III

Yuna faisait les cents pas dans la salle d'attente. Elle était horriblement stressée, et ses ongles étaient déjà partis en lambeaux ; cette mauvaise habitude revenait dans ce genre de situation.

Ses deux mois de vacances avaient étés particulièrement agréables et le retour à la réalité était très douloureux. Elle n'avait pas dormi les nuits précédant sa rentrée à Howl's Academy et elle sentait la fatigue dans tout son corps, ce qui lui faisait encore plus peur. Jamais une rentrée scolaire n'avait été une telle source d'inquiétude pour elle. Bogi, son gecko, sortit la tête de sa poche.

La porte du bureau s'ouvrit : Yoris, son examinateur, en sortit, suivi d'une femme âgée. Les craintes de Yuna s'atténuèrent à la vue d'un visage familier, et elle observa la vieille femme.

Il était difficile de lui donner un âge quelconque, mais Yuna voyait sur son visage un air bienveillant. Ses yeux étaient d'un vert d'eau très clair, particulièrement lumineux, aussi c'était la première chose qu'on remarquait sur son visage. Ses cheveux gris et blancs étaient retenus en un chignon lâche, et les quelques mèches folles qui s'en échappaient donnaient à la vieille femme un aspect jovial et particulièrement maternel. Son sourire dégageait beaucoup de tendresse et d'affection, et les rides sur ses joues montraient qu'elle avait eu ce même sourire toute sa vie. Yuna remarqua l'alliance à son annulaire gauche dont les minuscules diamants incrustés dans le contour d'or blanc brillaient de milles feux. Elle devait faire la même taille que la jeune fille, bien qu'elle ait dû être plus grande dans sa jeunesse, les problèmes de dos étant un des malheurs de l'âge.

Yoris s'approcha doucement de Yuna et lui pressa l'épaule en signe de bienveillance.

- Bonjour, Yuna ! Lança-t-il gaiement.

- Bonjour, Yoris... Répondit
timidement la jeune fille.

- Allons, n'affiche pas cette tête ! Tu es la seule sélectionnée cette année, tu imagines la chance que tu as ?

Yuna baissa la tête. Yoris eut un petit rire et lui ébouriffa les cheveux.

- Bon ! Il est temps de faire les présentations, lança le jeune homme. Yuna, voici Clotilde.

- Enchantée, Yuna, dit Clotilde avec une voix mielleuse.

Yuna s'inclina poliment.

- De même, euh...

La jeune fille triturait​ ses mains et fuyait Clotilde du regard. La vielle femme inclina la tête sur le côté en signe d'incompréhension.

- Yuna, tu peux l'appeler Clotilde, annonça Yoris en volant au secours de la jeune fille qui lui adressa un regard d'infinie reconnaissance.

Yoris se frappa le front comme si il avait oublié quelque chose d'important, c'est pourquoi Clotilde lui jeta un regard désapprobateur.

- Eh bien, commençons par le commencement, souffla la vieille femme. Si nous t'avons acceptée ici, Yuna, ce n'est pas pour que tu joues les lycéenes parfaites dans une école réputée inateignable.

Clotilde se tourna vers Yoris pour l'inciter à prendre la suite de son discours. Yoris s'empourpra lorsqu'il croisa son regard et il orienta donc ses yeux vers les dorures du tapis. À l'évidence, il ne maîtrisait pas la situation actuelle. Clotilde leva les yeux au ciel.

- En clair, cet endroit n'est pas un établissement scolaire tout ce qu'il y a de plus banal, continua-t-elle. Pour te dire la vérité, la plupart des gens ici ont passé l'âge d'aller à l'école.

Yuna la dévisageait sans comprendre. Bogi, son gecko, alla se nicher sur son épaule et la jeune fille le caressa distraitement.

- C'est un peu difficile à expliquer. Pour faire simple, nous sommes une armée, enchaîna Clotilde.

Yuna haussa un sourcil en écarquillant les yeux.

