2. Elyse
Désertique. Une terre aride, sèche, sans point d'eau indispensable à la survie d'être vivant. Des cailloux et du sable à l'horizon, un endroit que la mort elle-même ne fréquente pas. Ici, la chaleur peut monter à plus de 45 degrés. Sur Terre, nous avions étudié un endroit comme celui-ci : Death Valley. Chez nous, ce désert se nomme "Drar". Autrement dit, " la mort". Un endroit peu accueillant, sauf si vous êtes un squelette ou quelqu'un de suicidaire. Le genre d'endroit où personne ne veut se retrouver en sommes.
J'ai trop roulé. Emportée par ma joie de défier le règlement pour la première fois de ma vie, j'ai omis de regarder jusqu'où j'allais. Et tout naturellement, j'ai pris une mauvaise direction. Tout ce que je voulais, c'était aller au village chercher Kerry, mais je me suis trompée d'embranchement. En arrivant dans ce désert, sans essence, avec seulement mon sac à dos, deux bouteilles d'eau et suffisamment de nourriture pour quatre jours, je sentis mon espoir retomber. J'ai voulu quitter un système qui détruirait ma vie, et finalement, je vais me suicider involontairement.
Je prends place sur une pierre et laisse les larmes couler, ignorant le danger de vider mon corps de son eau, qui me serait pourtant vitale dans les prochaines heures. Myala doit déjà s'inquiéter, ou vouloir me tuer. Connaissant le tempérament de mon amie, elle doit être partagée entre les deux. Pour une fois, je suis prête à l'entendre me sermonner pendant des heures sur « la conséquence de mes actes ».
Selon ma montre, il est déjà 17h54, autrement dit, ma fuite n'a échappé à personne et je suis déjà recherchée pour fuite et trahison. Mon frère va être surveillé par l'armée sans en comprendre la raison alors que son dernier cours se termine dans six minutes. C'est lui que j'aurais dû sauver, qu'importe le prix... Ma gorge se noue, mes yeux s'assèchent et mon cœur se soulève. Je me lève pour vomir un peu plus loin. Je me dégoûte moi-même, et mes idées stupides. Mon but était de sauver mon frère, de le revoir. J'aurai pu faire un autre choix, et devenir autre chose, mais non, j'avais fui ! Mais quelle abrutie... J'aurai dû choisir d'être Protectrice au lieu de fuir comme une gamine de six ans ! Surtout que seul Kerry savait quel était mon vrai choix. Personne n'allait comprendre pourquoi j'avais fuis au lieu de devenir Protectrice !
Je frappe une pierre avec ma main droite, m'ouvrant la paume sur quelques centimètres. Je pousse un cri de rage et de douleur. Je mets aussitôt la main sur mon top, me maudissant d'être encore plus débile qu'au début. Bah bien sûr Elyse, laisse du sang derrière toi, laisse les te retrouver et t'achever ici, dans ce désert ! Je me relève et enlève mon top pour l'enrouler autour de la main blessée, pour faire en sorte d'arrêter le sang avec ce bandage improvisé. Cependant, je ne suis pas à l'abri d'infection grave, à moins de trouver une ville et un médecin qui veuille aider une fugitive.
Je me retrouve donc à avancer dans le désert en soutien-gorge de sport noir, pantalon noir et basket grise. Autrement dit, la pire combinaison de couleur possible, qui attire plus de chaleur que le moindre grain de sable. Je marche dans la vallée, admirant sans intérêt les pierres et les reliefs, cherchant du coin de l'œil un point d'eau. Je ne veux pas commencer mes bouteilles, j'en aurai sûrement besoin plus tard. Ma main me lance, le sang commence à s'infiltrer dans la dernière couche du top.
Dans quelques minutes, il finira par tomber dans le sable, me rendant vulnérable à toutes créatures vivantes telles que les vautours, ou pire, les soldats de l'armée. Ma vue se brouille, mon corps doit s'hydrater si je ne veux pas mourir de soif. Malgré tous ces signaux, je continue d'avancer, cherchant au moins un endroit décent où mourir. Peut-être qu'avec de la chance, quelqu'un passera et m'aidera. Mais je me résigne bien vite, dans notre planète, l'espoir est un mythe et non une réalité.
