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Où suis-je ? Impossible à dire. Tout ce que je sais est que je me sens bien. Il ne fait ni trop chaud, ni trop froid. À vrai dire, je ne sens rien, ni l'air, ni mon propre corps. Un silence apaisant m'enveloppe tout entière et j'ai l'impression d'être en paix, soulagée comme jamais je ne l'ai été. Mes dernières pensées envers Túlio résonnent en moi comme une fréquence positive. Je ne saurai même pas dire depuis combien de temps je suis ici à errer sans but quand une immense tristesse me traverse soudain. Elle repart aussitôt, laissant derrière elle un sentiment de lourdeur. Je me sens comme happée vers le bas, quittant mon confort pour retrouver les confins pénibles de mon corps.
J'ouvre les yeux alors que la douleur bat dans chacune de mes veines. Les yeux humides de Túlio me dévisagent à quelques centimètres de moi. Rien que de bouger les lèvres me parait être un effort immense.
– Que s'est-il passé ? Est-ce que je suis...
Je vois Túlio s'effondrer en larmes devant moi, incapable de me répondre. La boule au ventre, je tourne mon attention vers l'anneau dans ma main, noirci et brisé en deux. Une odeur de brûlé s'en échappe. Ce n'est pourtant pas ce qui me surprend le plus. J'observe avec émerveillement la couleur rosée de ma peau, les lignes qui se dessinent sur ma paume et le bleu qui serpente en dessous. Je suis bien vivante, en chair et en os. Comme pour m'assurer que je ne rêve pas, mon autre main vient caresser mon visage, prenant le temps de sentir chaque courbe et imperfections. Mes joues sont humides et un goût que je ne reconnais pas est imprégné sur mes lèvres. Je cherche à nouveau Túlio du regard, en quête de réponse.
– Ça a marché, finit-il par m'annoncer d'une voix rauque. Tu l'as libérée et ton corps a contenu son âme pendant un instant. Elle était là, vivante... mais il fallait qu'elle parte.
Il m'offre un sourire triste et durant d'interminables secondes, je reste interdite avant de finalement l'enlacer. Ses doigts agrippent le tissu de mon chemisier alors que son front vient se lover dans le creux de mon cou. Je sens mon chemisier s'imbiber de ses larmes. Au bout d'une bonne minute, ses sanglots se calment et son étreinte se desserre. Il renifle et essuie ses larmes d'un revers de la main. Les peintures sur son visage désormais mélangées forment une œuvre complètement abstraite.
– Je suis désolé, murmure-t-il tout doucement en voyant les tâches qu'il a laissées sur mon épaule.
Il titube légèrement en se redressant et je le regarde fouiller dans ses affaires avec empressement pour trouver des mouchoirs puis s'atteler à éponger les dégâts avec une concentration inattendue, évitant soigneusement de me regarder en retour.
– C'est marrant, avoue-t-il finalement dans un rire triste. Je pensais que rien ne me rendrait plus heureux que de pouvoir enfin parler avec Adeline de vive voix mais je n'ai pas réussi à m'en réjouir vraiment. Une fraction de moi était terrorisée à l'idée de t'avoir réellement tuée. Je... je suis vraiment désolé de t'avoir demandé de prendre un tel risque.
Je hausse les épaules comme si de rien n'était, encore troublée par l'expérience que je viens de vivre et la motivation nouvelle qui me saisit. Je crois que je n'ai jamais autant eu envie de profiter de ma vie.
– L'amour et le désespoir nous font parfois perdre toute rationalité.
– La rationalité, ça n'a jamais été mon point fort, blague Túlio.
À travers les rideaux de la fenêtre, la lumière du jour commence à percer même si j'entends encore une petite pluie tomber. Cette simple vision provoque en moi une envie soudaine de sortir, respirer l'aube et sentir le ciel couler sur ma peau. Je me demande si Túlio ressent la même chose car je vois ses yeux s'éclaircirent et nous échangeons un sourire. Il se nettoie le visage puis se met à rassembler ses affaires dans un grand sac. De toutes évidences, plus rien ne le retient ici. Sans un mot, j'enfile mes bottines, récupère sac et veste et ouvre avec hâte la porte de la chambre.
