Epilogue
Rebecca Hartleben ajusta son chapeau de paille, puis sirota son eau de coco.
Un été vigoureux s'abattait sur le Brésil tout entier et, étouffé par le béton, Rio de Janeiro souffrait. À l'abri sous le parasol d'une terrasse, des lunettes de soleil sur le bout du nez, l'Allemande observait les travailleurs s'agiter. Là-bas, un petit marché perdurait ; on voyait des étals submergés par des épices, des fruits, des graines, et mêmes des empadas, la spécialité locale. La marchandise des boutiques débordait sur la rue, et quelques conducteurs impatients klaxonnaient tout en essayant de se frayer un chemin parmi la foule.
Loin du quartier chic où elle avait posé ses valises et de l'hôtel cinq étoiles où elle passait ses nuits, la femme appréciait voir le monde renouer avec la vie. Cela la rassurait et la remplissait de fierté à la fois : en partie grâce à elle, la simplicité de cette scène quotidienne existait toujours. Un sourire ravageur et détendu étira ses lèvres.
- Qu'est-ce qui te fais rire ainsi ? s'enquit-on.
La fée leva les yeux et baissa ses lunettes pour mieux observer l'homme qui l'accostait. Sa veste, et ses cheveux blonds paraissaient plus soyeux qu'à l'accoutumé. Sur son visage, un air insouciant et enfantin avait été placardé. La femme déplaça son sac à main Chanel pour lui permettre de s'asseoir sur la chaise en face d'elle.
- Tu m'as manqué, Nicolas.
Il commanda dans un portugais parfait un caldo de cana, une boisson à base de canne à sucre.
- Ces deux derniers mois ont été longs, je te l'accorde, lui répondit-il une fois installé. J'ai enchaîné conférences de presse et récompenses nationales - désormais, je suis quelqu'un de respecter et d'admirer... ça me change. Je crois que les humains n'ont jamais été aussi reconnaissants d'être en vie.
- Ne t'enflamme pas trop, le nargua la femme en reprenant une gorgée de sa boisson, d'un air malicieux. Ils auront tout oublié d'ici deux semaines, au profit de l'élection Miss Monde, ou que sais-je d'autre encore. Quant à moi, je suis retournée en Allemagne. Le Chancelier m'aurait plutôt préférée morte que vive, mais cela ne m'étonne pas. Il a comme... Une dent contre moi ! Quelques agents secrets semblaient sincèrement heureux de me revoir, je crois. Les impôts m'ont rapidement rattrapée. J'ai revu quelques amis qui erraient encore à Berlin ou Hambourg. Je... J'ai fêté mon anniversaire avec ma sœur.
« J'ignorai qu'elle avait une sœur... », songea l'homme en l'observant avec la tendresse de quelqu'un heureux de revoir un proche.
- Ne tourne pas autour du pot, répondit-il du tact au tact.
- Je suis retournée là-bas.
- Je m'en doutais. Que va devenir l'Organisation Secrète ?
- Elle va suivre le chemin prévu initialement, j'imagine, répondit Rebecca en haussant les épaules. C'est-à-dire qu'elle se reconvertira en centre de protection des créatures magiques et surnaturelles. Arthur sera enfermé là-bas ; les gouvernements n'ont de toute façon pas leur mot à dire. Eh, d'ailleurs, je voulais m'excuser...
- Pourquoi donc ?
- Pour ce que tu as appris sur moi et l'Organisation. Et la manière dont tu as appris. Arthur n'est pas très fin, parfois ! Je ne veux pas que tu me prennes pour quelqu'un d'irrespectueux et d'infidèle.
- Ne t'en fais pas, je comprends très bien, Rebecca. Un gouvernement abusait de toi et te faisait vivre le martyre, alors lorsque l'occasion s'est présentée, tu t'es révoltée. Et tu as pris le contrôle de la base militaire.
- Violemment.
- Tu t'es battue violemment.
- Et je crois que sans m'en rendre compte, j'ai plongé dans cette violence, comme si elle pouvait à la fois me protéger et m'aider. Et je ne m'en suis jamais vraiment sortie... Je n'ai jamais été un agent allemand. Enfin, je pense que certains de mes collègues s'en doutaient, mais qu'importe ! Ils n'ont jamais rien dit. Mon objectif primaire était de gérer l'Organisation Secrète. Désormais, cela n'a plus d'importance car j'ai l'intention de quitter mes fonctions : je ne suis plus la cheffe ni de cette foutue secte magique, ni de qui que ce soit. De toute façon, j'ai l'intention de changer radicalement de vie.
- Comment cela ?
