Chapitre 40
On m'a toujours dit que je mourrais jeune. Je suis bien trop intrépide, trop tête brulée, et insolente en plus de ça ! Je provoque tout et tout le monde, et un jour ça va forcément m'emporter dans la tombe. Les gens l'ont parié ; je ne dépasserai pas les cinquante ans.
Sortez vos billets les gars, vous avez perdu.
Je me réveille avec la sensation d'être tombée du haut d'un arbre. En essayant de me rappeler où je suis et ce que j'y fais, je me souviens que c'est effectivement le cas.
Mes membres semblent si lourds et endoloris. Même mes paupières ont du mal à se soulever. Et puis il y a cette oreiller si doux et moelleux sous moi, bien trop confortable pour me donner envie de bouger. J'aurais presque envie de me laisser emporter par le sommeil une nouvelle fois.
Oh et puis pourquoi pas ?
J'arrête de lutter et m'apprête à me rendormir profondément. Mais une délicieuse odeur titille mes narines.
Serait-ce des lasagnes ?
Mon chat se lèche les babines à l'idée de dévorer une assiette entière de merveilleuses lasagnes. En fait, il est si affamé qu'il pourrait avaler n'importe quoi - mais les lasagnes restent un excellent choix.
Un dilemme s'impose alors à moi. Faire abstraction de cette odeur alléchante et se rendormir paisiblement, ou bien se forcer à se réveiller, braver la douleur, et dévorer une délicieuse quantité de pâtes à la bolognaise avec une onctueuse couche de béchamel.
Finalement, ce sont les lasagnes qui l'emportent.
J'ouvre les yeux en grommelant des choses incompréhensibles. Contre toute attente, je ne sais pas où je me trouve. Les murs blancs sont sales. Des machines sont entreposées ici et là, du matériel médical datant d'une autre époque. Et dans le coin de la pièce, une grosse araignée noire et velue a tissé sa toile.
-Et j'ai réussi à survivre avec toute cette merde ? je m'étonne.
Enfin, avec la voix sèche et éraillée que j'ai, ma phrase doit plutôt ressembler à du yaourt.
Un homme apparait dans mon champ de vision. Je reconnais avec joie mon ancien camarade de meute, Léo.
-Bois ceci.
Il approche un verre d'eau de mes lèvres et m'aide à boire. Ma gorge est si sèche que l'eau a presque des difficultés à passer. Finalement, j'engloutis tout le contenu du verre. Léo repose le verre vide sur une table non-loin de lui.
-Comment te sens-tu ?
J'essaie de me rappeler de tous les évènements. Tant de choses me reviennent en mémoire que j'en ai mal à la tête.
-Passe moi les lasagnes. je grogne, affamée.
L'ours polaire rit avant d'aller chercher l'assiette.
-Tu te sens capable de manger toute seule ?
-File moi ces foutus lasagnes !
Faisant fi de mes membres douloureux, j'attrape l'assiette pleine. Tant pis pour la fourchette, j'attaque le plat à même les doigts.
J'ai l'impression d'avoir jeûner pendant des jours !
-Va sersser Ancréas. je lui demande, la bouche pleine.
Mais Léo ne bouge pas. Il me fixe sans rien dire. J'arrête de mâcher et avale.
-Léo, où est Andréas ?
Est-ce qu'il s'est passé quelque chose de grave ? Il est parti, il ne m'a pas pardonnée ? Il est en soins intensifs peut-être ?
-Du calme, il est juste derrière toi.
Ah, bon.
Je me tords le cou afin de l'apercevoir derrière moi. Andréas est sous sa forme de loup, allongé de tout son long sur le lit, juste sous moi. Je tends ma main recouverte de sauce et attrape son museau avec douceur.
-Tu es un oreiller formidable. je lui murmure tendrement.
Le loup se met à lécher mes doigts avec douceur, sans me quitter des yeux. Les larmes me montent aux yeux. Cela fait si longtemps que je n'ai pas été aussi proche d'Andréas. Il m'a manqué, énormément.
Léo se racle la gorge.
-Je vais vous laisser. dit-il avant de quitter la pièce.
Andréas tente de se relever, et je me redresse afin de l'aider à s'extirper du lit. Il descend, puis prend forme humaine. J'écarquille les yeux de stupeur en observant l'énorme balafre qui orne sa joue.
La vache, ce sont ces satanés loups qui lui ont fait ça ?
-Ne fais pas cette tête, ce n'est rien comparé à ce qu'il y a sous mon tee-shirt.
Je me mords la lèvre. Je m'en veux. Terriblement. Tout cela ne se serait pas produit si je n'avais pas été aussi psychiquement malléable qu'une guimauve.
-Je suis désolée d'être partie.
Le visage d'Andréas se ferme.
-Je ne veux pas qu'on parle de ça.
-Pourtant il va falloir qu'on en parle.
Il soupire, passe une main sur son visage d'un air las, puis s'allonge à mes côtés sur le lit.
-On ne pourrait pas en reparler une autre fois ?
-J'étais persuadée que tu n'étais pas mon âme-sœur.
Il baisse les yeux, certainement déçu. Il a toujours cru si fort en notre couple, et de mon côté je n'arrête pas de tout foutre en l'air.
