XXIII

- Les porteurs magiques ? Pourquoi ?

- L'armée d'Aaron est principalement constituée de ses enfants. Il a de très nombreuses femmes, et ses enfants se comptent par centaines. Mais pour lui, cela n'est pas suffisant. Il veut bâtir une armée entièrement constituée de porteurs magiques. Alors il les capture.

- Comment ?

- Les balles qu'ils tiraient dans la foule ne sont pas des balles communes. Elles contiennent une minuscule quantité de magie noire. Si cette magie entre en contact avec l'intérieur du corps d'un porteur magique, les anticorps du porteur vont s'activer et produire une gigantesque quantité de liquide noir autour de la plaie.

- Ainsi, ils peuvent savoir qui sont porteurs et qui ne le sont pas ?

Juliette hocha la tête.

- C'est pour cette raison qu'ils visaient les jambes. Si ils visaient les organes vitaux, les porteurs succomberaient à leurs blessures. En tirant dans les jambes, ils sont à peu près sûrs de ne pas les tuer. Les porteurs ont une régénération des cellules bien plus rapide que celle des autres humains. Une balle dans la jambe ne leur causera que rarement des dommages irréversibles.

- Mais, une fois qu'ils ont été touchés, et qu'ils savent que ce sont des porteurs magiques, qu'est-ce qu'Aaron en fait ?

Juliette soupira.

- Ils les emmènent. La suite... Je n'en sais rien.

Yuna n'en demanda pas plus. Juliette redémarra le moteur et la voiture repartit sur la route, sans que les deux filles ne disent mot durant le voyage, trop choquées par ce qu'elle venaient de vivre.

Juliette conduisit lentement le véhicule dans le garage, tourna la clé et sortit. Le soleil était depuis longtemps couché, et le bâtiment était presque entièrement éclairé.

- Tu peux aller à la cafétéria, je te rejoins, lança Juliette. Je dois dire deux mots à Eric avant.

Yuna acquiesça et se dirigea vers la cafétéria. Il y avait peu de monde dans les couloirs ; la plupart avaient déjà gagné leurs chambres ou les salons à cette heure tardive.

La jolie brune prit un sandwich rapide, elle n'avait pas envie de traîner seule très longtemps. Elle informa Juliette qu'elle se rendait directement à sa chambre, afin qu'elle ne la cherche pas.

La jeune fille se glissa directement sous la douche spacieuse, et ferma les yeux au contact de l'eau sur son visage. Les évènements qu'elle vivait l'inquiétaient ; Même Clotilde ne semblait pas comprendre tout ce qui lui arrivait. À travers le discours de Juliette, elle avait senti que l'armée du Mal était de plus en plus active. Elle n'avait aucune envie de se retrouver dans une quelconque guerre sans la moindre maîtrise de ses pouvoirs.

Les dragons sur ses bras disparaissaient progressivement avec l'eau et le savon, ce qui lui attira un pincement au cœur. Elle se serait bien vue les garder encore un peu. C'était décidé : dès qu'elle le pourrait, elle se ferait tatouer.

Yuna coupa l'eau de la douche. Elle releva ses bras, et laissa les flammes bleues apparaître dans ses paumes. Elle avait appris bien plus sur ses pouvoirs en même pas deux semaines qu'en quinze ans. À présent elle comprenait pourquoi Clotilde était aussi éberluée en la voyant progresser si vite.

Elle laissa ses bras retomber le long de son corps, faisant s'évanouir les tourbillons de flammes par la même occasion. Elle sortit de la douche, attrapa deux serviettes, essora ses cheveux et se fit un turban sur le haut de son crâne. Elle se sécha, enfila un débardeur et un legging, sortit de la salle de bain et s'étala en étoile sur son lit.

Bogi gratta à la vitre de son vivarium, aussi elle le sortit en tendant le bras. L'animal courut sur son bras pour aller se percher sur son épaule nue. On eût cru qu'il avait fait un sourire, ce qui fit beaucoup rire Yuna.

