Chapitre deux
Un deuxième verre de vin passe dans mon gosier, alors qu'un serveur apporte nos entrées et remplit une nouvelle fois le verre vide. Je fixe un moment l'assiette devant moi. Il s'agit de Saint-Jacques, avec de la crème et des herbes. Habituellement, je raffole de ce plat, mais pas ce soir. Mon estomac est noué, je n'arriverai à rien avaler. Mes parents viennent de partir en mission et je prie tous les Dieux que je connais, ainsi que dans plusieurs langues. L'un d'eux peut réaliser mes prières, celles où ils reviennent vivants et sans aucune égratignure, mais surtout le plus vite possible.
- Tu ne manges pas ? intervient la voix de mon grand-père. Je croyais que tu aimais ça. Je peux te commander autre chose si tu le souhaites. Le chef fera le plat que tu désires.
Je relève les yeux de mon repas pour regarder mon aïeul. Son assiette est presque vide et son regard soucieux est posé sur ma personne. Je ne sais pas comment il peut être aussi calme, sachant ce qui s'est passé lors de la dernière mission de mes parents. Ils ont failli ne pas revenir du tout, du moins mon père. Son gendre. Une balle de fusil lui avait traversé le ventre comme du beurre. Sa vie ne tenait qu'à un fil lorsqu'il est rentré en France et les médecins ne croyaient pas à son rétablissement. Heureusement, il est un homme costaud, en pleine santé et qui sait se battre. Il s'est battu contre la mort et il a gagné le combat.
Sans m'en rendre compte, je me lève, bousculant la table et surprenant mon grand-père. Je vacille légèrement sur mes pieds. Les deux verres de vin à jeun ne font pas bon ménage dans mon organisme. Pendant un instant, je regarde le troisième qui me tend les bras, mais non, cela ne serait pas sage. Je veux rentrer à la maison et pour ça, il faut que je prenne le volant.
- Qu'est-ce qui te prend ?
- Je n'ai pas faim, je vais rentrer à la maison.
- Mais...
Sans écouter ce qu'il a à dire, je tourne les talons et quitte le restaurant au pas de charge pour me rendre dans le hall. Raphaël se trouve derrière son comptoir d'accueil et discute avec un garçon aux cheveux blonds. Impatiente de nature et ne pensant qu'à rentrer à la maison, je passe devant le blondinet pour m'adresser au concierge. Ce dernier semble surpris de me voir.
- Mademoiselle, qu'est-ce que...
- Raphaël, pouvez-vous demander qu'on me ramène la voiture ? Je souhaite rentrer, s'il vous plaît ?
- Bien sûr, mademoiselle. Je préviens tout de suite un voiturier, dit Raphaël en attrapant le combiné à sa droite.
- Minute ! J'étais là avant, gamine. Alors, tu es gentille et tu fais la queue comme tout le monde.
C'est le blond qui vient de parler. Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule pour croiser des yeux bleus semblables à de la glace. Le bonhomme est impressionnant, cela je ne peux pas le nier, mais il ne me fait pas peur. Je me retourne complètement pour lui faire face. Il doit bien faire une bonne tête et demie de plus que moi et à des allures de Bad boy qui doivent rendre toutes les filles dingues de lui. La belle affaire !
Il me regarde avec mépris et il doit sans doute penser à la manière de me tuer sans laisser de trace sous sa boîte crânienne. Nous sommes proches l'un de l'autre physiquement, il y a peu d'espace, pourtant, il se rapproche davantage au point que son odeur d'eau de Cologne vienne chatouiller mes narines, il me toise de toute sa hauteur. Pourtant, je ne me démonte pas face à lui.
- Comment m'as-tu appelé ?
- Gamine ! Et cela te va bien. Comment es-tu rentrée dans cet hôtel ? La crèche, c'est deux rues plus loin.
- Oh que c'est drôle, papy ! L'EHPAD est le bâtiment en face, il y a une chambre déjà à ton nom, je suis sûr qu'ils t'attendent.
- Espèce de...
- Lola !
Le jeune homme se fige au son de la voix qui vient de crier mon prénom et il relève la tête vers mon grand-père qui arrive ma veste dans les mains. Lorsqu'il s'arrête à notre niveau, le blondinet s'est redressé et fait quelques pas en arrière, une marque de respect adoucit les traits de son visage. Ayant récupéré mon espace vital, je respire un grand coup, avant de me tourner vers le maître des lieux. Il marche précipitamment vers nous.
- Pourquoi es-tu parti comme ça ? Tu as oublié ta veste, il faudrait éviter que tu attrapes froid !
- Merci, je murmure.