Au bout de quelques minutes de plus, mon cerveau rompt tout contact et je m'écroule. Le sable chaud brûle ma peau nue et un pauvre gémissement sort de ma bouche. Ma main devient comme électrifiée et m'envoie des ondes de plus en plus violentes le long de mon bras jusqu'au cerveau. Une image de mon frère souriant passe devant mes yeux, et je les ferme, attendant patiemment que la mort me fauche.
Je rouvre violemment les yeux, aspirant goulûment l'air frais, comme si mes poumons en avaient manqué pendant des semaines, ce qui serait techniquement impossible. Puis, je fronce les sourcils en voyant tout flou autour de moi, tandis que mes oreilles commencent à percevoir des bruits. Après deux battements de cils qui me donnent l'air d'une minette de quinze ans, je remarque que je suis dans une tente. Plus précisément, je suis allongée sur une sorte de tapis bleu à frange. Sur mon bras droit, ma peau est brûlée par endroit, sûrement à cause du soleil. Je remarque également l'apparition d'un t-shirt blanc qui laisse transparaître ma brassière de sport, ainsi qu'un vrai bandage autour de ma main, qui a visiblement arrêté de saigner, et qui ne me fait plus mal.
Mes yeux rencontrent alors l'origine du bruit, une petite machine indiquant mon rythme cardiaque. Mon cœur bat normalement, à 140 battements par minute, soit les battements d'un cœur au repos. Je me redresse et passe une main dans mes cheveux violet détachés. Puis, je me lève entièrement, remarquant alors que mes jambes sont découvertes, et que je porte un simple short en jean bleu. Intriguée, je marche et sors la tête de la tente, distinguant un groupe de personnes marchant vers la tente. Je me dois de les remercier !
En regardant mieux, je découvre sur leurs cous des marques, comme des tâches de naissance. Je referme aussitôt la tente et retourne sur mon tapis. Je ne m'assois pas, essayant de comprendre comment ces gens peuvent avoir ce genre de marques. Les Koÿn n'ont pas de marques, seuls les humains en ont. Mais c'est impossible, ils ne peuvent pas êtres humains !
Je regarde autour de moi afin de comprendre où je suis. C'est une véritable tente, comme celle des Bédouins sur Terre. Nous en avions étudiée pendant notre cours de Géographie d'Autres Planètes. Une très grande tente, dans laquelle les gens dorment à même le sol sur des tapis un petit peu épais, autour d'un cercle central dans lequel se tient parfois un feu. Ici, le feu semble avoir été éteint récemment vu la cendre éparpillée sur le sable.
Une voix parvient à mes oreilles, celle d'une femme, assez âgée. Un homme, plus jeune, lui répond, tandis que des rires d'enfants s'élèvent. Ils sont à quelques pas de moi, derrière le pan de tissu qui fait office de porte. Je l'entends se soulever et risque un œil dans cette direction pour voir un homme. L'homme se tourne vers moi, et ses yeux croisent les miens quelques instants. Il est jeune, environ une trentaine d'années. Les deux enfants, une fille et un garçon, de faux jumeaux, courent partout, entrent quelques secondes dans la tente et retournent dehors pour s'amuser. Ils sont très jeunes, vers les quatre ans. Ils ne semblent même pas m'avoir vue, alors qu'ils sont passés à quelques pas de moi seulement.
La grand-mère me regarde d'un air inquiet et intrigué. Je ne l'ai pas vue rentrer. Je suppose qu'ils me voient comme une menace, ou qu'ils ont peur de moi. L'homme parle à celle qui semble être sa mère, dans une langue que je ne comprends pas. Du terrien ? Non, nos langues sont pratiquement similaires. Alors quelle espèce non découverte est-ce ? L'homme aux yeux bruns de trente ans s'approche de moi et examine ma main. C'est un homme de couleur noir, contrairement à la vieille dame qui est plutôt blanche.
