"Ils ne l'ont pas fait exprès"

Elle arrive à la gare, Thomas n'est pas encore là, enfin elle ne l'a pas encore vu. Elle s'avance et va s'assoir sur le banc près de la voie ferrée.
Un train passe.
Les oiseaux chantent.
Elle entend des voix au loin.
"Sûrement des enfants qui jouent près des rails. Innocents et naïfs."
C'est ce qu'elle se dit, par contre elle ne dit pas "naïf et innocent comme moi, enfin juste humain tout compte fait". Elle essaye de ne pas y penser, de changer pour Thomas. D'être plus "robot" que "humaine". Pour qu'il l'aime comme une fille normale, banale.
Les voix se rapprochent puis s'arrêtent.
La jeune fille n'y fait pas attention, elle est perdue dans des rêves d'amour, d'amitié et de normalité.

Une voix pourtant la fait sortir de ses pensées.
Une voix grave.
Forte.
Une voix qu'elle rêvait d'entendre mais qui maintenant la traumatise.
La voix de Thomas.
Mais qui ne dit pas "tu veux sortir avec moi ?".
Qui dit "espèce de conne t'es vraiment tombé dans le panneau !"
Et là, tous les élèves de la classe de Lucille sortent des arbres.
Marie.
Jessica.
Enki.
Thomas.
Paul.
David.
Martin.
Ludmila.
Tous.
Ils se mettent en rond autour de Lucille et l'insultent.
Comme ça.
Gratuitement.

La meute se resserre autour de la proie faible.
Les loups grognent, se lèchent les babines, montrent leurs crocs.
Le chef, un grand loup qui pourtant avait l'air calme, fend la mêlée d'un hurlement et s'approche près de la brebis effrayée.
Et d'un coup de griffes acérées, la fait tomber à terre. Puis il lacère son corps de profondes entailles.
Il attrape le cœur de la bête entre ses dents. Et le croque.
Le sang éclabousse de partout.
Il tâche la peau blanche et laiteuse de la proie, les poils sombres et épais des loups.
Puis c'est le chaos, le silence, les bêtes se reculent, une à une.
Laissant la brebis ensanglantée sur le sol.
Ils s'en vont, sans faire de bruit.
Comme ils sont arrivés.
Lâches.
Nombreux.
Et méchants.
Mais dans leur fuite, ils entendent un hurlement déchirant.
Celui de la brebis, qui, d'une voix de loup, hurle à la lune, à la vie, à la mort et aux Hommes.
Elle se traîne ensuite jusqu'aux rails, et reste là, attendant un train, un sauveur.
Son sang tâche la chaussée.
Les loups alors se disent qu'ils ne voulaient pas la tuer, juste lui faire peur, "ils ne l'ont pas fait exprès".

Et pourtant au matin, c'est bien une jeune fille qu'on trouve sur les rails.
Écrasée par le train et par un monde de robots.

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