- Monsieur Reyes ! intervient la voix du blondinet. C'est un plaisir de vous revoir.
Mon aïeul et moi nous tournons vers lui comme un seul homme. Son ton a changé, tout comme son expression faciale et sa posture. Tout en lui inspire le respect qu'il éprouve pour mon grand-père, ainsi qu'une certaine soumission. Je lève les yeux au ciel, dégoûté. Il joue les grandes gueules, mais il est comme tout le monde en fait. Un simple chiot qui rentre la queue quand « Monsieur Reyes » apparaît.
- Joshua ! Heureux de te revoir mon garçon, s'exclama mon grand-père, en lui tendant la main. Que viens-tu faire ici ? Est-ce pour le travail ou pour le plaisir ?
- Les deux, monsieur, répondit-il en échangeant une poignée virile.
Un sourire se dessine sur les lèvres du jeune homme et je me retiens de mimer un vomissement. Ils échangent quelques banalités et je me tourne vers Raphaël, le suppliant des yeux de me sortir de là au plus vite. Il sourit et me montre la porte d'entrée du menton, signe que la voiture est arrivée. Je lui rends son sourire et ajoute un clin d'œil, avant de me tourner vers les deux mâles alpha.
- Désolée de vous interrompre, messieurs, mais ma voiture est là.
- Oh ! J'ai failli oublier, prononça mon grand-père, en passant un bras protecteur derrière mes épaules. Vous ne vous êtes sans doute jamais rencontré. Joshua, je te présente ma petite fille, Lola. Joshua est basé à New York à l'origine.
- Votre petite fille ? bégaya notre interlocuteur, surpris.
Ses yeux firent la navette entre mon grand-père et moi, quand il fige enfin son regard dans le mien, je sens que la colère qu'il éprouvait plus tôt à mon égard a disparu. Dommage, ça aurait été plus amusant comme ça, mais bon. Il est comme tous les autres, personne ne s'en prend à la petite fille du célèbre Corentin Reyes. Ma famille à une certaine réputation dans le milieu et ça grâce à lui. Il ne faut jamais se fier aux apparences dans ce métier.
- Oui, elle n'est pas encore officiellement dans le circuit, mais ces parents et moi espérons pouvoir l'initier dans très peu de temps. Vous serez sans doute amené à vous recroiser.
- J'en meurs déjà d'impatience, dis-je, en faisant mon plus beau sourire faux. Bonne soirée grand-père, je t'appelle demain.
- Envoie-moi un message quand tu arriveras chez toi et si tu te sens seule, tu es la bienvenue ici.
- Merci !
Je fais un signe de main à Raphaël, embrasse la joue de mon aïeul en récupérant ma veste et quitte les lieux, sans un regard pour le dénommé Joshua. J'espère ne plus jamais le croiser. Dehors, l'air frais de la nuit provoque une succession de frissons sur ma peau. En bas de l'escalier, le voiturier m'attend sagement devant la voiture, le moteur tourne et il patiente le temps que je me décide de descendre pour ouvrir la portière côté conducteur. Je décide de ne pas le faire attendre plus longtemps et je prends sa direction. J'ai à peine descendu la dernière marche, qu'il ouvre la portière, un sourire aux lèvres.
- Mademoiselle Reyes, j'espère que votre dîner s'est bien passé. Faites attention sur la route et à très vite.
N'ayant pas le cœur de lui répondre que je n'ai même pas dîné, je me contente d'un sourire poli à son encontre et m'installe derrière le volant. À l'intérieur, le chauffage est allumé et me réchauffe rapidement, l'Angélus propose vraiment un service cinq étoiles. Dès que la porte est refermée, je quitte la place et prends la direction de chez moi, regrettant de ne pas être venue à moto.
[Ø]
Il y a trois personnes devant moi dans la file d'attente et c'est déjà beaucoup trop. Je n'ai pas beaucoup de patience depuis ce matin, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit et je me suis tordu la cheville durant mon jogging matinal. Heureusement, je ne me suis pas fait assez mal pour boiter, mais je ressens quand même une gêne quand je marche. Le Starbucks est situé au bout de la rue où se trouve mon école parisienne, je suis en avance de dix minutes avant mon premier cours de la journée, mais à cette allure je risque de perdre rapidement ce temps.
Mon téléphone vibre dans ma poche et je le récupère, espérant un message de mes parents, mais je suis un peu déçue quand je vois le prénom de Béryl affiché. La durée d'un vol entre Paris et l'Argentine est équivalente à quinze heures et quarante neuf minutes. Ils n'ont sans doute pas encore atterri, ils me préviennent toujours quand ils arrivent sains et saufs à une destination. Je soupire et ouvre le message de mon amie.