Il retire le bandage, et je me laisse faire, espérant juste qu'il ne me fasse aucun mal. L'homme pose un cataplasme fait d'herbe, trouvée.... Trouvée où ? Nous sommes dans un désert ! Paniquée, je bouge un petit peu ma main vers moi, mais l'homme ressert sa poigne et me sert le bras assez fort. Je gémis malgré moi et il relâche un petit peu la pression. Je ne bouge plus, ayant trop peur de me faire briser le poignet. Satisfait, il remet un bandage propre et lève la tête vers moi. Je replis ma main sur mon ventre, apeurée. Je ressemble à une biche effarouchée devant deux chasseurs, et cette vision ne me plaît pas du tout. Mes armes ne sont plus accrochées à ma ceinture, je n'ai donc aucun moyen de défense.
- Tu n'as pas à avoir peur de nous. On ne te fera rien.
Sa voix est puissante et rassurante. Ses yeux bruns plongés dans les miens semblent appuyer ses propos. Il dégage quelque chose de doux, de protecteur, même s'il a la force d'un combattant. La chaleur de sa main sur mon bras me calme. Il remarque que la machine pour le rythme cardiaque est débranchée, sans doute quand je me suis levée. Il sourit, et me passe un tube de crème, sans que je puisse dire un mot. Il ne prend même pas la peine de me rebrancher à cette machine mais l'éteint et enlève les derniers fils qui restaient collés à mes bras. Je fixe le tube de crème sans comprendre pourquoi il me l'a donné. L'homme le voit et désigne du doigt quelques zones de mon bras.
- Pour tes brûlures.
Je le remercie et me demande comment il connait ma langue, mais je m'abstiens de tout commentaire. Il m'a sauvé la vie, c'est tout. On ne va pas non plus devenir les meilleurs amis du monde ! Je mets de la crème sur mes brûlures, regardant ma peau frissonner au contact de la substance froide. L'homme ne bouge pas, il me fixe comme s'il avait peur que je me fasse mal. Je lui rends la crème et ose enfin prendre la parole.
- Merci. Qui es-tu ? Enfin, qui êtes-vous ? Et qu'êtes-vous ? Je suis désolée j'ai...j'ai tellement de questions, ça prendrait la journée.
Confuse, je resserre mes jambes autour de mon torse en m'asseyant finalement sur le tapis, suivis de l'homme, et la grand-mère, qui s'approche. J'admire discrètement leurs tâches à la base du cou. De jolies traces violettes qui partent de l'épaule et remonte sur la jugulaire. Je n'ai encore jamais vu ça. Comment peuvent-ils vivre cachés ici ? Mon regard passe sur la personne âgée. Elle a des rides autour des yeux et de la bouche qui lui font un visage souriant et tendre. On pourrait presque croire qu'elle ne s'arrête jamais de sourire, comme si la vie était pour elle une sorte de cadeau et qu'elle l'offrait à tous les gens qu'elle croisait. Elle aussi me fixe, mais de manière amusée. Je me surprends à penser que pour eux, j'ai tout d'un animal en cage qui observe des visiteurs derrière une cloison vitrée.
- Tu as peur, et nous le sentons jeune fille. Je te présente mon beau-fils, Kalen, et je suis Nikyta. Nous sommes l'une des rares familles de Torghols encore vivante sur cette planète. Tu n'as rien à craindre de nous. Si nous t'avons aidée, ce n'est pas pour te tuer par la suite.
La voix chevrotante de Nikyta me fait sourire, tandis que Kalen semble plutôt retenir des larmes. Des larmes ? Mais il était tout sourire il y a à peine quelques minutes ! Qu'est-ce que c'est que des Torghols ? Pourquoi vivent-ils cachés ? Où est la femme de Kalen ? Pourquoi personne ne les a jamais mentionnés ? Les questions s'entassent dans ma tête, sans que je ne puisse, ni ne veuille les poser. Aucun de nous ne parle, un silence beaucoup trop lourd s'installe, seulement interrompu par les cris des enfants dehors. Finalement, je romps le silence pesant.
- Pourquoi les Torghols vivent cachés ?
Nikyta et Kalen me regardent et sourient, après avoir légèrement sursauté en entendant ma voix. Visiblement, je ne les effraie plus, ou du moins, ils ne le montrent pas. Je regarde mes brûlures et passe un doigt dessus en attendant une réponse de leur part. Je me sens vraiment prise au piège d'un endroit sans issue. Je parle avec des inconnus qui m'ont aidé. Ce sont de bonnes personnes, mais méritent-elles ma confiance ? Je n'en suis pas certaine.
