11. Troyan

Peur. Amitié ?

Un enfant est debout, au centre d'une grande pièce vide. Autour de lui, rien que du blanc, du sol au plafond, juste cette couleur vide qui lui fait mal aux yeux. Il ne bouge pas, se contentant de fixer le mur d'une manière presque horrifiante. Il doit avoir environ sept ans, peut-être moins.
Un grésillement se fait entendre et la porte s'ouvre, laissant entrer deux personnes dans la pièce. L'enfant leur tourne le dos, il tremble, cherche une issue. L'une des personnes est un docteur, et s'approche avec une aiguille pleine de liquide vers le pauvre garçon qui se débat avec violence, essayant de se libérer.

- Ne me combat pas T., ne me combat pas...

J'ouvre les yeux sur une couche vide à côté de moi. Pas besoin de plus de temps pour comprendre qu'Elyse n'est pas là, mais comment savoir si elle est juste dehors ou si elle est vraiment partie ? Je me relève avec rapidité, jetant un bref coup d'œil à la famille de Torghols allongés à l'autre bout de la tente.

Lorsque je soulève la porte de cette même tente, je remarque que le soleil est toujours assez bas, il doit être aux alentours de six heures du matin. La voiture a disparu, et mon estomac se noue. Pour la première fois depuis...depuis que je m'en souviens en réalité, je ressens quelque chose. Autre que de la douleur, que j'ai déjà pu expérimenter auparavant.

Mes derniers souvenirs remontent à mes sept ans, cette salle blanche, les expériences que l'on a faites sur moi à cause de ma race. Je secoue la tête pour évacuer ses images qui me reviennent en cauchemars toutes les nuits, et décide de laisser un mot aux autres pour expliquer la situation avant de suivre les traces de pneus de la voiture. Elyse est peut-être douée, mais elle n'a jamais su couvrir ses traces.

Je les suis pendant des heures, m'arrêtant parfois pour boire ou manger, mais déterminé à la retrouver. Le maigre sac que j'avais pris en partant ne me fera qu'une journée, et si elle avait continué en voiture, elle était sûrement déjà en ville.

Je le sens, quelque chose de grave va se produire, et je n'aime pas la savoir loin de moi, sans défense. Elle vient de subir une très mauvaise passe. Perdre son frère, puis cette femme âgée et sage, elle a viré du mauvais bord et risque de se prendre des récifs.

Elle a roulé de nuit qui plus est, ce qui extrêmement dangereux sans copilote pour gérer une carte, car le désert est plein de surprise. Je ne l'avais vu que partiellement, étant arrivé ici gravement blessé, mais j'en avais vu assez pour déceler quelques endroits dangereux. En approchant d'un groupement, je décide de leur demander. Avec un petit peu de chance, l'un d'eux aurait vu une voiture passer et saurait me donner une direction. Je ne compte pas rouler dans ce désert toute la journée en espérant avoir un peu de chance. La chance n'existe pas.

- Excusez-moi, personne n'aurait vu une voiture débouler ici la nuit dernière par hasard ?

L'un des gars présents hoche positivement la tête et me désigne la forêt voisine. Parfait alors, si elle est là, Elyse ne doit pas être loin, je peux essayer de me reposer. Cependant, pourquoi avoir bifurqué vers la forêt au lieu de continuer sur la route ? Les voitures finissent mal en général, de nuit dans une forêt, même aussi peu dense que celle-ci.

Au moment où je décide de prendre une pause, je vois dans le ciel une fumée qui part vers la ville, épaisse, blanchâtre, signe d'un petit incendie. Je fronce les sourcils, parce qu'au vu du temps, aucun incendie ne peut s'être déclaré. Puis, l'odeur nous parvient, l'odeur est plus celle du pétrole.

Un incendie criminel ? À la lisière du désert ? Rapidement, la fumer vire au noir et je me dépêche d'accourir vers le centre du feu pour éviter qu'il ne s'étende. Personne ici ne doit mourir à cause d'un pauvre fou. En m'enfonçant un peu, je découvre l'épave d'une voiture enflammée, encastrée dans un arbre. En reconnaissant celle dans laquelle Elyse est sans doute partie, tous mes muscles se raidissent.

