38. Elyse

Ça ne doit pas être si difficile que ça de mourir parce que finalement, tout le monde y arrive. [André Gide].

C'est le constat que je peux faire aujourd'hui. Tout le monde peut mourir, à n'importe quel moment, n'importe quel jour. Et ça peut me toucher moi, une nouvelle fois, ou Troyan, Kalen ou pire, les jumeaux. Ça fait déjà quelques jours - j'ai arrêté de compter - que nous marchons vers une destination que je qualifierais d'inconnue à mon petit cerveau gelé. J'ai Khan sur les épaules tandis qu'Ema est sur celle de son père. Iwhaell et Troyan sont derrière, en pleine discussion. Je crois qu'ils commencent enfin à s'ouvrir l'un à l'autre, à refermer les blessures du passé.

Hormis le froid qui brûle notre peau, aucun de nous n'est blessé ou capturé par l'armée, nous faisons des progrès. Je n'ai pas reparlé à Troyan ou Kalen depuis notre dispute et j'avoue que cela me manque. Je me sens seule, avec seulement les jumeaux et Iwhaell de mon côté. Mais je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, car c'est de ma faute s'ils sont en colère contre moi. J'admets avoir eu tort de me prendre pour une victime de cette manière, mais j'avais tellement mal à ce moment-là...

- On va établir le camp ici.

Murmure Troyan, derrière moi.

Un coup de feu tiré en plein silence nous dissuade tous de le faire. Je repose Khan qui partir en direction de Kalen et Ema, qui se cachent à l'aide des arbres. C'est fou le nombre de petite forêt que l'on croise sur notre chemin. Iwhaell m'attrape le bras et s'enfonce avec moi dans les bois. Je m'adosse au premier arbre que je trouve et je suis au premier rang pour voir l'armée s'aventurer à la lisière.

Habillée de tenues spéciales pour l'hiver, ils scrutent tous les arbres, attendant le moindre bruit ou le moindre mouvement pour tirer. Je ferme les yeux, attendant qu'ils passent leurs chemins. Je sais que notre but est de tout remettre en ordre, mais ça ne signifie pas que je veux tous les voir mort. Je n'ai pas hésité à appuyer sur la détente avant, mais aujourd'hui j'essaye de trouver une solution où seul le Président aurait à mourir.

Mais les soldats ne bougent pas, prenant un plaisir presque sadique à laisser le froid pénétrer nos peaux, se mélanger à notre sang, jusqu'à ce que notre cerveau manque de sang. Résultat ? Petit à petit, nous commencions a perdre connaissance. D'abord, nous commencions par voir un petit point noir dans notre champ de vision, qui s'agrandit doucement... Puis, nos membres refusent de nous obéir. Ils se mettent à trembler sans que nous puissions les empêcher. Je serais la mâchoire, espérant que cela m'aide à canaliser le reste, mais rien. Finalement, même la mâchoire m'abandonna.

Je réussis à tourner la tête vers Iwhaell, qui semble tenir aussi bien que moi. Les enfants sont déjà presque inconscient, retenu par Kalen qui a du mal à les retenir de ne pas s'écrouler dans la neige. Seul Troyan ne montre aucun signe d'hypothermie. Il ne bouge pas, ses muscles sont tous tendus au maximum. Comme s'il ne sentait pas le froid. Aucun membre de son corps ne bouge, il a un contrôle qui ferait peur à n'importe quelle personne normalement constitué.

- Sortez de là. On sait que vous êtes là.

Crie le chef de ce petit commando.

Sa voix tremble, pourtant ce n'est ni de la rage, ni le froid. C'est simplement une réaction chimique de son corps à la neige, qu'il ne sent évidemment pas. C'est ce qui fait le plus peur à propos des soldats au final. Ils ne ressentent rien, mais leurs corps réagissent tout de même aux différentes émotions. Iwhaell est la première à céder. Ses genoux frappent le sol si fort qu'elle ne peut retenir un gémissement de douleur. Ses yeux fixent le vide, elle ne veut pas indiquer aux soldats où nous sommes. Malgré tout, je peux voir une larme couler le long de sa joue, avant de geler et de se briser sur la neige fraîche. Je veux venir à son secours mais mes jambes sont paralysées. Ce qui n'est pas le cas de Troyan, qui attrape le bras de sa sœur et la relève, la serrant dans ses bras. Ses yeux se ferment, trahissant le froid qui me ronge également. Avec un soupir, il sort à son tour de sa cachette, sans lâcher Iwhaell et s'avance vers les soldats. En passant devant moi, ses yeux croisent brièvement les miens et j'hallucine sans doute le sourire qui s'étend sur son visage tandis qu'il me frôle pour rejoindre sa perte. Je n'arrive même pas à crier leurs noms, pour essayer de les retenir ou au moins leurs venir en aide.