– C'est pas trop tôt ! s'exclame Jivan depuis le coin de couloir où il est assis. Il faut vraiment que vous partiez maintenant !
Il n'a pas besoin d'en dire plus pour que je m'engouffre dans les escaliers, Túlio à ma suite, jusqu'à atteindre le lobby. La lumière matinale qui filtre à travers les grandes fenêtres le rend beaucoup moins austère, bien que toujours aussi dénué de vie. Alors que mon pas s'accélère en direction de la porte de sortie, Jivan m'interpelle.
– Si tu sors, il est possible que tu ne puisses plus me revoir, m'informe-t-il avec un sourire tendre.
Je me tourne vers Túlio qui confirme ses dires :
– Cet endroit est très chargé et particulièrement propice aux échanges ésotériques. Ce n'est pas dit que tu parviennes à retrouver ce genre de contact aussi puissant ailleurs.
Cette nouvelle qui devrait pourtant me dévaster ne me perturbe pas tant. Enfin lâcher prise et laisser mon frère reposer en paix est tout ce que je peux souhaiter. Je lui rends son sourire, le cœur empli d'amour et de reconnaissance pour tout ce qu'il m'a apportée.
– Peu importe que tu sois là ou non, tu seras toujours avec moi. Je t'aime, փոքր եղպայր.
Je le vois grimacer face à mes rudiments d'arménien puis rigoler de bon cœur.
– Moi aussi, sœurette. Et promets-moi une chose : tu ne remettras plus jamais les pieds dans cet hôtel, quoi qu'il arrive. Fais profil bas et n'essaie pas de comprendre ce qui est arrivé à Adeline ou aux deux journalistes, je t'en supplie.
J'accepte, trop épuisée par les évènements de la nuit pour le contredire, et lui adresse un dernier signe d'adieu avant de franchir les portes de l'hôtel. Une pluie fine et vivifiante fourmille presque aussitôt sur mon visage et je me sens revivre. Je suis en vie. N'est-ce pas extraordinaire ?
Je suis encore en pleine exaltation quand des pas se font entendre. Une silhouette féminine grimpe les marches menant à l'hôtel et ralentit en nous apercevant. Elle porte un uniforme hôtelier avec un badge au nom de Lise.
– Túlio ? Tout va bien, vous avez l'air...
Ses mots se perdent dans ses pensées. Sans doute peine-t-elle à trouver un terme adéquat pour ne pas vexer le barman.
– Bonjour Lise, répond l'homme avec politesse. Ne vous en faites pas pour moi, ça va aller. Ah, et je ne pense pas revenir travailler ici. Bonne journée.
La réaction décontenancée de la jeune femme ne semble pas troubler Túlio qui reprend son chemin en direction du parking, visiblement pressé de s'éloigner de la bâtisse à laquelle il a pourtant consacré trois longues années de sa vie.
– Je te dépose quelque part ? me demande-t-il en se retournant vers moi.
Malgré la question banale, je sens l'appréhension se dessiner sur son visage dans l'attente de ma réponse. Son offre est pourtant la bienvenue suite à la perte de mon téléphone et je n'hésite pas bien longtemps avant de le suivre. Juste avant d'entrer dans la voiture, je jette un dernier coup d'œil à l'Hôtel Paradis. Pendant une brève seconde, j'ai comme l'impression de voir un flash de lumière éclairer les fenêtres du dernier étage mais choisis de mettre ceci sur le compte de la fatigue.
– Je ne pourrais jamais m'excuser assez mais sache que je suis vraiment désolé pour tous les torts que je t'ai causés ce soir, se confesse Túlio à l'issue d'un trajet silencieux. Et j'aimerais également te remercier de m'avoir aidé à sortir de ce cercle vicieux. Je ne sais pas ce qu'il serait advenu de moi si je n'avais pas croisé ta route...