- Mais tu t'en doute, c'est bien plus complexe. Par où puis-je commencer... Ah ! Ici, tout les "soldats" utilisent le GPM, le générateur de puissance magique.

- De... De puissance magique ?

Clotilde commença à marcher dans la pièce en continuant ses explications.

- Eh bien... Il existe des humains ayant des pouvoirs spéciaux appelés Porteurs magiques. Tu en es une, comme j'en suis une moi aussi. Ces pouvoirs sont merveilleux, et ils ont longtemps été vénérés par les civilisations anciennes. Cependant, à notre époque, il est possible de créer artificiellement ces pouvoirs et de les injecter dans une personne. Tu me suis, jusque là ? Je sais que c'est dur à encaisser, mais j'ai besoin que tu m'écoutes jusqu'au bout.

Yuna acquiesça lentement. Elle avait pris Bogi dans ses mains et caresser le petit animal l'aidait à se concentrer sur les paroles de Clotilde.

- Il naquit un jour, il y a plusieurs siècles, un porteur magique qui approcha de trop près le Mal. Les porteurs magiques sont puissants et résistants, mais leur âme est leur point faible. Si elle est corrompue, c'est quasiment impossible de réussir à sauver le porteur. L'homme de la légende, après avoir vue son âme corrompue par le Mal, vit sa personnalité disparaître petit à petit, ne laissant que son enveloppe charnelle vide. Alors le Mal proposa à l'homme un marché.

La vieille femme marqua une pause.

- Le Mal prendrait possession de son corps, et offrirait à son âme un autre corps, quant à lui immortel. L'homme succomba au péché humain et choisit l'immortalité en échange de son corps. Mais le Mal n'a pas de parole : en guise d'immortalité, il condamna simplement l'homme à errer dans la solitude et le silence jusqu'à la fin des temps. L'homme partit pour des contrées lointaines, et on ne le revit plus. Le Mal, ayant désormais un corps, rassembla une armée de fidèles, et répandit le chaos. Alors un porteur magique très puissant scella les pouvoirs destructeurs du Mal en sacrifiant sa propre vie. Depuis lors, Howl's Academy existe pour faire face au Mal et l'empêcher de prospérer.

Pour conclure son discours, Clotilde fit apparaitre une minuscule sphère blanche au creux de sa main qu'elle propulsa vers le corps de la jolie brune. Celle -ci tomba à la renverse dans un cri de surprise et posa ses mains sur son ventre où l'impact lui avait asséné une violente douleur.

Elle se sentit vaciller. Yoris la rattrapa de justesse dans ses bras, et l'installa sur un divan en velours rouge dans le bureau. Clotilde s'approcha d'elle avec une moue coupable, rejetant une mèche de cheveux derrière son oreille, ce qui était visiblement chez elle un signe de nervosité.

- Yoris, dit elle, va lui montrer sa chambre. Je pense qu'elle vient d'enregistrer beaucoup d'informations en une fois, elle a besoin de repos. Je passerais la voir demain matin.

Yoris acquiesça. Yuna s'était évanouie ; d'après ce que Clotilde avait raconté au jeune homme, ce n'était pas rare pour un porteur magique. On ne sait pourquoi, écouter cette histoire leur demandait presque autant d'énergie qu'il n'en fallait pour faire une démonstration magique pendant ce même laps de temps.

- pas étonnant qu'elle soit épuisée, pensa le jeune homme. Il prit la jeune fille dans ses bras et alla la déposer délicatement sur son lit, dans la chambre au cinquième étage qu'elle partageait avec une autre adolescente. Il la regarda dormir pendant quelques secondes avec un sourire bienveillant.

- J'espère qu'elle se plaira ici... Pensa-t-il.

Il remonta légèrement le drap sur les épaules de la jeune fille, puis il s'en alla discrètement. Après que la porte se soit refermée, Yuna ouvrit les yeux et sourit en pensant au jeune homme qui semblait beaucoup s'inquièter pour elle. Après quoi, épuisée, elle reposa la tête sur son oreiller et replongea dans un sommeil parsemé de rêves fantastiques.

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