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Cinq ans plus tard, l'arrivée du printemps annonçait le début des beaux jours tandis qu'une foule d'étudiants se dispersait bruyamment à la sortie de la faculté. Certains marchaient d'un pas pressé dans l'espoir de choper leur transport pour rentrer chez eux à temps tandis que d'autres trainaient derrière, discutant et rigolant allègrement entre eux. Au milieu de ce beau monde, un jeune homme aux traits hispanique et à l'air sérieux avançait d'un pas mécanique, les yeux perdus dans ses pensées.
– Et toi ? Comment tu t'en es sorti ?
La voix de son camarade de classe fit revenir le jeune étudiant à l'instant présent. Il fut surpris de voir son groupe d'amis le dévisager avec curiosité mais en déduit vite que le sujet de conversation était probablement l'examen de littérature duquel ils sortaient. Il replaça alors ses lunettes rondes sur son nez et haussa les épaules, un léger sourire en coin au bout des lèvres. Son attitude suffit à répandre un soupir d'exaspération au sein du groupe.
– Évidemment, tout est facile pour Monsieur le génie ! grommela l'un.
– C'est pas sa faute si tu passes tes journées à roupiller en cours, lui rétorqua une autre d'une voix taquine.
Le groupe continua à avancer gaiement avant de se séparer au niveau du parking. L'étudiant vérifia l'heure à sa montre puis longea le gymnase universitaire pour se diriger vers l'arrêt de bus le plus proche tout en laissant son regard vadrouiller. Un premier bus le dépassa mais il ne se pressa pas pour rejoindre la foule qui s'y engouffrait. Sans remord, il contempla le véhicule s'éloigner avant de prendre place sous l'abribus. Une femme complètement recroquevillée sur elle-même semblait somnoler sur un des bancs. L'étudiant la zieuta avec inquiétude mais n'osa pas la déranger et sortit plutôt un roman, bien content de pouvoir s'accorder un peu de lecture légère après cette journée stressante emplie de partiels.
Cependant, sa lecture fut bien vite perturbée par l'arrivée à son oreille d'un rire qu'il pouvait reconnaitre entre mille. Il redressa la tête aussi vivement que son cœur bondit dans sa poitrine pour apercevoir au loin un groupe d'étudiantes en tenue de sport sortir du gymnase. Il n'eut aucun mal à repérer parmi eux une jeune femme à la peau noire et à l'air déterminé dont l'aura même paraissait irradier la joie de vivre et la confiance en soi. Ses longs cheveux noirs tressés de violet et coiffés en queue de cheval se balançaient à chacun de ses pas alors qu'elle et ses camarades avançaient vers le parking. En les voyant s'approcher dangereusement de lui, l'étudiant se recoiffa presque inconsciemment puis tenta de se replonger dans sa lecture sans grand succès. Il n'avait que trop conscience de l'appréhension qui faisait battre son cœur plus vite et monter la température dans son corps. Il fit pourtant mine de lire tandis que le brouhaha passa à côté de l'abribus puis commença à s'éloigner vers le parking.
– Constance, je te dépose pas ? cria l'une des filles.
– Si, si, deux minutes, j'arrive !
La proximité du son fit sursauter l'étudiant qui releva la tête à la hâte et manqua de faire tomber son livre. Son cœur rata un nouveau battement en apercevant la seule et unique Constance Mercier contourner l'abribus pour se retrouver devant lui. Constance afficha un sourire amusé devant le visage décontenancé de l'étudiant.
– Tiens donc, ne serait-ce pas le fameux Tomichou Martinez ? le taquina-t-elle. Alors ça se passe tes partiels ?
– O-oui, ça va, bafouilla-t-il malgré lui en replaçant ses lunettes. Il m'en reste encore deux. Et toi ?
– Encore une épreuve pratique mais le pire est passé et je crois que je m'en suis pas trop mal sortie, même sur les épreuves théoriques. Tu as peut-être devant toi une future professeure de sport diplômée ! T'imagines ? Moi, diplômée ?
– Je n'en ai jamais douté.
Il plongea son regard dans celui de Constance et le détourna aussitôt, embarrassé par la niaiserie de ses propres mots. Depuis leur entrée à la fac, ils ne se parlaient plus qu'ainsi, aux détours de couloirs, et ce genre de conversation mondaine n'était pas son point fort. Un court silence s'installa durant lequel il s'insulta intérieurement de tous les noms avant que la jeune femme ne relance la conversation.
