5
Nicolas passa une nuit douloureuse et remplie de cauchemars. Rien, pas même la douceur des couvertures et les antipsychotiques qu'il avait prises quelques heures auparavant, ne l'apaisait : la conversation qu'il avait eue la veille avec Av l'effrayait encore. Vers quatre heures du matin, il comprit qu'il ne parviendrait pas à dormir plus que cela, et quitta son lit. Par la fenêtre, une lune colorée et bien ronde brillait.
Sans faire de bruit, il sortit de sa chambre et emprunta le couloir de gauche. La lampe torche de son portable éclairait une tapisserie fleurie qu'il ne reconnaissait pas. « Je suis quand même dans mes propres appartements ! » bougonna-t-il. En continuant son chemin, il rencontra des majestueuses robes embellies par des broderies, des pierres précieuses éclatantes, et même quelques plumes de paon, trôner ici et là sur des mannequins de cire.
Au bout du couloir, il distingua une faible lueur qui émanait d'une salle qu'il n'avait pas remarquée. « Est-ce la fatigue qui me joue des tours ? » s'interrogea-t-il en suivant la lumière avec curiosité.
La salle de cinéma dans laquelle y émergea le laissa bouche bée. Le film qui tournait, un vieux long-métrage de vampires en noir et blanc, mettait en évidence, par sa qualité d'image et son audio digne de la réalité, un matériel high-tech performant que rien ne venait égaler. On devinait aisément que les fauteuils rose pâle avaient été fabriqués par un grand designer et sur-mesure afin qu'ils s'emboîtent parfaitement dans les dimensions de la salle.
Assise au centre de la pièce, une femme regardait attentivement l'écran. Sa queue-de-cheval haute remuait au rythme de ses mouvements de tête, et un pot de popcorn était posé sur ses genoux.
- Rebecca ? s'enquit Nicolas en s'approchant. Que fais-tu là ?
Elle ne réagit pas. L'homme se rapprocha alors d'elle et s'installa à ses côtés. Sur l'écran, deux acteurs s'agitaient, s'embrassaient langoureusement, et se forçaient à pleurer pour tenter d'émouvoir le spectateur. « C'est très mal joué » jugea l'Américain en chassant les quelques papillons morts qui trainaient, et en se calant ensuite confortablement dans le fauteuil. L'instant fut cependant magique. Aucun des deux n'osait bouger et rompre la mélancolie et la tristesse que proposait le film. Ils étaient comme ensevelis et totalement abattus par les dialogues profondément défaitistes qu'ils entendaient.
Personne ne pensa à se soucier de l'heure.
- La vie fascinante d'Agathe est un film qui me touche beaucoup, fit alors la femme lorsque le générique se lança et que les lumières s'allumèrent peu à peu.
- Ah ? Nous sommes pourtant loin des blockbusters actuels, répondit Nicolas.
- Pourquoi ne peux-tu pas avoir une vision un peu moins terre à terre des choses ? Je sais que la pellicule a mal vieilli, que le jeu d'acteur laisse à désirer, que les dialogues sont bucoliques et dépassés, mais... Ce film a une valeur sentimentale, pour moi.
- Oh... Ta mère était l'une des actrices ?
Elle ricana.
- Tu y es presque. C'est moi qui ai joué dedans.
- Toi ?
- J'avais le rôle d'Agathe.
Puis, elle quitta simplement la pièce pour mettre un terme à la discussion.
« Rebecca me tend une perche » comprit Nicolas en suivant la femme. Il dévisagea le générique, et particulièrement là où était inscrit le nom de l'actrice jouant Agate. « Oh... »
- Bon, il est six heures, dit l'allemande en s'étirant puis en baillant. Pile poil l'heure pour déjeuner et s'échauffer dans le gymnase.
- Quand dors-tu ? s'interrogea alors Nicolas, en sortant du cinéma-room.
Rebecca posa son talon sur le mur en face d'elle, prit une profonde inspiration, et décolla son autre pied du sol. Telle une araignée, elle se balada sur le mur sans n'être aucunement déstabilisée, et rejoignit rapidement le plafond.
- Chéri, les fées ne dorment pas.
Elle s'arrêta un instant, la tête en bas, à dix centimètres du visage de l'homme.
- Puis-je te poser une question ? s'enquit-elle.
- Je t'écoute.
- Que s'est-il passé pour que l'Allemagne t'ait dans sa ligne de mire ?
Nicolas poussa un râle d'agacement. Il voulut quitter la pièce, abattu à l'idée de lancer un nouveau débat comme celui-ci, mais l'Allemande le retint par le bras pour qu'il ne s'échappe pas.