Béryl : « Je suis installée en classe. Tu es où ? J'ai vu ta moto devant. »
Moi : « Au Starbucks, il y a du monde, j'arrive ! »
Ma réponse envoyée, je range mon téléphone dans ma poche et avance vers le jeune homme qui prend les commandes, c'est enfin mon tour. Le rouquin derrière le comptoir m'offrit un sourire charmeur, comme chaque matin où je viens, mais il me laisse de marbre. Sept fois exactement il avait glissé son numéro dans ma commande et à chaque fois, j'avais jeté le papier sans scrupule. Il n'était pas laid à regarder, il n'était juste pas mon genre. Trop maigre et trop insistant à mon goût.
- Bonjour, Lola, qu'est-ce que tu veux ce matin ?
- Salut, je vais te prendre un chocolat viennois signature et un Iced Latte, les deux en grand. Avec quatre donuts à la myrtille, s'il te plaît.
- C'est comme si c'était fait.
Il lance la commande et je paye, en évitant son regard lourd de sens. Une fois qu'il me donne mon ticket, je me glisse jusqu'au comptoir du bout pour attendre ma commande au moment où il ouvrait la bouche pour rajouter quelque chose. En attendant ma commande, je ressortis mon téléphone pour écrire à Béryl.
Moi : « Sam est toujours aussi lourd, tu crois qu'il lâchera l'affaire un jour ? »
Béryl : « Vu la bombe sexuelle que tu es, il y a de fortes chances que cela n'arrive jamais. Désolée pour toi ! »
Moi : « Tu es toujours dans l'abus ! Mais s'il continue, il risque de lui arriver une bricole. »
Béryl : « Tu pourrais très bien profiter de la situation et lui rendre quelques sourires, je suis sûre qu'on aurait des cafés et donuts gratuits. »
Moi : « hm... Ce n'est pas comme si tu étais à plaindre financièrement, le loft et le compte en banque approvisionné par papa ne comptent pas disparaitre du jour au lendemain. »
Béryl : « Un sou est un sou. C'est ce qu'il répète sans cesse. Allez ! Ramène-toi, j'ai faim ! »
Je ne peux m'empêcher de rire pendant cet échange de messages. La jeune fille qui s'occupe de remettre les commandes me tend la mienne deux minutes plus tard et je quitte le café au pas de course. Sans un regard pour Sam. Il me reste exactement quatre minutes avant le début de mon cours et je n'ai plus de temps à perdre.
Dehors, la rue est animée, les étudiants courent pour se rendre en classe et les adultes marchent rapidement pour aller s'installer derrière leur bureau toute la sainte journée. J'hésite à les imiter, mais non. J'arriverai bien à temps avec une allure normale. Je dépasse ma moto garée devant la porte d'entrée et récupère mon badge pour rentrer dans l'établissement. Il ne reste pas grand monde dans le hall, juste les retardataires qui se précipitent vers leur salle. Heureusement, la mienne se situe au rez-de-chaussée, au détour d'un couloir. Quand j'arrive devant la porte, je tombe face à face avec ma professeure d'économie. Une quarantenaire, habillée d'un tailleur élégant et de grosse lunette ronde perchée sur son petit nez. Elle me sourit gentiment et s'arrête pour ne pas rentrer dans la salle et je lui souris innocemment.
- Mademoiselle Reyes, à une minute vous étiez en retard. Vous m'avez habitué à mieux.
- L'important est que j'arrive à temps, madame Duparc. Tant que vous n'êtes pas dans la salle, le cours n'a pas commencé.
- Rentrez et évitez de faire trop de bruit en mangeant, dit-elle en souriant encore plus.
- Merci !
Je me glisse avant elle dans la salle de classe où tout le monde est déjà installé et je rejoins Béryl qui se situe au fond de la classe à garder ma place à côté d'elle. Madame Duparc est l'une de mes rares enseignantes que j'apprécie vraiment. Pas que je déteste tous les autres, mais sa douceur et sa gentillesse sont rate. J'ai rencontré peu de gens comme elle.
Béryl me salue avec un sourire qui va d'une oreille à l'autre quand je m'assois à ces côtés et une bouffée de joie me traverse quand mes yeux bleus croisent les siens d'un marron noisette. Qu'est-ce que j'aime cette brunette ! Madame Duparc commence à présenter le programme du cours du jour, quand elle se penche dans ma direction pour murmurer.
- J'ai cru que tu n'arriverais jamais.
- Je suis toujours en avance ou pile à l'heure, je dis en riant. Tu le sais, tu disais quoi quand j'étais petite ? J'ai une horloge à la place du cerveau ?
