Prologue

C'était un jour d'été et les rues étaient bondées de touristes venus visiter la ville. Le soleil aveuglant promettait une belle insolation à ceux qui n'étaient pas assez prudents. C'était un des jours les plus chauds de l'année - peut-être même de la décennie. Et pour un animal arctique comme Léo, marcher sous ce soleil brûlant était dangereux. Même avec son bermuda saumon et son débardeur, il suait à grosses gouttes.

Bon sang, qu'il lui tardait de retrouver la fraiche brise nocturne !

Les gens le bousculaient, se collaient presque à lui, lui donnant envie de rugir. Il tolérait les humains d'ordinaire, mais cette chaleur mettait sa patience à rude épreuve.

Alors qu'il luttait contre l'envie pressante de dévaliser un marchand de glaces, il aperçut un trio de touristes enthousiasmés. Les trois humains étaient en admiration devant un jeune chat. Le félin en question n'était plus un chaton, mais n'avait pas encore atteint sa taille adulte. Le minet leur faisait les yeux doux, ronronnant de manière adorable, tandis que les touristes se baissaient pour lui donner quelconques nourritures. En effet, le mignon petit chat était sale et très amaigri, de ce que pouvait constater Léo, qui se demandait pourquoi il était si intéressé par un chat errant.

Il lui suffit de renifler l'air pour comprendre de quoi il en retournait. Ce n'était pas un petit chat, mais une petite chatte, et elle n'était pas qu'un simple animal. Il y avait une lueur trop intelligente qui brillait dans ses pupilles verticales.

Non, la féline faisait partie de son peuple, il en était certain.

C'est alors que, lorsque les touristes n'ont plus eu de nourriture à lui donner, la jeune chatte bondit et s'empara d'un porte-feuille qui dépassait de la poche d'un des humains. Elle s'enfuit à toute vitesse sous les protestations du trio. Elle s'échappe en toute hâte, se faufilant entre les jambes des passants, avant de gagner une étroite ruelle déserte.

La jeune féline vérifia que personne ne l'avait suivie, puis se mit soudain à changer de forme. En quelques secondes, elle avait recouvert l'apparence d'une petite fille maigrichonne. Elle se saisit alors de son butin, très fière de son coup, quand une voix grave retentit, la faisant sursauter violemment.

-Ce n'est pas très gentil ce que tu as fait à ces gens.

L'homme en question avait la peau très pâle, ce qui faisait ressortir la couleur saumon de son bermuda. Ses yeux clairs lui rappelaient la banquise. Elle avait déjà apperçu cette étendu d'eau glacée à travers la télévision d'une boutique. Ses cheveux étaient en nage, et lui apprit qu'il n'était pas un habitué du coin.

Sans doute un autre touriste, se dit-elle.

Mais un petit quelque chose dans son odeur la tenaillait, sans qu'elle ne sache pourquoi. Elle n'avait jamais vraiment appris à se servir de son nez, excepté pour quêter de la nourriture.

Elle haussa les épaules avec nonchalance, rangeant le porte-feuille volé dans la poche de sa veste miteuse.

-Mêlez-vous de ce qui vous regarde. l'avertit-elle avant de faire demi-tour.

Contre toute attente, l'homme ne la suivit pas.

Les heures défilèrent, et la jeune fille continuait de voler les touristes jusqu'à ce que le soleil se soit couché. Son travail journalier enfin fini, elle s'en alla retrouver son petit terrier, comme elle aimait l'appeler. Ce n'était en fait qu'un carton moisi, mais c'est ce qui s'apparentait le plus à un foyer pour elle. De temps en temps, des souris avaient l'audace de s'aventurer dans sa ruelle, et elle pouvait alors les avaler goulument.

Mais avant qu'elle ne puisse atteindre le réconfort de son chez-soi, elle tomba truffe-à-truffe contre un petit groupe d'adolescents. La chatte les connaissait bien. Ils étaient tous les quatre des métamorphes chiens, et aimaient la brutaliser quand ils avaient la chance de tomber sur la jeune féline.

