9. Elyse
Le soleil commence à descendre lentement vers la mer, ou du moins le tas de poussière que la mer a laissé derrière elle en partant, des années plus tôt. L'horizon se colore en rose orangé, magnifique couleur contrastant avec le rouge presque sanglant du sable sous nos pieds. Mon poing droit me fait toujours mal, et les jointures sont rouges, là où le sang de Troyan a giclé. Je tiens dans cette même main une boisson fraîche, assise sur le sable entre Kalen et Khan, à regarder les étoiles apparaitre.
L'une d'elle est la Terre, cette planète qui nous a tant inspiré, et tant effrayé. Tout ce qu'elle nous a transmis, c'est des génocides et des tueries toujours plus violentes. Dans ma main gauche, je fais tourner entre mes doigts la carte de soldat de Troyan, que j'ai fini par récupérer grâce à Kalen. Après l'avoir frappé, j'étais sortie prendre l'air, laissant Kalen retourner voir Troyan, lui parler, l'attacher, lui prendre la carte.
Je veux la détruire, la réduire en cendres, mais je ne peux m'empêcher de penser que Troyan la gardait pour une bonne raison. Alors elle est là, entre mes doigts, à jouer avec les derniers rayons de soleil quitte à m'en brûler la rétine. Mon esprit divague vers des temps plus calme et plus lointain, lorsque j'étais encore une gamine stupide qui jouait dans la cour d'immeuble avec mes amis imaginaires et où mon père me regardait depuis la fenêtre de la cuisine.
La main de Kalen enveloppe la mienne, cessant le mouvement continue de la carte. Il lâche ma main tout en prenant ma carte qu'il range dans sa poche de veste, hors de ma portée. Ses yeux regardent toujours les étoiles tandis qu'il prend une gorgée de la boisson orangée qu'il tient. Je n'ai pas touché à la mienne, mon esprit étant trop occupé pour boire.
Avec un soupir, ma main droite fait monter la boisson jusqu'à ma bouche, et le liquide finit par couler le long de ma gorge, sucré et froid. L'effet des bulles est immédiat, je sens comme un chatouillement dans ma bouche qui me fait sourire. Je ne me serais jamais doutée de la tournure des évènements avant d'atteindre mes dix-huit ans.
- Je rentre.
Ma propre voix me surprend, mais j'ai besoin de parler à Troyan. J'ai besoin de savoir pourquoi, pourquoi moi, pourquoi tout ça. Il m'a sauvé la vie, je lui dois au moins ça. Avant, j'aurai tiré avant de poser les questions, mais aujourd'hui j'ai besoin des réponses pour savoir où tirer. Tous mes muscles se raidissent tandis que je me retrouve sur mes deux jambes, les fesses pleines de sable. Je l'enlève d'un geste rapide et passe ma tête dans la tente, où Nikyta veille sur Troyan.
Je m'attendais à tout, mais le spectacle est tout de même effrayant : Troyan est assis, les poignets attachés à deux barres métalliques, avec assez de lest pour pouvoir poser ses poignets sur ses jambes. Ses cheveux sont poisseux, je n'ai pas été la seule à cogner. Quant à son visage, c'est comme s'il revenait de la guerre : des bleus, des coupures, des hématomes dus à mes coups. Lorsque je finis par rentrer, ses yeux rencontrent les miens et il sourit.
Ce n'est pas un sourire de joie, plutôt un sourire pour me dire "je suis vivant, relax". En bref, tout ce qui me donne envie de lui remettre un coup. Nikyta me regarde et sort de la tente sans un mot ni un regard pour le pauvre prisonnier.
- Laisse-moi deviner : tu viens m'en remettre une ? Où je peux parler maintenant ?
Son ton sarcastique ne m'amuse absolument pas, mais je prends sur moi pour ne pas déraper. Le but est d'avoir une conversation avec lui, pas de le rendre aveugle, sourd ET muet.
- Si tu as des choses à dire, ne te gêne pas.
Je m'assois à côté de lui, les yeux fixés sur l'entrée de la tente. Je lui tends nonchalamment la boisson que Kalen m'a donnée auparavant et tourne la tête, intriguée. Troyan me regarde d'un air sidéré et lève les yeux au ciel.
- C'est quoi ça, de la drogue en bouteille ? Si j'ai des choses à dire, je sais parler tout seul.
Je ricane et porte la bouteille à ma bouche pour en prendre une gorgée sous le regard vigilant de Troyan. Je le regard d'un air interrogateur : il s'inquiète pour moi ? Comme s'il pouvait s'inquiéter.
- J'ai l'air d'être droguée ?
Troyan lève les mains en l'air, faisant bouger les chaînes avec fracas.
- D'accord, admettons que tu viennes sans arrière-pensée. Qu'est-ce que tu veux ?
Je le regarde avec surprise.
- Ce que je veux ? Tu m'as trahie depuis le début, et tu me demandes ce que je veux ? Tu es conscient de ce que tu as fait ? Tu laisses l'armée nous traquer depuis le début, et tu le savais ! Tu as brisé ma confiance, qui est pourtant la chose la plus précieuse pour un être humain ! Tu l'as demandé mon aide, je t'ai aidé, et voilà comment tu me remercie ? En me plantant un poignard dans le dos ? Qu'est-ce que tu croyais, que j'allais t'idolâtrer comme un héros ?
Troyan relève la tête qu'il avait baissée pendant mon petit speech si rapidement que j'ai un mouvement de recul. Il me dévisage longuement sans rien dire, un peu comme un psychopathe, ce qui me fait un peu peur. Puis il soupire et baisse le regard.
