19. Troyan

Le repas est délicieux. C'est bien la première fois que je mange autre chose qu'un repas de cantine militaire, ou que des baies ramassées dans la forêt. J'ai regardé Elyse cuisiner depuis la salle de bain, elle semble si naturelle, à l'aise. Et pas parce que c'est une fille !
Pour la première fois depuis un bout de temps, on était tranquille. Loin des ennuis, à essayer de soigner les blessures et à préparer un plan d'attaque. Enfin, c'est une sorte de journée off après d'énormes problèmes. Malheureusement, même si nous pouvons prendre des journées de repos, le sort de la Terre ne le peut pas. Je ne me suis posé aucune question après avoir découvert les plans. Je voulais aider ces gens, cette Planète, sans rien savoir sur eux. Elyse semble en savoir plus que moi à leur sujet, bien que je ne lui aie jamais posé la moindre question.

Cette dernière reste bien silencieuse pendant le repas, comme si elle pense à autre chose qu'à la journée à venir. J'évite de trop penser au lendemain, en général cela rend les gens tristes. Même si je ne ressens pas la tristesse, je peux la lire dans le regard des autres. Et maintenant, Elyse semble être en proie à cette fameuse tristesse. Je me doute qu'elle aurait aimé rester dans cette vieille maison déserte, vivre une vie qu'elle a perdu le jour de son Choix. Elle pense sans doute que reprendre une vie normale lui rendra son frère, ou en tout cas la rendra plus heureuse ; c'est faux. Pas que j'ai l'expérience pour en parler, mais parce que je me doute qu'elle combat avec un trou dans le cœur que rien ne comblera jamais. Elle se sent obligée de se battre parce que son frère est mort. S'il était encore en vie, elle serait avec lui dans une nouvelle maison, essayant d'échapper aux radars de l'armée. Et je serais sans doute mort. Alors quelque part, je remercie les Déesses d'avoir appelé son frère à elles si tôt. Cela m'a sauvé la vie.

Pourtant, je décide de ne rien dire, laissant Elyse se remettre doucement de son agression. Elle est partie découvrir le reste de cette maison abandonnée comme si elle n'en avait jamais vue depuis longtemps. D'après ce qu'elle m'a confié, la dernière fois qu'elle avait vu une vraie maison, c'était la sienne. Celle où elle avait vécu avec son frère. C'est pour cette raison que j'avais hésité à entrer. Mais j'étais fatigué, poursuivi par l'armée, avec une Elyse inconsciente dans les bras, qui, en effet, pesait lourd ! Alors j'étais entré, et je l'avais posée sur le lit. Sans y réfléchir plus que ça. La maison me semblait assez sure pour y passer une journée ou deux, pouvoir mettre sur pied un plan qui tienne la route et repartir mettre ce fameux plan à exécution.

Après, j'avais visité la maison pour être sûr d'être tranquille, et je m'étais reposé à mon tour dans une autre chambre, à l'étage. Les escaliers craquaient, les murs menaçaient de tomber, la peinture était écaillée, mais c'était l'endroit le plus sûr que nous avions trouvé depuis des mois. Évidemment, j'avais essayé la cuisine, mais j'avais raté. En même temps, je n'avais jamais vu de cuisine de ma vie, je ne pouvais pas m'attendre à un miracle !
Pourtant, quand Elyse m'avait proposé de faire la vaisselle, j'avais sauté sur l'occasion de lui prouver que je savais faire quelque chose. Frotter des assiettes avec de l'eau et une vieille éponge rongée, c'est facile non ? Pas tant que ça...


Je finis par sortir de la cuisine pour monter à l'étage, où je trouve Elyse assise en tailleur sur le lit, regardant fixement devant elle, dans la penderie. Je ne sais pas si elle fixe le sweat ou la robe violette, mais dans les deux cas, ce ne sont pas des vêtements pratiques pour ce que nous avions à faire.

- Met la robe, je suis sûre qu'on peut courir avec.

J'ai lâché ça sans aucune pression, et je la vois sursauter avant de me sourire comme si j'étais demeuré.

- À vrai dire, je regardais plutôt le jean, mais si tu y tiens...

Ses yeux brillent de malice, elle semble presque à l'aise. Elle déambule dans la maison comme si elle a toujours vécu ici. Je m'attendais presque à la voir prendre un téléphone et appeler des amis pour faire la fête. Enfin, c'est ce que j'avais pu observer comme comportement dans les différents villages que mon ancien métier m'avait fait « visiter ». Sauf qu'après nos visites, il n'y avait plus personne à appeler pour faire des fêtes. Et les seules « fêtes » que l'on y observait étaient des enterrements, si nombreux que les habitants ne pouvaient pas faire ça selon leurs traditions. Je n'avais jamais eu de soucis avec ça, jusqu'à aujourd'hui. La voir courir partout comme une enfant de six ans qui découvre la vie faisait remonter en moi des souvenirs aussi douloureux qu'atroces.

- Bien. La douche est à droite, je te laisse t'habiller.

Je quitte la pièce lorsqu'elle se lève pour attraper le fameux jean et un top bleu, avant de m'arrêter dans le couloir. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ? A l'armée, j'étais toujours assigné à une mission, sans aucun temps de repos. Je rêvais de moment comme celui-là, à me poser tranquillement au coin du feu avec un livre. Et maintenant que je peux le faire, j'avais envie de courir droit dans mon ancienne base et de frapper tous les soldats qui croisaient mon chemin.

- T'es en panne ?

La petite voix d'Elyse me parvient. Elle se tient derrière moi, habillée des vêtements trouvés dans l'armoire. C'est des vêtements pour homme, donc un peu grand, et légèrement troués par les mites. Rien d'indécent. Visiblement, j'étais resté longtemps dans ce fichu couloir, à revivre mes souvenirs et à essayer de trouver une occupation. Tellement longtemps que s'en était devenu mon occupation principale.

- Non, je suis inactif justement. Je n'ai pas l'habitude.

Elyse s'approche, les yeux dans le vague.

- Ouais, bah moi j'aime bien. Je sais qu'on doit sauver la Terre et tout le baratin, mais quand ça sera fini, j'ai besoin de me poser quelque part pour un moment. C'est peut-être là que nos chemins se sépareront qui sait ?

A ces mots, je fronce les sourcils. Je n'ai pas vraiment réfléchi au moment où nous sommes supposés partir de notre côté. Ensemble, nous avons déjà accompli beaucoup de chose, je ne sais pas vraiment ce que je vais faire une fois que tout serait fini. C'est comme si c'est le but de toute ma vie, et qu'une fois atteint, je vais me sentir vide, presque mort. Peut-être même que je serais véritablement mort, qui sait ?
Et je me suis habitué à la présence d'Elyse à mes côtés, et même si je savais que ça ne durerai pas éternellement, je n'ai pas voulu, ou je n'ai peut-être juste pas pensé au moment où elle s'en irait.

- Peut-être. Pour ça, il faudrait déjà réussir non ?

La jeune femme hoche la tête pour confirmer mes propos et souffle.

- Et si jamais on échouait ?

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