- Il y a de cela des années, le grand-père de votre actuel président a découvert les camps de concentration allemands sur la Terre, pendant leur Deuxième Guerre Mondiale. Il a décidé, trouvant l'idée de tuer une race au nom d'idéologie géniale, de tuer tous les Torghols vivant sur la planète. Ce fut atroce. Les images passaient à la télévision. Je voyais mon peuple se prendre des balles dans la tête, être empoisonné, réduit en esclavage jusqu'à la mort, ou pire, être torturé pour donner le nom de ceux qui auraient pu se cacher. Heureusement pour moi, mes parents me cachèrent dans une des rares familles de Koÿn à être contre ce projet. Deux adorables personnes, des jeunes. Ils voulaient renverser le pouvoir, et ils menaient des actions contre le gouvernement. Ils avaient même un fils, Lyran. Il était bien trop jeune pour se souvenir de tout ça. J'ai pu vivre, comme certains autres, cachées aux yeux du Gouvernement. Malheureusement, deux ans après, ils distribuèrent un sérum d'oubli aux habitants. Les familles nous chassèrent de chez eux. La famille qui m'avait accueillie refusa le sérum, et les parents furent tués en place publique pour trahison. Leur fils est venu avec moi, et les derniers Torghols durent s'enfuir dans ce désert pour survivre et continuer de faire prospérer leur race. Seuls. Lyran est reparti bien plus tard, à l'âge adulte, avec la volonté de tuer le tyran en place. Je suppose qu'il est mort. De toute manière, le Gouvernement a effacé le mot « Torghols » de tous les livres et textes qui existaient, et grâce à un programme spécifique, il a aussi effacé cette tuerie des mémoires. Personne ne se souvient de nous.
Le récit de Nikyta me laisse sans voix. Ainsi, à l'époque de mes arrières grands-parents, ils y avaient deux peuples sur cette planète ? Et nous coexistions en paix ? Abasourdie, je regarde Karen prendre sa belle-mère dans les bras pour la réconforter. Je ne sais pas quoi dire pour lui remonter le moral. Elle a vu ses parents mourir sous ses yeux, ses vrais parents comme ses parents adoptifs. N'importe quelle personne normale n'aurait pas continué de vivre après tous ces chocs. Ou alors, pas normalement.
Qui plus est, vivre dans un monde où personne ne sait ce que vous êtes, ni pourquoi vous êtes différents. Qu'y a-t-il de bien dans tout cela ? Comment notre Gouvernement a pu faire des choses pareilles ? Comment les gens de l'époque ont pu accepter d'être acteur de ce massacre ? En quoi sommes-nous mieux que tous les Nazis de la Terre au final ? Ma curiosité veut savoir ce qu'est devenu Lyran, mais ce nom ne me disait rien, n'évoquait rien chez moi. Seulement, l'histoire de Nikyta ressemble un peu à la mienne. Un tout petit peu. A présent, je me sens étrangère à ma propre race, je ne veux pas croire qu'il y a quelques années, des gens comme moi aient pu accepter de faire vivre ça à des êtres humains.
- C'est horrible... Je n'en savais rien... Maintenant je me sens étrangère à ma propre race. Comment des gens comme moi ont pu accepter de faire ce genre de choses ? Comment ont-ils pu laisser faire cela ? Je n'ai jamais connu mes parents, je sais juste que ma mère est morte en luttant contre le Gouvernement. Et je pensais qu'elle était un monstre pour se rebeller contre le système. Je la détestais pour avoir préféré se battre pour ce en quoi elle croyait plutôt que de vivre avec nous. Cela a obligé mon père à m'envoyer moi, et mon frère, dans un petit village loin de la capitale. Et je les ai haïs tous les deux pour avoir fait ce choix qui a brisé ma vie. J'étais dans un endroit, dans un village où notre nom de famille ne disait rien à personne. Et j'ai fui, le jour de mon Choix, parce que je ne voulais pas oublier mon frère en entrant dans l'armée. Aujourd'hui, je suis un monstre... Et maintenant, je comprends pourquoi ils ont fait ces choix. Le vrai monstre, c'est bien moi...