Mais cette fois c'est fini.
-Maintenant je sais que tu as raison. On est bel et bien liés tous les deux. Tu vas devoir me supporter jusqu'à la fin de ta vie.
Andréas attrape ma main et la porte à ses lèvres. Il embrasse le dos de ma main tendrement.
-Et j'en suis très heureux. Tout est pardonné.
Je grimace.
-Vraiment ? Tu vas me pardonner comme ça, aussi facilement ? J'ai cru comprendre que tu n'étais pas très rancunier, mais là, tout de même...
Il m'attrape dans ses bras et me serre contre lui, doucement pour ne pas me faire mal. L'assiette de lasagnes tombent du lit. Mais ce n'est pas grave, parce que c'est si bien d'être là, dans ses bras, à ma place, que même une centaine de part de lasagnes ne peut égaler cet instant.
Mais bon, c'est quand-même mieux d'avoir les deux.
-C'est horrible ce que je t'ai fait. je murmure.
-Mais tu as fini par revenir.
-Je t'ai laissé en plan, le jour de notre union...
-Je t'ai dit que tout était pardonné.
-... et le jour de ton anniversaire en plus ! je réalise avec effroi.
-Tu es sûre de ne pas vouloir changer de sujet ?
Je le regarde dans les yeux. Ces si beaux yeux gris. Ceux dont je suis tombée amoureuse au premier regard, sans le savoir. Le coup de foudre. Mon âme-sœur.
-Tu as quel âge ?
Il roule des yeux. Puis soupire, vaincu.
-Presque trois cent ans, je crois. J'ai arrêté de compter.
J'écarquille les yeux de surprise. Je sais qu'Andréas est vieux, mais je ne savais pas qu'il l'est autant.
-Mais t'es un fossile en fait ! je m'exclame sans pouvoir me retenir.
Andréas ferme les yeux, désespéré.
-Lorenzo était aussi vieux que toi alors ?
Des vieux métamorphes, on en croise pas tous les jours. On aime tellement la bagarre qu'il est rare de dépasser les cent cinquante ans.
-En fait, Lorenzo n'était pas vraiment mon cousin. A l'origine, mon père dirigeait la meute, et il a fait deux enfants : moi et ma petite sœur, Allia. Lorsqu'il est mort, ce devait être à moi de devenir Alpha. Mais je n'ai pas voulu prendre cette responsabilité. Alors j'ai laissé ma sœur prendre ma place. Elle a eu des enfants, qui ont pris sa place, puis l'un d'eux a eu d'autres enfants qui sont devenus Alpha à leur tour. Lorenzo est en fait mon neveu de quatre générations.
Eh bah, ça en fait des mioches.
-Le jour de la bataille entre Saorsa et ta meute, tu as dit que celle-ci te revenait de droit. C'était de ça que tu parlais. je réalise.
Il hoche la tête.
-Pourquoi tu ne voulais pas me le dire ?
Il soupire.
-Je ne sais pas. Je crois que j'avais peur que notre différence d'âge te dérange.
Je passe une main sur son torse.
-Eh bien, ce n'est pas le cas. Je t'aime. Cent ans de plus ou de moins n'y changeront rien.
J'embrasse doucement ses lèvres, heureuse d'enfin le retrouver.
-J'avais l'intention de venir te chercher, tu sais. Lorsque tu es repartie dans ton ancienne meute.
Je cligne des yeux, un peu surprise par cet aveu. J'ai passé une semaine à Saorsa sans avoir la moindre nouvelle de lui. Je pensais qu'il avait abandonné pour de bon.
-Pourquoi est-ce que tu as mis autant de temps, alors ?
-Je voulais te laisser un peu d'espace pour réfléchir. Et puis j'avais ce problème de rébellion à régler. Je préférai te savoir loin d'ici, en sécurité.
-Tu savais que Nyce voulait te tuer ? je réalise, étonnée.
Andréas hausse les épaules.
-Je savais que quelqu'un en voulait à la meute. Il y a eu plusieurs sabotages depuis que je suis devenu Alpha. Seulement je ne savais pas qui était derrière tout ça, ni combien ils étaient. Je ne pouvais faire confiance à personne - excepté toi, bien-sûr. Je suis parti dans la forêt pour les traquer. Je savais qu'ils me suivraient. Sans toi à mes côtés, ils étaient persuadés que je m'affaiblirais.
-Ça n'a pas été le cas ?
Il grimace.
-Je n'étais pas aussi faible qu'un louveteau, mais je ne te cacherai pas que ton absence m'a fait beaucoup de mal. Mon loup était déprimé, il était inconsolable. Il est resté à ton chevet tout le temps de ton rétablissement.
Je l'imagine très bien, mon beau loup gris, veiller sur moi et grogner après tout ceux qui oseraient s'approcher.
-Ça ne se reproduira plus, je te le promets. Désormais, toi et moi, c'est pour toujours. j'affirme avec ma plus grande détermination.
-Il ne nous reste plus qu'à attendre la prochaine pleine lune pour nous unir, et tout cela deviendra officiel.
Ah. Oui. Cette satané union.
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