La jeune fille parla au petit animal pendant quelques minutes, avant de décider qu'il était suffisamment tard pour aller dormir. Elle éteint son téléphone, déposa son gecko dans le vivarium avant de s'enfouir sous la couette. Elle ferma ses paupières et s'endormit vite.

Yuna constata à son réveil qu'il faisait encore nuit, mais que Juliette était rentrée et dormait à poings fermés à l'autre bout de la chambre. L'adolescente alluma son téléphone, qui indiquait trois heures du matin, et soupira. C'était fréquent pour elle de se réveiller en pleine nuit, et ce, depuis quelques années. La seule solution qu'elle connaissait à ce jour, c'était la marche. Elle enfila ses espadrilles et attrapa un sweat, puis elle sortit sans faire de bruit.

Les longs couloirs vides du bâtiment l'impressionnaient toujours. Les grandes fenêtres filtraient la lumière de la lune qui apparaissait en grands rayons qui éclairaient Yuna. La jeune fille s'avança encore, jusqu'à trouver le grand escalier qu'elle empruntait toujours. Même si il existait de nombreux ascenseurs dans le bâtiment, elle préférait toujours emprunter les escaliers lorsqu'il faisait nuit, pour une question d'habitude.

Ses pas résonnaient encore et toujours sur le marbre, jusqu'à ce qu'elle arrive au rez de chaussée. Elle observa la grande porte menant au perron, ainsi que celle menant au champ de fleur.

Se remémorant sa rencontre avec Sullivan, elle évita le perron et se glissa discrètement dans le champ de fleur.

L'air de septembre était frais la nuit, et elle pesta de n'avoir mis que ses espadrilles. La rosée mouillait ses pieds, aussi elle chercha un endroit où elle serait au sec.

Un grand arbre attira son attention. Ses branches commençaient bas, mais il devait faire au moins dix mètres. Yuna esquissa un sourire : c'était l'endroit parfait.

Elle se hissa sur les branches les plus basses, puis elle grimpa de plus en plus haut. Elle aimait la hauteur ; depuis son enfance elle grimpait sur tout ce qu'elle trouvait. Le vide ne l'avait jamais effrayée.

Lorsqu'elle arriva en haut de l'arbre, elle s'installa à califourchon sur une branche, et observa intensément les montagnes de Pennsylvanie et la rivière en contrebas. Le ciel était dégagé ; les étoiles étaient magnifiques et rien ne venait perturber sa contemplation.

- Hey.

Yuna faillit tomber de sa branche tant elle fut surprise. Telio la rattrapa de justesse par le poignet avant d'éclater de rire.

- Je fais si peur ? Demanda-t-il en l'aidant à remonter sur la branche où elle était assise.

- Il faut croire que oui. Qu'est-ce que tu fais là ?

- Je suis ici pour les mêmes raisons que toi, j'imagine.

- Tu n'arrives pas à dormir ?

Le garçon acquiesça.

- Habituellement, l'air frais m'apaise. Et puis là, je t'ai vue en haut de ton arbre, j'ai eu envie de te rejoindre.

Un silence s'ensuivit, où on ne pouvait plus entendre que le vent et le grincement des branches qui pliaient sous le poids des deux adolescents. Ce fut Yuna qui prit la parole en première :

- Ça t'arrive souvent ?

- De ne pas dormir ? Oui, assez. J'ai ça depuis la mort de mes parents.

Yuna le regarda un instant, puis répondit :

- Moi aussi. Celle de mon père. Ça n'arrivait plus depuis quelques mois, et puis avec ça...

- Avec quoi ? Il t'est arrivé quelque chose ? Elyas m'a dit que toi et Juliette aviez disparu.

Yuna soupira et lui raconta toute son après-midi. À mesure de son discours, elle pouvait clairement voir la mâchoire de Telio se crisper de plus en plus.

- Tu sais, il y a nombre d'enfants porteurs magiques recueillis ici après la mort ou l'enlèvement de leurs parents.

- C'est pour ça qu'il y a si peu d'adultes ?

- En partie... Mais pas que.

Telio lui raconta alors le récit de l'affrontement d'il y a dix ans, où tant de combattants avaient perdu la vie.

