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De toute évidence, je ne plus rien faire pour l'aider autrement qu'en lui permettant d'enfin être réunis avec sa dulcinée. Sans réfléchir plus longtemps, mes deux mains se referment sur l'arme que je pointe en avant alors que Túlio se jette sur moi. La loi de la gravité fait le reste et bientôt le corps de l'homme vient s'avachir de tout son poids sur le mien tandis qu'un liquide chaud et légèrement visqueux se répand sur mes doigts. À travers ses gémissements de douleur, Túlio parvient à me susurrer ses derniers mots à l'oreille.

– Je... suis... désolé...

Je n'ai pas le temps de comprendre ses excuses qu'une vague d'énergie glaçante accompagnée d'une vibration assourdissante envahit la pièce, faisant trembler mon corps entier. Je parviens à renverser le corps de Túlio qui me comprime et me retrouve contrainte à tâtonner de mes mains le sol pour ne pas tomber. Puis une lumière éblouissante me fonce dessus, me consumant toute entière et je sens comme une présence qui tente de s'insinuer en moi. Sans trop savoir comment ni pourquoi, j'ai la conviction qu'il s'agit d'Adeline.

Ma tête rencontre le tapis qui recouvre le sol de la chambre, rugueux et parfumé à l'encens. Je tente de m'accrocher à ces sensations alors que je sens mon corps s'éloigner de moi. Tout à coup je n'ai pas envie de partir, pas comme ça. Je vois ma vie défiler, les rires, les pleurs, les échanges complices et les blessures, l'accident, les combats que j'ai menés et ceux que j'ai abandonnés, ma dépression... Cela fait trois ans que je vis plus ou à peine, une simple ombre de moi-même, et pourtant l'idée de disparaitre là, maintenant, me terrifie. Je n'ai pas envie que mon histoire se finisse ainsi. Je veux pouvoir faire mon deuil et dire adieu à Jivan comme il se doit. Je veux me battre contre les injustices que j'ai vécues dans mon métier et montrer la voie aux autres femmes et je veux me réconcilier avec ma famille qui a tant de fois tenté de me sortir de mon enfermement. Et puis je veux réapprendre à vivre, rencontrer de nouvelles personnes, tomber amoureuse, être aimée... Cela fait des mois que je contemple le vide et tout à coup j'ai envie de vivre à nouveau.

Des larmes coulent sur mes joues mais ce ne sont pas les miennes. Je crois que mon corps ne m'appartient plus. L'image de Túlio, une immense tache rouge au niveau du ventre, m'apparait comme dans un souvenir et l'aura d'énergie qui semble l'entourer s'atténue jusqu'à finalement s'éteindre. Alors que je me sens également partir petit à petit, je ne peux m'empêcher de penser à ce qui aurait pu être ou ne pas être...


•⚜•


Où suis-je ? Impossible à dire. Tout ce que je sais est que je me sens bien. Il ne fait ni trop chaud, ni trop froid. À vrai dire, je ne sens rien, ni l'air, ni mon propre corps. Un silence apaisant m'enveloppe tout entière et j'ai l'impression d'être en paix, soulagée comme jamais je ne l'ai été. Mes dernières pensées envers Túlio résonnent en moi comme une fréquence positive. Je ne saurai même pas dire depuis combien de temps je suis ici à errer sans but quand une immense tristesse me traverse soudain. Elle repart aussitôt, laissant derrière elle un sentiment de lourdeur. Je me sens comme happée vers le bas, quittant mon confort pour retrouver les confins pénibles de mon corps.

J'ouvre les yeux alors que la douleur bat dans chacune de mes veines. Rien que de bouger les lèvres me parait être un effort immense.

– Taline !

Le visage de Jivan se précise au-dessus de moi. La boule au ventre, je tourne mon attention vers mes mains. Sous les taches de rouge, j'observe avec émerveillement la couleur rosée de ma peau, les lignes qui se dessinent sur ma paume et le bleu qui serpente en dessous. Je suis bien vivante, en chair et en os. Comme pour m'assurer que je ne rêve pas, mon autre main vient me pincer le bras. Je cherche Túlio du regard, en quête de réponse, mais ce dernier gît sans vie à côté de moi. Autour de son cou, l'anneau est noirci et brisé en deux. Une odeur de brûlé s'en échappe.