- On est là. Maintenant on dégage avant que ma sœur ne meure de froid.

La voix de Troyan est presque aussi glaciale que la température.

J'entends l'un des soldats crier quelque-chose, puis le convoi se remet en marche. Ils n'ont même pas discuté des paroles de Troyan. Peut-être que c'est uniquement lui qu'ils voulaient ? Mes genoux fléchissent et tombent au sol, entraînant avec eux tout mon courage et ma retenue. Une fois au sol, mon corps commence doucement à se réchauffer, surtout aux niveaux des épaules. Je lève les yeux et découvre Kalen, me tenant les épaules.

- Il faut qu'on trouve un abri, où on perdra aussi les enfants.

Murmure-t-il, la gorge nouée.

Je soupire et me relève.

- Je sais. À quelle distance est le prochain village ?

Je réponds.

Kalen soulève le corps d'Ema tandis que je reprends Khan sur mes épaules. Ils ont tous les deux les mains presque bleues, mais ils respirent encore normalement. Nous avons un peu de temps. Un frisson douloureux traverse mon corps en sentant la fraîcheur de la peau de Khan contre la mienne. Si nous ne nous dépêchons pas, nous serons les prochains morts. Je ne parviens juste pas à réaliser la vitesse avec laquelle Iwhaell et Troyan nous ont été arraché... Je n'ai même pas eu l'occasion de m'excuser.

Après une demi-heure de marche, nous avions finis par trouver une auberge. Kalen avait pris une chambre pour les enfants, tandis que j'étais restée en bas pour boire un coup. Je ne tenais pas forcément à me saouler, mais j'étais sérieusement à deux doigts de le faire tellement la journée fut éprouvante pour les nerfs encore gelé. Un vieil homme s'installe à mes côtes tandis que je demande une deuxième pinte de.... Je ne sais même plus de quoi, c'est une boisson violet-vert assez corsée.

- Chagrin d'amour ?

Tente de deviner le vieillard.

J'étouffe un rire. L'alcool ne me réussis donc pas, parce que ça marche à peine. Je tourne la tête pour découvrir une paire d'yeux verts sous une tignasse blanche.

- Pour ça, il faudrait être amoureuse vous ne croyez pas ?

Je réplique, amusée.

J'ai gardé un certain respect pour les anciens, tout simplement car ils ont une expérience de la vie que nous, les plus jeunes, nous n'avons pas. Aussi, quand ce vieux monsieur sourit à ma réponse, je sais que je ne l'ai pas froissé et je plonge mes lèvres dans mon verre, laissant le breuvage me bruler l'œsophage.

- Mais tu l'es.

S'amuse l'homme à mes côtes.

Sous l'effet de cette affirmation, je m'étouffe avec mon verre. Je le regarde de travers tandis qu'il retient à peine une crise de fou-rire. J'ai toujours eu du respect pour les anciens mais je peux faire une exception pour celui-ci. Il doit le sentir car il arrête de rire et plonge des yeux dans les miens.

- Je dis ça parce que je connais peu de filles qui accepteraient de porter les plaques d'un homme par pure "amitié".

M'explique-t-il.

Je fronce les sourcils en plongeant la main dans la poche. De quoi parle-t-il ? Troyan garde toujours ses plaques autour du cou, c'est un symbole de ce qu'il a été et de ce qu'il ne veut plus être. Un jour, il m'a même confié qu'il les donnerai à la seule personne au monde à laquelle il peut faire confiance les yeux fermés. Et au vu des derniers événements, ce n'est clairement pas moi ! Mes doigts touchent le métal gelé de plaques que je reconnaîtrais entre mille : celles de Troyan. Je me fige alors, la bouche entre ouverte sous le coup de la surprise. Je n'ai peut-être pas imaginé son sourire au final. Je sais qu'il a caché au dos de ses plaques une copie numérique des plans de l'armée, au cas où l'on perdrait ceux papier. Je ferme le poing sur le minuscule espoir que Troyan m'a offert. Ça vaut mieux que toutes les excuses du monde. Il me donne sa confiance une nouvelle fois, et je ne compte pas la trahir. Il m'offre son amitié aussi, dans ce simple geste, et je regrette de ne pas pouvoir lui rendre la pareille. Quelques secondes, j'oublie que je suis dans une auberge, attendant d'avoir les membres assez décongelés pour repartir sur les routes. Un raclement de gorge me rappelle à l'ordre. Le vieil homme m'observe du coin de l'œil.

- "Il faudrait être amoureuse", c'est ça ?

Se moque encore une fois le vieil homme.

Je lève les yeux vers le vieil homme, prête à le rembarrer sèchement, quand je croise la lueur d'amusement dans ses yeux. Le son se bloque dans ma gorge tandis qu'une question surgit dans mon esprit : suis-je réellement amoureuse de Troyan ? 

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