J'ai cru que tous mes organes internes allaient me lâcher en pensant au fait qu'Elyse puisse toujours être dedans. Je réussis, je ne sais comment, à m'approcher suffisamment pour me soulager quelques secondes : la voiture est vide. Cependant, je n'ai pas prévu l'explosion de cette dernière qui me propulse à quelques mètres, m'arrachant au passage un gémissement de douleur.

Lorsque je peux me relever, je distingue clairement la carcasse de la voiture que les habitants avaient récupérée après avoir éteint le feu. La fumée diminue lentement au fur et à mesure que le soleil décline. La nuit ne va pas tarder, d'ici deux ou trois heures, temps dont je ne dispose pas. Je me soucie toujours du fait que si Elyse a quitté la voiture, cela ne doit pas être en bon état, et que blessée, elle ne passera pas la nuit. J'ai finis par m'habituer à sa présence et son aide, et je la sais capable de faire ce qu'elle veut. Surtout qu'elle a également repris les plans de l'arme du Gouvernent. Je soupire en me demandant si elle ne compte pas se venger seule quitte à y rester.

- Hé jeune homme, ça va ?

Le jeune homme qui m'a indiqué le chemin vient de s'approcher et vérifie d'un coup d'œil si tout va normalement. Je me retiens de rire en pensant que je suis tout sauf normal, et hoche simplement la tête.

- Ça va, je fois juste retrouver le conducteur de cette voiture avant la nuit. Rien de grave.

Il me tend la main en souriant.

- Je t'en prie, je m'appelle Khali, si tu as besoin d'aide.

Je sers sa main avec un faux sourire que j'ai appris à maîtriser.

- Merci Khali.

Lorsque le groupe disparait derrière les arbres, je soupire et ferme les yeux. Pourquoi cette fille tient tant à jouer au chat et à la souris ? Pourquoi ne comprend-elle pas que de tout l'Univers, la seule personne sur laquelle elle puisse compte, c'est moi ?

Je ne lui ai pas donné beaucoup de raisons de me faire confiance, mais elle a ma vie entre les mains, et fut un temps, moi j'avais la sienne. Pourquoi d'un seul coup, elle décide de la jouer solo ? Je me remets à marcher sans réellement savoir où aller, ni même si je vais la revoir un jour, je me laisse simplement guider par ce nœud à l'estomac que j'ai depuis que j'ai quitté la tente et qui s'amplifie après chaque nouveau pas.

Un seul cri résonne dans la pièce blanche, celui du garçon, avant qu'il ne s'écroule au sol comme un pantin désarticulé. Il est évanoui, le sang rempli de ce fichu liquide inconnu, qui aura sur lui des répercussions inconnues de la médecine. Tout ceci parce qu'il est né des mauvaises personnes à la mauvaise période. Ou alors est-ce parce qu'il n'a pas couru assez vite lorsque l'armée est venue détruire leur campement ?


Lorsque ses yeux s'ouvrent, encore une fois, pour affronter une nouvelle journée, un éclair passe dans ses yeux bleus. Il ne fait confiance à personne, encore moins à lui-même, et cela pour toute sa vie future, s'il veut un jour survivre. Et lorsque son corps se soulève au-dessus du sol, il se promet de tour faire pour survivre.

Mes yeux se rouvrent et j'aspire goulûment de l'air, transpirant et tremblant. Les cauchemars sont de plus en plus poignants, de plus en plus réels, et de plus en plus fréquents. Jamais cela ne m'était arrivé en pleine journée, et voilà qu'il me tombe dessus pendant une traque !

