6 bis
L'autre réfléchit quelques instants.
- Avant de devenir la passerelle entre ces deux mondes, mes amis m'appelaient « Blodeuwedd ».
L'Allemande but une gorgée de sa tisane, en observant la créature comme si elle était une bête de foire.
- Je suis née et j'ai vécu mon enfance chez les Magiciens, commença l'autre en se replongeant dans ses souvenirs. Ce fut une époque tranquille, la meilleure de ma vie. Puis tout a dérapé avec la guerre opposant les Magiciens au monde Papillon. Vous êtes au courant, n'est-ce pas ?
Le silence qui suit fut éloquent.
- Fichtre ! Cette planète est bien plus recluse que je ne le pensais. Cette guerre a secoué pourtant l'Univers entier ; impossible que vous n'ayez pas ressenti les conséquences.
- Quand cela s'est-il déroulé ?
- Oh, il y a... C'est plutôt récent. Un million d'années, je dirais ?
Ceux originaires de l'Ici éclatèrent de rire. Les différences de vie et de culture entre eux et cette créature les impressionnait, et était propice aux quiproquos.
- Nous n'existions pas, il y a un million d'années, expliqua Rebecca en apportant sa tasse à ses lèvres.
- Est-ce vrai ? Mais quel âge avez-vous ? s'étonna Blodeuwedd, qui n'avait apparemment pas eu l'occasion d'échanger beaucoup avec des êtres humains.
- J'ai trente-huit ans, répondit April. Quant à Rebecca et Nicolas, ils ont respectivement vingt-huit, et trente-deux ans. Et vous ?
- Je viens de dépasser le million, justement.
- Permettez-moi de vous rassurer : vous ne les faites pas !
Ils s'amusèrent encore une dizaine de minutes à recenser toutes les étrangetés présentes chez les uns et les autres, avant que la Gardienne reprenne :
- Cette guerre dura un seul et unique jour, mais ses conséquences furent dramatiques : l'Alliance des Puissants Royaumes fut rompue. Les petits peuples, incapable de rivaliser avec les deux acteurs majeurs de cette querelle - le monde Papillon et les Magiciens -, durent choisir leur camp ; rares étaient les neutres comme l'Ici. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai choisi de m'installer sur cette planète : pour son calme, bien qu'à la longue, cela m'exténue. Vous m'avez dit vouloir retourner chez les Magiciens, mais laissez-moi vous mettre en garde : ce monde est devenu une dystopie froide et impitoyable. Le chaos règne, le gouvernement s'en prend aux innocents, les plus riches contrôlent la presse - ou du moins, ce qu'il en reste -, le peuple vit au rythme des rébellions et des coups d'état. Les Magiciens sont en roue libre. Voici la vie que j'ai décidé de quitter. De plus, j'étais follement amoureuse d'un papillon, une romance, bien entendu, interdite. Ah ! Amaryllis était douce, belle, attentionnée, intelligente... Elle me plaisait. Nous étions faits l'une pour l'autre, mais bientôt, nos retrouvailles furent de plus en plus difficiles. Un jour il fallait échapper aux gardes, l'autre, braver des systèmes de sécurité toujours plus élaborés. Nous avons tristement et rapidement abandonné. Comprenez-vous, ce pays m'étouffait. Comme un bon nombre de Magiciens pacifiques, je décidai de fuir cette vie-là. D'ailleurs, peu de temps après mon départ, les Autorités décidèrent de fermer les frontières. Moi, je dis que ce monde a besoin d'aide. Vous, vous êtes une fée. De réputation, je les sais assez puissante. Très bien. Si vous pensez être assez puissante pour organiser un coup d'état et renverser le régime autoritaire mis en place, allez-y, allez les aider. Moi, je ne peux plus. En revanche, si vous comptiez simplement faire du tourisme ou vous installer là-bas dans l'espoir d'améliorer vos conditions de vie, changez de plan. Ce serait un sacrifice inutile.