Les larmes montent d'elles-mêmes, tandis que des images floues de mon père envoyant notre navette par la fenêtre de notre petit appartement de la capitale alors qu'un raid de l'armée entrait en force me revenaient. Il s'était sacrifié pour que mon frère et moi vivions, et je viens sans doute de tuer ses espoirs. Je n'avais jamais compris son geste, pensant qu'il avait peut-être honte de nous, que nous n'étions pas normaux. J'ai grandi en pensant que mes parents ne m'avaient jamais aimé. Nikyta pose sa main ridée sur mon épaule, faisant renaître un sourire sur ma bouche sèche.
- J'ai suffisamment étudié votre civilisation pour savoir que ton départ est loin d'être une erreur. Très peu sont ceux qui survivent plus d'une journée. Tu tiens du miracle jeune fille.
Ses yeux, d'une couleur indéfinissable, scrutent chaque parcelle de mon corps, comme si elle cherchait quelque chose. De près, on les croirait bleu, mais ils tirent vers le brun quand elle me parle. Elle pose sa main sur mon cœur et plante ses yeux dans les miens.
- Rẹ ẹjẹ gbejade mi ireti.
Je la regarde, confuse. Elle finit par traduire sa phrase, comprenant que ce langage est tout nouveau pour moi. Je ris en entendant mon nouveau surnom et donne mon nom, pour éviter de subir ce surnom longtemps. Je répète la phrase dans ma tête, appréciant la sonorité. Kalen observe mon visage et je lui souris. Ce langage est nouveau, et même si je ne me sens pas encore à ma place, j'aime la sensation qu'ils tentent de m'offrir. Celle d'avoir retrouvé une vraie famille, ou du moins les restes d'une famille. Nous sommes un groupe, tentant de nous reconstruire ensemble. Alors j'ai une idée, des plus saugrenues je le sais, mais qui me semble inévitablement bonne en cet instant.
- Apprenez-moi votre langue.
Ma requête est de loin très étrange, mais la lueur de joie qui éclaire le visage de Nikyta réchauffe mon cœur blessé. Je me doute que pour elle, un Koÿn essayant de comprendre les mœurs d'un Torghol, c'est un véritable cadeau du ciel. Et j'aimerai apprendre à connaître cette race. Si mes ancêtres avaient vécu avec eux en paix, pourquoi pas moi ?
Pour une fois, je laisse mes problèmes de côté et, tandis que Kalen part chercher les jumeaux dehors, j'appris les bases de la langue Torghols avec Nikyta.
C'était une langue difficile, avec des sonorités que je ne connaissais pas avant. Le temps semblait être infini quand je prenais mes leçons. Au début, apprendre cette langue m'avait paru impossible. Tant de mots, de combinaison possible... Tant et si bien que mon nouveau surnom était « Iwhaell », ou « battante ». Un surnom que je m'étais promis d'honorer en continuant d'apprendre malgré la difficulté de chaque mot.
- Non Elyse, ça ne se dit pas « Ishwa » mais « Iwha » !
Nikyta est, de loin, le professeur le plus difficile que j'ai eu. Elle compte chaque faute, chaque petit mot manquant. Avec elle, je dois tout répéter, tout articuler, tout revoir. Si elle avait eu des livres pour me faire apprendre plus vite, elle m'aurait frappé avec. Il faut dire que je suis, et de loin, la pire élève au monde. Je me couche tard, parce que j'ai aussi des entraînements de combats avec Kalen, et je dors mal parce que je pense à Kerry. Donc je dors un petit peu pendant ses cours, et elle n'apprécie pas du tout.
Du coup, je passe deux fois plus de temps à faire les tâches ménagères, c'est-à-dire m'occuper des petits, aller chasser avec Kalen, et faire les repas. Nikyta considère cela comme une « punition » quand je n'apprends pas assez vite. Je me demande même si elle aurait été plus patiente avec un Torghol...probablement pas. Je pense que ma requête lui a fait plaisir, mais que faire professeur n'était pas vraiment son envie première.
- Elyse ! Je t'ai dit déjà vingt fois que si tu veux apprendre, tu dois rester concentrée ! Est-ce que tu penses à ton frère quand tu te bats ?