- Les parents d'Erwin ont disparu comme ça. Ceux d'Ambre aussi.

- C'est horrible...

- La guerre est toujours horrible.

Yuna n'avait pas de réponse à ça. Elle se contenta d'hocher la tête pour montrer son accord, quand tout à coup, Telio lui tira violemment la tête en arrière pour qu'elle regarde en l'air.

- Ça va pas ?! Tu me fais ma...

Elle ne finit pas sa phrase, trop obnubilée par le spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Une pluie d'étoiles filantes parcourut le ciel en quelques instants, puis toutes disparurent les unes à la suite des autres. Telio rabaissa lentement la tête, tandis que Yuna gardait les pupilles fixées au ciel. Telio dessina quelques cercles avec le plat de sa main sur le crâne de la jeune fille, pour atténuer la douleur.

- C'était magnifique ! S'exclama Yuna.

- Alors je suis pardonné de t'avoir fait mal ?

Yuna afficha une mine boudeuse.

- Mouais. Peut-être.

- Peut-être ? C'est méchant !

- Mais tu m'as fait mal !

- Ok, désolé.

- J'aime mieux ça.

- Au fait, j'organise une fête surprise pour l'anniversaire de Sofia la semaine prochaine, annonça Telio après une courte pause. Tu pourras m'aider ? J'ai déjà demandé à Erwin, Elyas, Ludovic, Hanae, Anton, les autres amis de Sofia et...

- C'est bon, c'est bon, j'ai compris, rit Yuna. Je viendrais.

- Super !

Yuna alluma distraitement son téléphone. Il était quatre heure du matin.

- Je pense que je vais aller me recoucher, annonça-t-elle. Tu viens ?

- Pourquoi pas ! Mais avant, tu peux m'aider pour quelque chose ?

- Bien sûr !

- Très bien, alors...

Il descendit de quelques branches pour se retrouver en dessous de Yuna.

- Je t'ai déjà dit que ma magie pouvait générer une substance noire des plus tranchantes ?

Yuna acquiesça.

- J'aimerais faire en sorte de pouvoir contrôler son tranchant. Je sais déjà à peu près le faire, mais.... Regarde, par exemple.

Il fit apparaître une petite masse noire au creux de sa paume qui alla entourer le poignet de Yuna qui eut un mouvement de recul.

- N'ai pas peur. Je la contrôle, elle ne peut pas te couper. À présent... J'aimerais voir si elle est vraiment résistante.

La masse passa par dessus une branche et alla entourer la taille de Yuna.

- Est-ce que tu me fais confiance ? Demanda Telio.

- Hem... Oui...?

- Lâche toi.

- Que QUOI ?

- Je te retiens ! Si ma magie coupe la branche, tu me tombes dessus et je te rattrape.

Yuna ferma doucement les yeux. Elle compta jusqu'à trois dans sa tête et glissa de la branche sur laquelle elle était assise. Elle eut à peine le temps de sentir sa chute que celle si s'arrêta net, lui infligeant une légère douleur à la taille.

- Aïe !

Telio s'empressa de l'attraper et de la ramener sur la branche où lui était debout.

- Je suis désolée, je t'ai encore fait mal.

- C'est rien, rit Yuna.

- Bon, au moins, ça marche.

Pour conclure sa phrase, il envoya la masse noire entourer une branche pour y faire un noeud. Puis il attrapa Yuna par la taille et sauta dans le vide.

La jeune fille n'eut même pas le temps de crier qu'ils étaient déjà en bas de l'arbre. Telio la reposa en douceur et sourit.

- Pas mal, hein ?

- Oui, mais préviens la prochaine fois, sourit Yuna.

Ils marchèrent côte à côte jusqu'au bâtiment. En bon gentleman, Telio raccompagna Yuna jusqu'à sa chambre, même si la sienne se situait un étage plus bas.

Une fois rentrée, Yuna retira vite son sweat et ses espadrilles et se glissa sous la couette. Elle ferma les yeux, comptant ses respirations, et en quelques minutes, elle était endormie.

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