– D'ailleurs Tom, je voulais te remercier, avoua-t-elle d'une voix soudain plus posée. J'ai toujours cru que j'étais trop stupide pour réussir en cours et si tu ne m'avais pas autant aidée au lycée, je n'en serais probablement pas là aujourd'hui. Tes futurs élèves auront beaucoup de chance d'avoir un prof comme toi.
Ce tsunami de compliments acheva le pauvre Tom qui sentit sa face entière rougir. Il eut l'impression de retourner cinq ans en arrière pour redevenir un adolescent complètement démuni face à celle qui représentait tout son contraire. Constance était pourtant bien moins intimidante maintenant qu'il la connaissait un peu et elle avait gagné en maturité depuis le lycée mais sa beauté et son charisme continuaient de le troubler aujourd'hui encore, si ce n'est même plus qu'avant.
– Faut qu'je file, renquilla-t-elle avant qu'il n'ait pu reprendre ses esprits. J'imagine qu'on devrait se croiser à la soirée pour les diplômés ?
– Oh, je..., c'est pas trop mon truc ce genre de fête, marmonna-t-il en se grattant la nuque.
Constance arqua un sourcil intrigué puis un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres.
– Mais c'est pas tous les jours qu'on est diplômés ! Et puis, l'important c'est pas la fête mais les personnes avec qui on la partage, non ?
Elle accompagna sa dernière phrase d'un clin d'œil séducteur qui laissa Tom tellement pantois qu'il en fit tomber son roman sur le sol pour de bon cette fois. Il n'eut pas le temps de le ramasser ou bégayer quoi que ce soit que Constance avait déjà tourné les talons en riant doucement.
Tom en était encore à se demander si ce qu'elle venait de dire était une suggestion sérieuse ou une banale plaisanterie quand une autre voix l'interpella.
– Non, j'ai dit non, laisse-moi.
Tom se tourna sur sa droite pour observer la femme désormais éveillée à l'autre bout de l'abribus. Ses longs cheveux châtains étaient visiblement gras et tout emmêlés et son visage lourdement cerné et marqué par la vie. Si sa voix ne sonnait pas si jeune, on lui aurait facilement donné cinquante ans. L'air contrarié, elle chassa l'air de sa main comme pour tenter de clouer le bec à une personne invisible.
– Je m'en fiche. Pars, ouste !
L'étudiant jeta un œil autour de lui. Il n'y avait clairement personne d'autre dans les parages à qui la femme aurait pu s'adresser.
– C'est à moi que vous parlez ? l'interrogea-t-il avec doute.
La femme se redressa aussi vivement que si on venait de la piquer et fonça droit sur Tom. Ce dernier eut à peine le temps de sursauter que l'inconnue se trouvait déjà accrochée à son col de chemise, amenant avec elle une odeur accrue de transpiration et d'urine. Il détourna la tête pour se couvrir le nez dans son épaule avant de poser une main tremblante sur celle de la femme pour se défaire de son emprise. Elle relâcha aussitôt sa chemise pour agripper sa main puis son bras à la place. Tom contempla sans rien dire l'inconnue se figer avec le regard au loin. Il n'osait plus bouger ni parler par peur de déclencher une nouvelle réaction brusque chez cette femme qui n'avait clairement plus toute sa tête. Soudain, elle plongea son regard dans le sien avec horreur et tristesse puis commença à marmonner des phrases qu'il ne comprit qu'à moitié :
– Mort, les deux, si jeune... Voiture, accident, seul survivant... Je connais moi aussi...
Sans réfléchir, Tom arracha son bras à l'emprise de l'inconnue, se leva en trébuchant puis fit marche arrière hâtivement jusqu'à ce que son dos rencontre avec violence la vitre latérale de l'abribus. Malgré sa peur, quelque chose en lui l'empêcha de partir et il continua d'observer l'étrange femme avec appréhension. Celle-ci le contempla avec curiosité en retour avant de jeter un regard par-dessus sa propre épaule.
– C'est pas moi qui lui fait peur, c'est toi ! grommela-t-elle. Tais-toi, je suis pas folle !
Tout en continuant d'observer d'un œil la femme parler au vent, Tom dégaina son portable pour appeler son contact d'urgence, sa grande sœur Alicia. Il savait que la jeune médecin saurait que faire.
– Et il est pas bizarre lui aussi ? Pourquoi y a tant de morts autour de lui, hein ?
– M-morts ? bégaya Tom, incertain de vouloir comprendre à quoi la femme faisait allusion.
