hunger Games en elle, qui vivaient pour toujours et qui seraient là éternellement à la ronger. Mais Morgane était plus forte, désormais. Elle n'était pas l'adolescente qui s'était laissée enfermer par Dimitri. Qui s'était laissée manipuler par les rebelles.

- Je dis simplement la vérité. Je veux redevenir la combattante que j'étais autrefois. J'en ai marre du Capitole. J'ai besoin qu'on fasse quelque chose d'autre.

- Alors devenons Mentores ! dit Pandora en hochant la tête, essayant d'aller dans son sens.

- Tu pourrais faire le bien, ça c'est sûr. Et avec rémunération. Grâce à votre somme amassée en ces jours, le garçon pourra recevoir des cadeaux dans l'arène. Vous pourriez le sauver.

- On ne peut pas sauver tout le monde, dit Morgane avec une voix brisée.

Ses yeux prirent une teinte ocre, alors que ses yeux s'embuaient légèrement. Elle prit une profonde inspiration, se sentant observée par Dan Lee et par Pandora. Le silence les entoura tout les trois, profond, réfléchi. Dan Lee regarda sa montre avec douceur, sentant l'heure de son départ arriver.

- Princesse ? J'accepte, dit la brune en se levant.


La reine de coeur regarda son reflet dans le miroir. Ses pommettes hautes, son regard glacé, ses yeux bleus glacier qui auraient fait fondre quelqu'un d'un seul coup d'oeil. Sa petite bouche mince, prête à s'ouvrir pour dire toutes les horreurs du monde...

Elle se trouva parfaite comme cela. Les pans de sa robe virevoltèrent alors qu'elle se retournait. Sa tête se pencha alors que ses yeux qui ne cillaient pas regardaient le Valet de Coeur. Un petit sourire vint parfumer ses lèvres, et elle plissa les yeux.

- Les chiens reviennent toujours en rampant à leur maitre... N'est-ce pas ?

Le Valet ne dit rien, se tenant bien droit sur lui-même. Il la regardait, enfin tournait la tête en sa direction.

- C'est bien.

La reine semblait presque voler au dessus du sol. La robe qu'elle portait masquait ses pieds et elle se déplaçait avec grâce. Elle posa sa main sur la joue métallisée d'Ange.

- Tu veux que j'enlève ce masque n'est-ce pas ? Pour que je puisse voir tes jolis yeux ?

- Oui.

- Et bien... Non.

Elle approcha son visage du sien en souriant. Ses yeux étaient des gouffres glacés, des toundras inquiétantes. Son visage entier était comme un aigle, un prédateur penché sur sa proie. Son corps longiligne et fin s'était presque collé au sien tel une araignée. Les pans de son vêtement flottaient sur les longues chemises d'Ange, qui frissonnait du contact de son corps au sien. Mais comme hypnotisé, il ne bougeait pas. Il était livide, pétrifié par ces lèvres qui s'approchaient des siennes.

- Tu penses vraiment m'échapper en te mariant ? Imbécile. Cette fille ne t'aimera jamais. Pourquoi ne t'es-tu pas marié avec un homme ?

- ...

- Ton mutisme m'aura à chaque fois. Mais je saurais te faire parler. Je sais pertinemment que c'était un mariage arrangé. Il n'y a pas une once d'amour entre toi et elle.

Mais Ange Coeur restait silencieux, buté, soumis à cette folie glacée qui prenait Prudence. Celle-ci s'empara avec brutalité du visage masqué de celui-ci.

- Très bien !

Elle lui serra la mâchoire à s'en faire mal aux articulations, et cracha avec haine, gardant toujours cet air de sainte, d'intouchable qui la caractérisait.

- Si au bal, je n'ai pas la preuve que tu l'aimes et qu'elle t'aime... Je te ferais couper la tête.

Le Valet eut un mouvement de recul, pour essayer de lui échapper... Mais c'était impossible. On ne résistait pas à Prudence, la reine de Coeur.

- Très bien, balbutia-t-il enfin.

- Et si tu lui révèles ton secret... Je te promet de lui faire manger tes entrailles après ta mort.

Un soufflet partit. Le Valet avait enlevé son gant blanc pour donner une grande claque avec le tissus dans la joue de Prudence. Celle-ci écarquilla les yeux avant de le regarder et de se figer. Tout deux se regardèrent un moment, horrifiés. Puis la reine de Coeur dit d'un ton sec:

- Tu t'attaches à elle ? Plus qu'à moi ? Mais qu'est-ce que tu vas faire, sans moi ? Idiote.

- Ne parlez pas d'elle comme ça.

- C'est une petite pute. Elle couche avec tout le Capitole ! gronda la reine avec fureur.

- C'est faux.

Le Valet de Coeur tourna les talons, avant de claquer la porte en marchant à pas lourds. Désabusée, Prudence tint sa joue rougie par le soufflet avec les yeux plus gros que des soucoupes. La colère et la frustration la firent hurler de rage.

- TU NE PEUX PAS ! TU NE PEUX PAS M'ÉCHAPPER ! 

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