Il garde la tête basse, honteux, et quelques mèches rebelles viennent cacher son regard. Mes doigts se glissent instinctivement dans ses boucles pour dégager son visage et révéler son expression de surprise.
– Moi aussi je suis reconnaissante d'avoir croisé ta route. Tu m'as ouvert les yeux sur tellement de choses. Peut-être n'était-ce pas un hasard ?
Túlio redresse la tête et me contemple avec curiosité. Je souris et pose ma main sur la sienne, sentant encore ce lien d'énergie qui nous uni. Ses propres émotions se mêlent aux miennes, révélant tout le réconfort que ma simple présence semble lui apporter. D'abord étonné, il détourne le regard et se racle la gorge en signe de gêne. Je repense à ce qu'il m'a dit lors de l'initiation, à ce lien qui s'est immédiatement établi et comment il nous permet d'échanger nos émotions sans un mot. Lui-même m'a confirmé que ce n'était pas habituel pour lui.
– Túlio, cette énergie... tu sais ce que ça signifie ?
– J'ai ma petite idée, oui, finit-il par répondre face à mon insistance. Mais je ne veux pas que cela influence ton jugement ou que tu te sentes forcée de me pardonner, surtout après ce que j'ai fait.
Mais au fond de moi je sais déjà. Je sais déjà ce qu'il ressent, tous ses regrets, ses peines et ses douleurs mais aussi toute son affection et son envie de se racheter. Et si c'était ça la vraie magie ? Et si nous étions destinés à nous rencontrer depuis le début ? Deux âmes sœurs dont les chemins ne demandaient qu'à se retrouver. Je crois que je pourrais finir par aimer cette idée, avec un peu de temps.
– Taline, ce lien entre nous ne suffira jamais à effacer ce que j'ai fait. Il me reste aussi un long deuil à rattraper et je ne voudrais pas t'exposer plus longtemps à mes malheurs.
– Tu comptes rester dans le coin ? Trouver un autre boulot ?
– Je ne sais pas trop... Mais si tu as besoin de quoi que ce soit, ne serait-ce que quelqu'un à qui parler, je serais ravi de te revoir.
Il fouille avec maladresse dans le compartiment devant le siège passager, naviguant entre de vieux gris-gris et des magazines ésotériques datant d'il y a quatre ans, avant d'en sortir un stock de cartes de visite. Il m'en tend une et je suis surprise d'y voir un autre nom que le sien. En effet, cette carte de visite très épurée mentionne un médium du nom d'Alèm ainsi que ses coordonnées pour le contacter.
– Ne fais pas attention au nom, c'est une vieille carte, mais le numéro est le bon.
J'observe la carte avec intérêt. Le design est tellement cliché qu'il m'est difficile de ne pas le charrier.
– Je ne savais pas que tu avais un nom de scène officiel.
– C'est une façon de voir les choses, s'autorise-t-il à rire avant que je ne me décide à quitter le véhicule. C'était un plaisir de te rencontrer, Taline. Merci pour tout et j'espère à bientôt ?
Je secoue la carte dans ma main puis la glisse dans ma poche. Je ne sais pas si nous nous reverrons de sitôt ou si cela demandera des années de réflexion mais mon instinct me dit que cette rencontre n'était que le début de notre histoire. Qui sait ?
Je commence à tourner le dos à Túlio quand mon estomac gronde. Je visualise aussitôt l'intérieur de mon frigo désespérément vide et fais demi-tour pour toquer à la vitre passager de la voiture. J'attends que le medium l'ait entièrement baissée pour venir m'accouder à la portière. Je ne peux rien promettre quant à l'avenir mais je sais que je ne veux plus perdre une seconde à me morfondre. Je veux que ma vie vaille le coup d'être vécue.
– Je sais pas toi mais je suis affamée.
Túlio ne tarde pas à me rendre mon sourire, une moue joueuse sur le visage.
– Que dis-tu d'un brunch ? C'est moi qui offre.
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Bravo ! Vous avez atteint la fin d'Hôtel Paradis !
Enfin, une fin...
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Rendez-vous au Check-out pour en savoir plus...
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