- Je vais rejoindre le Monde des Magiciens. L'idée me trottait dans la tête depuis un bon bout de temps, et la discussion que j'ai eue avec la Gardienne m'a ouvert les yeux. C'est délicat à dire, mais je ne suis plus à ma place, ici... J'ai comme l'impression que je n'avancerai plus. Ce Monde m'a emmenée jusqu'à ses frontières, et je ne pourrai pas aller plus loin. Je suis jeune et j'ai encore des choses à réaliser. J'espère que tu comprendras.
Quelques minutes passèrent sans qu'aucun des deux n'ose parler. Une vague de tristesse envahit Nicolas et serra son cœur : ainsi donc, ce rendez-vous était un adieu. « Et moi qui m'étais imaginé encore de nombreuses aventures avec elle... Je comprendrai. Je ferai cet effort, évidemment. Si moi, j'en suis incapable, qui le sera ? »
- Le monde des Magiciens n'est pas une destination sûre, en es-tu consciente ? As-tu oublié ce que t'as dit Blodeuwedd ?
- Je sais tout cela. Et Blodeuuwedd m'a conseillée d'y aller si j'étais assez puissante pour me battre. Nicolas... Je suis une fée. Je sais me battre, et je suis persuadée que là-bas, je ferai de grandes choses.
Le blond soupira. « Des grandes choses ? Rétablir l'ordre et la paix ? Pff... Même moi je n'y crois pas. Personne n'en veut, de la paix. Même les sauveurs. »
- Bonne chance, dans ce cas, lui dit-il sans exprimer ces doutes.
- Merci.
Elle sourit, sincèrement touchée par ses paroles.
Nicolas, qui souhaitait aborder un sujet tout aussi grave que celui-là, reprit :
- Je pensais te voir à l'enterrement d'April-Avril.
- Je savais que mon absence te décevrai. Que veux-tu que je te dise ? Je ne me sentais tout simplement incapable de te revoir si tôt. De quoi aurions-nous parlé ? De la pluie et du beau temps ? Du quotidien désormais ennuyant ? Je sais que cela peut paraître idiot, mais je ne me voyais pas discuter de choses basiques et éviter avec embarras les sujets qui fâchent.
- Alors comme ça, tu me fuyais...
- En quelque sorte.
Sur un plateau en bois, une serveuse apporta enfin la boisson que Nicolas avait commandée. Ce dernier se remémora tristement le tragique évènement : Av, agonisant, refusant de succomber à ses blessures - il avait tout fait pour rester en vie, demandant même à Rebecca d'utiliser la poussière féerique des fées, lotion de l'immortalité. La scène avait été grave ; pressentant cela, Nicolas lui avait dit, et il entendait encore distinctement ses mots résonner : « peut-être n'est-ce pas à toi de décider si tu dois continuer de vivre ou pas ? » Oui, ce n'était pas à lui, et Av avait compris cela. L'impossible s'était alors produit : Noah, la personnalité initiale de son corps s'était réveillée. Et elle avait enfin accepté de s'en aller, comme elle aurait dû le faire il y a des années, lors de son accident de voiture. Cependant, une chose embêtait encore le blond.
- La poussière féerique ne rend pas immortel, n'est-ce pas ? demanda-t-il à Rebecca.
- Effectivement, dit-elle sincèrement. C'est une rumeur, un racontar, un conte de fée. Rien ni personne ne possède le pouvoir d'immortalité. Pas même les Magiciens. Enfin... Je suppose qu'il est possible d'y accéder grâce à un quelconque artefact. Mais c'est un pouvoir bien trop puissant pour le commun des mortels - même si je l'avais, je ne l'aurais pas donné à April-Avril. Pour en revenir à lui, je pense qu'un mensonge vaut parfois mieux que la vérité.
Son discours fit profondément réfléchir Nicolas : bien sûr, dans ce cas-ci le mensonge primait, en dépit de la morale. L'idée d'être immortel lui resta aussi en travers de la gorge : il était convaincu que quelque part dans l'univers, quelqu'un maîtrisait l'immortalité - un Gardien, peut-être, ou un Dieu. Après tout, le monde qui les entourait était infini. « Combien de créatures ont-elles vaincu la mort ? Une ? Une dizaine ? Un million ? Aucune ? Combien de créatures sont-elles sur le point d'y parvenir à cet instant précis ? Quels secrets renferment l'Infini ? » Voilà qu'il se questionnait sur l'immensité du néant et de la logique de sa vie !
Mais quand même, il voulait savoir :
- Qu'aurais-tu fais si Noah ne voulait pas partir ?
- Rien. Il serait mort dans la tourmente.
« Évidemment. »
Un temps passa. La gendarmerie locale fit une apparition brutale dans le coin d'une rue, et arrêta trois jeunes hommes qui visiblement n'étaient pas très nets. Un couple se disputa violemment au point que des regards inquisiteurs de passants vinrent les observer.
- Je peux te demander quelque chose ? fit Nicolas.
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