Nikyta a peut-être plus de soixante-dix ans, mais elle a une voix suffisamment forte pour me donne envie de gémir à chaque fois qu'elle me hurle littéralement dessus.
- Non....
Satisfaite, Nikyta sourit et reprend son cours comme si elle n'avait jamais hurlé ou douté de ma bonne foi une seule seconde.
Cette vieille femme est si attachante, que je finis par la voir comme ma grand-mère, celle que je n'ai jamais pu avoir. Je ne sais pas combien de temps passa, durant lequel je restais juste à apprendre le Torghols, avec Nikyta ou Ema, la petite, qui m'aidait à tenir de longue conversation. Ema adorait parler, que ce soit dans sa langue maternelle ou dans celle des Koÿn. A chaque fois que j'étais avec elle, la petite essayait de parler de tout et de rien. Pourtant, elle n'a que quatre ans ! Sur Evena, la plupart des enfants savent parler correctement dès l'âge de deux ans. Je crois que c'est ce qui m'a le plus fasciné à propos des bébés sur Terre. A six ans, certains commençaient tout juste à savoir parler ! A côté d'eux, Ema était d'une maturité incroyable !
Son frère Khan mit plus de temps à m'accepter, mais au bout de quelques temps, nous étions une vraie famille. Enfin, une famille recomposée. Je n'ai pas la prétention de remplacer leur maman, et je l'ai vite su. L'absence d'une mère, c'est tout ce que j'ai en commun avec ces pauvres enfants. Mais au moins, je sais de quoi est morte la mienne. C'est pour cela que je ne savais pas s'ils allaient m'accepter. Mais encore une fois, ils m'avaient surpris. Cela avait été plutôt rapide !
- Elyse ? Est-ce que tu es encore avec moi ?
Nikyta est penchée au-dessus de moi tandis que je suis allongée sur le sable. Je n'ai même pas pris conscience que j'allais m'endormir tellement la séance d'entraînement avec Kalen avait été douloureuse et difficile.
- Je crois que oui.
Nikyta grimace.
- Je vais dire à Kalen d'arrêter les séances à deux heures du matin. J'en ai assez que tu dormes pendant nos cours ! Allez, file faire le repas, c'est l'heure. Et comme ça tu penseras à autre chose.
Voilà le quotidien que j'ai avec cette « douce et adorable grand-mère ».
Pourtant, vint le jour où mes obligations firent surface. Je devais retrouver mon frère, qu'importe le temps que cela prenait. Je n'avais pas vu la ville depuis longtemps, des choses avaient dû changer. Kalen s'inquiétait, sans que j'en connaisse la raison. J'avais appris à me battre, à parler leur langue, à survivre dans un désert.
Je pouvais pratiquement affronter n'importe quoi. Kalen m'avait très bien formée, j'étais devenue une véritable guerrière. Peut-être même meilleure que ce que j'aurais pu être dans l'armée. La seule différence, c'est que je ressentais tout. Mais même cela, Kalen m'avait appris à le tourner en une force incroyable. J'ai l'impression d'être devenue une vraie dure à cuire !
- Kalen, j'irais bien.
Ma voix se veut rassurante, alors qu'intérieurement, je suis déchirée à l'idée de quitter ceux qui sont devenus ma famille depuis quatre mois. Je frappe mon mentor dans l'épaule, geste qui se veut affectueux. Il sait que quoi que je fasse, je prendrais soin de moi et je reviendrais. Ou irais-je, sinon chez eux ? Je n'ai plus de chez moi. Je n'ai que mon frère, qui est mon « chez moi ». Kalen m'attrape les épaules alors que je m'en allais vers la petite voiture que nous avions volée en ville deux jours auparavant.
- Les choses ont changé là-bas. Le Choix n'est plus à dix-huit ans. C'est à dix ans.
Je comprends d'un seul coup pourquoi il reste si grave malgré les circonstances joyeuses. Je comprends aussi pourquoi Nikyta a gardé les enfants à l'intérieur de la tête quand je les ai prévenus de mon départ. Mon cœur rate un battement. Mon frère. Mon frère a dix ans.
Ton sang porte mes espérances cheveux violets.
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