– C'est pas trop tôt ! s'exclame Jivan. Je sais pas ce qu'il s'est passé ici mais un type étrange a rodé toute la nuit dans le couloir. Il faut que tu partes avant qu'il ne revienne !

Il n'a pas besoin d'en dire plus pour que je m'empare de mes affaires et m'engouffre dans les escaliers. Je ne prends même pas le temps de me retourner une seule fois, mon objectif rivé sur atteindre le lobby. Quand j'y arrive enfin, la lumière matinale qui filtre à travers les grandes fenêtres le rend beaucoup moins austère, bien que toujours aussi dénué de vie. Alors que mon pas s'accélère en direction de la porte de sortie, Jivan m'interpelle.

– Si tu sors, il est possible que tu ne puisses plus me revoir, m'informe-t-il avec un sourire tendre.

Cette nouvelle qui devrait pourtant me dévaster ne me perturbe pas tant. Enfin lâcher prise et laisser mon frère reposer en paix est tout ce que je peux souhaiter. Je lui rends son sourire, le cœur empli d'amour et de reconnaissance pour tout ce qu'il m'a apportée.

– Peu importe que tu sois là ou non, tu seras toujours avec moi. Je t'aime, փոքր եղպայր.

Je le vois grimacer face à ma niaiserie puis rigoler de bon cœur.

– Moi aussi, sœurette. Et promets-moi une chose : tu ne remettras plus jamais les pieds dans cet hôtel, quoi qu'il arrive. Fais profil bas et n'essaie pas de comprendre ce qui est arrivé à Adeline ou aux deux journalistes, je t'en supplie.

J'accepte, trop épuisée par les évènements de la nuit pour le contredire, et lui adresse un dernier signe d'adieu avant de franchir les portes de l'hôtel. Une pluie fine et vivifiante fourmille presque aussitôt sur mon visage et je me sens revivre. Je suis en vie. N'est-ce pas extraordinaire ?

Je suis encore en pleine exaltation quand des pas se font entendre. Une silhouette féminine grimpe les marches menant à l'hôtel et me salue au passage. Elle porte un uniforme hôtelier avec un badge au nom de Lise. J'amorce un mouvement pour l'interpeller avant de remarquer le sang sur mes mains et ma chemise. Bienheureusement, la jeune femme semble bien plus intéressée par le contenu de son portable que par ce qui l'entoure. Je ferme ma veste et contourne habillement l'employée avant de m'éloigner à grands pas de la bâtisse. Démunie de mon téléphone, je n'ai d'autre choix que de marcher en espérant trouver une cabine téléphonique ou une âme charitable sur le chemin pour appeler un taxi. Plutôt crever que de retourner dans ce maudit hôtel pour demander de l'aide. Avant de tourner au coin de la rue, je jette un dernier coup d'œil à l'Hôtel Paradis. Pendant une brève seconde, j'ai comme l'impression de voir un flash de lumière éclairer les fenêtres du dernier étage mais choisis de mettre ceci sur le compte de la fatigue.

Au loin, le jour se lève tandis que la pluie s'intensifie. Les gouttes se mêlent au sang encore frais qui me recouvre, effaçant petit à petit les preuves de l'acte que je viens de commettre. Pourtant, je sais que je n'oublierai pas de sitôt cette nuit forte en émotions et que beaucoup de questions me taraudent encore. Aurais-je pu faire quelque chose pour sauver Túlio et Adeline ? Quelle était cette étrange créature au troisième étage ? Qu'est-il arrivé à Maël et Camille ? Et reverrais-je un jour Jivan ? Je ne serais même pas étonnée de me réveiller demain dans mon lit et réaliser que tout ceci n'était qu'un rêve. Mais si tout ça était bien réel alors je suis certaine d'une chose :


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Voyons à quelle fin votre enquête vous a menée...

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Allez en 81.

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