- J'ai gardé la puce, je plaide coupable. Je savais qu'elle était toujours active. Je savais aussi que l'armée nous traquait. Je t'ai mise en danger involontairement, j'en ai conscience merci du rappel. Tu n'étais pas vraiment prévue au programme à la base ! Mon plan, c'était de voler les plans de cette machine infernale, la donner à quelqu'un qui saurait quoi en faire, puis laisser l'armée m'attraper pour donner assez de temps à cette personne ne trouver comment désamorcer cette merde ! Je n'ai jamais voulu vous mettre tous dans ce plan, jamais ! C'est toi qui m'a emmené ici, et qui les as mis en danger !
À ces mots, la gifle partit d'elle-même. M'accuser d'avoir mis en danger les personnes que je considère comme ma famille, c'est trop pour moi. Apprendre que Troyan est kamikaze, c'était déjà débile ! Sous le choc de la claque, Troyan grogna, et je pus remarquer une nouvelle fois qu'il ressentait bel et bien la douleur.
- Je n'allais pas te laisser mourir ! Tu réfléchis parfois ?! Te suicider pour un peuple dont tu ne connais même pas les instincts ? Tu n'étais pas humain à ce moment-là, alors ça te semblait peut-être normal, mais c'est totalement hors de question ! Je t'ai accordé ma confiance, que tu as brisée violemment, mais j'ai foi en toi sur le côté humain. Tu ne vas pas te rendre aussi facilement, juste pour nous donner du temps. Tu vas remuer tes fesses et nous montrer de quel côté du tu es vraiment.
Les sourcils de Troyan se froncent, il pense sans doute que je mens ou que je suis devenue folle. Pourtant, je le détache et lui tend ma boisson avec un petit sourire. Son histoire semble crédible, et je sais qu'il est capable de se suicider pour sauver des gens.
C'est exactement ça qui m'a donné la foi de le libérer à ce moment, parce que je sais quelque part en moi que Troyan est humain, qu'il peut sauver un peuple même aussi lointain que les Terriens. Je plonge mon regard dans ses yeux bleus et j'essaie de lui faire comprendre que je lui accorde une nouvelle chance, qu'il n'a pas intérêt à gâcher.
Je sors de la tente afin de prévenir les autres, qui accueillent la nouvelle avec des réactions contrastées. Si Kalen et Nikyta le prennent bien, content de voir que je peux outrepasser mes plus fondamentales valeurs afin de sauver l'intérêt général, les deux petits sont plus soucieux de savoir si Troyan ne va pas les égorger dans leurs sommeils. Nikyta les prend à part afin de calmer leur jolie petite cervelle tandis que Kalen et moi retournons voir Troyan, qui n'a pas bougé d'un pouce, toujours sous le choc peut-être.
- Très bien, si tu commençais par nous dire où tu as mis les plans ?
Kalen essaye de paraître calme et gentil, mais je sens que tout son être veut étrangler Troyan un milliard de fois. Ce n'est pas parce que Kalen accorde sa clémence envers Troyan qu'il lui pardonne son comportement, ce qui est plus que compréhensible quand on sait que sans lui, Troyan serait mort et enterré dans les profondeurs du désert.
- Elles sont dans mon sac, enfin le sac que tu as sorti de la voiture Elyse.
Je hoche la tête et pars le chercher, sur ma couchette, où je l'avais laissé sans réelles surveillance. En attrapant le sac, j'entends au loin des moteurs ronronner. Je recule doucement vers les deux garçons, qui regardent également dans cette direction. Kalen sort son arme et son regard se durcit, tandis que Troyan a les yeux grands ouverts et les muscles raidis. Pour la première fois, je crois qu'il a peur.
Son regard croise le mien, et je sens la panique derrière son armure insensible. Il ne la ressent pas, mais il l'exprime. Sa main vient serrer la mienne avec force, mais mon corps tétanisé par la peur et l'adrénaline le sent à peine.
À mon tour, je sors ma lame, suivant Kalen en dehors de la tente, Troyan sur les talons. Je le vois charger son arme à feu et la ranger à l'arrière de son pantalon. Je me détends légèrement, et j'allais même émettre un commentaire stupide pour détendre l'ambiance quand une détonation nous fige tous sur place. Je regarde Kalen une demi-seconde avant de courir en dehors de la tente.
À peine la porte soulevée, le bruit des moteurs s'arrêtent, et je vois Khan et Ema tomber à genoux, en larmes. Kalen va vers eux en hurlant leurs prénoms tandis que l'armée crible de balles tout le périmètre. Troyan arrive derrière moi et je le gifle de toutes mes forces, laissant une belle trace rouge sur sa joue. C'est de sa faute, tout ce qui arrive est de sa faute ! J'entends mon prénom et me retourne. Au loin, j'aperçois le corps de Nikyta au sol, les yeux ouverts. Je vois le sang couler sur le sable devenant pourpre. Je comprends que mon prénom est la dernière chose qu'elle ne dira jamais et j'ouvre de grands yeux.
- NIKYTA !
De rage, un cri puissant sort de ma bouche et je m'élance vers eux, sans regarder où était les adversaires. Je me fiche pertinemment de leur location, je veux ma revanche pour la mort de celle que j'appelais parfois grand-mère. Qui plus est, Ema et Khan sont en danger également. Troyan m'attrape aussitôt le bras, m'empêchant de les rejoindre, et sans doute de me faire tuer. Je n'ai plus la force de lutter contre lui.
Son bras entoure mon ventre, entravant tous mouvements. Je stoppe toute résistance et fonds en larme, la tête contre son épaule. Pourquoi moi ? Un cri encore plus puissant sort de ma gorge quand je comprends que Nikyta ne reviendra jamais. Troyan me tient toujours et je le laisse faire, alors que j'aimerai le gifler encore et encore.
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