- C'est vrai, pouffa Béryl. Tu m'as pris mon chocolat viennois ?
Pour toute réponse, je lui tends le sac où elle récupère sa boisson et deux donuts. Elle grimace à la vue de mon café glacé. Elle ne comprend pas comment je peux boire ça en plein novembre, avec le froid qui fait dehors. Ce n'est pas ma faute, j'ai une vraie passion pour ce breuvage, qui est presque l'équivalent d'une drogue pour moi.
[Ø]
La journée passe lentement quand la fin des cours est annoncée à 18 h 00, je saute immédiatement sur mon téléphone et je suis frustrée de ne pas voir de messages de mes parents. Normalement à cette heure il devrait être arrivé et le décalage horaire n'est pas une excuse. Béryl range ces affaires à côté de moi et me regarde du coin de l'œil.
- Toujours pas de nouvelles ?
- Non, c'est bizarre, je murmure, en vérifiant ma connexion.
- Ils sont peut-être déjà en action et ils n'ont pas eu le temps de t'envoyer un message. Cela peut arriver, ne t'inquiète pas, essaye de me rassurer Béryl.
- Tu as raison ! Faut que je me dépêche, j'ai mon cours d'équitation dans une demi-heure. On se voit demain ? C'est à ton tour de prendre les boissons.
- À vos ordres, cheffe !
Je ris et quitte rapidement le bâtiment. Dehors, je vois un groupe d'adolescent se prendre en photo avec ma moto, comme si elle leur appartenait. Fortement agacé par leur comportement, car la règle numéro un des motards c'est de ne pas toucher à la moto d'un autre. Je place mon casque sur la tête et me dirige vers le groupe, je bouscule le garçon qui prenait la pause un instant au paravent et ce dernier tombe par terre. Je lui jette à peine un regard en enfourchant ma bécane et en démarrant dans un même mouvement. Trente secondes plus tard, j'étais sur la route, slalomant entre les voitures. Dans le fond, je culpabilisais de mon comportement, mais d'un autre côté, l'inquiétude qui me rongeait le cœur prenait toute la place en moi. Pourquoi je n'avais pas encore reçu un message de leur part ?
[Ø]
En un mouvement, je passe la jambe par-dessus la croupe de Gold et je mis pied à terre. La séance à cheval a été un enfer. Gold à ressentit mon mal être, par conséquent, il était tout aussi perturbé que moi. Le palefrenier s'approche de moi dans l'optique de récupérer les rennes de Gold pour le desseller, le brosser et le remettre au pré, mais aujourd'hui je refuse. Pour m'excuser auprès de lui, je décide de le faire moi-même. En arrivant sur la zone de pansage, j'allume la lumière extérieure et attache le licol à la tête de mon cheval, après lui avoir retiré la cordelette. Cela fait des années que je monte sans filet et je mets la selle exceptionnellement quand on travaille le saut d'obstacle. Avant de passer à l'étape brossage, je vérifie mon téléphone que j'avais laissé dans mes affaires, mais je n'avais pas de nouveaux messages. Juste un rappel pour ma leçon de conduite dans une demi-heure. Le cœur serré, je laisse mon téléphone retomber sur mon sac et commence à brosser le pelage crème de Gold.
- Tu penses qu'ils vont bien ? Il ne leur est rien n'arriver, n'est-ce pas Gold ?
Je me tourne vers sa tête attendant une confirmation de sa part, mais il ne bouge pas et je repris le brossage de ces membres. Soudain, j'entendis les grilles de l'entrée s'ouvrirent, accroupi, je vis des silhouettes vernir dans ma direction par-dessous mon cheval. Trois pour être précis et celle du milieu m'étais familière. Quand ils arrivèrent sous la première lampe, je reconnus mon grand-père et deux de ses hommes de main. Calmement, je me redresse et fais le tour de Gold pour lui faire face, mais en vérité à l'intérieur c'est une tempête de sentiment. Mon grand-père ne quitte plus l'Angélus depuis des années et s'il le fait c'est en cas de nécessité extrême. Nos regards se croisent et je sais, je comprends tout de suite.
- Mon amazone, je suis désolée. J'ai reçu un message de mon homologue de Buenos Aires. Tes parents, ma fille... ils sont morts.
C'est un cauchemar, je jette un coup d'œil aux deux hommes de main et que je connais depuis mon enfance et leur attitude de me donne aucun d'espoir de réveil. Mes parents sont morts ? Non ! Quand ? Comment ? L'un des hommes s'approche de moi et il fait bien, la seconde suivante, je me sentis tomber, sombrer dans l'obscurité totale.
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