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La fin d'après-midi s'annonçait pluvieuse.
Un vent fort secouait les érables et les acacias du parc, donnant ainsi au paysage une expression morose. L'allée, qu'un parterre de fleurs encadrait, et qui menait au bâtiment public au centre du domaine, voyait ses graviers s'envoler. « Le ciel semble malade » songea Capucine, occupée à ranger ses notes depuis la salle de conférence. Bien malgré elle, son regard divergeait vers la fenêtre.
Le brouhaha qui émanait de la salle lui écorchait les oreilles, et l'excitation que dégageaient ses collègues journalistes l'épuisait. « L'événement est important, je l'accorde... Mais quel tapage ! » s'agaça-t-elle mentalement en lançant des regards furieux aux reporters de la ABC News, les plus bruyants du groupe. L'atmosphère était fébrile : le chef d'État américain devait s'exprimer aujourd'hui, lors d'une conférence de presse. Ce dialogue allait être retransmis en intégralité à la télévision ; on voyait déjà de grosses caméras se braquer sur l'estrade ! Capucine, dont les joues s'empourpraient, se sentait toute petite, elle qui avait toujours travaillé dans un humble journal au budget et à l'influence risibles.
Enfin, on annonça l'arrivée du président. Aussitôt, tous se levèrent de leur chaise pour apercevoir le politicien, et les appareils photo crépitèrent. On ouvrit les portes, et un homme dodu et rose émergea. La femme se prit au jeu, et s'appliqua à prendre le cliché parfait pour la une du lendemain.
- Du calme ! Du calme ! tempêta un garde du corps en repoussant les plus intrépides derrière les barrières de sécurité.
Le costume trois-pièces du président menaçait de craquer, et son petit visage se boursouflait lorsqu'il souriait. Il était si peu photogénique que le comparer à une limace était tout à son avantage. Il traversa la pièce d'un pas encombré mais déterminé, et rejoignit rapidement l'estrade, où un micro l'attendait. Il jeta un regard attendri aux hommes armés qui, postés près de lui, dissuadaient quiconque d'attenter à sa personne, s'éclaircit la gorge, et annonça que cette conférence débutait.
Les journalistes, tels des renards en chaleur, glapirent :
- Monsieur le président ! Comment allez-vous réagir ?
- Cet événement va-t-il impacter la Déclaration Internationale des Droits Conférés aux Créatures d'Ordre Magique ?
- Prenez-vous cette menace au sérieux ?
- Pensez-vous que cela puisse être nocif pour l'humanité ?
- Allons, allons, répondit le président d'une voix de fumeur, amusé, en tapotant son pupitre de ses mains grassouillettes. Je ne peux pas répondre en même temps à tout le monde. Tenez, vous, là-bas. Quelle est votre question ? Dites voir, un peu.
Il s'adressait à Capucine. Elle n'en croyait pas ses yeux ! « Le chef d'État américain me parle ! Jamais je n'aurais un jour imaginé lui adresser directement la parole ! » Alors, mettant un instant de côté sa timidité, elle prit son courage à deux mains et demanda d'une voix nette, bien qu'un peu frêle :
- Cette menace vous effraie-t-elle ?
- Cette menace, comme vous dites, commenta l'autre en réajustant sa cravate, n'a pas à effrayer qui que ce soit. Plusieurs points vont, par ailleurs, en mon sens. Premièrement, depuis que la Magie a été déclarée comme légale sur cette planète, il y a de cela quatre ans, nous disposons d'une importante - et impressionnante - flotte de super-héros, dont beaucoup sont sous la tutelle de mon gouvernement. Pour tout dire, la Magie, comme elle est connue aujourd'hui, est particulièrement et remarquablement bien traitée et développée, et est désormais apte à devenir - je tiens à reprendre les termes utilisés par le magicologue Burnett- puissante et redoutable. Autrement dit, nous sommes protégés par une armée. De plus, toutes les mesures ont été prises pour assurer notre sécurité en cas d'évènements semblables à celui-ci - par événement, j'entends bien sûr la menace que pourrait représenter un être magique hors de contrôle - : Vigipirate renforcé, agrandissement de l'armée, mise sous surveillance des individus instables. Nous avons des procédures et des stratégies qu'il suffit simplement de respecter pour ne pas être un dommage collatéral. Pour finir, je dirai que cet Arthur n'est tout bonnement pas capable de détruire la Terre, car les magicologues les plus éminents sont d'accord sur ce point : aucun être ne peut fournir la puissance magique nécessaire à la destruction d'une planète. Question suivante.
