2 - Ré-assemblage
- Donc... Phos est venu te voir?
C'était la nuit, seules quelques lanternes éclairaient encore le large couloir de la résidence. Rutile sortit une petite boite métallique de l'un de ses innombrables placards et descendit du tabouret sur lequel il était monté.
- Oui, murmura Cinabre en hochant la tête.
- C'est drôle, j'étais persuadé qu'il avait peur de toi.
- Je le croyais aussi.
Le médecin s'assit sur le rebord de la fenêtre, à côté de Cinabre et ouvrit la boîte métallique qui contenait une sorte de colle très liquide. Il en badigeonna le bras de son patient à l'aide d'une tige en bois, puis recolla méticuleusement chaque éclats qui s'en étaient détachés. La discussion oscillait entre les apostrophes discrètes du médecin et les réponses mélancoliques de son patient, ponctuée de long silence gênant. Comme d'habitude, Cinabre n'était pas très bavard. Chacune de ses phrases refermaient petit à petit les portes du dialogue, jusqu'à ne laisser que l'option du silence lourd et vide de sens.
On ne le voyait presque jamais dans les couloirs de la résidence où séjournaient les autres gemmes. Sa nature singulière l'en empêchait. Son corps produisait une sorte de venin particulièrement nocif qu'il diffusait autour de lui sans contrôle. Alors, tout les autres l'évitaient. Et lui aussi les fuyait. Le malaise qui s'installait lorsqu'il errait parmi eux lui était devenu insupportable. Il préférait se limiter au stricte minimum. En l'occurrence, il était venu faire réparer son bras endommagé avant de repartir pour sa patrouille nocturne.
À présent, le médecin s'était muni d'un petit pinceau rond et saupoudrait de poudre nacrée la fissure qu'il venait tout juste de recoller.
- Puisqu'on en parlait, lança Rutile, le plus naturellement possible, tu crois que Phos a avancé dans son travail? Pour tout t'avouer, je le vois mal écrire une encyclopédie.
L'érudit du groupe avait une certaine nonchalance et un calme qui lui conféraient une sorte d'aisance pour communiquer avec les autres. Il était l'un des seuls à parvenir à briser le silence qu'imposait la présence de Cinabre.
- Non, en effet. Je n'ai pas l'impression que cet incapable ait réussi grand chose jusqu'à présent.
C'était un fait évident, Cinabre détestait Phos. Patiemment, Rutile esquissa un sourire. C'était presque mignon de le voir s'emporter comme ça.
- Hier, je l'ai vu ramener une grosse larve rose dans sa chambre, raconta le médecin d'un ton nonchalant. Il prétendait qu'elle pouvait communiquer avec nous. Tu le crois, ça?
Faussement songeur, il croisa les bras et passa une main sur son menton, comme pour faire semblant de réfléchir.
- Il a peut-être perdu la boule. Peut-être qu'il faudrait que je l'ausculte, tout compte fait...
Puis, il se leva pour ranger la boîte métallique dans l'un des nombreux rangements de l'un des nombreux placards.
- Voilà, c'est terminer! conclus t-il en s'époussetant les mains. Si tu as besoin de te faire soigner à nouveau, repasse me voir.
Cinabre se leva à son tour. Un unique au revoir s'échappa de ses lèvres de pierre, puis il quitta l'immense bâtisse pour retrouver le calme morne et solitaire de sa colline.
La lumière doucereuse des lunes accompagna sa marche noctambule, jusqu'au matin. Les éclats de mercure liquide qu'il laissait flotter autour de lui reflétaient et amplifiaient la faible lueur astrale tel des miroirs pour le maintenir éveiller. Toutes les gemmes avaient besoin de lumière pour vivre. Il était le seul à pouvoir subsister la nuit grâce à ce poison qu'il secrétait, c'est pourquoi il montait la garde, quand le soleil déclinait. Il haïssait cela autant qu'il s'y accrochait de toutes ses forces. Car c'était la seule chose en quoi il était bon. Tout semblait lui démontrer que son destin était de rester engager sur le chemin de la solitude. Une solitude immuable, car les gemmes ne pouvaient pas mourir.
Voila pourquoi il souhaitait si fort que les Séléniens l'emportent. Peut-être que là haut, on lui trouverait une utilité. Mais aucun habitant des Lunes n'avaient jamais voulu de lui.
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