Certes tout dans son comportement menait à croire qu'elle était victime d'un certain trouble mental mais Tom ne pouvait s'empêcher de se rejouer en boucle les mots qu'elle lui avait adressé. C'était trop précis pour être un pur hasard. Qui était-elle ? Comment savait-elle pour l'accident de ses parents ?
– Eh toi, gamin, l'interpella-t-elle soudain en pointant un doigt dans sa direction. Ils sont toujours là. Toujours.
– Je... Je crois que vous avez besoin d'aide, Madame. Ne vous inquiétez pas, je...
La femme éclata soudain d'un rire frisant la folie pure avant de basculer dans une colère incontrôlée.
– ILS SONT LÀ JE TE DIS ! hurla-t-elle en visant l'air. Ils parlent, ils font que ça, BLA BLA BLA ! T'entends pas ? Ils me parlent, ILS ME PARLENT TOUS. Bla bla bla aidez-nous, bla bla bla dites ceci, dites cela ! T'entends pas, hein ? T'ENTENDS PAS ?
– Je suis désolé, je...
Mais Tom ne sut quoi répondre. Heureusement pour lui, l'inconnue conclut sa gueulante en s'effondrant en larmes jusqu'à rouler sur le sol et Alicia finit par décrocher. Comme elle était déjà en route pour venir le chercher, elle ne tarda pas à arriver et apercevoir son frère se tenir avec malaise debout près de l'abribus. À quelques pas de lui, une masse informe de vêtements usés et de cheveux sales était secouée de sanglots.
– Madame ? l'interpella-t-elle doucement.
Les sanglots et les secousses s'arrêtèrent instantanément puis la femme releva la tête lentement. Elle dévisagea Alicia sans réussir à se concentrer sur son visage. Ses yeux semblaient vagabonder tout autour de la médecin avec une peur grandissante.
– Non... Morts... Tous morts...
– Vous vous appelez Taline ? s'approcha Alicia avec calme sous le regard admiratif de son frère.
La femme tiqua à la mention de son prénom mais continua à se montrer méfiante.
– Tant d'âmes... Tu ne les as pas sauvées... Elles sont là, toujours là...
– Bonjour Taline, je suis Alicia, une amie de Martin et Léa. Vous vous souvenez ? Ils s'occupent de vous à l'hôpital. Vous êtes partie sans prévenir et ils se sont beaucoup inquiétés pour vous, Taline. Ils vous cherchent depuis ce matin, vous savez.
– Je veux pas y retourner, murmura la femme. Je peux pas. Trop de morts, partout. Ils me parlent, tout le temps.
Alicia soupira, comprenant que la patiente ne plierait pas. De toute façon, ce genre de maladie n'était pas son domaine et le service psychiatrique était déjà prévenu et en chemin.
– Tu la connais ? demanda Tom, sa curiosité reprenant le dessus. Qu'est-ce qu'elle a ?
– Martin m'a parlé d'elle, l'informa-t-elle après avoir pris soin de s'éloigner un peu de la concernée. Apparemment, ils l'ont recueillie l'année dernière parce qu'elle avait des hallucinations de son frère décédé mais sa situation a empiré ces derniers mois. Elle voit des morts partout.
– Et si... Je sais que c'est stupide mais y a-t-il une chance pour qu'elle dise la vérité ? Ce qu'elle m'a dit, l'accident, deux morts, un seul survivant... Elle m'a dit qu'ils étaient toujours là. Et si nos parents...
– Tom... Ça fait six ans. Je sais qu'on n'a jamais vraiment pris le temps d'en parler parce que le sujet est sensible et je ne prétends pas savoir ce que tu as vécu ce jour-là. Et je suis désolée de ne pas avoir été avec vous mais je suis là maintenant. Peut-être serait-il temps qu'on en parle, tous les deux ?
Tom acquiesça timidement avant que sa grande sœur ne l'attire contre elle dans une étreinte affectueuse. Taline contempla l'échange de loin, une pointe de jalousie et de tristesse au fond du cœur, tandis que les deux parents de l'étudiant lui offrirent des remerciements. Puis une main froide vint essuyer ses larmes et elle aperçut le visage empathique de son petit frère.
« Ne sois pas triste, lui souffla-t-il à l'oreille. Je suis là, je serai toujours là pour ma grande sœur. »
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Bravo ! Vous avez atteint la fin d'Hôtel Paradis !
Enfin, une fin...
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Rendez-vous au Check-out pour en savoir plus...
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