Ce que je redoutais est cependant arrivé : la nuit est tombée, et si Elyse était encore vivante, mon cauchemar vient de gâcher sa dernière chance. Je tombe à genoux sur le sol, vidé de mes forces, démoralisé, et surtout brisé. Je mets un mot sur mon nœud à l'estomac : c'est de la peur. J'ai peur de l'avoir perdue, de l'avoir laissée fuir. J'ai tellement peur que j'en ai finalement mal, mal à en mourir. Est-ce que c'est ça l'amitié ? Avoir si peur de perdre quelqu'un que l'on se sent tout vide dedans ?

J'entends la forêt bouger dans mon dos, mais je ne bouge pas. A quoi bon ? J'ai perdu Elyse, les plans, même ma volonté de revanche est partie. Je n'ai plus rien, juste cette coquille vide que l'on ose appeler homme. Quitte à mourir, autant que ce soit dignement, pas en cherchant quelque chose comme un malade mental. Je tiens à garder ce qu'Elyse nommait la dignité.

- Troyan ?

Mes yeux se rouvrent péniblement. Cette voix, est-ce réel ? Je me relève en me faisant violence, mes muscles ne répondant plus à mes commandes. Une main se pose doucement sur mon épaule, mais je sens la douleur et la peur qu'elle me transmet. Je souffle, je suis perdu, je ne sais comment réagir....

Je me retourne et serre Elyse dans mes bras, sans même regarder l'état de ses blessures ou même si elle va bien, j'ai juste ce besoin égoïste de la savoir en sécurité, avec moi, dans mes bras. C'est stupide, je le sais, je le sens, je dois même la mettre mal à l'aise comme elle dit, mais j'en ai besoin. Et étrangement, elle se laisse faire, comme si elle aussi venait d'avoir peur et avait besoin de ce contact.

- Comment m'as-tu trouvé ?

En m'éloignant d'elle, je remarque les coupures, le sang, la douleur qu'elle endure, et je souffre avec elle. Mon expression ne doit pas changer, vu que je ne sais encore comment exprimer physiquement cela, mais j'essaye de trouver par moi-même, quitte à paraître débile. Elle souffle, la tête basse, essayant de ne pas me montrer quelques choses. Mais quoi ? Elle finit par relever la tête et me regarder dans les yeux pour me répondre.

- J'ai vu la fumée, entendu l'explosion, je suis revenue voir si tout allait bien au village, et je suis tombée sur toi. Je suis contente que tu sois venu, je pense que Kalen m'aurait tuée. Mais je ne savais pas comment réagir, je veux dire... Ils ont tué Nikyta, ils ont tué mon frère, ils ont gâché ma vie... Et moi j'ai... Je suis partie en vrille, essayant de justifier chaque vie que je prenais, chaque goutte de sang qui tombait sur le sol. La vérité, c'est que je me punissais moi-même pour ne pas avoir vu plus tôt ce qui allait arriver, ne pas avoir réagi quand il le fallait. Je n'aurai jamais dû mettre les pieds dans cette fichue capitale.

Elle me sourit, elle semble heureuse et soulagée de me voir malgré toutes ces blessures... Ses yeux brillent, je me doute que de telles confessions ne sont pas faciles à faire, surtout auprès de quelqu'un que l'on a blessé. Mais je comprends, j'aimerai qu'elle sache que je serais toujours la si besoin. Je pose ma main sur sa joue avec délicatesse, j'ai si peur de lui faire mal... Je lui souris aussi, elle baisse les yeux et je lâche un petit rire pour détendre l'atmosphère devenue trop ambiguë.

- J'ai vécu l'enfer Elyse Kahaan, alors ne compte pas me faire faux bond encore une fois.

Ma voix semble si assurée, si rassurante, que je m'en étonne moi-même. Elle me remercie et j'entreprends silencieusement de soigner ses blessures grâce à la trousse de secours rangée au fond du sac. Ma phrase se répète dans ma tête sans que j'en trouve le sens. J'ai vécu l'enfer, mais cette journée était bien pire. Je pensais que mon corps avait subi toutes les tortures, mais avoir le sentiment de l'avoir perdue, c'est une nouvelle torture bien plus pernicieuse et douloureuse. 

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