- Que faut-il que je fasse pour que tu me répondes ?
Elle l'implorait. « Bon. » Nicolas se remit en question : « peut-être est-elle réellement sincère ? Peut-être puis-je réellement lui faire confiance ? » Rebecca était quelqu'un de si particulier et de si froid... D'elle, se dégageait une aura si rare et puissante qu'aucune créature magique ne pouvait l'ignorer, et son statut de fée lui procurait bien des privilèges, dont celui d'intimider facilement.
D'une simple invocation par la pensée, un courant d'air se réveilla et, sous les ordres de l'Américain, bouscula la femme qui le lâcha, surprise. Bien malgré lui, il se sentait tenté de jouer au chat et à la souris avec elle : après tout, elle était un adversaire arrogant digne de ce nom, et particulièrement divertissante.
- Tu sais plus de choses que moi, Rebecca. Je suis parfaitement inutile.
Ses dents d'un blanc étincelant éclairèrent son visage lorsqu'elle sourit avec malice. Aussitôt, la fée sauta sur elle-même pour revenir à l'endroit, et fit craquer ses doigts ainsi que sa nuque.
- Tu me mens, et tu le sais, assura-t-elle tandis que des filaments violâtres se dressaient dans son dos et menaçaient son interlocuteur.
Nicolas chassa les serpents de magie d'un léger séisme qui secoua tout l'étage, mais ils revinrent aussitôt et s'enroulèrent autour de ses jambes.
- De quoi m'accuses-tu, précisément ? s'enquit l'homme en se dégageant et en se dirigeant subitement vers le salon.
La fée le suivit en noyant le couloir derrière elle dans une humble auréole pourpre. L'Américain accéléra l'allure tout en obstruant le chemin de l'autre grâce à d'habiles invocations de l'eau et du vent.
- Je t'accuse d'être l'engrenage consenti d'une cruelle machination, Nicolas.
Avec soulagement, il émergea dans le hall. La cheminée gazouillait, et quand enfin il tendit sa main, il sentit la sensation si caractéristique des éléments le caresser. « Le feu ». D'immenses flammes jaillirent de la cheminée et vinrent lécher le parquet, les maléfices de la fée se rompirent alors. Il vit la femme descendre lentement l'un des escaliers collatéraux qui menait dans la pièce.
- Dans ce cas, nous sommes sur un pied d'égalité, Rebecca.
Il l'entendit ricaner et se moquer de lui.
- Je pense que nous avons tous deux fait des choses plus ou moins morales, et que notre culpabilité n'intéresse personne. En revanche, nous avons des inquiétudes communes, et ces inquiétudes sont bien plus graves qu'un témoin tué par inadvertance. Il se passe des choses, et il ne faut pas être divin pour le remarquer, Nicolas.
Pour la première fois depuis sa rencontre avec elle, Rebecca lui apparut comme étant une alliée et quelqu'un à qui se fier. Elle avait perdu cet air hautain et inquisiteur. « Est-elle... Différente ? » se questionna-t-il. « Et si la seule façon de connaître la vérité était d'échanger mes informations avec les siennes ? »
- Très bien, capitula-t-il en calmant les flammes qui prenaient de l'ampleur derrière lui. Je pense avoir découvert quelque chose, mais je me trompe peut-être, même si beaucoup d'éléments tendent à me donner raison. D'après moi, l'Allemagne prépare une armée d'êtres magiques pour conquérir l'Europe.
La fée réfléchit.
- Je vois de quoi tu veux parler. Ce n'est pas exactement cela, mais j'imagine que tu fais bien de t'inquiéter.
Nicolas la dévisagea. « Incroyable ! Elle semble sincère. Il faut dire qu'avec ce que j'ai découvert, je n'ai plus rien à cacher... » Cette réponse allégea son cœur et le plongea dans un profond sentiment de soulagement.
- Où as-tu obtenu ces renseignements ? continua-t-elle.
- Je les ai obtenus moi-même lors de... Hum, c'est délicat à dire. L'Impératif 336, vois-tu de quoi il s'agit ?
- Oh, mon dieu... Tu y étais ? Ce qu'il s'est passé là-bas a mis l'Europe en deuil.
- Malheureusement, oui, répondit Nicolas, agitant les éléments du bout des doigts pour calmer son anxiété. Ce fut un épisode traumatisant pour tout le monde.
- Tu peux le dire. Véritable hécatombe, perte d'une arme biologique, menace de guerre nucléaire, crise économique, documents top secret révélés à la presse... Mais que s'est-il passé, exactement ?
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