- Pourquoi ne pouvez-vous plus vous rebeller ?
- Pour une magicienne, je suis relativement âgée, et me mouvoir me fatigue un peu plus chaque jour. Ensuite, je dus sacrifier une part importante de mes facultés pour devenir une Gardienne. Certes, je ne suis pas une importante gardienne : après tout, je ne relis que l'Ici au monde Papillon. L'Ici ne vaut rien, dans la guerre et le commerce magique. Désolée si cela vous chagrine, mais vous n'êtes qu'un point à peine relié à la planète la plus proche de vous. D'un certain point de vu, je comprends votre désir de quitter cette planète - elle est si... éloignée du Reste. Je suis devenue la Gardienne de l'Ici d'abord car je le souhaitais : ce ne fut pas très compliqué, et on est bien lot et nourri, généralement - voyez comme ce manoir est confortable. Après avoir rejoint le Cosmotarium, lieu où se croisent les chemins de toutes les Galaxies, je passai une simple initiation, et me voilà envoyée ici en peu moins de cent ans ! Puis-je, à mon tour, vous poser une question ? Que faîtes-vous dans ce château ? Etiez-vous au courant de ma présence ?
- Oh ! non, loin de là, même. Nous logeons temporairement dans ce Castle afin d'affronter une créature magique menaçante - le combat aura lieu demain, si cela vous intéresse. Ce sont nos dirigeants qui nous ont dépêchés ici, mais nous sommes heureux d'avoir pu faire votre connaissance.
- Qui allez-vous affronter ?
- Un humain du nom d'Arthur, maîtrisant les Phénomènes.
- Ah ! Les Phénomènes ! Une faculté puissante, n'est-ce pas ? Je pourrais vous aider, si l'envie me prenait. D'ailleurs, elle me prend. Vous savez, même si j'ai perdu de ma souplesse et de ma puissance, je pense être toujours capable de vous affronter, et de gagner.
Cette perspective enchanta Nicolas : il avait entendu maintes magicologues spécialisés dans l'observation des créatures de l'Au-Delà, dire que les Magiciens étaient les créatures les plus puissantes de l'Univers. Bien sûr, nous étions sur Terre, et il devait y avoir encore de nombreuses choses que ces spécialistes de la science magique ignoraient (de plus, ceux qui avançaient des théories bouleversantes et révolutionnaires étaient souvent censurés par l'État ou l'Église... Oui, la découverte de la Magie semblait avoir fait régresser les humains, concernant l'ouverture d'esprit et leur approche de la vérité). Même si Blodeuwedd affirmait avoir perdu une partie de sa puissance en devenant une gardienne, il devait lui rester encore quelques facultés. Quoi qu'il en soit, le blond pensait qu'une aide extérieure, quelque soit son niveau d'utilité, était la bienvenue, n'en déplaise aux hautains et aux renfermés. Cette méthode fonctionnait : voilà des lustres qu'il n'avait pas échoué lors d'une mission.
- Eh bien ! soupira April en haussant un sourcil. Si vous vous sentez apte, accompagnez-nous. Avec votre accord, nous pourrions peut-être envoyer Arthur chez les Magiciens - une dictature, il devrait se sentir sa place ! Quoi que la mort lui conviendrait aussi.
- Infliger ce châtiment à un ennemi terrassé n'est pas noble, la rabroua Nicolas.
- Encore faut-il le terrasser.
- Nous y parviendrons : une magicienne, une fée, deux Hommes surnaturels... Comment nous résistera-t-il ?
- Par bien des manières, j'en ai bien peur...
Rebecca, spectatrice silencieuse de ce dialogue, ne dit rien et se mura dans un profond silence. Demain, le dénouement... Demain, jour si attendu mais si terrifiant... Qui sortira vainqueur ? Comment s'organiseront les retrouvailles ?
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