- Considérez-vous cette menace comme étant une déclaration de guerre de la part du monde magique ?
- Arthur est un être disposant de pouvoirs surnaturels, il semble agir seul, et sous le coup de l'impulsivité. Par conséquent, il ne s'agit pas de la décision de toute une communauté, mais bien de l'acte d'une seule et unique personne. Nous ne pouvons considérer cela comme une déclaration de guerre.
- Que pensez-vous de la stratégie d'Arthur, consistant à laisser sept jours de répit à l'humanité pour qu'il se prépare à « une hécatombe morale et humaine », et nous permettre de choisir des « héros » pour nous défendre ? s'enquit un journaliste, de petites lunettes rondes sur le nez.
- Il a, de toute évidence, eu tort. Cet homme nous sous-estime parfaitement, et cela lui jouera des tours. N'oubliez pas que nous sommes sur notre territoire, et que nous avons l'avantage. Quoi qu'il en soit, nous encadrerons les créatures surnaturelles avec des lois et des réglementations plus dures et concrètes. Quant à ses sept jours de sursis, nous les utiliserons avec soin, bien entendu.
Le bourdonnement des caméras en fonctionnement rendait l'atmosphère un peu plus lourde. La situation était grave, et les journalistes se devaient d'informer le peuple. Quelqu'un d'autre leva la main et prit la parole :
- Quels seront les héros chargés de nous défendre ?
- Ah ! Nous y voilà. Durant le conseil des nations, plusieurs noms sont ressortis, et nous avons pu constituer une équipe digne des blockbusters américains. Permettez-moi de dresser leur portrait. Nous avons d'abord Nicolas Moor, un protagoniste new-yorkais au physique avantageux, que les épreuves de la vie ont brisé. Après le meurtre de ses parents, il décida d'utiliser ses pouvoirs pour protéger le peuple de la racaille et du grand banditisme. Il s'est déjà créé un nom dans le domaine du super-héroïsme - certains d'entre vous doivent d'ailleurs le connaître. Il est tout à fait disposé à régler ce genre de soucis, cela, je peux vous l'assurer.
Des huées résonnèrent dans la salle, et une agitation s'empara de la foule. Certains tapaient des pieds et gesticulaient de façon à se faire remarquer. Les militaires mirent leur doigt sur la détente, prêts à intervenir.
- Comment l'Allemagne a-t-elle pu cautionner cette décision ? Nicolas Moor est un criminel ! Il est indigne de confiance, vous rappelez-vous ? Il risque de compromettre toute la mission et de nous mener à notre perte ! Virez-le !
- Dans un tel climat de tension, il nous faut à tout prix éviter les trahisons ! rajouta quelqu'un d'autre.
Le président jeta un regard lourd de sous-entendu à ses gardes du corps, qui rangèrent alors discrètement leurs armes. Il s'éclaircit la gorge et intima l'ordre de se calmer ; on le respecta plus ou moins.
- L'Allemagne a difficilement accepté cette annonce, cela est vrai. Par conséquent, et pour éviter les discordes diplomatiques, elle fut autorisée à choisir son propre super-héros : son choix se porta sur Rebecca Hartleben. Ne vous affolez pas, je trouve ce choix tout à fait judicieux : Rebecca est douée, puissante, intelligente, et correspond aux normes de l'éthique. Elle saura parfaitement répondre à nos attentes. Le dernier membre de cet escadron se nomme April-Avril, et fait partie de mes plus proches amis - aucun risque de corruption, donc ! Pour faciliter leur lourde tâche, ils ont désormais accès à tout l'argent qu'ils désirent, un immense quartier général à Los Angeles, et sept jours pour mettre au point une stratégie assurant notre survie.
Les journalistes se jetèrent des coups d'œil, septiques. « Une partie de l'Europe n'apprécie pas Nicolas, et il fut un temps où la presse en avait fait son ennemi. Difficile de lui faire totalement confiance, donc... » songea Capucine, inquiète. « Je n'ai jamais entendu parler d'une Rebecca Hartleben, et sa présence ne me semble absolument pas naturelle. Quant à April-Avril, jamais il ne tiendra le coup ! Mais que s'est-il passé dans la tête de nos dirigeants ? Qu'allons-nous devenir ? »
Le tonnerre gronda. Capucine frissonna.
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