Les chiens et les chats ne s'aimaient pas, c'était bien connu.

Bien que la peur et la panique s'emparait d'elle, la jeune fille leva le menton bien haut et les observa d'un air de défi. Qu'elle soit damnée et aille rôtir en Enfer si elle avait la lâcheté de fuir, la queue entre les pattes.

Elle était un chat et cela signifiait qu'elle était supérieure aux autres. C'était ce que ses parents lui avaient appris les quelques années qu'elle avait partagé avec eux. Et elle mettait un point d'honneur à appliquer les conseils qu'ils lui avaient prodigués.

Malheureusement pour elle, les canidés avaient horreur de l'air supérieur qu'elle affichait. S'il y avait bien une chose qu'ils aimaient, c'était de voir la combativité d'un métamorphe s'effriter, ne laissant qu'un animal soumis à la suite de leur assaut.

Ils n'avaient jamais réussi à soumettre la chatte, mais ils étaient déterminés.

-Alors, p'tite chatte, t'as perdu ton bol de lait ? se moque l'un des garçons.

La jeune fille ria de leur idiotie.

-Les chats digèrent mal le lait, crétins !

En effet, le sucre du lait de vache leur causait des indigestions et la suite, eh bien ce n'était pas beau à voir.

-Toujours aussi insolente. La dernière fois ne t'a pas suffi apparemment.

Il se tourne vers ses camarades.

-L'un d'vous n'a pas d'inconvénient à ce que je m'occupe d'elle ? J'ai très envie d'lui faire regretter sa grande gueule.

Mais les autres n'étaient pas du même avis. Tous voulaient s'en prendre à la petite chatte, et il était évident qu'ils ne pouvaient pas attaquer en même temps.

Pendant que les chiens se chamaillaient pour savoir qui jouerait avec elle en premier, la jeune fille profita de cette distraction pour prendre sa forme animale. Elle se jetta sur le premier, labourant ses parties intimes de ses griffes acérées. L'adolescent hurla de douleur, tout en crachant des injures.

-Enlevez-la d'mes burnes, putain ! cria t-il à ses acolytes.

Aussitôt, la chatte se fit agripper par son camarade et fut obligée de lâcher prise. Le garçon leva le bras pour l'élever à sa hauteur, assez loin de son visage pour qu'elle ne soit pas tenter de lui faire un ravalement de façade.

-J'vais t'faire hurler. lui promet l'adolescent alors que ses yeux brillaient d'une façon inhumaine.

Puis il la jeta contre le mur de brique, assez fort pour qu'un son d'os brisé retentisse. En inspirant, la jeune fille se rendit compte qu'elle avait des côtes cassées. Un grognement retentit et elle put apercevoir le garçon prendre sa forme animale, celle d'un rottweiler enragé. Il la choppa par la peau du cou et la souleva. La féline poussa alors un miaulement plaintif tandis que ses côtes la faisaient souffrir atrocement.

L'un des garçons s'agenouilla devant elle, celui dont elle avait griffé l'entrejambe.

-Excuse-toi maintenant.

La chatte feule pour toute réponse. Le garçon leva alors le bras, ses ongles humains remplacés par les griffes acérées de son animal. Très rancunier, il s'apprêtait à éventrer l'animal pour lui faire payer ce qu'elle lui avait fait.

Mais alors qu'il était absorbé par sa vengeance, une voix masculine retentit dans la rue déserte. En rouvrant les yeux, la jeune fille reconnut l'homme en bermuda de tout à l'heure. Il s'avançait vers eux, les mains dans les poches, l'air très décontracté.

-Vous allez gentiment relâcher la chatte et la laisser partir sans faire de bêtises que vous pourriez regretter. C'est compris ?

Deux des garçons de la bande s'enfuir en courant, abandonnant leurs acolytes. L'adolescent encore sous forme humaine se mit à rire nerveusement, essayant de garder la tête haute malgré sa peur grandissante.

-On n'fait qu's'amuser, m'sieur. On n'lui fait pas d'mal, elle est avec nous. Pas vrai ?

