3 - Neige

Une perle de givre effleura sa joue. C'était l'aube et les premiers flocons de l'année commençaient tout juste à chuter. Cinabre avait vu ce spectacle des milliers de fois. Cela faisait longtemps que la beauté ingénue de ces morceaux de givre ne l'émouvait plu.

Dans la résidence, la plupart des gemmes se préparaient à hiberner. Durant l'hiver, la lumière était trop faible pour leur permettre de rester éveiller. Ainsi, chacun s'affairait à aménager la résidence. Certains accrochaient de longs draps devant les ouvertures, d'autres installaient d'énormes édredons dans le grand hall à même le sol, et Béryl rouge s'occupaient de coudre leurs tenues de sommeil.

Observant d'un œil distrait toute cette agitation, Cinabre traversa le grand hall et monta l'escalier, jusqu'au bureau du maître. En entrant dans la grande pièce, il aperçu son imposante silhouette se découper en ombre chinoise devant le fenêtre. Le maître était le seul à avoir un physique différent des autres gemmes. Il était le plus imposant de tous, grand et majestueux dans son long manteau noir.

- Maître Vajra, vous vouliez me voir?

À l'écoute de ses pas, le maître se retourna, dévoilant son visage aux traits sculptés. Une austère sérénité habitait son regard.

- Cinabre. Ça faisait longtemps. Comment te portes-tu?

- Pardonnez moi. J'ai été absent bien trop longtemps.

Vajra soupira, un petit sourire en coin.

- Je ne t'en veux pas.

Sa voix était grave et profonde, emprunt d'une grande douceur. Il s'avança de quelques pas, réduisant un peu la distance qui les séparaient.

- Tu sais, personne ne t'en voudrais si tu voulais hiberner avec nous cette année.

- Non. Je ne peux pas.

Cinabre se crispa, les poings serrés. C'était comme ça tout le temps. Chaque hiver, il allait se pelotonner au creux d'une falaise, loin du dortoir confortable où reposaient les autres. Il le faisait de son plein gré. Personne ne l'y obligeait, mais il ne pouvait s'imaginer les choses autrement. Comment le pouvait-il, quand sa seule présence était un danger pour les autres?

Soudain, il sursauta. Le maître venait doucement de poser sa main gantée sur sa tête, en un geste affectueux. Sa voix calme et grave souffla quelques mots.

- Tu n'es pas obligé de t'infliger cette solitude.

Cinabre ferma les yeux, sentant la blessure en lui se craqueler à nouveau. Une forte émotion semblait vouloir déborder de son corps, d'un moment à l'autre.

- Bien sûr que si, répondit-il d'une voix tremblante. Je détruis tout ce qui m'entoure.

Une goutte de mercure brilla au coin de son œil droit. Il l'essuya rapidement du bout du doigt et leva de nouveau le visage en direction de Vajra, résolu.

- Maître, j'étais simplement venu vous dire que je ne dormirais pas cette année. Ma décision est prise.

- Fais comme tu l'entends, murmura doucement Vajra. Mais revient nous l'année prochaine.

Aucune réponse ne suivit. Cinabre ne pouvait tout simplement plus parler. Le désarroi qui le submergeait menaçait de faire se déverser des flots de mercure dans toute la pièce. Il se contenta de reculer de quelques pas, tête baissée, avant de faire volte face et de quitter la pièce au pas de course, accablé.

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