Mais la chatte continua de se débattre dans la gueule du cabot, essayant d'oublier ses os brisés. A son grand bonheur, l'homme ne crut pas les mensonges de ce vil métamorphe, et ne s'apprêtait pas non plus à l'abandonner à son sort.

-Je me dois d'insister.

Le garçon s'énerva.

-Écoute, mec, cette chatte est à nous. On a des comptes à régler avec elle. Maint'nant, laisse-nous faire et casse-toi avant qu'on t'fasse subir le même sort.

Léo soupira.

Tant pis pour eux, se dit-il. Il avait essayé d'être pacifique mais ces garçons ne voulaient rien entendre.

Léo entame alors sa transformation, laissant son ours polaire surgir. Puis il poussa un rugissement assourdissant. Terrorisés, le chien lâcha la chatte, et lui et son ami s'enfuir à toute vitesse, comme si la Mort leur courait après.

Une fois sûr qu'ils ne reviendraient pas, l'ours s'approcha de la jeune chatte qui feula après lui, méfiante. L'ursidé se contenta d'incliner la tête, un signe de respect si elle se souvenait bien. Peu habituée à ce genre de manière, la jeune fille ne sut comment réagir. Son chat prit alors le contrôle et s'approcha lentement de l'ours, d'une démarche rendu maladroite par ses blessures.

Elle marchait prudemment pour éviter qu'une de ses côtes cassées ne viennent percer un poumon. Puis, une fois face au gros animal blanc, elle posa sa patte sur sa truffe, reconnaissante.

Il lui avait sauvé la vie, alors qu'il ne la connaissait même pas.

L'ours se redressa et lui fit signe de le suivre. Mais, trop mal en point, il fut contraint de la porter dans sa gueule. Trop faible pour pouvoir se méfier, la jeune fille se laissa porter jusqu'à l'arrière d'un hôtel quatre étoiles. Elle fut étonnée de voir que c'était un hôtel pour métamorphes, car personne ne se formalisa de voir un ours polaire entrer avec une jeune chatte dans la gueule.

Quelques instants plus tard, ils étaient dans une chambre d'hôtel, de nouveau sous forme humaine. La jeune fille s'installa sur le divan et ramena ses genoux contre elle, ressentant toujours la douleur significative dans son torse.

-Es-tu blessée ? lui demanda l'ours polaire qu'elle avait pris pour un touriste.

-Je suis un métamorphe, je vais guérir. se contenta t-elle de répondre de sa voix de fillette.

L'homme inspira et s'installa sur la table basse en face d'elle.

-Je m'appelle Léo. Et toi, c'est quoi ton nom ?

Mais elle ne lui répondit pas. Elle ne devait pas donner son nom à des inconnus, tout le monde savait ça.

-Très bien. Et si tu me disais où se trouve ta meute, que je puisse te rendre à eux avant qu'ils ne s'inquiètent inutilement.

-Je n'en ai pas.

-Ta famille alors ?

Mais elle secoua la tête négativement.

C'est ce qu'il craignait, pensa Léo.

Il se mit à réfléchir à cette situation et se rappela la raison de sa venue ici.

-Qu'est-ce que tu dirais d'intégrer ma meute ?

Elle souffla bruyamment.

-Je refuse de me soumettre à un Alpha. Je n'obéis qu'à mes propres règles.

-Saorsa n'est pas une meute comme les autres. la rassura t-il. Elle ne possède aucun Alpha. Tous les métamorphes y sont égaux.

-Quelque soit leur race ?

Léo acquiesça. La jeune fille n'avait jamais entendu parler d'une telle meute, mais s'il disait vrai, cela avait tout du paradis pour elle. Une meute signifiait protection, nourriture, territoire, et encore tout un tas d'autres jolis termes qui la faisaient rêver. Elle ne pourrait pas vivre éternellement dans ses conditions. Elle lui tendit alors sa main et décida qu'il était temps pour elle de commencer une nouvelle vie.

-Je suis enchantée de te rencontrée, Léo. Je m'appelle Hasna.

Et c'est ainsi que j'ai intégré Saorsa.

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